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Résolution 1609 (2008)
Le fonctionnement des institutions démocratiques en Arménie
1. Une élection présidentielle a
eu lieu le 19 février 2008 en Arménie. Même si la commission ad
hoc qui l’a suivie a considéré que cette élection «a respecté pour
l’essentiel les normes et engagements du Conseil de l’Europe», elle
a relevé un certain nombre d’irrégularités et d’insuffisances, dont
les plus importantes étaient les suivantes: des conditions de campagne
inégales pour les candidats, le manque de transparence dans l’administration
du processus électoral, ainsi qu’une procédure de plaintes et de
recours n’offrant pas aux plaignants la possibilité d’accéder à
un recours juridique effectif. De plus, un certain nombre de cas
de fraude électorale ont été observés.
2. L’Assemblée parlementaire regrette que les irrégularités et
insuffisances observées n’aient guère contribué à restaurer la confiance
de la population dans le processus électoral – confiance qui fait
actuellement défaut – et aient suscité des interrogations parmi
une partie de la population arménienne quant à la crédibilité des
résultats des élections. Ce manque de confiance de la population
est à l’origine des protestations pacifiques, bien que sans notification
officielle préalable, consécutives à l’annonce des premiers résultats,
qui ont été tolérées par les autorités pendant dix jours.
3. L’Assemblée déplore les affrontements qui ont eu lieu le 1er
mars 2008 entre la police et les manifestants, et l’escalade de
violence, qui ont coûté la vie à 10 personnes alors que 200 autres
environ ont été blessées. Les circonstances exactes qui ont mené
aux événements tragiques du 1er mars ainsi que les modalités d’intervention
des autorités, notamment l’imposition de l’état d’urgence du 1er
au 20 mars 2008 à Erevan et le présumé excessif recours à la force
de la part de la police, sont des questions très controversées et
devraient faire l’objet d’une enquête indépendante crédible.
4. L’Assemblée condamne l’arrestation et la détention continue
d’un grand nombre de personnes, y compris de plus de 100 partisans
de l’opposition et trois membres du parlement, pour certains d’entre
eux pour des motifs apparemment artificiels et politiquement motivés.
Celles-ci constituent des mesures de répression de facto contre
l’opposition de la part des autorités.
5. Grâce à une évolution positive de la situation et à l’initiative
du nouveau Président, M. Serzh Sargsyan, quatre des cinq partis
au parlement ont signé, le 21 mars 2008, un accord visant à former
une coalition politique destinée à régler les questions politiques
en suspens. Cependant, il reste nécessaire d’établir un dialogue entre
la coalition et le Parti du patrimoine ainsi que les partis extraparlementaires
pour résoudre la crise actuelle en Arménie.
6. La vague de protestations publiques, dont les tragiques événements
du 1er mars ont été le point culminant, était peut-être inattendue,
mais l’Assemblée considère que les causes sous-jacentes de la crise
ont des racines plus profondes dans l’incapacité des institutions
clés de l’Etat à remplir leurs fonctions en pleine conformité avec
les normes démocratiques et les principes de la prééminence du droit
et de la protection des droits de l’homme. Plus spécifiquement:
6.1. l’Assemblée nationale de l’Arménie
n’a pas pu jusqu’à présent jouer son rôle de forum de débat politique
où un compromis peut être trouvé entre les différentes forces politiques.
