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Rapport | Doc. 12950 | 08 juin 2012

Les migrants Roms en Europe

Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées

Rapporteure : Mme Annette GROTH, Allemagne, GUE

Origine - Renvoi en commission: Renvoi 3722 du 8 octobre 2010. 2012 - Troisième partie de session

Résumé

La perception des Roms est guidée par des mythes et des idées reçues. Pour l’opinion publique, être Rom et être migrant signifie généralement avoir un mode de vie itinérant et se trouver en situation irrégulière. C’est ainsi que sont perçus les migrants roms.

Le rapport bat en brèche ces préjugés en décrivant la réalité: en Europe, moins de 20 % des Roms sont nomades; les Roms font partie de la société européenne depuis plus de sept cents ans et la plupart d’entre eux ont la nationalité du pays dans lequel ils vivent; la grande majorité des Roms qui migrent le font à bon droit.

Le rapport montre la réalité à laquelle se heurtent les migrants roms. Ils subissent une double discrimination, d’abord parce qu’ils sont roms, ensuite parce qu’ils sont migrants. Il relève plusieurs sujets de préoccupation pour la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, notamment les politiques récentes d'expulsion dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, le nombre de Roms apatrides en Europe et la discrimination à l’encontre des migrants roms dans l’accès à l’éducation, aux soins de santé, à l’emploi et au logement.

Pour conclure, la commission propose des recommandations précises à adresser au Comité des Ministres afin de s’attaquer à ces problèmes.

A. Projet de recommandation 
			(1) 
			Projet
de recommandation adopté à l’unanimité par la commission le 1er juin
2012.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire craint que les Roms ne fassent partie des groupes les plus défavorisés, discriminés, persécutés et brimés d’Europe. Cette situation perdure, voire empire, comme cela est constaté dans de nombreuses études et souligné dans la Résolution 1740 (2010) de l’Assemblée sur la situation des Roms en Europe et les activités pertinentes du Conseil de l’Europe, ainsi que dans la Déclaration du Comité des Ministres sur la montée de l’antitsiganisme et de la violence raciste envers les Roms en Europe, adoptée le 1er février 2012. Le fait d'être à la fois rom et migrant augmente encore plus le degré des désavantages et des discriminations, conséquence de cette double stigmatisation.
2. Cette double stigmatisation peut être entendue et constatée lors de débats publics, de reportages dans les médias et de discussions politiques sur les Roms en Europe. Elle se fonde essentiellement sur trois préjugés fortement ancrés, à savoir: que tous les Roms sont des nomades, qu’ils viennent tous de l'étranger et que leur migration est illégale.
3. Pour ce qui est du nomadisme, en réalité, moins de 20 % des Roms en Europe sont nomades. Pour ce qui est de leur origine étrangère, on peut constater qu'ils font partie de la société européenne depuis près de sept cents ans et qu'ils sont en grande majorité des ressortissants de leur pays de résidence. Enfin, à propos de leur migration illégale, il est évident que la plupart des Roms se déplacent dans le cadre de leur droit à la libre circulation inscrit dans la législation communautaire.
4. Ces préjugés, associés à une tendance répandue d’établir un lien entre les Roms et la criminalité, ont grandement contribué à la situation critique des Roms en Europe. En conséquence, l'Assemblée souhaite attirer l'attention du Comité des Ministres sur un certain nombre de questions qui méritent d'être étudiées de manière plus approfondie non seulement par les Etats membres, mais aussi par le Conseil de l'Europe:
4.1. l'image généralement négative des Roms répandue par certains médias et certains responsables politiques;
4.2. la double discrimination des migrants roms pour ce qui est de l'accès à l'éducation, aux services de santé, à l'emploi et au logement;
4.3. les récentes politiques agressives d'expulsion, qui sont toujours en cours, focalisées sur les migrants roms dans plusieurs Etats membres du Conseil de l'Europe, qui peuvent s'apparenter à des expulsions collectives de fait;
4.4. la poursuite des renvois forcés de Roms vers le Kosovo 
			(2) 
			Toute référence au
Kosovo dans le présent document, qu'il s'agisse de son territoire,
de ses institutions ou de sa population, doit être entendue dans
le plein respect de la Résolution
1244 du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations
Unies, sans préjuger du statut du Kosovo., malgré la recommandation du Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe et de l'Assemblée de suspendre ces renvois jusqu’à ce que la preuve soit faite de leur sûreté et de leur viabilité;
4.5. la situation précaire des Roms apatrides dans les Etats membres du Conseil de l'Europe, essentiellement en Europe orientale, résultant de l'éclatement de l'Union soviétique, de la Yougoslavie et de la Tchécoslovaquie, mais aussi en Europe occidentale, comme en Italie ou aux Pays-Bas;
4.6. la criminalisation de la mendicité dans certains Etats membres du Conseil de l'Europe et ses conséquences sur les Roms, en tenant compte des droits de l'homme et d’autres préoccupations liées essentiellement à la Convention européenne des droits de l'homme (STE n° 5), à la Charte sociale européenne révisée (STE no 163) et à d’autres textes normatifs.
5. L’Assemblée recommande donc au Comité des Ministres de charger les comités et organes compétents du Conseil de l'Europe, comme le Comité d'experts ad hoc sur les questions roms (CAHROM), le Groupe d'experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA), le Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC), la Division de la coordination des migrations et le Comité directeur sur les médias et la société de l’information (CDMSI):
5.1. d'analyser la législation et les pratiques des Etats membres qui visent à criminaliser la mendicité et d'en évaluer les conséquences sur les Roms et les implications au titre de la Convention européenne des droits de l'homme, de la Charte sociale européenne révisée et d'autres normes du Conseil de l'Europe;
5.2. de procéder à une analyse approfondie, sur la base des normes en matière de droits de l’homme, des diverses mesures prises par les Etats membres du Conseil de l'Europe et la Commission européenne pour empêcher les demandeurs d'asile originaires des pays des Balkans occidentaux de déposer des demandes d'asile dans des pays de l'Union européenne;
5.3. de veiller particulièrement à déterminer si la communauté rom est touchée par la traite des êtres humains et/ou y participe, et d’examiner si les normes et mesures énoncées dans la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE no 197) sont effectivement mises en œuvre à l’égard des Roms et si des mesures spécifiques complémentaires sont nécessaires, y compris d’autres actions de la part du Conseil de l’Europe;
5.4. de réfléchir aux moyens de s’attaquer au problème des stéréotypes négatifs et de la stigmatisation des Roms dans les médias et le discours politique, dans le respect de la liberté d’expression et de la liberté des médias.
6. Par ailleurs, l'Assemblée demande au Comité des Ministres:
6.1. d'exhorter les Etats membres à mettre fin aux actes qui s'apparentent à des expulsions collectives de Roms et de revoir leurs politiques de renvois forcés des Roms au Kosovo, suspendant ces renvois jusqu’à ce que la preuve soit faite de leur sûreté et de leur viabilité;
6.2. d’inviter les Etats membres à veiller à ce que les besoins spécifiques des migrants roms soient pris en compte lors de l’élaboration et de la mise en œuvre de stratégies ou de politiques nationales en faveur de l’intégration sociale des Roms;
6.3. de demander aux Etats membres de prendre les mesures nécessaires pour naturaliser les Roms apatrides et pour signer, ratifier et mettre en œuvre les Conventions du Conseil de l’Europe sur la nationalité (STE no 166) et sur la prévention des cas d’apatridie en relation avec la succession d’Etats (STCE no 200), ainsi que la Convention de 1954 des Nations Unies relative au statut des apatrides et la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie.
7. Enfin, l’Assemblée informe le Comité des Ministres qu’elle a décidé de soutenir la campagne Dosta! conçue par le Conseil de l’Europe («Aller au-delà des préjugés et à la rencontre des Roms») en mettant à la disposition de ses membres des informations pertinentes en vue d’une action de sensibilisation au sein des parlements nationaux et par leur intermédiaire.

