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Résolution 1760 (2010) Version finale
La montée récente en Europe du discours sécuritaire au niveau national: le cas des Roms
1. L’Assemblée parlementaire est consternée
par le fait que – à peine quelques semaines après l’adoption de
sa Résolution 1740 (2010) sur
la situation des Roms en Europe et les activités pertinentes du
Conseil de l’Europe, qui appelle les Etats membres à améliorer la
situation des Roms et à veiller au respect plein et entier de leurs
droits fondamentaux – des hommes politiques, dans plusieurs Etats
membres du Conseil de l’Europe, aient eu recours à une rhétorique
anti-Roms, associant ceux-ci à la criminalité et au trafic. Il s’est
ensuivi un durcissement des politiques et mesures sécuritaires visant
directement les Roms, telles que le démantèlement de leurs campements
et les vagues de renvois de migrants roms vers leur pays d’origine.
2. L’Assemblée partage les inquiétudes exprimées à cette occasion
par son Président, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil
de l’Europe et la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI),
les Nations Unies, l’Union européenne et d’autres organisations
internationales, ainsi que par les défenseurs des droits de l’homme
et les médias. Elle note à cet égard que la Commission européenne
est en train d’évaluer le respect du droit communautaire par plusieurs
Etats membres de l’Union européenne.
3. Pour sa part, l’Assemblée s’inquiète particulièrement de la
place de plus en plus importante qu’occupe la sécurité publique
dans le débat politique, notamment à la suite de la crise économique,
de la montée du chômage et de la recrudescence de la criminalité,
et de l’emploi de plus en plus fréquent des discours sécuritaires
conjugués avec une forme d’expression discriminatoire qui tend à
faire l’amalgame entre l’insécurité et certaines communautés ethniques,
y compris les migrants, faisant de celles-ci des boucs émissaires,
comme cela a été récemment le cas avec les Roms.
4. L’Assemblée constate que les pays européens qui offrent de
meilleures conditions de vie et disposent d’un système de protection
sociale plus généreux attirent les migrants de pays en situation
moins favorable, faisant parfois peser des pressions sur les institutions
sociales des Etats concernés.
5. L’Assemblée relève que s’il n’y a naturellement pas lieu de
jeter l’opprobre sur une communauté, et qu’il convient de l’aider,
il ne sert à rien de nier les problèmes, sauf à faire le jeu de
l’extrémisme. Il convient donc de traiter les causes profondes de
la marginalisation des Roms.
6. L’Assemblée constate que les aides de l’Union européenne ne
sont pas utilisées de façon optimale et qu’il importe de mieux les
mobiliser en faveur des Roms, ou, si cela s’avère impossible, de
les redéployer dans les pays d’accueil.
7. Alors que pendant longtemps les partis traditionnels ne sont
pas parvenus à anticiper ou à relever les défis posés à l’ordre
public et à la sécurité des personnes, les partis populistes extrémistes
ont cherché à tourner à leur avantage les préoccupations d’ordre
sécuritaire de la société en assimilant purement et simplement l’immigration
à la criminalité et à l’insécurité.
8. L’Assemblée est particulièrement préoccupée par la double
tendance qui se dessine en Europe: d’un côté, l’élection de plus
en plus fréquente dans les parlements nationaux de partis d’extrême
droite; et, de l’autre, le fait que les partis traditionnels, pour
essayer de dissuader leur électorat de se tourner vers les partis extrémistes
et de regagner un soutien populaire, empruntent à ceux-ci certains
traits de leurs discours radicaux, xénophobes et discriminatoires.
9. Si l’Assemblée reconnaît que, dans bon nombre d’Etats membres
du Conseil de l’Europe, les autorités, confrontées à une recrudescence
de la criminalité, se voient contraintes de durcir les politiques
visant à protéger l’ordre public et la sécurité de toutes les personnes
qui vivent sur leur territoire, elle souligne qu’il convient d’établir
dans le discours politique une distinction claire entre les individus
qui ont commis des infractions et des groupes entiers de personnes,
tels que les Roms ou toute autre minorité ou groupe de migrants.