Fondé sur le mode du «vainqueur emporte tout», le système politique
actuel exclut l’opposition de toute participation effective au processus
de décision et de gouvernance du pays. En conséquence, entre autres,
une partie de l’éventail politique en Arménie n’est pas représentée
au sein de l’actuelle Assemblée nationale;
6.2. de plus, le manque de confiance dans le processus électoral
sape globalement la crédibilité du résultat des élections aux yeux
d’une partie de la population arménienne. Cela est encore aggravé
par l’absence d’impartialité de l’administration électorale, le
traitement inefficace des plaintes et des recours, ainsi que par
le manque de transparence dans le décompte des voix et dans les
procédures de dépouillement;
6.3. malgré des réformes législatives réussies, les tribunaux
manquent toujours de l’indépendance nécessaire pour inspirer confiance
à la population en tant qu’arbitres impartiaux, notamment dans le contexte
des différends électoraux. S’explique ainsi le nombre relativement
faible de plaintes formelles déposées auprès des tribunaux. Le même
manque d’indépendance judiciaire se reflète dans le fait que les
tribunaux ne semblent pas s’interroger sur la nécessité de garder
des personnes en détention en attendant leur procès et répondent
en général favorablement aux demandes faites par les procureurs, sans
examiner de manière appropriée si cette détention est justifiée,
en conformité avec l’article 5, paragraphe 3, de la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 5);
6.4. en l’absence d’un contrôle judiciaire approprié, l’arrestation
et la détention continue des personnes contre lesquelles des accusations
apparemment artificielles ont été portées après qu’elles ont contesté
l’équité de l’élection présidentielle ou participé à la manifestation
organisée à la suite de cette élection ne peuvent qu’indiquer la
motivation politique de tels actes. Cela est inacceptable dans un Etat
membre du Conseil de l’Europe et ne peut être toléré par l’Assemblée;
6.5. bien qu’une presse pluraliste et indépendante existe,
le niveau actuel de contrôle des médias électroniques et de leurs
instances de régulation par les autorités ainsi que l’absence d’un
radiodiffuseur de service public réellement indépendant et pluraliste
empêchent la création d’un environnement médiatique pluraliste et
ne font qu’exacerber la méfiance de l’opinion à l’égard du système
politique.
7. Quelques jours avant l’expiration de l’état d’urgence, le
17 mars 2008, sur proposition du gouvernement, l’Assemblée nationale,
dans une session extraordinaire, a adopté une série d’amendements
à la loi relative à la tenue de réunions, assemblées, rassemblements
et manifestations, qui limitent de façon considérable le droit à
la liberté de réunion et accordent aux autorités d’importants pouvoirs
discrétionnaires en ce qui concerne l’interdiction des rassemblements
et des manifestations. Par conséquent, ces amendements vont à l’encontre
des normes européennes, notamment de l’article 11 de la Convention
européenne des droits de l’homme, ainsi que des obligations et engagements
de l’Arménie en tant qu’Etat membre du Conseil de l’Europe. Dans
un projet d’avis conjoint, la Commission européenne pour la démocratie
par le droit du Conseil de l’Europe (Commission de Venise) et le
Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’Organisation
pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE/BIDDH) ont également
considéré ces amendements comme inacceptables. L’Assemblée se réjouit
de l’intention exprimée par le Président nouvellement élu dans son
discours d’investiture de rendre la loi relative à la tenue de réunions,
assemblées, rassemblements et manifestations pleinement conforme
aux normes européennes et d’encourager la poursuite de la coopération
avec la Commission de Venise sur cette question.
8. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée rappelle sa Résolution 1532 (2007) sur le respect des obligations et engagements de l’Arménie,
et demande à nouveau instamment aux autorités arméniennes d’entreprendre les
réformes suivantes sans plus tarder:
8.1. le système politique devrait garantir une place et des
droits appropriés à l’opposition;
8.2. le processus électoral doit être entièrement réformé en
vue d’assurer, notamment: l’impartialité de l’administration électorale,
qui doit être libre de tout contrôle de la part de toute force politique;
la pleine transparence de l’administration du processus électoral,
notamment en ce qui concerne le décompte des voix et le processus
de dépouillement, ainsi que l’instauration d’une procédure de plaintes et
de recours donnant le plus large accès possible aux recours juridiques
à tous ceux qui participent aux élections et qui auraient observé
des violations; et des conditions de campagne égales pour toutes
les forces politiques, conditions qui doivent être garanties dans
la pratique tant pendant la période de campagne électorale officielle,
qu’avant celle-ci;
8.3. il faut garantir l’indépendance, vis-à-vis de tout intérêt
politique, aussi bien de la Commission nationale de radio et de
télévision que du Conseil de télévision et de radiodiffusion de
service public. De plus, la composition de ces organes devrait être
révisée afin d’assurer qu’ils soient véritablement représentatifs
de la société arménienne. Les recommandations faites à cet égard
par la Commission de Venise et les experts du Conseil de l’Europe
doivent enfin être prises en considération. L’Assemblée réaffirme
qu’au-delà de la révision du cadre législatif, les autorités doivent
prendre des mesures pour assurer au quotidien la liberté et le pluralisme
de la radio et de la télévision publiques. De plus, le harcèlement
par les autorités fiscales des médias électroniques et de la presse
écrite de l’opposition doit cesser;
8.4. la liberté de réunion doit être garantie tant dans la
loi que dans la pratique, en conformité avec l’article 11 de la
Convention européenne des droits de l’homme; cela nécessite d’abroger,
comme le recommande la Commission de Venise, les amendements récemment
adoptés par l’Assemblée nationale à la loi relative à la tenue de
réunions, assemblées, rassemblements et manifestations, avec effet
immédiat;
8.5. les autorités devraient redoubler d’efforts afin de mettre
en place un pouvoir judiciaire véritablement indépendant et de renforcer
la confiance de la population dans les tribunaux;
8.6. les arrestations et détentions arbitraires, ainsi que
les mauvais traitements des détenus, notamment pendant la garde
à vue, devraient cesser. Un mécanisme de contrôle public efficace
au niveau de la police doit être garanti dans la loi et dans la
pratique.
