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Rapport | Doc. 13018 | 14 septembre 2012

Le respect des obligations et engagements de la Fédération de Russie

Commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi)

Corapporteur : M. György FRUNDA, Roumanie, PPE/DC

Corapporteur : M. Andreas GROSS, Suisse, SOC

Origine - Renvoi en commission: Résolution 1115 (1997). 2012 - Quatrième partie de session

Résumé

Le rapport, qui couvre les sept dernières années, salue certaines «initiatives très positives», telles que les amendements à la loi sur les partis politiques, les changements apportés à la loi électorale et le rétablissement d’élections au suffrage direct pour les gouverneurs. Il note également avec satisfaction diverses réformes réalisées dans le domaine judiciaire, comme la mise en place du Comité d’investigation et sa séparation du bureau du procureur, l’adoption de la loi d’indemnisation et la réforme du système pénitentiaire.

Cependant, d’autres mesures sont très préoccupantes, notamment les amendements à la loi sur la Cour constitutionnelle, les quatre textes que la Douma d’Etat a adoptés en juin et en juillet 2012 (sur la pénalisation de la diffamation, sur l’internet, les amendements à la loi sur les rassemblements et à celle sur les ONG), ainsi que les défauts et la mise en œuvre restrictive d’autres lois essentielles pour le fonctionnement des institutions démocratiques et pour l’environnement politique, qui ont induit une détérioration des conditions nécessaires à un véritable pluralisme politique.

La commission de suivi considère que l’engagement et la mobilisation de plus de 100 000 citoyens après les élections de décembre 2011, le réveil d’une société civile très engagée et la volonté des autorités d’écouter les appels aux réformes ont généré une dynamique de changement en Fédération de Russie; pour tirer parti de ce potentiel politique sans précédent, la société russe a besoin de réformes concrètes.

La commission recommande que l’Assemblée poursuive son suivi du respect des obligations et engagements acceptés par la Fédération de Russie, jusqu’à ce qu’elle reçoive des preuves de progrès substantiels dans les domaines abordés dans les résolutions pertinentes se rapportant à ce pays.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet de résolution
adopté à l’unanimité par la commission le 4 septembre 2012.