B. Exposé des motifs, par Mme Groth, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. Les migrants roms 
			(3) 
			Les termes «Roms» et
«Gens du voyage» sont définis comme suit dans l’annexe à la Recommandation
CM/Rec(2008)5 du Comité des Ministres sur les politiques concernant
les Roms et/ou les Gens du voyage en Europe: «Le terme “Roms” utilisé
au Conseil de l’Europe désigne les Roms, les Sintés (Manouches),
les Kalés (Gitans) et les groupes de population apparentés en Europe,
dont les Voyageurs et les branches orientales (Doms, Loms); il englobe
la grande diversité des groupes concernés, y compris les personnes
qui s’auto-identifient comme «Tsiganes» et celles que l’on désigne
comme «Gens du voyage». vivent des temps difficiles: la discrimination et le racisme auxquels ils ont toujours dû faire face existent encore et se développent même. Le rapport du Groupe d’éminentes personnalités 
			(4) 
			Rapport
sur le thème «Vivre ensemble: conjuguer diversité et liberté dans
l’Europe du XXIe siècle», 2011, <a href='http://www.coe.int/t/dc/files/source/20110511_Report_GEP_fr.doc'>www.coe.int/t/dc/files/source/20110511_Report_GEP_fr.doc</a>. affirme à juste titre que la montée de l’intolérance à l’égard des migrants et d'autres personnes perçues comme des étrangers constitue l’une des principales menaces qui pèsent sur la cohésion sociale en Europe. Les Roms sont cités à titre d’exemple particulièrement saillant.
2. D’une part, les Roms sont notoirement victimes de discrimination, de persécutions et de violences dans les Etats membres du Conseil de l'Europe 
			(5) 
			Voir
notamment les rapports de l'Assemblée sur «La situation des Roms
en Europe et les activités pertinentes du Conseil de l'Europe» (Doc. 12174), sur «Les demandeurs d’asile roms en Europe» (Doc. 12393) et sur «La montée récente en Europe du discours sécuritaire
au niveau national: le cas des Roms» (Doc. 12386). Voir aussi la déclaration du Comité des Ministres
sur «La montée de l’antitsiganisme et de la violence raciste envers
les Roms en Europe adoptée le 1er février
2012; l’étude de 2008 sur les migrations récentes des Roms en Europe
publiée par le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe
et le haut-commissaire de l’OSCE pour les minorités nationales (ci-après
dénommée «Migrations des Roms en Europe») et le rapport de l’Agence
des droits fondamentaux intitulé «The situation of Roma EU citizens
moving to and settling in other EU member states».. D'autre part, les responsables politiques, les décideurs et les médias font très souvent une mauvaise publicité aux migrants. Ces deux phénomènes cumulés, les migrants roms sont doublement stigmatisés. En tant que tels, ils méritent que nous leur accordions une attention particulière.
3. Les débats publics et les reportages des médias sur les Roms se fondent régulièrement sur une idée fausse des migrations des Roms; tous les Roms sont fréquemment décrits comme des migrants en situation irrégulière et des délinquants mais souvent aussi comme des nomades alors que la majorité d’entre eux est sédentaire. Des migrants roms, qui sont souvent la cible de la méfiance du public, ont récemment été expulsés de plusieurs Etats membres.

2. Faire voler en éclat les mythes et les préjugés

4. Le combat pour l’amélioration de la situation des migrants roms en Europe se heurte à un obstacle d’importance, à savoir les préjugés largement répandus et profondément ancrés dans la population européenne à leur égard.

2.1. Préjugé n° 1: les Roms sont tous des nomades

5. Le premier réflexe lorsque l’on pense aux Roms ou que l’on parle d’eux, c’est probablement de les associer à un mode de vie non sédentaire. Cette image, il est vrai, n’est pas forcément toujours négative mais elle peut, certainement, s’avérer erronée.
6. Cinq à vingt pour cent seulement de l’ensemble des Roms sont des nomades. Selon les statistiques disponibles, sur les 10 à 12 millions de Roms vivant en Europe, on estime aujourd'hui à seulement 20 % le nombre de ceux qui mènent une vie itinérante ou semi-itinérante 
			(6) 
			Voir la campagne Dosta!
du Conseil de l'Europe, «Stéréotype ou non? Un outil pour combattre
les stéréotypes sur les Roms». (pendant l’été, par exemple), en partie à cause de la disparition du commerce traditionnel et du fait des programmes de sédentarisation des Roms mis en œuvre par le passé par les pouvoirs publics, notamment en Europe orientale. Selon d'autres sources, seuls 5 % de l’ensemble des Roms sont nomades 
			(7) 
			Centre européen des
droits des Roms, «Breaking the Silence» 2011, p. 9 et renvois.. Les communautés roms de tradition nomade existent toujours dans certains Etats membres, notamment en France, dans les pays du Benelux et, dans une moindre mesure, en Grèce, en Italie, en Norvège et en Roumanie. Certaines communautés nomades, qui souvent partagent les mêmes conditions de vie et sont soumises aux mêmes discriminations, comme les Yéniches en Suisse et les Travellers en Irlande et au Royaume-Uni, sont aussi en cours de sédentarisation (jusqu’à 80 % des Travellers irlandais et des Yéniches suisses sont sédentarisés). Il est également important d’ajouter que les personnes itinérantes ne sont pas toutes roms comme c’est le cas, par exemple, de ceux que l’on appelle en France les «Gens du voyage», terme administratif employé depuis les années 1970, pour désigner à la fois les Roms et d'autres groupes non roms ayant un mode de vie itinérant 
			(8) 
			Voir le glossaire terminologique
raisonné du Conseil de l'Europe sur les questions roms.. Certaines de ces personnes ou groupes traversent les frontières pendant leurs déplacements saisonniers mais se déplacent aussi au sein de leurs pays respectifs.
7. Les chiffres parlent d’eux-mêmes; la vaste majorité des Roms n’est pas nomade. Cependant, le mode de vie de ceux qui sont encore itinérants mérite d’être protégé car c’est un droit de l’homme, comme l’a affirmé clairement la Cour européenne des droits de l'homme 
			(9) 
			Voir Connors c. Royaume-Uni, requête
n° 66746/01, arrêt du 27 mai 2004, paragraphes 83 et 84..

