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Recommandation 1985 (2011) Version finale

Les enfants migrants sans-papiers en situation irrégulière: une réelle cause d’inquiétude

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 7 octobre 2011 (36e séance) (voir Doc. 12718, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et de la population, rapporteur: M. Agramunt; et Doc. 12751, avis de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille, rapporteur: Mme Strik). Texte adopté par l’Assemblée le 7 octobre 2011 (36e séance).

1. Un enfant est d’abord, avant tout et uniquement, un enfant. Il peut, par ailleurs, être un migrant. Ce principe, associé à la nécessité de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, conformément à l’article 3 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, et à l’obligation de traiter tous les enfants sur un pied d’égalité, devrait être le point de départ de toute discussion sur les enfants migrants sans papiers. Le statut de l’enfant au regard de l’immigration doit toujours rester une considération secondaire.
2. Les enfants migrants sans papiers sont vulnérables à trois égards: en tant que migrants, en tant que personnes sans papiers et en tant qu’enfants.
3. L’Assemblée parlementaire met en évidence cinq domaines particuliers dans lesquels les droits des enfants migrants sans papiers doivent être clarifiés et renforcés, à savoir l’éducation, la protection de la santé, le logement, la rétention et l’exploitation.
4. L’Assemblée souligne que les enfants migrants sans papiers devraient bénéficier du droit à la sécurité sociale, si besoin est, et du droit à jouir d’un niveau de vie suffisant, conformément aux paragraphes 9 et 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies.
5. Les enfants migrants sans papiers sont des enfants qui, en raison de leur situation irrégulière, sont dépourvus de papiers d’identité. Ils peuvent être accompagnés de leurs parents ou de leur famille, ou non accompagnés, et peuvent être nés en Europe ou ailleurs.
6. L’Assemblée constate qu’il existe d’importantes disparités en Europe dans la manière dont les Etats membres du Conseil de l’Europe traitent ces enfants, sur le plan tant de la législation que de la pratique, et considère que tous les Etats membres devraient disposer d’une base législative solide pour s’occuper des droits des enfants appartenant à ce groupe vulnérable.
7. Les enfants sans papiers qui sont séparés de leurs parents (soit parce que les parents ne les accompagnent pas, soit parce qu’ils ne peuvent pas prendre soin d’eux) ont besoin d’une protection particulière et devraient bénéficier d’un tuteur légal. Ils devraient également recevoir un soutien continu et fiable au-delà de l’âge de la majorité, de façon à leur éviter les pressions psychologiques inutiles causées par l’incertitude quant à leur avenir, pressions qui risquent sinon d’affecter leur développement dès leur jeune âge et de les priver de leur droit au développement, lequel est protégé par l’article 6 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant.
8. Nonobstant la législation en vigueur dans beaucoup Etats membres, il existe de nombreuses entraves à l’exercice de ces droits dans la pratique. On peut notamment citer les obstacles administratifs, les barrières linguistiques, la complexité des systèmes administratifs, judiciaires et autres, la discrimination, le manque d’information et la peur d’être signalé. L’apatridie est une autre menace qui pèse sur les enfants migrants sans papiers, qui aggrave encore les obstacles auxquels ils se heurtent dans la jouissance de leurs droits.
9. Gardant à l’esprit la nécessité de mettre en place une base législative solide et de mettre en œuvre les lois dans la pratique, l’Assemblée recommande aux Etats membres:
9.1. de garantir le droit à l’éducation:
9.1.1. en veillant à ce que ce droit soit inscrit dans une législation claire et mis en œuvre, entre autres, à l’aide de documents d’orientation et de circulaires pédagogiques;
9.1.2. en éliminant les obstacles administratifs qui empêchent l’inscription des enfants à l’école et nuisent à la fréquentation scolaire, tels que l’absence d’adresse fixe, le manque de documentation, le manque de fonds et les obstacles linguistiques;
9.1.3. en éliminant les obstacles administratifs qui ont un effet dissuasif sur les écoles, et notamment la complexité des procédures administratives et les problèmes d’obtention de fonds pour des enfants sans papiers;
9.1.4. en encourageant et en facilitant l’intégration de ces enfants à l’école, notamment par le biais d’un soutien linguistique et d’une formation des enseignants pour faciliter à ces derniers la prise en charge des enfants ayant des besoins complexes;
9.1.5. en luttant contre la discrimination, particulièrement à l’inscription, qui peut mener à l’exclusion, à une mise à l’écart dans le système éducatif et, dans certains cas, à la création d’«écoles ghettos»;
9.1.6. en soutenant les initiatives de la société civile qui facilitent la participation des enfants migrants sans papiers au sein du système éducatif;
9.1.7. en permettant à ces enfants de participer à des stages lorsque ces derniers font partie du cycle d’enseignement;
9.2. de garantir le droit à des soins de santé:
9.2.1. en clarifiant, par la législation, le droit des enfants migrants sans papiers à bénéficier, sans discrimination, de soins de santé allant au-delà de l’aide médicale d’urgence et incluant des soins de santé primaires et secondaires, ainsi qu’une assistance psychologique adéquate;
9.2.2. en simplifiant les exigences administratives imposées aux bénéficiaires et aux prestataires de soins de santé, et en veillant à ce que les personnes concernées reçoivent des informations pertinentes sur le droit aux soins de santé, sur l’obligation des prestataires de les fournir et sur la manière d’y avoir accès;
9.2.3. en apportant une assistance financière, ou en réduisant au minimum le coût des soins, pour veiller à ce que le coût ne devienne pas un obstacle insurmontable à l’accès aux soins;