(open)
1. La Fédération de Russie a adhéré au Conseil de l’Europe le 28 février 1996. Lors de son adhésion, elle s’est engagée à respecter les obligations qui incombent à tous les Etats membres en vertu de l’article 3 du Statut dans les domaines de la démocratie pluraliste, de la prééminence du droit et des droits de l’homme. Elle a également contracté une série d’engagements spécifiques, énoncés dans l’Avis 193 (1996) de l’Assemblée parlementaire sur la demande d’adhésion de la Russie au Conseil de l’Europe.
2. Conformément à la procédure de suivi définie dans la Résolution 1115 (1997) et modifiée par les Résolutions 1431 (2005) et 1515 (2006), l’Assemblée a fait le point des progrès réalisés par la Fédération de Russie dans le respect de ses obligations et engagements dans les Résolutions 1277 (2002) et 1455 (2005).
3. La Fédération de Russie est parvenue à un moment unique de la très brève histoire de son développement démocratique. L’engagement et la mobilisation de plus de 100 000 citoyens après les élections de décembre 2011, le réveil d’une société civile très engagée et la volonté des autorités d’écouter les appels aux réformes pourraient générer une dynamique de changement.
4. Pour tirer parti de ce potentiel politique sans précédent, la société russe a besoin de réformes concrètes. Diverses lois adoptées depuis le mois de décembre 2011, dont les amendements à la loi sur les partis politiques, les changements apportés à la loi électorale et le rétablissement d’élections au suffrage direct pour les gouverneurs, constituent autant d’initiatives très positives illustrant une volonté de libéraliser le système et de le rendre plus intégrateur. C’est pourquoi l’Assemblée salue l’abaissement du seuil électoral de 7 % à 5 %, la libéralisation des règles d’enregistrement des partis politiques et la réduction du nombre de membres exigé, tout comme la réduction du nombre de signatures nécessaires pour un candidat aux élections présidentielles, qui est passé de 2 millions à 100 000 et l’abrogation de l’obligation de recueillir des signatures pour toutes les autres élections.
5. L’Assemblée salue également la décision du 19 novembre 2009 de la Cour constitutionnelle abolissant de fait la peine de mort. L’Assemblée demande également fermement l’instauration d’une abolition de droit de la peine de mort en Russie et prie instamment les autorités de ratifier sans plus attendre le Protocole no 6 à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 114 et STE no 5).
6. D’autres mesures et décisions prises cette année sont très préoccupantes. C’est notamment le cas de quatre textes que la Douma d’Etat a adoptés en juin et en juillet 2012 – les lois de pénalisation de la diffamation et sur l’internet et les amendements à la loi sur les rassemblements (dite «loi sur les protestations») et à celle sur les organisations non gouvernementales (ONG) (appelée «loi sur les agents étrangers») – qui suscitent l’inquiétude; ils illustrent à quel point la situation politique en Fédération de Russie est pleine de contradictions et amènent à s’interroger sur les véritables intentions des autorités. La peine de deux ans de prison qui a récemment été prononcée à l’encontre de trois membres du groupe Pussy Riot, que la plupart des observateurs ont trouvée manifestement disproportionnée, est venue allonger la liste des préoccupations existantes et l’Assemblée appelle à leur libération immédiate.
7. Dans sa Résolution 1455 (2005), l’Assemblée a reconnu sans réserve le droit des autorités russes à mener des réformes adaptées aux réalités économiques, politiques et administratives. Elle a salué les progrès accomplis dans le respect de divers engagements, comme la ratification de la Charte sociale européenne (révisée) (STE no 163), la mise en place d’un service public de médias, la réforme du mode d’élection des gouverneurs et bien d’autres.
8. Concernant la préoccupation exprimée dans son dernier rapport à propos des réformes engagées par le président Poutine pour renforcer «la verticalité du pouvoir», parce qu’elles menaçaient fondamentalement de multiples manières l’équilibre des pouvoirs indispensable au fonctionnement normal de toute démocratie pluraliste, l’Assemblée prie instamment le Président Poutine nouvellement élu à démocratiser le système au lieu d’accroître son autoritarisme.
9. Depuis l’adoption de la précédente résolution, deux élections législatives, en 2007 et en 2011, ainsi que deux scrutins présidentiels, en 2008 et en 2012, ont eu lieu. Tous ont gravement laissé à désirer tout au long du processus électoral, comme l’ont noté aussi bien les observateurs internationaux que leurs homologues nationaux, qui ont toutefois salué le nombre de citoyens russes qui ont fait usage de leur droit de vote. Depuis le début de la période couverte par le rapport, la même force politique, Russie unie, a détenu la majorité des sièges à la Douma et ses candidats, MM. Medvedev et Poutine, ont remporté une élection présidentielle après l’autre.