Pourquoi une minorité de Roms continue-t-elle à voyager? Les Roms qui continuent de voyager, que ce soit à l’intérieur des frontières de leur pays ou par-delà les frontières nationales, le font pour au moins une ou plusieurs des quatre raisons suivantes: (1) pour trouver de nouveaux moyens de subsistance à cause de leur exclusion directe ou indirecte du marché du travail; (2) pour échapper à la violence ou à la menace de violences; (3) pour suivre les marchés, les saisons agricoles ou trouver des débouchés pour leurs marchandises; (4) pour rester en contact avec les membres de leur famille qui, pour les raisons précitées, peuvent être dispersés dans toute l’Europe. Certaines de ces raisons correspondent à des choix de mode de vie mais d'autres, en particulier lorsqu’il s’agit des migrations de Roms généralement sédentaires, correspondent à la fois à des «facteurs d’attraction», semblables à ceux qui caractérisent tous les migrants (possibilités d’emploi, recherche d’un niveau de vie supérieur, etc.), et à des «facteurs d’incitation» propres aux Roms. Citons parmi les exemples récents, mais en aucun cas inédits, l’expulsion des habitants du site de «Dale Farm» au Royaume-Uni en 2011, l’expulsion des Roms et des Gens du voyage en France pendant l’été 2010, l’incendie volontaire de camps de Roms à Ponticelli, près de Naples, en Italie, les violences contre les Roms en Europe centrale, notamment à la fin de l’année 2011 en Bulgarie comme l’a signalé, entre autres, le Centre européen des droits des Roms, ainsi que la déplorable situation économique de certains Roms en Roumanie, en Bulgarie et au Kosovo, à laquelle s’ajoutent une discrimination générale et des menaces de violence.

2.2. Préjugé n° 2: tous les Roms viennent de l'étranger

8. Soyons clairs: les Roms font partie de la société européenne depuis environ sept cents ans. Une écrasante majorité de Roms ont la nationalité du pays dans lequel ils vivent. Le fait que les Roms sont parfois perçus comme des étrangers montre bien qu'ils sont l'objet de malentendus et de préjugés largement répandus.
9. Chaque année, il semble qu'un pays ou un autre, voire plusieurs, s'illustrent par des réactions hostiles aux migrants roms, que ce soit le fait des pouvoirs publics, de responsables politiques, de la population dans son ensemble ou d'une combinaison de ces différents acteurs. Les médias sont prompts à colporter les nouvelles et il n'est pas surprenant que les Roms soient souvent perçus comme des étrangers par des personnes qui n'ont guère affaire à eux si ce n’est lorsque les questions de migration font les gros titres de la presse.
10. Il est presque impossible d'obtenir des données statistiques fiables sur les migrations des Roms bien que certains pays donnent effectivement des estimations. En Autriche, on pense que, sur les 20 000 à 30 000 Roms estimés, les cinq sixièmes sont des migrants, tandis qu'en Allemagne et en Italie, ce pourcentage atteindrait jusqu'à 50 % du chiffre présumé de 120 000 à 160 000 Roms présents sur le territoire. Or, sous l'angle des pourcentages, ces pays sont ceux qui abritent les plus grandes communautés de Roms nés à l'étranger ou de parents étrangers. Toutefois, il s'agit d'exceptions. En outre, il faut garder à l'esprit que la proportion de Roms par rapport à l'ensemble de la population de ces pays est faible (0,3 % en Autriche, 0,12 % en Allemagne et 0,23 % en Italie) 
			(10) 
			«Les migrations des
Roms en Europe», p. 37.. Dans certains pays, et notamment dans ceux où ils représentent un fort pourcentage de la population, comme en Bulgarie (plus de 10 %) ou en Roumanie (plus de 8 %), les Roms, dans leur grande majorité, ont la nationalité de leur pays de résidence.

Migrations récentes des Roms. Un grand nombre d'entre eux ont fui les guerres qui ont fait rage dans l'ex‑Yougoslavie dans les années 1990, au Kosovo en 1999 et en 2004. Puis, lorsque dix pays d'Europe centrale et orientale sont devenus membres de l'Union européenne, en 2004, de nombreux Roms ont immigré en Europe occidentale à la recherche d'une vie meilleure. Ils l'ont fait à l’instar d’un grand nombre de personnes non roms d'Europe de l'Est qui ont émigré vers l'Europe de l'Ouest en quête de perspectives d'avenir. Lors de l'adhésion, en 2007, de la Roumanie et de la Bulgarie à l'Union européenne, de nombreux Roms ont quitté ces deux pays. Ils se sont rendus majoritairement dans les pays de langue latine, notamment la France, l'Italie et l'Espagne. La Russie est également un pays de destination pour les migrants roms. Certains pays sont des pays à la fois d'émigration et d'immigration comme la République tchèque d'où de nombreux Roms émigrent vers le Royaume-Uni mais aussi où immigrent des Roms de la République slovaque voisine et de la Roumanie.

Asile. Selon le HCR, au premier semestre de 2011, la Serbie se situait au 3e rang des pays d'origine des demandeurs d'asile avec 10 300 demandes déposées. La France, l'Allemagne et la Belgique réunies ont reçu les deux tiers des demandes d'asile présentées par des citoyens de Serbie. La plupart de ces demandeurs d'asile sont probablement des Roms. De 2008 à 2010, de nombreux Roms ont quitté la République slovaque, la République tchèque et la Hongrie à la suite de violences contre la population rom. Etant donné que les règles de l'Union européenne relatives à l'asile ne permettent pas d'accorder aux Roms fuyant les violences perpétrées contre eux dans un Etat membre de l'Union européenne le statut de réfugié dans d'autres Etats membres de l'Union européenne, ces personnes ont choisi d'aller dans un pays plus lointain, plus précisément au Canada où un grand nombre d'entre eux s’est vu accorder l'asile.

