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Avis de commission | Doc. 12976 | 25 juin 2012

Discriminations multiples à l'égard des femmes musulmanes en Europe: pour l’égalité des chances

Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias

Rapporteur : M. Raphaël COMTE, Suisse, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12327, Renvoi 3706 du 4 octobre 2010, modifié le 8 octobre 2010 et le 7 octobre 2011. Commission chargée du rapport: Commission sur l’égalité et la non-discrimination. Voir Doc. 12956. Avis approuvé par la commission le 25 juin 2012. 2012 - Troisième partie de session

A. Conclusions de la commission

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La commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias accueille favorablement le rapport établi par Mme Athina Kyriakidou, rapporteure de la commission sur l’égalité et la non-discrimination. Ce rapport propose en effet des mesures positives qui permettraient aux femmes musulmanes de surmonter les discriminations multiples et de concilier leur identité musulmane et européenne. La commission soutient sans réserve le projet de résolution proposé.

Tout en approuvant globalement l’idée-force du projet de résolution présenté par la commission sur l’égalité et la non-discrimination, la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias souhaite développer davantage les recommandations concernant «les politiques d’intégration et la promotion du respect» et propose les amendements suivants.

B. Propositions d’amendements

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Amendement A (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, supprimer le paragraphe 6.1.7.

Amendement B (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, après le paragraphe 6.2.1.1, ajouter le nouvel alinéa suivant:

«de prendre des initiatives dans le domaine de l’éducation interculturelle relatives à la diversité des religions et des convictions non religieuses afin de promouvoir la tolérance, la compréhension mutuelle et la culture du “vivre ensemble”, en s’inspirant des principes énoncés dans la Recommandation du Comité des Ministres sur la dimension des religions et des convictions non religieuses dans l’éducation interculturelle (CM/Rec(2008)12);»

Amendement C (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, à la fin du paragraphe 6.2.4, ajouter les mots suivants:

«et qu’elles disposent de structures de soutien pour les aider à poursuivre leur éducation;»

Amendement D (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, après le paragraphe 6.2.4, ajouter le nouvel alinéa suivant:

«d’élaborer, en coopération avec des organisations non gouvernementales, des programmes de formation spécifiques afin de permettre aux femmes musulmanes plus âgées qui souhaitent accéder à l’emploi d’acquérir des compétences et des qualifications;»

Amendement E (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, après le paragraphe 6.2.6, ajouter le nouvel alinéa suivant:

«d’élaborer des campagnes de sensibilisation et prévoir des sanctions dissuasives pour les organismes publics et les banques afin de lutter contre la discrimination dans l’octroi de prêts et de subventions à la création d’entreprises dont sont victimes les femmes musulmanes;»