9.2.4. en veillant à ce qu’il n’y ait pas d’instructions de signalement du statut des enfants et de leurs familles, ce qui pourrait dissuader les enfants migrants sans papiers ou leurs parents de demander des soins de santé;
9.2.5. en veillant à ce que les enfants migrants sans papiers soient dotés d’un dossier médical individuel qui les suivra dans leurs déplacements;
9.3. de garantir l’accès au logement:
9.3.1. en mettant en place une base législative pour répondre aux besoins en logement des enfants migrants sans papiers qui ne se limite pas au placement en foyer d’accueil;
9.3.2. en respectant le droit à la vie familiale protégé par la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5);
9.3.3. en portant une attention particulière à la situation des personnes les plus vulnérables, notamment les parents isolés ayant des enfants en bas âge;
9.3.4. en soutenant les autorités locales et la société civile pour qu’elles puissent fournir une aide aux enfants qui, autrement, se retrouveraient démunis;
9.4. de s’abstenir de placer en rétention des enfants migrants sans papiers, et de protéger leur liberté en respectant les principes suivants:
9.4.1. en principe, un enfant ne devrait jamais être placé en rétention. Lorsque l’on envisage la rétention, l’intérêt supérieur de l’enfant doit toujours prévaloir;
9.4.2. lorsque, à titre exceptionnel, la rétention s’avère nécessaire, elle doit être prévue par la loi et assortie de toutes les mesures de protection juridique et de recours judiciaire nécessaires, et n’intervenir qu’en dernier ressort, seulement après examen de toutes les alternatives à la rétention;
9.4.3. l’éventuel placement en rétention doit être d’une durée la plus brève possible et les installations adaptées à l’âge de l’enfant; des activités et une assistance éducative adéquates doivent également être mises à disposition;
9.4.4. si la rétention a tout de même lieu, elle doit s’effectuer dans des installations autres que celles des adultes, ou dans des installations prévues pour recevoir les enfants avec leurs parents ou d’autres membres de leur famille, et l’enfant ne doit pas être séparé d’un parent, sauf circonstances exceptionnelles;
9.4.5. les enfants non accompagnés ne doivent toutefois jamais être détenus;
9.4.6. en aucun cas, un enfant ne doit être privé de liberté au seul motif de son statut de migrant, et jamais à titre de sanction;
9.4.7. si un doute subsiste quant à l’âge de l’enfant, ce dernier doit se voir accorder le bénéfice du doute ;
9.5. de lutter contre l’exploitation par le travail en poursuivant les recherches dans ce domaine, et notamment sur les personnes les plus exposées et les personnes ou groupes à l’origine de l’exploitation. A cet égard, plusieurs questions méritent un examen plus attentif: l’exploitation sexuelle, l’utilisation des enfants pour la mendicité et des actes criminels, l’exploitation des enfants en tant qu’employés de maison ou en tant que main-d’œuvre dans des ateliers clandestins, ainsi que d’autres formes d’exploitation par le travail.
10. Nonobstant les difficultés que rencontrent les Etats membres pour faire face aux problèmes qui se posent en rapport avec les droits des migrants en situation irrégulière dans le contexte politique et économique actuel, l’Assemblée considère que les problèmes de droits de l’homme des enfants migrants sans papiers méritent une attention particulière. Par conséquent, elle recommande au Comité des Ministres:
10.1. d’inviter ses comités intergouvernementaux compétents:
10.1.1. à examiner la problématique de l’accès à l’éducation des enfants migrants sans papiers et à donner aux Etats membres des orientations et des exemples de bonnes pratiques sur les moyens de garantir le droit à l’éducation dans la pratique;
10.1.2. à donner des orientations aux Etats membres sur l’offre minimale de soins de santé à garantir aux enfants migrants sans papiers, compte tenu de la décision récente du Comité européen des Droits sociaux (réclamation collective, FIDH c. France);
10.2. comme l’Assemblée le suggérait déjà dans sa Recommandation 1969 (2011) sur les problèmes liés à l’arrivée, au séjour et au retour d’enfants non accompagnés en Europe, de constituer un groupe de travail chargé d’élaborer des principes directeurs sur la protection d’enfants non accompagnés sous la forme d’une nouvelle recommandation du Comité des Ministres, qui s’inspirerait des «Projets de vie pour des mineurs migrants non accompagnés» du Conseil de l’Europe, ainsi que des récents travaux entrepris au niveau européen sur les normes essentielles pour les tuteurs d’enfants séparés en Europe;
10.3. d’examiner avec son comité intergouvernemental compétent la problématique de la garantie d’un logement aux enfants migrants sans papiers, en vue de formuler des recommandations aux Etats membres sur la manière de traiter cette question de droits de l’homme politiquement sensible, compte tenu de la décision récente du Comité européen des Droits sociaux (réclamation collective, Defence for Children Internationalc. Pays-Bas);
10.4. de s’interroger sur les mesures à prendre pour remédier au problème croissant de la mendicité tout en examinant ses liens avec l’exploitation et la traite, ainsi que les questions de droits de l’homme pouvant résulter d’une incrimination de cette activité. Bien que ce problème concerne les enfants migrants sans papiers, il ne se limite pas à eux en tant que groupe.
11. L’Assemblée se félicite de l’attention portée aux enfants migrants sans papiers par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe et la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI). Elle les encourage à poursuivre leur suivi de la situation de ces enfants, aussi bien en général que dans chaque Etat membre.
12. L’Assemblée invite l’Organisation mondiale de la santé à se pencher sur le problème des soins de santé des enfants migrants sans papiers en vue de renforcer leur droit à ces soins, et à donner suite à la proposition visant à procurer à chaque enfant sans papiers une carte ou un dossier médical qui le suivra où qu’il aille.