2.3. Préjugé n° 3: les migrants roms sont tous illégaux

11. Le discours public et les reportages des médias ont tendance à établir un lien entre les Roms et la criminalité tout comme le lien souvent établi entre les migrants et la criminalité. La plupart des migrants roms se déplacent dans le cadre de leur droit à la libre circulation inscrit dans la législation communautaire. Certains d'entre eux n'ont pas de papiers d'identité parce qu'ils sont apatrides (voir ci‑dessous).
12. Criminalisation des migrations: il n'y a pas de migrant légal ou illégal. Le séjour non autorisé, même lorsque la personne concernée refuse de se soumettre à un mandat d'expulsion, ne doit pas être considéré en soi comme une infraction pénale 
			(11) 
			Voir la Résolution 1509 (2006) de l'Assemblée parlementaire sur les droits fondamentaux
des migrants irréguliers..
13. Le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe a souligné la tendance en Europe à ériger en infraction pénale les migrations irrégulières. Dans son point de vue de 2008 sur la criminalisation des migrations, le Commissaire a affirmé que: «Une telle méthode de maîtrise des déplacements internationaux porte atteinte aux principes établis du droit international. Elle est aussi à l'origine de nombreuses tragédies humaines sans pour autant atteindre sa finalité qui est de maîtriser réellement l'immigration.» Concernant les migrants roms, les stéréotypes liés à la criminalité s'ajoutent les uns aux autres, premièrement parce qu'ils sont migrants et deuxièmement parce qu'ils sont roms.
14. Dans un document thématique de 2010 sur la criminalisation des migrations en Europe 
			(12) 
			«La
criminalisation des migrations en Europe: quelles incidences pour
les droits de l'homme?», document thématique commandé et publié
par Thomas Hammarberg, Commissaire aux droits de l'homme du Conseil
de l'Europe, 4 février 2010. Voir aussi Human rights of Roma and
Travellers in Europe, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de
l’Europe, février 2012 [Les droits de l’homme des Roms et des Gens
du voyage en Europe, Extraits du rapport complet]., le Commissaire souligne un certain nombre de conséquences négatives, non seulement pour les individus concernés, mais aussi pour les groupes d'immigrés dans leur ensemble. Comme l'affirme le Commissaire, «tout immigré devient suspect» et, de la même façon, tous les Roms, qu'ils soient migrants ou non, deviennent à leur tour suspects.

Mendicité. Le grand public a tendance à associer les migrants roms à la mendicité. De manière générale, cette question est très sensible et soulève des problèmes sociaux, politiques et moraux.

Si la mendicité est sanctionnée, l'application des règles doit être conforme à l'Etat de droit et aux obligations internationales en matière de droits de l'homme. Il est important d'avoir des garanties juridiques et ces garanties doivent être adaptées aux personnes qui n'ont que peu de moyens de défendre leurs droits. On relève l'existence de problèmes concernant l'application de la législation anti-mendicité et la façon dont elle serait appliquée aux Roms dans certains pays, notamment en Suisse, au Luxembourg et en Autriche.

La Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil de l'Union européenne sur la liberté de circulation, telle qu'elle est interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne, ne considère pas la mendicité comme une raison suffisante pour expulser une personne. Toutefois, au‑delà de la période de trois mois pendant laquelle tout citoyen de l'Union européenne a le droit de séjourner dans un autre Etat membre de l'Union européenne, la personne en question est tenue de faire la preuve qu'elle dispose de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour l'assistance sociale de l'Etat membre d'accueil. Or, la mendicité peut être considérée comme la preuve d'un manque de ressources suffisantes et donc justifier l'expulsion.

(Sources: Le Matin, 6 novembre 2008 et TSRInfo, 21 mai 2008; Chachipe, www.woxx.lu/id_article/5039 et Der Standard, 18 octobre 2011).

Traite. «Breaking the silence», un rapport de 2011 du Centre européen des droits des Roms et de l’ONG «People in need», affirme que s'agissant des migrants roms, les politiques d'expulsion sont contraires au but de prévention et de réduction de la traite et accentuent plutôt la vulnérabilité des Roms à de telles pratiques. La traite des êtres humains n'explique pas les migrations des Roms qui sont dues en grande partie à la pauvreté structurelle, à la marginalisation et à la discrimination. Le rapport révèle que la traite des Roms est réellement un sujet de préoccupation mais qu'il y a une absence presque totale de données et de politiques efficaces pour prévenir la traite dans les communautés roms.

Compte tenu de leur situation vulnérable en termes d'exclusion, de discrimination et de pauvreté, les Roms sont touchés de manière disproportionnée par la traite des êtres humains. Une étude menée en 2010 indique que les Roms constituent de 50 % à 80 % des personnes victimes de la traite en Bulgarie, jusqu'à 70 % dans certaines régions de la République tchèque, 40 % au moins en Hongrie, près de 50 % en Roumanie et au moins 60 % en République slovaque. 68 % des Roms victimes de la traite interrogés au cours de l'étude avaient été emmenés dans un autre pays de l'Union européenne tandis que 32 % avaient été emmenés dans un autre lieu du territoire national. 20 % des personnes interrogées étaient mineures au moment où elles ont été victimes de la traite.

Les Roms sont soumis à la traite pour diverses raisons dont l'exploitation sexuelle, l'exploitation de leur force de travail, l'esclavage domestique, le trafic d'organes, l'adoption illégale et la mendicité. Les femmes et les enfants roms sont les plus représentés, quel que soit l'objet de la traite. Les facteurs de vulnérabilité recensés dans l'étude sont étroitement liés à ceux qui sont généralement associés aux victimes non roms de la traite, ce qui, selon le rapport, montre qu'il n'y a pas de «facteur de vulnérabilité» propre aux Roms et que la traite n'est pas une «pratique culturelle» chez les Roms.

Dans le cadre de ses évaluations par pays, le Groupe d’experts du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) examine dans quelle mesure les communautés roms sont touchées par la traite (voir par exemple le rapport du GRETA sur la Bulgarie (GRETA (2011)19).

3. Responsables politiques, médias et «discours sécuritaire»

15. A propos des préjugés, je voudrais souligner que le rôle des responsables politiques et des médias 
			(13) 
			«Médias européens et
stéréotypes antitsiganes», point de vue du Commissaire aux droits
de l'homme du Conseil de l'Europe, publié le 7 juillet 2011. est capital pour l’amélioration de l'image des Roms et des migrants roms dans l'opinion publique. Une connaissance exacte et une bonne compréhension des faits sont essentielles pour lutter contre les préjugés à l'égard des Roms en général et des migrants roms en particulier. Trop souvent dans les Etats membres du Conseil de l'Europe, les personnalités publiques dans leurs déclarations ou les médias dans leurs reportages tiennent des propos dangereux et établissent un lien généralisateur entre les Roms, les migrants et la criminalité, aggravant ainsi les idées fausses, les stéréotypes et les préjugés qui existent déjà concernant les migrants roms.
16. En 2010, l'Assemblée a adopté la Résolution 1760 (2010) «La montée récente en Europe du discours sécuritaire au niveau national: le cas des Roms» 
			(14) 
			Doc. 12386 de l'Assemblée.. Le rapport souligne l'importance d'établir dans le discours politique une distinction claire entre les individus qui ont commis des infractions et des groupes entiers de personnes tels que les Roms ou toute autre minorité, y compris les migrants. Il donne des exemples de déclarations faites par des personnalités politiques au Danemark, en Italie et en Suède dans lesquelles les Roms migrants sont présentés comme une menace pour l'ordre public. La place des Roms dans le discours sécuritaire est aussi clairement illustrée par les déclarations de responsables politiques français en rapport avec les expulsions de France dont les Roms ont fait l'objet en 2010 et par plusieurs déclarations de dirigeants italiens au cours de ces dernières années 
			(15) 
			Ibid.
et Doc.12714 de l'Assemblée..
17. La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) est particulièrement préoccupée par la question et, dans sa Recommandation de politique générale no 13 sur la lutte contre l'antitsiganisme et les discriminations envers les Roms, elle a notamment recommandé aux gouvernements des Etats membres de lutter contre l'antitsiganisme exprimé dans les médias. Dans sa déclaration de 2012 sur la montée de l'antitsiganisme et de la violence raciste envers les Roms en Europe, le Comité des Ministres exprime «sa profonde inquiétude face à la montée de l'antitsiganisme, de la rhétorique antirom et des agressions violentes contre les Roms» 
			(16) 
			<a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=Decl%2801.02.2012%29&Language=lanFrench'>https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=Decl%2801.02.2012%29&Language=lanFrench</a>..

