1. Introduction
1. Le rapporteur pour avis se
félicite de l’approche positive qui a été adoptée par Mme Athina
Kyriakidou et par la commission sur l’égalité et la non-discrimination
pour refléter la réalité complexe des femmes musulmanes en Europe
– dont beaucoup veulent être des actrices du changement et de l’autonomie
– et rechercher des conditions favorables qui leur permettraient
de réaliser leurs aspirations et de concilier leur identité et leurs
valeurs musulmanes et européennes dans les sociétés multiculturelles
de l’Europe d’aujourd’hui.
2. Plusieurs études conduites avec ou par des femmes musulmanes
s’éloignent de l’image simpliste et stéréotypée des femmes musulmanes
en Europe et révèlent une situation beaucoup plus fluide, complexe
et différenciée selon les expériences personnelles, l’origine, l’environnement
local, la classe sociale, l’âge, l’accès à l’éducation et le niveau
d’instruction, la situation matrimoniale, la présence et l’influence
de la famille élargie, etc. Au sein d’une telle complexité et diversité,
des dénominateurs communs peuvent néanmoins être trouvés. Pour illustrer
ce point, le rapporteur pour avis fait référence aux conclusions
de l’étude de la Fondation Roi-Baudouin
.
3. Emancipation au sein de la tradition:
bien que des aspects patriarcaux et archaïques sapant l’autonomie et
l’égalité des femmes persistent au sein des communautés musulmanes
d’Europe, de nombreuses femmes musulmanes s’affirment maintenant
comme des personnes indépendantes et déterminées. Devenues plus autonomes
grâce à une instruction plus poussée et un accès indépendant aux
connaissances religieuses, elles ont la possibilité de devenir des
leviers importants de transformations radicales au sein même d’une
tradition, sans avoir besoin d’adopter des méthodes radicales. Toutefois,
la connaissance de la langue de leur pays d’adoption et les opportunités
d’emploi constituent les clés de leur pleine réussite.
4. Appartenance à l’Europe:
les femmes musulmanes (citoyennes européennes ou résidentes de longue durée),
et notamment les jeunes générations, ont la sensation de faire pleinement
partie de l’Europe et en sont fières. Elles apprécient en particulier
le fait que l’Europe promeut des valeurs telles que l’Etat de droit,
la démocratie, la liberté et le respect de la diversité. C’est pourquoi
elles se sentent particulièrement frustrées lorsqu’elles font l’objet
de discriminations ou lorsque l’on donne d’elles une image erronée
selon laquelle elles seraient soumises passivement à l’islam. Une
autre source de préjudice est la mentalité moralisatrice de certaines
communautés minoritaires très soudées. Les femmes musulmanes d’Europe
font néanmoins preuve de force de caractère et d’une aptitude à
affronter les préjugés de manière équilibrée et rationnelle.
5. Diversité et intégration:
les femmes musulmanes s’estiment privilégiées de vivre dans des
Etats européens démocratiques régis par les règles de droit et protégeant
l’égalité des sexes, la diversité et les libertés fondamentales.
Pouvoir bénéficier de ces droits et libertés et être bien intégrés
constituent d’ailleurs les deux principaux souhaits que les femmes
musulmanes formulent pour leurs enfants et les générations à venir
en Europe.
6. Aspirations: leurs rêves
récurrents sont d’être respectées en tant que personnes, de vivre
en paix et dans le respect de la loi, de se sentir intégrées, de
recevoir une bonne éducation, d’avoir un emploi décent et d’être
entourées d’une famille heureuse.
2. L’intégration
comme un processus à double sens
7. Tant le Conseil de l’Europe
que l’Union européenne encouragent fortement l’intégration sociale, économique
et culturelle des musulmans d’Europe et d’autres communautés, en
tant qu’élément clé de la construction d’une société plurielle.
L’intégration est vue comme un processus à double sens, qui développe par
le biais du dialogue interculturel et interreligieux la capacité
de chacun à vivre ensemble, dans le plein respect de la dignité
et de l’identité distincte de chaque personne, du bien commun, du
pluralisme et de la diversité, de la non-violence et de la solidarité.
8. En 2005, à l’occasion du 50e anniversaire
de la Convention culturelle européenne (STE no 18),
le Conseil de l’Europe a adopté sa stratégie de développement du
dialogue interculturel qui a défini plusieurs lignes d’action, en
particulier:
- le respect des
droits culturels et du droit à l’éducation;
- la mise en place de politiques intersectorielles favorisant
la diversité culturelle et le dialogue;
- le développement de la connaissance de l’histoire, des
cultures, des arts et des religions;
- le soutien aux activités et aux échanges culturels en
tant que supports de dialogue;
- le renforcement de toutes les possibilités de formation
des éducateurs dans les domaines de l’éducation à la citoyenneté
démocratique, des droits de l’homme, de l’histoire et de l’éducation
interculturelle.