10. L’Assemblée condamne fermement l’utilisation d’un langage
à caractère raciste et xénophobe, inacceptable dans une démocratie,
stigmatisant les Roms ou toute autre minorité ou groupe de migrants. L’Assemblée
accorde la plus haute importance à la liberté d’expression, y compris
lors de débats politiques relatifs à l’immigration. Mais toute forme
de discrimination raciale ou ethnique est inacceptable. Comme l’a souligné
la Cour européenne des droits de l’homme (la Cour), la liberté d’expression
peut légitimement être restreinte lorsque les propos tenus sont
susceptibles de susciter un sentiment de rejet et d’hostilité envers
une communauté visée, conformément à l’article 10, paragraphe 2,
de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5).
11. Une responsabilité particulière incombe aux hommes politiques,
qui se doivent d’éliminer du discours politique les stéréotypes
négatifs et les stigmatisations de toute minorité et tout groupe
de migrants. Il leur appartient de promouvoir un message de non-discrimination,
de tolérance et de respect vis-à-vis des personnes d’origines différentes.
12. C’est pourquoi l’Assemblée réaffirme les normes et lignes
directrices du Conseil de l’Europe applicables au discours politique,
contenues, entre autres, dans la jurisprudence de la Cour, la Recommandation no R (97) 20
du Comité des Ministres sur le «discours de haine», les recommandations
de politique générale de l’ECRI et sa Déclaration de 2005 sur l’utilisation
d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours
politique, les recommandations du Commissaire aux droits de l’homme,
ainsi que les documents connexes de la Commission européenne pour
la démocratie par le droit (Commission de Venise) et ses propres Résolution 1345 (2003) sur
le discours raciste, xénophobe et intolérant en politique, et Résolution 1754 (2010) sur
la lutte contre l’extrémisme: réalisations, faiblesses et échecs.
L’Assemblée appelle:
12.1. les Etats
membres du Conseil de l’Europe:
12.1.1. à signer et ratifier
ou approuver autrement, si ce n’est déjà fait, et à mettre en œuvre
de manière effective dans leurs droits et pratique nationaux les
instruments et normes juridiques, lignes directrices et politiques
du Conseil de l’Europe liés à l’interdiction et à la prévention
du discours de haine et de la discrimination, y compris la Convention-cadre
pour la protection des minorités nationales (STE no 157)
et la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE
no 148);
12.1.2. à appliquer la législation nationale sur le discours de
haine et la discrimination;
12.1.3. à veiller au respect plein et entier des normes des droits
de l’homme et des principes de la démocratie et de l’Etat de droit
lors de la conception et de la mise en œuvre de politiques visant à
protéger l’ordre public et la sécurité de toutes les personnes qui
vivent sur leur territoire, y compris les principes de non-discrimination
et de proportionnalité;
12.2. les autorités et institutions publiques aux niveaux national,
régional et local, ainsi que les responsables:
12.2.1. à
s’abstenir d’effectuer des déclarations, en particulier à travers
les médias, pouvant raisonnablement être prises pour un discours
de haine ou comme un discours pouvant faire l’effet de légitimer,
de propager ou de promouvoir la haine raciale, la xénophobie ou
d’autres formes de discrimination ou de haine fondées sur l’intolérance;
12.2.2. à réfuter et condamner publiquement ces expressions en
toute occasion;
12.2.3. à interpréter strictement, en matière d’expulsion, le
motif tiré du «trouble à l’ordre public», souvent invoqué par les
autorités pour justifier une mesure d’expulsion, conformément à
la jurisprudence pertinente de la Cour.