4. La situation particulière des migrants roms en Europe

18. J'ai décidé de me concentrer sur quatre problèmes particulièrement préoccupants: la discrimination ciblée spécialement sur les migrants roms, le nombre disproportionné de Roms apatrides, les récentes politiques d'expulsion des migrants roms dans certains Etats membres du Conseil de l'Europe et les migrations des Roms des Balkans occidentaux vers les pays de l'Union européenne à la suite de la libéralisation du régime des visas.
19. Dans un souci de concision du présent rapport, j'ai choisi de ne pas décrire le cadre juridique international concernant les migrations des Roms; il l'a déjà été amplement dans l'étude précitée sur «Les récentes migrations des Roms en Europe», publiée par le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe et le haut‑commissaire de l'OSCE pour les minorités nationales.

4.1. Questions de discrimination

20. Les Roms en général et les migrants roms en particulier sont victimes d'une discrimination raciale directe ou indirecte dans toutes ses dimensions sociales, dont l'accès à l'éducation, aux soins de santé, à l'emploi et au logement. Il y a tout d'abord des cas de discrimination déguisée contre les Roms qui, sur le point d'émigrer, ont été empêchés de pénétrer sur le territoire d'un pays européen 
			(17) 
			L'exemple le plus saillant
est celui des Roms tchèques désireux d'émigrer au Royaume‑Uni mais
empêchés de le faire par les autorités britanniques à l'aéroport
de Prague. Cette pratique a été jugée discriminatoire par les tribunaux britanniques.
Arrêts de la Chambre des Lords – Regina v. Immigration Officer at
Prague Airport and another (défendeurs) ex parte European Roma Rights
Centre and others (demandeurs). SESSION 2004-05, [2004] UKHL 55,
en appel de: [2003]EWCA Civ 666.. En outre, les Roms d'un pays donné peuvent se voir accorder une protection en tant que membres d’une minorité nationale tandis que les Roms qui vivent dans le même pays en tant que migrants ou personnes apatrides risquent de ne pas bénéficier de la même protection.
21. Education – Comme de nombreuses études le soulignent, en particulier dans le rapport récent de l'Assemblée sur la situation des Roms en Europe, les Roms font l'objet d'une discrimination scandaleuse s'agissant de l'accès à l'école. Dans plusieurs Etats membres du Conseil de l'Europe, les enfants roms «soit […] sont victimes de ségrégation et mis dans des classes réservées aux Roms, abusivement considérés comme inadaptés aux classes normales (et casés dans des écoles pour enfants handicapés) soit – pire – […] ne peuvent tout simplement pas être scolarisés» 
			(18) 
			Doc. 12174 de l'Assemblée.. Cette citation du rapport de l'Assemblée montre la gravité du problème.
22. Toutefois, de nombreux Roms émigrent avec l'espoir de donner à leurs enfants un meilleur accès à l'éducation. Malheureusement, leurs espoirs ne se réalisent pas toujours. Même si l'instruction est gratuite et obligatoire au moins pour les enfants jusqu'à l'âge de 16 ans dans la plupart des pays de destination, la fréquentation scolaire des enfants roms reste faible. Selon des informations provenant de Médecins du Monde, de nombreux enfants roms abandonnent l'école rapidement, à cause soit d'une expulsion, soit de l'instabilité des conditions de logement et de la nécessité de se déplacer. Parmi les autres obstacles à l'accès à l'éducation, il faut citer les nombreuses formalités à remplir pour inscrire un enfant à l'école, les frais de scolarité (la cantine, les transports, les fournitures, par exemple) et le problème de la langue. Dans le cas de la France, Médecins du Monde souligne que le nombre de migrants roms inscrits à l'école primaire augmente mais que la situation reste problématique dans l'enseignement secondaire et plus préoccupante encore, de manière générale, pour les filles roms.
23. La situation des Roms qui ont émigré vers un autre pays et retournent ensuite dans leur pays d'origine, après avoir été expulsés par exemple, mérite une attention toute particulière. L'accès à l'éducation semble être encore plus difficile qu'avant le départ car se posent des problèmes liés à la nécessité de présenter des papiers attestant la scolarisation de l'enfant.
24. Soins de santé – La situation varie selon le statut de l'immigré(e) rom. Si cette personne est un migrant en situation irrégulière ou sans papiers, elle peut généralement bénéficier des soins de santé d'urgence. Certains pays vont au‑delà en dispensant certaines formes de soins de santé secondaires mais, même dans ces pays, les obstacles concrets auxquels se heurtent les migrants pour se faire soigner sont souvent si grands que ce droit est largement illusoire. Parmi ces obstacles, il faut citer l'ignorance du fonctionnement du système de santé, la discrimination opérée par les médecins privés, le manque de papiers, la crainte d'être signalé aux autorités et notamment à la police, l’emplacement des hôpitaux et des dispensaires, etc.
25. Le taux de vaccination des migrants roms est également un sujet d'inquiétude tant pour les Roms que pour la société dans son ensemble. Souvent, les carnets de vaccination sont peu renseignés, lorsqu'ils existent, et des efforts sont nécessaires pour faire en sorte que les informations sur les vaccinations antérieures soient disponibles. Enfin, il faut signaler que les Roms de l'Union européenne qui émigrent dans un autre pays de l'Union européenne devraient être couverts par la carte européenne d'assurance maladie mais que beaucoup d'entre eux ne le sont pas parce qu'ils n'ont pas d'assurance maladie dans leur pays d'origine.
26. Emploi – L’étude sur les migrations des Roms en Europe relève que de nombreux Roms qui ont émigré d’un Etat membre de l’Union européenne vers un autre où ils ont réussi à s’installer l’ont fait grâce à un emploi indépendant ou à la prestation de services ou bien parce qu’ils sont allés là où le degré de tolérance générale vis-à-vis de l’emploi dans l’économie grise est plus élevé. Toutefois, dans certains pays comme la France, des mesures transitoires restreignent l’accès des ressortissants de la Roumanie ou de la Bulgarie au marché du travail. Dans de nombreux pays, les migrants roms finissent par travailler illégalement dans des domaines tels que le recyclage, le ramassage des ordures, le bâtiment, la collecte de métaux, les emplois saisonniers (principalement dans l’agriculture), l’entretien et comme musiciens de rue, ou dans la mendicité.
27. Logement – Les mauvaises conditions de logement des Roms et des migrants roms ont été largement décrites aussi bien dans les médias que dans les rapports institutionnels. En Italie, en France, en Grèce et ailleurs, les migrants roms vivent principalement dans des camps, parfois autorisés, la plupart du temps tolérés ou interdits. Ces camps n’ont pas toujours l’infrastructure nécessaire tant en termes d’hygiène que de sécurité. Certains Roms ont la possibilité de vivre dans des logements loués; c’est notamment le cas au Royaume-Uni.
28. Selon les informations que Médecins du Monde m’a fournies, il n’existe pas en France de politique nationale concernant l’hébergement des migrants roms. Ces derniers peuvent, en principe, résider dans des zones spécialement conçues pour accueillir les Roms et les Gens du voyage. Toutefois, il existerait une vive concurrence entre les Roms nationaux et les migrants roms et, en général, les perdants sont les seconds. Ils séjournent, par conséquent, dans des lieux où, souvent, ils n’ont pas accès à l’eau, ni à l’électricité et vivent dans des conditions d’hygiène déplorables 
			(19) 
			Voir aussi le document
CommDH(2008)34, 20 novembre 2008.. Certaines bonnes pratiques sont mises en place au niveau local (comme à Nantes où des organisations non gouvernementales (ONG) travaillent avec des organismes publics pour aider les familles à trouver un appartement). Aux Pays-Bas, où la majorité des Roms vivrait dans une maison, se pose un problème particulier concernant les Roms apatrides. Etant donné qu’ils n’ont pas droit aux services sociaux, ils ne peuvent pas obtenir de logement et la plupart d’entre eux vivent chez des membres de leur famille ou des amis, ce qui engendre un surpeuplement et des plaintes de la part des voisins. En Italie, les conditions de logement des migrants roms ont été régulièrement dénoncées par le Commissaire aux droits de l'homme comme étant d’un niveau inacceptable, complètement inappropriées et représentant un sérieux risque pour la santé 
			(20) 
			CommDH(2011)26,
7 septembre 2011..
29. Le Comité européen des Droits sociaux a constaté notamment des violations de l’article 19 de la Charte sociale européenne révisée (Droits des travailleurs migrants et de leurs familles à la protection et à l’assistance) en invoquant la ségrégation et les mauvaises conditions de vie dans les campements et les sites de halte 
			(21) 
			<a href='http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/socialcharter/theme factsheets/RomaRightsFactsheet_fr.pdf'>www.coe.int/t/dghl/monitoring/socialcharter/theme%20factsheets/RomaRightsFactsheet_fr.pdf</a>.. Dans ce contexte, la Recommandation Rec(2005)4 du Comité des Ministres relative à l’amélioration des conditions de logement des Roms et des Gens du voyage en Europe est tout à fait pertinente.