10. Jusqu’aux élections législatives de décembre 2011, la période couverte par le rapport a été marquée par un renforcement supplémentaire du pouvoir exécutif et par un recul du pluralisme, malgré les diverses initiatives législatives du Président Medvedev en 2009 et 2010 pour libéraliser le système politique. Malheureusement, les réformes visant à accroître le contrôle du Parlement sur l’exécutif et à renforcer le pluralisme des partis ont eu peu d’effet et n’ont pas significativement contribué à l’amélioration du processus démocratique.
11. D’autre part, les défauts et la mise en œuvre restrictive d’autres lois essentielles pour le fonctionnement des institutions démocratiques et pour l’environnement politique, et notamment de celles sur les partis politiques et sur la liberté de réunion, ont induit une détérioration des conditions nécessaires à un véritable pluralisme politique. La dissolution du Parti républicain en 2007, qui a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour»), le refus d’enregistrer certains partis politiques, tel que Parnas, le refus systématique d’autoriser des manifestations pacifiques et le recours démesuré à la force pour les disperser, l’instauration de restrictions à la liberté des médias, en particulier celle des plus grands et des plus influents, et le harcèlement de l’opposition sont autant de facteurs qui ont nui à l’état de la démocratie en Russie jusqu’à l’automne 2011.
12. En outre, les amendements législatifs aux lois sur la Cour constitutionnelle ont été majoritairement perçus comme un retour en arrière sur le plan démocratique et comme le signe du manque croissant d’indépendance judiciaire en Russie. Par exemple, les condamnations de M. Mikhail Khodorkovski, en décembre 2010, à six années de prison supplémentaires et celle des artistes du groupe punk Pussy Riot en août 2012 ont généralement été considérées comme des preuves que le système judiciaire russe reste soumis à des pressions politiques et à l’influence de l’exécutif.
13. Même si le meurtre d’un seul journaliste est un meurtre de trop dans une société démocratique, l’Assemblée note que le nombre d’incidents de violences à l’encontre de journalistes a diminué en Fédération de Russie au cours de la période couverte par le rapport. Mais de graves violations des droits de l’homme, comme le harcèlement, le passage à tabac ou l’assassinat de citoyens engagés et, en particulier, les meurtres de Mme Anna Politkovskaya et de Mme Natalia Estemirova, restent impunis.
14. Les tortures et les décès en détention sont inadmissibles dans un Etat membre du Conseil de l’Europe quelles que soient les circonstances. C’est pourquoi les affaires de M. Sergei Magnitsky et de Mme Vera Trifonova, ainsi que l’impunité persistante des coupables, sont autant de faits qui ont vivement préoccupé l’Assemblée pendant la période couverte par le rapport. Les responsables de ces meurtres doivent être identifiés et punis, et ces affaires doivent continuer à faire l’objet d’enquêtes et de rapports au cours de la période couverte par le prochain rapport sur la Fédération de Russie.
15. La situation dans le Caucase du Nord, et en particulier en Ingouchie et au Daguestan, avec les graves abus commis par les forces de l’ordre, y compris des meurtres, des enlèvements et de la torture, ainsi que l’impunité générale dont jouissent les auteurs de tels faits dans la région, comme le confirment plus de 150 arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, reste extrêmement inquiétante et inacceptable. L’Assemblée prie instamment les autorités russes à traduire les auteurs de tels faits en justice.
16. A l’inverse, l’Assemblée note avec satisfaction que diverses réformes réalisées dans le domaine judiciaire, comme la mise en place du Comité d’investigation et sa séparation du Bureau du Procureur, l’adoption de la Loi d’indemnisation, la réforme du système pénitentiaire et la diminution considérable du nombre de personnes placées en détention préventive, répondent à des préoccupations que l’Assemblée a exprimées depuis longtemps et à maintes reprises.
17. Les attentats terroristes en Fédération de Russie restent malheureusement un problème majeur. Depuis l’adoption de la Résolution 1431 (2005), le pays a été frappé par un nombre considérable d’attentats meurtriers, notamment dans le métro de Moscou en mars 2010 et dans un des grands aéroports de Moscou, en janvier 2011.
18. S’agissant des conséquences de la guerre entre la Géorgie et la Russie, l’Assemblée réitère ses Résolutions 1633 (2008), 1647 (2008) et 1683 (2009) et rappelle les conclusions du rapport de la Mission d’enquête internationale indépendante sur le conflit en Géorgie mise en place par l’Union européenne et conduite par l’ambassadrice Tagliavini. L’Assemblée réaffirme la décision de la commission de suivi de janvier 2011 sur les modalités selon lesquelles il y a lieu de procéder à l’avenir à ce sujet.
19. Les événements qui ont suivi les dernières élections législatives, en décembre 2011, initiés par des manifestations massives qui ont ensuite poussé les autorités à se déclarer prêtes à réformer le système, offrent ainsi une fenêtre d’opportunité qui est encore ouverte.