C. Exposé des motifs, par M. Comte, rapporteur pour avis

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1. Introduction

1. Le rapporteur pour avis se félicite de l’approche positive qui a été adoptée par Mme Athina Kyriakidou et par la commission sur l’égalité et la non-discrimination pour refléter la réalité complexe des femmes musulmanes en Europe – dont beaucoup veulent être des actrices du changement et de l’autonomie – et rechercher des conditions favorables qui leur permettraient de réaliser leurs aspirations et de concilier leur identité et leurs valeurs musulmanes et européennes dans les sociétés multiculturelles de l’Europe d’aujourd’hui.
2. Plusieurs études conduites avec ou par des femmes musulmanes s’éloignent de l’image simpliste et stéréotypée des femmes musulmanes en Europe et révèlent une situation beaucoup plus fluide, complexe et différenciée selon les expériences personnelles, l’origine, l’environnement local, la classe sociale, l’âge, l’accès à l’éducation et le niveau d’instruction, la situation matrimoniale, la présence et l’influence de la famille élargie, etc. Au sein d’une telle complexité et diversité, des dénominateurs communs peuvent néanmoins être trouvés. Pour illustrer ce point, le rapporteur pour avis fait référence aux conclusions de l’étude de la Fondation Roi-Baudouin 
			(1) 
			«Europe’s Muslim women:
potential, aspirations and challenges», rapport de recherche établi
par Sara Silvestri (City University London et Cambridge University),
publication de la Fondation Roi-Baudouin, novembre 2008, 
			(1) 
			www.kingbaudouinfoundation.org/uploadedFiles/KBS-FRB/3)_Publications/PUB_1846_MuslimWomen_03.pdf..
3. Emancipation au sein de la tradition: bien que des aspects patriarcaux et archaïques sapant l’autonomie et l’égalité des femmes persistent au sein des communautés musulmanes d’Europe, de nombreuses femmes musulmanes s’affirment maintenant comme des personnes indépendantes et déterminées. Devenues plus autonomes grâce à une instruction plus poussée et un accès indépendant aux connaissances religieuses, elles ont la possibilité de devenir des leviers importants de transformations radicales au sein même d’une tradition, sans avoir besoin d’adopter des méthodes radicales. Toutefois, la connaissance de la langue de leur pays d’adoption et les opportunités d’emploi constituent les clés de leur pleine réussite.
4. Appartenance à l’Europe: les femmes musulmanes (citoyennes européennes ou résidentes de longue durée), et notamment les jeunes générations, ont la sensation de faire pleinement partie de l’Europe et en sont fières. Elles apprécient en particulier le fait que l’Europe promeut des valeurs telles que l’Etat de droit, la démocratie, la liberté et le respect de la diversité. C’est pourquoi elles se sentent particulièrement frustrées lorsqu’elles font l’objet de discriminations ou lorsque l’on donne d’elles une image erronée selon laquelle elles seraient soumises passivement à l’islam. Une autre source de préjudice est la mentalité moralisatrice de certaines communautés minoritaires très soudées. Les femmes musulmanes d’Europe font néanmoins preuve de force de caractère et d’une aptitude à affronter les préjugés de manière équilibrée et rationnelle.
5. Diversité et intégration: les femmes musulmanes s’estiment privilégiées de vivre dans des Etats européens démocratiques régis par les règles de droit et protégeant l’égalité des sexes, la diversité et les libertés fondamentales. Pouvoir bénéficier de ces droits et libertés et être bien intégrés constituent d’ailleurs les deux principaux souhaits que les femmes musulmanes formulent pour leurs enfants et les générations à venir en Europe.
6. Aspirations: leurs rêves récurrents sont d’être respectées en tant que personnes, de vivre en paix et dans le respect de la loi, de se sentir intégrées, de recevoir une bonne éducation, d’avoir un emploi décent et d’être entourées d’une famille heureuse.

2. L’intégration comme un processus à double sens

7. Tant le Conseil de l’Europe que l’Union européenne encouragent fortement l’intégration sociale, économique et culturelle des musulmans d’Europe et d’autres communautés, en tant qu’élément clé de la construction d’une société plurielle. L’intégration est vue comme un processus à double sens, qui développe par le biais du dialogue interculturel et interreligieux la capacité de chacun à vivre ensemble, dans le plein respect de la dignité et de l’identité distincte de chaque personne, du bien commun, du pluralisme et de la diversité, de la non-violence et de la solidarité.
8. En 2005, à l’occasion du 50e anniversaire de la Convention culturelle européenne (STE no 18), le Conseil de l’Europe a adopté sa stratégie de développement du dialogue interculturel qui a défini plusieurs lignes d’action, en particulier:
  • le respect des droits culturels et du droit à l’éducation;
  • la mise en place de politiques intersectorielles favorisant la diversité culturelle et le dialogue;
  • le développement de la connaissance de l’histoire, des cultures, des arts et des religions;
  • le soutien aux activités et aux échanges culturels en tant que supports de dialogue;
  • le renforcement de toutes les possibilités de formation des éducateurs dans les domaines de l’éducation à la citoyenneté démocratique, des droits de l’homme, de l’histoire et de l’éducation interculturelle.
9. L’Assemblée parlementaire, par l’intermédiaire de sa commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias, a établi une coopération étroite avec le secteur intergouvernemental du Conseil de l’Europe afin de développer, à partir de ces lignes d’action, des orientations de politique générale (Livre blanc sur le dialogue interculturel) et des outils pratiques qui pourraient être utiles aux Etats membres dans leurs efforts pour construire une société plus solidaire. On pourrait citer plus particulièrement la Recommandation 1884 (2009) de l’Assemblée sur l’éducation culturelle: promotion de la culture, de la créativité et de la compréhension interculturelle par l’éducation; la Recommandation 1720 (2005) sur l’éducation et la religion; la Recommandation 1927 (2010) sur l’islam, l’islamisme et l’islamophobie en Europe; la Recommandation 1962 (2011) sur la dimension religieuse du dialogue interculturel et la Recommandation 1990 (2012) sur le droit de chacun de participer à la vie culturelle.
10. Le rapporteur pour avis estime par conséquent que de nombreux instruments du Conseil de l’Europe pourraient être spécifiquement adaptés à l’intégration des femmes musulmanes en Europe et partage pleinement l’analyse de Mme Kyriakidou selon laquelle ces femmes devraient être encouragées et aidées dans leur quête d’une meilleure intégration et d’égalité dans la société. Cela est nécessaire non seulement pour leur propre bien-être et leur épanouissement, mais également pour la cohésion des sociétés multiculturelles européennes. En effet, les femmes musulmanes peuvent et doivent jouer un rôle clé pour aider les jeunes générations à concilier leur identité et leurs valeurs musulmanes et européennes.
11. A cet égard, le rapporteur pour avis préconise que les autorités publiques aux niveaux national et local collectent des données plus complètes sur le statut socio-économique des femmes musulmanes (participation au marché du travail, niveaux de revenu, inégalité et pauvreté, réussite scolaire, propriété du logement, etc.) et étudient les problèmes spécifiques des rapports entre les sexes au sein des communautés musulmanes, afin de pouvoir mettre en place des politiques sociales et familiales efficaces. Avec l’aide d’organisations non gouvernementales, les autorités publiques devraient également chercher à bien comprendre le militantisme et les intérêts des femmes musulmanes afin de pouvoir s’appuyer sur ces leviers positifs pour améliorer la cohésion de la société. Etant donné que les collectivités locales sont des acteurs majeurs de ce processus, le rapporteur renvoie à la Résolution 318 (2010) du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe sur l’intégration culturelle des femmes musulmanes dans les villes européennes, qui fournit d’excellentes orientations politiques à l’échelon local.