4.2. Apatridie

30. Le fait de n’être reconnu par aucun Etat comme son ressortissant engendre des problèmes de discrimination et d’accès au logement, à l’éducation, aux soins médicaux et à l’emploi. Il aggrave les problèmes auxquels se heurtent les personnes qui ont déjà tendance à être socialement vulnérables. Il est, à mon sens, très préoccupant de constater que les Roms apatrides ne sont souvent pas reconnus officiellement en tant que tels par les autorités de leur pays de résidence (qui prétendent plutôt qu’ils sont de «nationalité inconnue») et sont donc privés de la protection et des droits accordés aux personnes apatrides.
31. En Europe, on estime à 680 000 le nombre de personnes apatrides parmi lesquelles un nombre indéterminé de Roms. Pour diverses raisons, les Roms ont parfois hérité de cette apatridie de génération en génération du fait de l’absence d’enregistrement à la naissance. Cette situation peut être due à la méconnaissance de l’importance du registre d’état civil, associée à des obstacles concrets à la déclaration des naissances et au fait que les femmes roms peuvent choisir d’accoucher chez elles 
			(22) 
			Voir l’étude
de 2003 intitulée «Vaincre les obstacles – L’accès des femmes roms
à la santé publique», publiée par le Conseil de l'Europe et l’Observatoire
européen des phénomènes racistes et xénophobes..
32. Un certain nombre de personnes sont également devenues apatrides suite à l’éclatement de l’Union soviétique, de l’ex-Yougoslavie et de la Tchécoslovaquie. Des membres de la société civile signalent qu’en Russie, où vivent entre 450 000 et plus d’un million de Roms, ces derniers se sont vu refuser, après l’effondrement de l’Union soviétique, la possibilité d’échanger leur passeport soviétique contre un passeport russe 
			(23) 
			Refugee
International, «Nationality Rights for All. A progress report and
global survey on statelessness», 2009, p. 48.. En République tchèque, en Slovénie et dans «l’ex-République yougoslave de Macédoine», les Roms sont devenus apatrides à la suite de l’introduction de nouvelles règles concernant la naturalisation, bien que la nouvelle législation ait amélioré la situation. En Bosnie-Herzégovine, au Monténégro ou au Kosovo, l’apatridie des Roms est due davantage au déplacement et à la destruction ou disparition des registres d’Etat civil qu’aux effets de la nouvelle législation.
33. Il y a aussi beaucoup de Roms apatrides en Europe de l’Ouest. De nombreux Roms qui ont quitté l’ex-Yougoslavie pour l’Italie vivent toujours en Italie sans avoir la nationalité italienne, ni aucune autre. Leurs descendants qui ont vécu en Italie toute leur vie sont au nombre d’environ 15 000 et sont de fait apatrides 
			(24) 
			<a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=1826921'>https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=1826921</a> (en anglais).. En outre, Médecins du Monde estime que les Pays-Bas comptent plus d’un millier de Roms apatrides qui transmettent leur apatridie à leurs enfants nés aux Pays-Bas 
			(25) 
			Médecins
du Monde, «Statelessness drives to desperation, The situation of
stateless Roma in the Netherlands»..
34. Plusieurs textes internationaux visent à réduire et à prévenir les cas d’apatridie, dont la Convention du Conseil de l'Europe sur la nationalité et sur la prévention des cas d’apatridie en relation avec la succession d’Etats (STCE no 200), la Convention de 1954 des Nations Unies relative au statut des apatrides et celle de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie.
35. La Déclaration de Zagreb du 27 octobre 2011, adoptée par la Conférence sur l’octroi de papiers d’identité et l’enregistrement civil dans l’Europe du Sud-Est, a mis en lumière quelques mesures concrètes qui pourraient être prises pour régler le problème de l’apatridie, dont des activités coordonnées entre les autorités et la société civile, le recours à des équipes mobiles à des fins de prise de contact et d’enregistrement, des campagnes de sensibilisation sur la nécessité de déclarer les naissances, et l’explication des procédures pour les personnes directement concernées. Au final, le règlement du problème de l’apatridie dépendra largement de la volonté politique de prendre la décision de faciliter la naturalisation des personnes apatrides.