20. Malheureusement, ces événements positifs ont récemment été ternis par l’adoption, par la Douma d’Etat, d’une série de lois fédérales restrictives dont les amendements aux lois sur la diffamation et sur l’information, sur les ONG et sur les rassemblements. L’Assemblée considère que ces lois peuvent constituer un retour en arrière du point de vue du développement démocratique et prie instamment les autorités de ne pas en faire une telle application préjudiciable.
21. L’Assemblée attire l’attention sur les récents avis de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) sur cinq lois fédérales, à savoir la loi électorale, la loi sur les rassemblements, la loi sur l’extrémisme, la loi sur le Service fédéral de sécurité (FSB) et la loi sur les partis politiques, qui relèvent une série de carences et appellent les autorités russes à traiter les problèmes qui y sont constatés.
22. L’Assemblée demande à la Fédération de Russie d’utiliser pleinement l’expertise juridique de la Commission de Venise.
23. L’Assemblée est persuadée que les prochains mois seront déterminants pour l’avenir démocratique de la Russie et que les autorités russes doivent confirmer leur engagement en faveur des progrès démocratiques du pays. L’Assemblée appelle donc les autorités russes:
  • Concernant le fonctionnement de la démocratie pluraliste:
    23.1.1. à envisager, en collaboration avec la Commission de Venise, un code électoral consolidé remédiant à toutes les préoccupations identifiées lors des élections de 2011 et de 2012, et notamment celles qui concernent:
    23.1.1.1. les modalités de la procédure de nomination des membres de la Commission électorale centrale et des commissions électorales des niveaux inférieurs, afin de garantir leur indépendance et leur impartialité;
    23.1.1.2. les garanties susceptibles d’empêcher efficacement la convergence entre l’Etat et le parti au pouvoir;
    23.1.1.3. l’égalité d’accès aux médias pour tous les partis politiques pendant les campagnes électorales;
    23.1.1.4. l’observation des élections par des représentants d’ONG et d’associations nationales, en assurant leur participation effective;
    23.1.1.5. une procédure efficace de plaintes et de recours;
    23.1.1.6. les règles de financement des partis pendant les campagnes électorales et l’instauration d’un financement public;
    23.1.2. à remédier aux sujets de préoccupation non encore traités que la Commission de Venise relève dans son avis sur la loi relative aux partis politiques, et notamment concernant l’ampleur du contrôle bureaucratique sur la création et le fonctionnement des partis politiques;
    23.1.3. à réinstaurer un dialogue politique digne de ce nom avec les membres de l’opposition non représentés à la Douma d’Etat, comme cela s’est produit de décembre 2011 à mars 2012;
    23.1.4. à améliorer l’environnement politique afin de permettre aux forces de l’opposition de se présenter en réels adversaires;
    23.1.5. à modifier les récentes lois sur la diffamation, l’information et les rassemblements (dite «loi sur les protestations») afin qu’elles ne puissent pas être détournées pour museler l’opinion publique et supprimer la liberté d’expression ainsi que la participation et la mobilisation des citoyens;
    23.1.6. à s’abstenir d’imposer un contrôle abusif sur les réseaux sociaux et sur l’internet, de pratiquer le filtrage en ligne et de mener des cyberattaques à l’encontre de sites internet de l’opposition;
    23.1.7. à s’abstenir de discréditer quelques-unes des ONG nationales et internationales les plus respectées en les accusant publiquement, de manière infondée, d’obéir aux instructions de l’étranger et de servir des intérêts étrangers;
    23.1.8. à modifier la nouvelle loi sur les ONG (aussi appelée «loi sur les agents étrangers»), afin qu’elle ne puisse pas être utilisée comme un instrument de répression et d’intimidation à l’encontre des ONG et de la société civile;
    23.1.9. à s’abstenir des pressions injustifiées et des intimidations à l’encontre de l’opposition et d’ONG critiques;
    23.1.10. à modifier la législation sur les collectivités locales et régionales pour abolir la disposition qui permet de révoquer les maires;
    23.1.11. à réexaminer les lois sur la répartition des pouvoirs entre les autorités exécutives fédérales, les autorités exécutives des entités de la Fédération de Russie et les collectivités locales;
  • Concernant la prééminence du droit:
    23.2.1. à réexaminer le cadre législatif et administratif, afin d’assurer une meilleure protection des juges contre les influences abusives de l’Etat ou d’intérêts privés, en accordant une attention particulière aux aspects suivants:
    23.2.1.1. les procédures de nomination, de promotion et de révocation des juges;
    23.2.1.2. la sécurité du mandat des juges, notamment pour les juges de paix;
    23.2.1.3. les pouvoirs des présidents de tribunal;
    23.2.2. à s’abstenir de toute influence abusive sur les juges;
    23.2.3. à garantir une bonne mise en œuvre de la loi fédérale sur les avocats, notamment du point de vue de la responsabilité des barreaux concernant la désignation d’un avocat pour les suspects sans ressources;