13. L’Assemblée rappelle l’importance de la Charte des partis
politiques européens pour une société non raciste, signée par son
Président et le Président du Parlement européen en 2003, et invite
instamment les partis politiques, les forces politiques et les personnalités
politiques et publiques dans les Etats membres, les groupements
internationaux de partis politiques et ses propres membres, à s’engager:
13.1. à adhérer, à mettre en œuvre
et à promouvoir activement les principes inscrits dans la charte;
13.2. à contribuer activement à la lutte contre toute tentative
de stigmatisation ou d’incitation à l’hostilité envers une personne
ou un groupe de personnes sur la base de la race, de l’origine ethnique,
de la nationalité, des croyances religieuses ou de l’origine sociale;
13.3. à combattre toute action ou forme d’expression susceptible
d’exacerber les craintes et les tensions entre des groupes d’origine
raciale, ethnique, nationale, religieuse ou sociale différente;
13.4. à traiter de manière responsable et équitable tous les
thèmes sensibles ayant trait à ces groupes;
13.5. à s’abstenir de tout discours à caractère raciste, xénophobe,
nationaliste agressif, ethnocentrique ou autrement discriminatoire,
ou de poursuivre de tels objectifs politiques, et à réprimer fermement
tout sentiment ou comportement raciste dans leurs propres rangs.
14. Convaincue de la responsabilité particulière incombant aux
médias, l’Assemblée les appelle:
14.1. à
s’abstenir de diffuser des messages susceptibles de provoquer une
animosité à l’égard de personnes ou de groupes de personnes appartenant
à une communauté ou une minorité ethnique, nationale, culturelle,
linguistique ou religieuse, à l’égard de migrants, de réfugiés,
de demandeurs d’asile ou de personnes d’origine immigrée;
14.2. à éviter, dans leurs reportages sur les problèmes sociaux
ou criminels, de mentionner de manière sélective l’origine ethnique
ou nationale, ou l’appartenance à une communauté ou minorité religieuse, culturelle
ou linguistique des personnes impliquées;
14.3. à s’abstenir d’attiser les tensions entre les communautés
de Roms et de Gens du voyage autochtones et les migrants roms.
15. Réaffirmant sa Résolution
1740 (2010) et sa Recommandation
1924 (2010) sur la situation des Roms en Europe et les
activités pertinentes du Conseil de l’Europe, adoptées en juin 2010,
l’Assemblée:
15.1. salue et soutient
l’initiative du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe d’organiser
une réunion de haut niveau pour convenir de mesures destinées à
améliorer la situation des Roms dans toute l’Europe, point de départ
des efforts conjugués des institutions européennes et des Etats
membres pour s’occuper de la situation des Roms de manière constructive
et durable;
15.2. se déclare prête à contribuer au succès de cette réunion
de haut niveau en apportant son expérience du traitement des questions
liées aux Roms et en favorisant la mise en œuvre de l’ensemble des
décisions qui seront adoptées;
15.3. en matière d’expulsion, appelle les Etats membres à respecter
pleinement leurs obligations – y compris procédurales – au titre
de la Convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence
pertinente de la Cour, à ne pas procéder à des expulsions collectives
déguisées et, conformément aux recommandations du Commissaire aux
droits de l’homme du Conseil de l’Europe, à ne pas renvoyer de Roms
au Kosovo jusqu’à ce que la preuve soit faite que ces retours peuvent
être entrepris en tenant pleinement compte de la sécurité et des
futures conditions de vie des intéressés;
15.4. encourage les Etats membres à recourir plus largement
au Fonds social européen pour l’intégration des Roms ainsi qu’aux
prêts-projets octroyés par la Banque de développement du Conseil de
l’Europe, lesquels ont d’ores et déjà contribué au financement de
projets visant à favoriser l’intégration des Roms immigrés tant
dans les Etats membres que dans d’autres pays ayant une importante
population rom;
15.5. invite le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe à
informer l’Assemblée, le plus tôt possible, des résultats de la
réunion de haut niveau;
15.6. décide de continuer à suivre avec attention la situation
des Roms en Europe, y compris à la lumière des résultats de la réunion
de haut niveau, et, dans ce contexte, de traiter la question de
la circulation et des migrations des Roms en Europe, ainsi que les
politiques et les pratiques concernant le retour des Roms dans leur
pays d’origine.