4.3. Examen des politiques récentes d’expulsion dans les Etats membres

36. Les Roms ont été déplacés ou chassés tout au long des siècles mais, ces dernières années, la mobilité s’est accrue et la mise en œuvre des mesures de retour forcé est devenue plus stricte. La liste des situations que je dresse ci-après n’est pas exhaustive mais donne quelques exemples de politiques d’expulsion appliquées aux migrants roms dans plusieurs Etats membres du Conseil de l'Europe. Le Comité européen des Droits sociaux a conclu, à plusieurs reprises, à une violation des dispositions de la Charte sociale européenne révisée en invoquant des expulsions collectives de fait de migrants appartenant aux communautés des Roms et des Gens du voyage.

4.3.1. France

37. Pendant l'été 2010, la France a été le théâtre d'événements qui ont attiré l'attention de la communauté internationale sur les politiques d'expulsion concernant les migrants roms 
			(26) 
			Pour une description
et une analyse détaillées des événements et du discours politique
qui a suivi, voir l'article de Carl Ekström, «Dog days for Roma
and Gens du voyage in France», Romani
E Journal, janvier 2011. Voir aussi Human Rights Watch,
«France: un an après l'avertissement de la CE, de nouveaux abus
contre les Roms» publié sur le site web de Human Rights Watch le
28 septembre 2011.. Les autorités françaises avaient, cependant, déjà commencé à rapatrier des Roumains et des Bulgares supposés appartenir à la communauté rom. En 2008, 9 178 Roumains (90 % environ) et Bulgares ont été expulsés de France. Quelque 11 000 Roumains et Bulgares ont été reconduits à la frontière en 2009 (alors que, pour la même période, le nombre total de reconduites à la frontière de tous les autres pays de l'Union européenne s'élevait à 580 citoyens). En 2010, 13 241 Roumains ou Bulgares ont été refoulés de France. Il n'existe pas de statistiques officielles mais il semble bien que la grande majorité des Roumains et Bulgares expulsés de France étaient des Roms.
38. En avril 2011, le Conseil d'Etat de la France a jugé qu'une circulaire d'août 2010 opérait une discrimination illégale contre les Roms car «l'objectif (…) de protection du droit de propriété et de prévention des atteintes à la salubrité, la sécurité et la tranquillité publiques n'autorisait pas [le ministre de l'Intérieur] à mettre en œuvre (…) une politique d'évacuation des campements illicites désignant spécialement certains de leurs occupants en raison de leur origine ethnique» 
			(27) 
			Communiqué de presse
du Conseil d'Etat, «Campements illicites de Roms», 7 avril 2011..
39. En juillet 2011, Human Rights Watch a conclu que le programme français d'expulsions s'était poursuivi sans interruption depuis l'automne 2010, 4 700 nouvelles expulsions ayant eu lieu au cours du premier trimestre 2011 
			(28) 
			Document
d'information de Human Rights Watch soumis à la Commission européenne
en juillet 2011 et intitulé «Le respect par la France de la Directive
européenne relative à la liberté de circulation et l'éloignement
de ressortissants européens appartenant à la communauté rom».. En juin 2011, une nouvelle législation a été adoptée pour faciliter les expulsions, y compris pour séjours de courte durée répétés en France, et concernant la mendicité et l’occupation de terrain 
			(29) 
			Loi n° 2011‑672 relative
à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité, promulguée
le 17 juin 2011..
40. Dans le cadre de la procédure de renvoi dans leur pays des migrants de Roumanie et de Bulgarie, les autorités françaises ont également appliqué une politique qualifiée de «retours humanitaires» qui vise à accélérer les expulsions. Selon ce dispositif, une personne accepte de quitter le pays contre une aide d'un montant de 300 € pour un adulte et de 100 € pour un enfant. Une grande majorité des Roms bulgares et roumains – 84 % de ceux renvoyés dans leur pays au cours de l'année 2010 – ont opté pour cette solution qui a été taxée de moyen de contourner les mécanismes de protection juridique. En 2008, 10 191 ressortissants d'un pays de l'Union européenne ont quitté la France au titre de ce dispositif; 9 178 d'entre eux étaient roumains (environ 90 %) et bulgares (près de 10 %). Pour les autorités françaises, l'inconvénient de ces «retours humanitaires» est que, s'appuyant sur le droit communautaire, les personnes expulsées peuvent revenir théoriquement le jour même de leur expulsion.
41. Selon le Commissaire aux droits de l'homme, les opérations de retour s'accompagnent parfois d'opérations policières intimidantes, voire abusives, d'évacuations forcées et de confiscation des papiers d'identité jusqu'à l'arrivée des «rapatriés» dans leur pays d'origine 
			(30) 
			CommDH(2008)34, 20
novembre 2008, paragraphe 149..
42. Les tribunaux français ont annulé plusieurs décisions d'expulsion. Par exemple, le 27 août 2010, le tribunal administratif de Lille a invalidé une décision relative à l'expulsion d'une ressortissante roumaine 
			(31) 
			Selon
les attendus du tribunal lillois, les circonstances invoquées, à
savoir le caractère illicite du campement, ne pouvaient pas être
considérées comme une menace suffisamment grave pour tout intérêt
fondamental de la société; décision n° 1005246 rendue par le tribunal
administratif de Lille le 27 août 2010.. La pratique varie toutefois considérablement d'un tribunal à l'autre en France 
			(32) 
			Document d'information
de Human Rights Watch soumis à la Commission européenne en juillet 2011,
voir ci‑dessus.; il faut souligner que du fait de la vulnérabilité des personnes concernées et de l'absence de garanties, peu d’affaires sont susceptibles d'être portées devant les tribunaux.

4.3.2. Italie

43. Environ 150 000 Roms et Sintis vivent en Italie, et la moitié d'entre eux sont des citoyens italiens. On estime entre 20 % et 25 % la proportion de ceux qui viennent d'autres Etats de l'Union européenne (principalement de Roumanie), les autres étant originaires de pays non européens ou apatrides (principalement de l'ex‑Yougoslavie).
44. Fin décembre 2007, on a signalé le renvoi d'Italie de plus de 1 000 personnes ainsi que la destruction d'au moins 1 000 foyers de Roms et l'expulsion des habitants dans la seule ville de Rome. Depuis lors, plusieurs lois ont été adoptées pour faciliter les expulsions, y compris de ressortissants de l'Union européenne; apparemment, elles visent plus particulièrement les Roms de Roumanie.
45. Le Comité européen des Droits sociaux s'est dit particulièrement préoccupé par ces expulsions jugeant que les «mesures de sécurité contestées montrent qu'en réalité le dispositif “emergenza rom” permet de procéder, en des termes identiques dans l'absolu, à ces expulsions collectives» 
			(33) 
			<a href='http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/socialcharter/Complaints/CC58Merits_fr.pdf'>www.coe.int/t/dghl/monitoring/socialcharter/Complaints/CC58Merits_fr.pdf</a>, paragraphe 157.. Le Comité a estimé que l'expulsion des Roms était contraire à la Charte sociale européenne révisée. Le 16 novembre 2011, le Conseil d'Etat a annulé le décret de 2008 «emergenza rom» ainsi que tous les actes et décisions pris en vertu de ce décret.