    23.2.4. à limiter les pouvoirs de contrôle du Bureau du Procureur (Prokuratura) sur les instances exécutives et législatives afin de rendre ce Bureau conforme aux normes européennes pertinentes;
    23.2.5. à s’abstenir de tout recours à la «procédure de contrôle juridictionnel» (nadzor) dans les affaires civiles qui sera abolie dès le 1er janvier 2013, mettant ainsi un terme aux violations du principe de la sécurité juridique résultant de l’annulation de décisions de justice définitives;
    23.2.6. à poursuivre les réformes dans le domaine judiciaire, en stricte conformité avec les normes du Conseil de l’Europe;
    23.2.7. à poursuivre les efforts d’amélioration des conditions de détention provisoire, et notamment dans les centres de détention préventive;
    23.2.8. à publier le rapport le plus récent du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (CPT), tout comme les rapports antérieurs du CPT;
    23.2.9. à envisager les mesures nécessaires à la mise en œuvre des recommandations du Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO) et, en particulier:
    23.2.9.1. à réviser les codes de procédure administrative et pénale de sorte à établir sans ambiguïté que les affaires de corruption doivent être traitées comme des infractions pénales;
    23.2.9.2. à adopter les mesures législatives nécessaires pour établir la responsabilité des personnes morales en matière d’infractions de corruption;
    23.2.9.3. à prévoir des sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives dans ces affaires, conformément aux exigences de la Convention pénale sur la corruption (STE no 173);
    23.2.10. à intensifier les efforts visant à assurer une exécution complète des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme;
  • Concernant les droits de l’homme et les libertés fondamentales:
    23.3.1. à ratifier, sans plus attendre, le Protocole no 6 à la Convention européenne des droits de l’homme;
    23.3.2. à veiller à ce que les faits de violations et de harcèlement à l’encontre de défenseurs des droits de l’homme fassent l’objet d’enquêtes effectives et à ce que leurs auteurs soient poursuivis;
    23.3.3. à mettre en œuvre la Résolution 1738 (2010) de l’Assemblée sur les recours juridiques en cas de violations des droits de l’homme dans la région du Caucase du Nord, et en particulier à traduire en justice les personnes déclarées coupables de violations des droits de l’homme;
    23.3.4. à mener des enquêtes effectives sur toutes les allégations de mauvais traitements et de torture par la police et par les forces de l’ordre et à traduire en justice les auteurs de tels faits et, en particulier, à élucider les circonstances du décès de M. Magnitsky et de Mme Trifonova, ainsi que celles se rapportant au cas de M. Vasily Alexanyan qui était placé en détention provisoire pendant plus de deux ans, qui s’était vu refuser un traitement médical approprié, et qui est décédé environ deux ans après que les autorités russes l’ont relâché à la suite de l’intervention de la Cour européenne des droits de l’homme;
    23.3.5. à s’abstenir d’un recours à la force contre les manifestants pacifiques;
    23.3.6. à réexaminer les politiques d’autorisation des manifestations et de poursuites à l’encontre des organisateurs, et à s’abstenir d’une application restrictive ou abusive de la loi sur les rassemblements;
    23.3.7. à réexaminer, dans le respect des procédures prévues par le droit russe et des normes démocratiques telles qu’elles sont exposées dans la Convention et dans la jurisprudence de la Cour, la récente décision de justice rendue à l’encontre de trois membres du groupe Pussy Riot;
    23.3.8. à ratifier sans plus attendre la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE no 148);
    23.3.9. à réviser la loi sur le service militaire de substitution, afin de la rendre conforme aux pratiques européennes;
    23.3.10. à s’abstenir d’appliquer la loi sur les activités extrémistes à l’encontre de communautés religieuses comme les Témoins de Jéhovah;
  • Concernant les autres engagements non encore tenus:
    23.4.1. à mettre en œuvre les Résolutions 1633 (2008), 1647 (2008) et 1683 (2009) sur les conséquences de la guerre entre la Géorgie et la Russie;
    23.4.2. à achever le retrait des forces militaires russes et de leur matériel du territoire de la République de Moldova sans plus attendre;
    23.4.3. à poursuivre les efforts pour régler les différends qui subsistent en rapport avec la restitution des biens culturels et autres par une négociation directe avec les pays concernés.
24. L’Assemblée est encouragée par la volonté renouvelée des autorités russes de continuer à se conformer à leurs engagements. Les déclarations devront toutefois être suivies par des actes. De ce point de vue, l’Assemblée espère qu’elles persisteront sur la voie de la démocratisation en s’abstenant de toute mesure susceptible d’entraver les progrès démocratiques.
25. Dans ce contexte, l’Assemblée décide de maintenir son suivi du respect des obligations et engagements acceptés par la Fédération de Russie jusqu’à ce qu’elle reçoive des preuves de progrès substantiels dans les domaines abordés dans la présente résolution et dans celles mentionnées plus haut.