9. Pour leur part, toutes les forces de l’opposition devraient
reconnaître la décision de la Cour constitutionnelle confirmant
les résultats des élections annoncés par la Commission électorale
centrale. Cela ne devrait pas être interprété comme constituant
l’obligation d’en agréer le bien-fondé. Tous ceux qui contestent
le résultat des élections ont le droit de remettre en cause cette
décision par tout moyen juridique à leur disposition, y compris
la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg.
10. L’Assemblée considère que le seul moyen de permettre à l’Arménie
d’avancer vers la mise en œuvre des réformes urgentes susmentionnées
est l’instauration, entre les forces politiques de la société arménienne, d’un
dialogue franc et constructif. L’Assemblée avait déjà souligné il
y a plus d’un an, quand elle adoptait sa Résolution 1532 (2007), la nécessité d’un tel dialogue afin d’assurer la mise
en œuvre effective de la réforme constitutionnelle.
11. Compte tenu du fait qu’une partie pertinente de l’éventail
des partis politiques existant en Arménie n’est pas représentée
au sein de l’Assemblée nationale actuelle, un tel dialogue devrait
inclure les forces politiques parlementaires et extraparlementaires.
L’Assemblée se déclare prête à faire office de médiateur entre les différentes
forces et à garantir l’entière participation à ce processus des
organes compétents du Conseil de l’Europe, et notamment de la Commission
de Venise.
12. Toutefois, l’Assemblée considère que, pour qu’un tel dialogue
puisse être engagé et mené à bien, un certain nombre de conditions
doivent être remplies en priorité afin de gagner la confiance de
l’opposition et de montrer que la majorité au pouvoir est sérieusement
engagée à poursuivre les réformes:
12.1. une enquête indépendante, transparente et crédible sur
les événements du 1er mars et les circonstances qui les ont déclenchés
– y compris le présumé excessif recours à la force de la part de
la police et la violence des manifestants – devrait être immédiatement
menée; la communauté internationale devrait se tenir prête à suivre
et assister cette enquête;
12.2. les personnes qui sont détenues sur la base d’accusations
apparemment artificielles et politiquement motivées ou qui, à titre
personnel, n’ont commis ni acte de violence ni infraction graves connexes
devraient être libérées d’urgence;
12.3. les amendements récemment adoptés par l’Assemblée nationale
à la loi relative à la tenue de réunions, assemblées, rassemblements
et manifestations devraient être abrogés, conformément aux recommandations
de la Commission de Venise, avec effet immédiat.
13. Tant que ces conditions ne seront pas remplies et qu’un dialogue
franc sur les réformes mentionnées au paragraphe 8 ne sera pas sérieusement
engagé entre les forces politiques arméniennes, la crédibilité de l’Arménie
en tant que membre du Conseil de l’Europe sera mise en cause. Par
conséquent, l’Assemblée devrait envisager la possibilité de suspendre
le droit de vote de la délégation arménienne auprès de l’Assemblée
à l’ouverture de la partie de session de juin 2008 si aucun progrès
considérable n’avait été accompli d’ici là sur ces exigences.
14. L’Assemblée continuera à suivre de près la situation en Arménie
sur la base des informations fournies par sa commission de suivi,
notamment en ce qui concerne les progrès satisfaisant aux conditions mentionnées
ci-dessus.