9. L’Assemblée parlementaire, par l’intermédiaire de sa commission
de la culture, de la science, de l’éducation et des médias, a établi
une coopération étroite avec le secteur intergouvernemental du Conseil
de l’Europe afin de développer, à partir de ces lignes d’action,
des orientations de politique générale
(Livre
blanc sur le dialogue interculturel) et des outils pratiques
qui pourraient être utiles aux Etats membres dans leurs efforts
pour construire une société plus solidaire. On pourrait citer plus
particulièrement la
Recommandation 1884
(2009) de l’Assemblée sur l’éducation culturelle: promotion
de la culture, de la créativité et de la compréhension interculturelle
par l’éducation; la
Recommandation
1720 (2005) sur l’éducation et la religion; la
Recommandation 1927 (2010) sur l’islam, l’islamisme et l’islamophobie en Europe;
la
Recommandation 1962 (2011) sur la dimension religieuse du dialogue interculturel
et la
Recommandation
1990 (2012) sur le droit de chacun de participer à la vie culturelle.
10. Le rapporteur pour avis estime par conséquent que de nombreux
instruments du Conseil de l’Europe pourraient être spécifiquement
adaptés à l’intégration des femmes musulmanes en Europe et partage pleinement
l’analyse de Mme Kyriakidou selon laquelle
ces femmes devraient être encouragées et aidées dans leur quête
d’une meilleure intégration et d’égalité dans la société. Cela est
nécessaire non seulement pour leur propre bien-être et leur épanouissement,
mais également pour la cohésion des sociétés multiculturelles européennes.
En effet, les femmes musulmanes peuvent et doivent jouer un rôle
clé pour aider les jeunes générations à concilier leur identité
et leurs valeurs musulmanes et européennes.
11. A cet égard, le rapporteur pour avis préconise que les autorités
publiques aux niveaux national et local collectent des données plus
complètes sur le statut socio-économique des femmes musulmanes (participation au
marché du travail, niveaux de revenu, inégalité et pauvreté, réussite
scolaire, propriété du logement, etc.) et étudient les problèmes
spécifiques des rapports entre les sexes au sein des communautés
musulmanes, afin de pouvoir mettre en place des politiques sociales
et familiales efficaces. Avec l’aide d’organisations non gouvernementales,
les autorités publiques devraient également chercher à bien comprendre
le militantisme et les intérêts des femmes musulmanes afin de pouvoir
s’appuyer sur ces leviers positifs pour améliorer la cohésion de
la société. Etant donné que les collectivités locales sont des acteurs
majeurs de ce processus, le rapporteur renvoie à la
Résolution 318 (2010) du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil
de l’Europe sur l’intégration culturelle des femmes musulmanes dans
les villes européennes, qui fournit d’excellentes orientations politiques
à l’échelon local.
3. Accès à l’éducation
et à l’éducation interculturelle à l’école
12. Le droit à l’instruction est
un droit fondamental garanti par l’article 2 du Protocole additionnel
à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5).
Cependant, toutes les filles et jeunes femmes musulmanes en Europe
ne bénéficient pas de ce droit.
13. Le rapporteur pour avis estime qu’il faudrait mettre en place
des mécanismes de soutien pour aider les filles et les jeunes femmes
musulmanes à s’intégrer pleinement et à rester dans le système scolaire
pendant toute la durée de l’enseignement obligatoire et au-delà.
L’éducation n’est pas seulement un moyen de se préparer à l’entrée
dans la vie active, de favoriser l’épanouissement personnel et d’acquérir
une bonne culture générale: c’est également l’un des piliers les
plus importants de l’intégration. Comme souligné dans un récent rapport
publié par l’Open Society Foundation, l’école contribue à l’intégration
dans la mesure où elle fournit des possibilités de contacts entre
des élèves et des parents de différentes origines ethniques et appartenances religieuses.
Le rapporteur pour avis partage l’analyse du rapport selon laquelle
le fait de connaître des milieux ethniques et culturels mixtes dès
le plus jeune âge aide à cultiver de bonnes relations, la compréhension mutuelle
et le respect de la diversité et, en fin de compte, empêche le développement
des préjugés
.
14. Le Conseil de l’Europe et l’UNESCO ont élaboré un large éventail
d’orientations de politique générale et d’outils pratiques pour
assister les Etats membres dans leurs réformes éducatives. Relevant
le défi des sociétés multiculturelles en Europe, le Comité des Ministres
a adopté en 2008 le Livre blanc sur le
dialogue interculturel, qui mentionne l’éducation comme
l’un des domaines essentiels pour la réussite du dialogue interculturel.
15. Dans les programmes officiels de l’enseignement primaire et
secondaire, la quasi-totalité des matières comportent une dimension
interculturelle, particulièrement importante en histoire et en langue
ainsi que dans l’enseignement des différentes convictions, religieuses
et non religieuses, et des valeurs communes. La commission de la
culture, de la science, de l’éducation et des médias a contribué
à ce processus en publiant plusieurs rapports clés sur l’enseignement
de l’histoire, sur l’éducation et la religion, et sur l’éducation
culturelle pour promouvoir la compréhension mutuelle par le biais
de l’éducation.