B. Exposé des motifs, par M. Frunda et M. Gross, corapporteurs

(open)

1. Introduction

1. La Fédération de Russie est devenue membre du Conseil de l’Europe le 28 février 1996. Au moment de son adhésion, elle a contracté une série d’engagements spécifiques, énoncés dans l’Avis 193 (1996) de l’Assemblée parlementaire, qui, en plus des obligations statutaires, constituent la base de la procédure de suivi, conformément à la Résolution 1115 (1997) telle que modifiée par la Résolution 1431 (2005) et par la Résolution 1515 (2006).
2. A ce jour, la commission de suivi a présenté trois rapports sur le respect des obligations et engagements de la Fédération de Russie: un rapport d’information en 1998 
			(2) 
			Voir le Doc. 8127 (corapporteurs: M. Rudolf Bindig, Allemagne, SOC, et
M. Ernst Mühlemann, Suisse, ADLE)., suivi de rapports complets en 2002 et en 2005 
			(3) 
			Doc. 9396 et Doc. 10568 (corapporteurs: M. David Atkinson, Royaume-Uni, GDE,
et M. Rudolf Bindig, Allemagne, SOC).. Le présent rapport porte donc sur une période de sept ans.
3. Dans l’intervalle, depuis le dernier débat tenu à l’Assemblée en 2005, la commission a examiné cinq notes d’information établies par les corapporteurs et autorisé la diffusion de trois d’entre elles 
			(4) 
			Note d’information
des corapporteurs sur leur visite d’information à Moscou (30 novembre
2006): AS/Mon (2006) 40 rev; note d’information des corapporteurs
sur leur visite d’information (20-23 avril 2008), examinée le 26
juin 2008: AS/Mon (2008) 21; note d’information des corapporteurs
sur l’état d’avancement de la procédure de suivi relative à la Russie, déclassifiée
le 30 mars 2009: AS/Mon (2009) 09 rev; note d’information des corapporteurs
sur leurs visites (22-24 mars 2010 et 5-8 juillet 2010), déclassifiée
le 9 septembre 2010: AS/Mon (2010) 28 rev; note d’information des
corapporteurs sur leur visite (18-21 janvier 2011), déclassifiée
le 11 avril 2011: AS/Mon (2011) 09 rev.. Les corapporteurs respectifs ont effectué pas moins de 11 visites d’information.
4. L’exigence de faire rapport au moins une fois tous les deux ans sur un pays suivi n’a pas été satisfaite dans le cas de la Fédération de Russie pour plusieurs raisons. La taille et la complexité de la structure administrative du pays justifient en partie la durée prolongée nécessaire à l’établissement d’un rapport 
			(5) 
			La Fédération de Russie
se compose de 83 «sujets» (entités constitutives), à savoir 21 républiques,
46 oblasts (régions), 9 krais (territoires), 1 oblast autonome, 4 okrugs autonomes (districts) et
2 villes fédérales. Les républiques, qui possèdent leurs propres
Constitution et législation, reposent sur une base ethnique et ont
le droit de décider de leur langue officielle. Elles sont représentées
par le gouvernement fédéral dans les affaires internationales. Les
oblasts sont dirigés par des gouverneurs et par des assemblées législatives
élues à l’échelon local. Ils portent généralement le nom de leur
centre administratif. Le seul oblast autonome
est l’Oblast autonome juif.
Les okrugs autonomes sont
des entités administratives de plus petite taille constituées sur
une base ethnique. Les deux villes fédérales que sont Moscou et Saint-Pétersbourg
ont un mode de fonctionnement similaire à celui de régions à part
entière. La Constitution définit ce qui relève de la compétence
exclusive de la Fédération, de la compétence partagée entre la Fédération
et ses «sujets» et de la compétence propre des «sujets».. Les élections législatives à la Douma d’Etat en 2007 et 2011, ainsi que les élections présidentielles de 2008 et 2012, n’ont fait que retarder davantage l’établissement d’un rapport. La guerre entre la Géorgie et la Russie en 2008 et ses conséquences ont relégué à l’arrière-plan la procédure de suivi des deux pays. La commission de suivi a évoqué le conflit dans un dossier distinct (voir ci-après). Dernier point, mais non le moindre, la rotation relativement fréquente des corapporteurs sur la Fédération de Russie a également contribué à la prolongation de la procédure de suivi.
5. Il convient de noter cependant que l’absence d’un rapport de suivi complet a été compensée en partie par l’établissement de rapports connexes sur les divers aspects du respect de ses obligations et engagements par la Fédération de Russie. En particulier, la situation des droits de l’homme en République tchétchène a été traitée en profondeur dans le rapport présenté par la commission des questions juridiques et des droits de l’homme 