3. Accès à l’éducation et à l’éducation interculturelle à l’école

12. Le droit à l’instruction est un droit fondamental garanti par l’article 2 du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5). Cependant, toutes les filles et jeunes femmes musulmanes en Europe ne bénéficient pas de ce droit.
13. Le rapporteur pour avis estime qu’il faudrait mettre en place des mécanismes de soutien pour aider les filles et les jeunes femmes musulmanes à s’intégrer pleinement et à rester dans le système scolaire pendant toute la durée de l’enseignement obligatoire et au-delà. L’éducation n’est pas seulement un moyen de se préparer à l’entrée dans la vie active, de favoriser l’épanouissement personnel et d’acquérir une bonne culture générale: c’est également l’un des piliers les plus importants de l’intégration. Comme souligné dans un récent rapport publié par l’Open Society Foundation, l’école contribue à l’intégration dans la mesure où elle fournit des possibilités de contacts entre des élèves et des parents de différentes origines ethniques et appartenances religieuses. Le rapporteur pour avis partage l’analyse du rapport selon laquelle le fait de connaître des milieux ethniques et culturels mixtes dès le plus jeune âge aide à cultiver de bonnes relations, la compréhension mutuelle et le respect de la diversité et, en fin de compte, empêche le développement des préjugés 
			(2) 
			«Living
together: projects promoting inclusion in 11 EU cities», Open Society
Foundations, 2011, <a href='http://www.soros.org/sites/default/files/living-together-inclusion-11-eu-cities-20120125.pdf'>www.soros.org/sites/default/files/living-together-inclusion-11-eu-cities-20120125.pdf</a>..
14. Le Conseil de l’Europe et l’UNESCO ont élaboré un large éventail d’orientations de politique générale et d’outils pratiques pour assister les Etats membres dans leurs réformes éducatives. Relevant le défi des sociétés multiculturelles en Europe, le Comité des Ministres a adopté en 2008 le Livre blanc sur le dialogue interculturel, qui mentionne l’éducation comme l’un des domaines essentiels pour la réussite du dialogue interculturel.
15. Dans les programmes officiels de l’enseignement primaire et secondaire, la quasi-totalité des matières comportent une dimension interculturelle, particulièrement importante en histoire et en langue ainsi que dans l’enseignement des différentes convictions, religieuses et non religieuses, et des valeurs communes. La commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias a contribué à ce processus en publiant plusieurs rapports clés sur l’enseignement de l’histoire, sur l’éducation et la religion, et sur l’éducation culturelle pour promouvoir la compréhension mutuelle par le biais de l’éducation.
16. En outre, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté, en 2010, la Charte du Conseil de l’Europe sur l’éducation à la citoyenneté démocratique et l’éducation aux droits de l’homme, qui met l’accent sur l’enseignement des droits et des responsabilités démocratiques et sur la participation active, en relation avec les aspects civiques, politiques, sociaux, économiques, juridiques et culturels de la société, ainsi que sur l’enseignement de l’éventail plus large des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans tous les domaines de la vie. Cette charte fournit aux Etats membres des orientations conceptuelles et pratiques.
17. D’autres principes directeurs directement liés aux questions soulevées par le présent rapport sont les Guidelines for educators on countering intolerance and discrimination against Muslims: addressing Islamophobia through education, document que le Conseil de l’Europe a récemment publié avec le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE/BIDDH) et l’UNESCO.
18. Le rapporteur pour avis considère, par conséquent, qu’il existe beaucoup de bons instruments et outils pratiques qui pourraient désormais être utilisés et mis en œuvre dans les Etats membres.