16. En outre, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a
adopté, en 2010, la Charte du Conseil de l’Europe sur l’éducation
à la citoyenneté démocratique et l’éducation aux droits de l’homme,
qui met l’accent sur l’enseignement des droits et des responsabilités
démocratiques et sur la participation active, en relation avec les
aspects civiques, politiques, sociaux, économiques, juridiques et
culturels de la société, ainsi que sur l’enseignement de l’éventail
plus large des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans
tous les domaines de la vie. Cette charte fournit aux Etats membres
des orientations conceptuelles et pratiques.
17. D’autres principes directeurs directement liés aux questions
soulevées par le présent rapport sont les Guidelines for educators
on countering intolerance and discrimination against Muslims: addressing Islamophobia
through education, document que le Conseil de l’Europe a récemment
publié avec le Bureau des institutions démocratiques et des droits
de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe (OSCE/BIDDH) et l’UNESCO.
18. Le rapporteur pour avis considère, par conséquent, qu’il existe
beaucoup de bons instruments et outils pratiques qui pourraient
désormais être utilisés et mis en œuvre dans les Etats membres.
4. Accès à la formation
professionnelle et à l’emploi
19. Toutes les femmes musulmanes
n’ont pas les moyens ni les capacités de participer activement à
la société. L’incapacité à parler la langue du pays d’accueil et
l’absence de perspectives d’emploi, ou encore un faible niveau d’instruction,
peuvent constituer un frein considérable à tout engagement. Cela
est sans doute plus particulièrement le cas des générations plus
âgées de femmes musulmanes qui vivent en Europe. Des mesures positives
sont donc nécessaires pour surmonter ces barrières et leur donner
les moyens de prendre confiance en elles et d’acquérir des compétences
et des qualifications professionnelles pour s’intégrer pleinement
dans les sociétés européennes.
20. Toute stratégie visant à faciliter l’accès à l’emploi des
femmes musulmanes doit reposer sur l’action des pouvoirs publics
en termes de reconnaissance de l’expérience professionnelle et des
qualifications, sur la fourniture d’une formation professionnelle
de base et avancée, et sur l’introduction de mesures positives encourageant
les employeurs à embaucher des femmes musulmanes. Ces stratégies
doivent associer non seulement les organisations non gouvernementales,
qui jouent un rôle important dans l’amélioration des compétences
des femmes musulmanes, mais encore les syndicats qui assument une
responsabilité particulière dans l’entreprise en matière de lutte
contre la discrimination et d’intégration sociale, en veillant au respect
des règles relatives à l’égalité de traitement.
21. Le rapporteur pour avis souligne par ailleurs que la création
d’entreprises devrait également être prise en considération par
les pouvoirs publics dans le cadre de l’élaboration de mesures positives
et de stratégies visant à aider les femmes musulmanes à accéder
au marché du travail. Cependant, de nombreux obstacles subsistent.
Les femmes musulmanes, victimes de préjugés négatifs qui donnent
d’elles une image passive et les présentent comme des personnes
qui vivent des prestations sociales, ont souvent du mal à persuader
les organismes publics et les banques de leur octroyer des prêts
et des subventions en vue de financer des projets de création d’entreprises.
5. Rôle des médias
22. Les médias, comme l’éducation,
peuvent avoir une incidence très positive sur la compréhension mutuelle
et le respect de la diversité et de la dignité de la personne, contribuant
ainsi à l’établissement de meilleures relations entre communautés.
Cependant, l’influence des médias a souvent été négative: ils renforcent
les représentations stéréotypées des femmes musulmanes en réduisant
le débat aux questions du port du foulard et du voile intégral,
des mariages forcés, de la polygamie et des crimes «d’honneur»,
et en privilégiant le sensationnalisme, suscitant ainsi des inquiétudes
au sein de l’opinion publique européenne parmi les non-musulmans.
6. Conclusion
23. Dans le contexte actuel de
crise économique, les effets d’une austérité prolongée dans nos
pays risquent de faire peser des tensions croissantes sur les relations
interconfessionnelles et interethniques. Les coupes dans les dépenses
publiques peuvent en outre hypothéquer le financement des mesures
positives nécessaires pour aider les femmes musulmanes à s’intégrer
pleinement dans la société.
24. C’est pourquoi les parlementaires ont un important rôle à
jouer pour maintenir ces programmes au premier rang des préoccupations
politiques et en bonne place dans les débats sur les dépenses budgétaires.
25. En complément des efforts déployés au plan national, le Conseil
de l’Europe devrait intensifier sa coopération avec l’Union européenne,
l’UNESCO et d’autres organisations, y compris des organisations
non gouvernementales, afin d’assister les Etats membres par le biais
d’orientations de politique générale, de la diffusion des enseignements
tirés de projets pilotes et d’échanges de bonnes pratiques afin
de veiller collectivement à ce que des mesures positives axées sur
l’autonomisation et une meilleure intégration des femmes musulmanes
soient non seulement débattues et élaborées mais également mises
en œuvre dans toute l’Europe.