			(6) 
			Voir le Doc. 12276, la Résolution
1738 (2010) et la Recommandation
1922 (2010).. Un certain nombre de préoccupations majeures en matière de droits de l’homme ont également fait l’objet de rapports distincts 
			(7) 
			Voir,
par exemple, un rapport sur les circonstances entourant l’arrestation
et l’inculpation de hauts dirigeants de Ioukos (Doc. 10368)..
6. S’agissant de la guerre entre la Géorgie et la Russie, une série de rapports a été présentée à l’Assemblée 
			(8) 
			Voir les Doc. 11800, Doc. 11876 et Doc. 12010; et les Résolution
1633 (2008) et Résolution
1647 (2009). et, dès le début, la question a été suivie de près à la commission de suivi dans un dossier traité séparément par des corapporteurs nommés spécialement à cette fin. De plus, en référence à la question de la guerre, l’Assemblée a tenu plusieurs débats sur le réexamen des pouvoirs déjà ratifiés de la délégation russe pour des raisons substantielles 
			(9) 
			Voir les Doc. 11726 et Doc. 12045..
7. Le 27 janvier 2011, la commission de suivi a décidé que les conséquences de la guerre, ainsi que la mise en œuvre des recommandations de l’Assemblée et les demandes concernant la Géorgie et la Russie dans les résolutions pertinentes sur le sujet, seraient suivies par les corapporteurs respectifs pour la Géorgie et la Russie dans le cadre des procédures de suivi en cours pour les deux pays. Sous la responsabilité et la coordination du président de la commission de suivi, les corapporteurs sont tenus de présenter chaque année à la commission une note d’information conjointe dans laquelle ils décrivent brièvement l’évolution du conflit et rendent compte de la mise en œuvre des demandes de l’Assemblée, comme cela est indiqué dans les résolutions concernées. Lors d’une séance spéciale, la commission étudiera les notes d’information et sera informée des éléments nouveaux d’autres enceintes internationales. Elle aura connaissance également des activités éventuelles de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées liées à la situation humanitaire. En conséquence, le présent rapport ne traite pas du conflit.
8. Les élections législatives de 2007 et de 2011, de même que les élections présidentielles de 2008 et de 2012, ont été observées par les commissions ad hoc du Bureau de l’Assemblée. Les rapports respectifs (à l’exception de l’élection présidentielle de 2012 qui, à l’époque de la rédaction, n’avait pas encore eu lieu) ont été présentés à l’Assemblée 
			(10) 
			Voir
les Doc. 11473 et Doc. 11536..
9. Nous avons été nommés en qualité de corapporteurs de la commission de suivi en janvier 2010 pour remplacer M. Luc van den Brande (Belgique, PPE/DC) et M. Theodoros Pangalos (Grèce, SOC), qui avaient quitté l’Assemblée. Nous avons effectué une visite à Moscou en mars 2010, à Moscou et Mourmansk en juillet 2010, à Moscou et Kazan en janvier 2011, à Moscou en juillet 2011, puis une nouvelle fois à Moscou et à Nijni Novgorod en juillet 2012. A l’issue de chacune de ces visites, nous avons transmis à la commission de suivi les notes d’information citées au paragraphe 3. Nous étions membres de la commission ad hoc pour l’observation des élections législatives en 2011 et de l’élection présidentielle en 2012, et avons pris part aux missions postélectorales à Moscou en janvier et en mars 2012.
10. Depuis notre première visite, nous avons structuré notre dialogue avec les autorités russes afin de nous entendre sur les priorités en matière de respect des obligations et engagements, comme cela est indiqué dans l’Avis 193 (1996) et dans d’autres résolutions pertinentes adoptées par l’Assemblée depuis lors. Nous avions pour objectif de dresser une liste des préoccupations majeures organisée sous la forme d’une feuille de route et de parvenir à un consensus sur les mesures que les autorités russes s’engageront à prendre, dans des délais convenus d’un commun accord, pour remédier à la situation.
11. Dans l’intervalle, l’évolution de la situation en Russie à la suite des élections législatives de décembre 2011 a changé la donne politique. Une société civile largement engagée a commencé à se manifester, à la grande surprise des Russes eux-mêmes. Nous sommes convaincus que ces événements offrent une opportunité essentielle pour l’avenir du processus de démocratisation du pays. La réaction d’une grande partie du peuple russe aux préoccupations soulevées par les observateurs des élections a montré clairement la nécessité et l’attente généralisées de réformes et de progrès démocratiques, à charge pour les autorités de prendre des mesures en ce sens. Nul doute que des changements s’imposent.