4. Accès à la formation professionnelle et à l’emploi

19. Toutes les femmes musulmanes n’ont pas les moyens ni les capacités de participer activement à la société. L’incapacité à parler la langue du pays d’accueil et l’absence de perspectives d’emploi, ou encore un faible niveau d’instruction, peuvent constituer un frein considérable à tout engagement. Cela est sans doute plus particulièrement le cas des générations plus âgées de femmes musulmanes qui vivent en Europe. Des mesures positives sont donc nécessaires pour surmonter ces barrières et leur donner les moyens de prendre confiance en elles et d’acquérir des compétences et des qualifications professionnelles pour s’intégrer pleinement dans les sociétés européennes.
20. Toute stratégie visant à faciliter l’accès à l’emploi des femmes musulmanes doit reposer sur l’action des pouvoirs publics en termes de reconnaissance de l’expérience professionnelle et des qualifications, sur la fourniture d’une formation professionnelle de base et avancée, et sur l’introduction de mesures positives encourageant les employeurs à embaucher des femmes musulmanes. Ces stratégies doivent associer non seulement les organisations non gouvernementales, qui jouent un rôle important dans l’amélioration des compétences des femmes musulmanes, mais encore les syndicats qui assument une responsabilité particulière dans l’entreprise en matière de lutte contre la discrimination et d’intégration sociale, en veillant au respect des règles relatives à l’égalité de traitement.
21. Le rapporteur pour avis souligne par ailleurs que la création d’entreprises devrait également être prise en considération par les pouvoirs publics dans le cadre de l’élaboration de mesures positives et de stratégies visant à aider les femmes musulmanes à accéder au marché du travail. Cependant, de nombreux obstacles subsistent. Les femmes musulmanes, victimes de préjugés négatifs qui donnent d’elles une image passive et les présentent comme des personnes qui vivent des prestations sociales, ont souvent du mal à persuader les organismes publics et les banques de leur octroyer des prêts et des subventions en vue de financer des projets de création d’entreprises.

5. Rôle des médias

22. Les médias, comme l’éducation, peuvent avoir une incidence très positive sur la compréhension mutuelle et le respect de la diversité et de la dignité de la personne, contribuant ainsi à l’établissement de meilleures relations entre communautés. Cependant, l’influence des médias a souvent été négative: ils renforcent les représentations stéréotypées des femmes musulmanes en réduisant le débat aux questions du port du foulard et du voile intégral, des mariages forcés, de la polygamie et des crimes «d’honneur», et en privilégiant le sensationnalisme, suscitant ainsi des inquiétudes au sein de l’opinion publique européenne parmi les non-musulmans.

6. Conclusion

23. Dans le contexte actuel de crise économique, les effets d’une austérité prolongée dans nos pays risquent de faire peser des tensions croissantes sur les relations interconfessionnelles et interethniques. Les coupes dans les dépenses publiques peuvent en outre hypothéquer le financement des mesures positives nécessaires pour aider les femmes musulmanes à s’intégrer pleinement dans la société.
24. C’est pourquoi les parlementaires ont un important rôle à jouer pour maintenir ces programmes au premier rang des préoccupations politiques et en bonne place dans les débats sur les dépenses budgétaires.
25. En complément des efforts déployés au plan national, le Conseil de l’Europe devrait intensifier sa coopération avec l’Union européenne, l’UNESCO et d’autres organisations, y compris des organisations non gouvernementales, afin d’assister les Etats membres par le biais d’orientations de politique générale, de la diffusion des enseignements tirés de projets pilotes et d’échanges de bonnes pratiques afin de veiller collectivement à ce que des mesures positives axées sur l’autonomisation et une meilleure intégration des femmes musulmanes soient non seulement débattues et élaborées mais également mises en œuvre dans toute l’Europe.