4.3.3. Allemagne

46. Dans son rapport sur les demandeurs d'asile roms en Europe, l'Assemblée a signalé la situation difficile des demandeurs d'asile roms du Kosovo dont un grand nombre vit en Allemagne depuis 1999 ou 2004 avec des enfants nés et élevés en Allemagne. Le rapatriement forcé au Kosovo pose trois problèmes principaux: le déracinement des enfants, le manque de perspectives pour les Roms retournant au Kosovo et le risque d'être en butte à la discrimination et à la violence de la population majoritaire.
47. A la fin du premier semestre de 2009, près de 14 400 personnes originaires du Kosovo figuraient dans la catégorie des personnes à renvoyer dans leur pays. Parmi elles, on comptait environ 9 800 Roms, 1 700 Ashkhalis et 173 Egyptiens. A la fin de 2009, le Commissaire aux droits de l'homme a appelé la chancelière allemande à suspendre tous les renvois de Roms vers le Kosovo du fait de l'incapacité du Kosovo à assurer leur réintégration et des difficultés qu'ils rencontreraient dans le pays. Toutefois, les retours, y compris les retours forcés, se sont poursuivis depuis lors. Au début de l’année 2011, quelque 10 200 personnes qui devaient être renvoyées au Kosovo, dont 7 000 Roms, vivaient toujours en Allemagne.
48. Les experts soutiennent que nombre de rapatriés sont des personnes vulnérables; elles ont vécu en Allemagne pendant une bonne dizaine d’années, et leurs chances de réintégration au Kosovo sont faibles, voire nulles. Parmi ces personnes, on compte de nombreux enfants qui, nés en Allemagne, ne parlent, ni ne comprennent, les langues parlées au Kosovo. Des projets de soutien («Projets URA») ont été mis en place pour accompagner la réintégration des Roms au Kosovo; toutefois, ils seraient insuffisants, limités dans le temps, inappropriés et incapables de fournir des solutions durables.
49. En Allemagne, les Roms du Kosovo ont la possibilité de légaliser leur séjour sous certaines conditions dans le cadre de ladite réglementation relative aux séjours de longue durée. Cependant, il est souvent difficile pour bon nombre de Roms du Kosovo de satisfaire à ces conditions. Les experts des questions relatives aux migrations et aux réfugiés ont salué la réglementation mais continuent de recommander la recherche d'une solution plus globale pour traiter le problème.

4.4. L'Union européenne et les Roms des Balkans occidentaux

50. En décembre 2009, les conditions d'obtention d'un visa de l'Union européenne pour l'entrée de ressortissants de pays tiers ont été assouplies concernant les Balkans occidentaux. Il en a résulté une augmentation du nombre de demandes d'asile des personnes de cette région. En 2010, par exemple, la Suède a reçu 7 900 demandes de personnes venant de Serbie, tandis que l'Allemagne et la France en ont reçu respectivement 6 500 et 5 800. En 2011, ces chiffres étaient moins élevés mais presque toutes les décisions ont été négatives 
			(34) 
			Document
de travail des services de la Commission sur le suivi du mécanisme
de libéralisation du régime des visas pour les pays des Balkans
occidentaux, conformément à la Déclaration du 8 novembre 2010 de
la Commission, SEC(2011)695 final, p. 22 à 24..
51. L'Union européenne a ensuite introduit une «clause de sauvegarde» dans le régime de libéralisation des visas pour permettre le rétablissement des visas en cas de situation d'urgence. La Commission européenne et les Etats membres ont également exercé des pressions sur les pays des Balkans occidentaux pour empêcher les demandeurs d'asile de recourir à la dispense de visa. Cela touche principalement les personnes d'origine rom car ce sont les plus susceptibles de demander l'asile (sans succès) dans l'Union européenne. A ce propos, il convient de noter que l'Union européenne et ses Etats membres soutiennent que la plupart des demandeurs d'asile – 80 % – sont des Roms 
			(35) 
			Ibid.,
p. 15..
52. Le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe et des ONG ont relevé que cette situation engendrait aussi d'autres conséquences. Premièrement, les contrôles de sortie des pays des Balkans occidentaux sont effectués sur la base du profilage ethnique, principalement ciblé sur les personnes d'origine rom. Deuxièmement, les pays des Balkans occidentaux infligent des sanctions aux demandeurs d'asile déboutés de retour au pays, dont la confiscation temporaire de leur passeport et, troisièmement, la Commission européenne a demandé aux pays des Balkans occidentaux de renforcer les contrôles à la sortie du territoire, et notamment de vérifier si la personne qui quitte le territoire satisfait aux conditions d'entrée aux termes du Code frontières Schengen.
53. Ces différentes restrictions suscitent toutes des inquiétudes concernant les droits de l'homme, compte tenu, en particulier, du droit de quitter un pays et du fait que les restrictions engendrent le profilage et le ciblage effectif des Roms.

5. Conclusions

54. Il est simpliste de présenter la «question rom» comme un problème d'immigration et de sécurité publique. Les migrants roms se trouvent assis entre deux chaises: ils sont en butte à la discrimination dans leur pays d'origine et les pays de destination font tout ce qu'ils peuvent pour les empêcher d'entrer sur leur territoire. En outre, les dirigeants politiques des pays d'origine affirment que l'émigration des Roms est préjudiciable pour le pays mais lorsque les Roms s'en vont, leur pays n'est pas nécessairement très désireux de les voir revenir.
55. Le défi à relever consiste à susciter un changement de mentalité afin que les migrants roms soit perçus tels qu'ils sont, c'est‑à‑dire des personnes ordinaires qui s'efforcent de mener leur vie, souvent dans des conditions difficiles, et à se débarrasser des préjugés profondément ancrés dans l'opinion publique selon laquelle les Roms sont des nomades, viennent de l'étranger et sont en situation irrégulière.
56. Globalement, les Etats ont légitimement intérêt à gérer les migrations et à s'assurer que le système d'asile n'est pas utilisé à mauvais escient. Toutefois, la «gestion des migrations» doit satisfaire aux règles en vigueur, ce qui, actuellement, n'est pas toujours le cas.
57. Les Roms se heurtent à la discrimination dans toute l'Europe. Parfois, cette discrimination est telle qu'elle les oblige à se déplacer pour trouver de meilleures conditions de vie. Parfois, la discrimination et les persécutions atteignent un tel degré qu'ils n'ont pas d'autre choix que de demander l'asile. Lorsque nous traitons les cas de ces migrants et demandeurs d'asile roms, il nous faut garder à l'esprit leur vulnérabilité et ne pas cristalliser notre attention sur les préjugés et les stéréotypes beaucoup trop répandus.