12. Le 26 janvier, pendant la première partie de session de 2012, l’Assemblée a tenu un débat d’actualité sur «la Fédération de Russie entre deux élections». De nombreux intervenants ont exprimé leurs inquiétudes face à la situation de la démocratie dans le pays. Ils ont rappelé les principes du Conseil de l’Europe pour des élections démocratiques et recommandé vivement aux autorités russes de se conformer aux obligations statutaires et aux engagements qu’elle a contractés au moment de son adhésion à l’Organisation.
13. Nous sommes pleinement conscients des risques inhérents à l’élaboration d’un rapport sur un pays qui est à la fois aussi vaste et divers et soumis à des changements aussi profonds. Nous ne pouvons exclure la possibilité que notre évaluation, qui se fonde sur les faits présents, devienne totalement inadéquate si la situation venait à prendre un tour inattendu. Les possibilités structurelles qu’offre l’ouverture actuelle du système – manifestations massives, d’une part, et disposition affichée des autorités à mener des réformes, d’autre part – peuvent soit contribuer à améliorer la démocratie en Russie, soit donner lieu à un système plus restrictif, voire répressif. A ce moment précis il est extrêmement difficile, voire impossible, de prévoir dans quelle direction évoluera le système.
14. En effet, les signaux récemment envoyés par les autorités russes semblent contradictoires. D’une part, diverses lois adoptées depuis le mois de décembre, dont les amendements à la loi sur les partis politiques, les changements apportés à la loi électorale ou le rétablissement d’élections au suffrage direct pour les gouverneurs, constituent autant d’initiatives très positives illustrant la volonté de libéraliser le système et de le rendre plus intégrateur. D’autre part, quatre lois que la Douma d’Etat a adoptées juste avant l’été, à savoir la loi de pénalisation de la diffamation, la loi sur l’internet, les amendements à la loi sur les rassemblements (dite «loi sur les protestations») et à celle sur les organisations non gouvernementales (ONG) (appelée «loi sur les agents étrangers») suscitent inévitablement l’inquiétude. Nous devons reconnaître que nous ne savons pas vraiment quelles conclusions tirer sur les intentions des autorités, et nous nous demandons qui peut réellement répondre à cette question.
15. En dépit de ces incertitudes, nous avons décidé de ne pas reporter davantage la présentation d’un rapport sur la Russie. Le dernier rapport sur ce pays a été débattu à l’Assemblée il y a longtemps déjà et nous avons le sentiment que rien ne saurait justifier un nouveau retard. Mais, plus important encore, nous sommes convaincus que le Conseil de l’Europe peut apporter à la Russie une aide décisive pour relever les défis auxquels elle est confrontée. L’Assemblée ne devrait pas rester silencieuse. Au contraire, il importe qu’elle fasse entendre sa position, qu’elle se lance dans une analyse honnête et juste de la situation et qu’elle soutienne activement tous ceux qui œuvrent dans le pays pour l’assurance d’un futur à la fois démocratique et européen. Le présent rapport, espérons-le, apportera sa pierre à l’édifice de la démocratie en Russie.
16. La commission de suivi a examiné et approuvé un avant-projet de rapport le 13 mars 2012. Conformément à la procédure de suivi, il a été communiqué aux autorités russes pour commentaires. Le présent rapport a été actualisé et révisé en tenant compte des faits les plus récents et des observations que la délégation russe a formulées sur l’avant-projet. Nous avons également intégré les conclusions des expertises juridiques de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) sur cinq lois fédérales 
			(11) 
			La commission a demandé
des avis sur les lois fédérales suivantes: sur l’élection des députés
à la Douma d’Etat; sur les partis politiques; sur la lutte contre
les activités extrémistes; sur le Service fédéral de sécurité (FSB)
et sur les rassemblements, réunions, manifestations, marches et
piquets de grève., transmises par la Commission de suivi pour avis, qui nous sont seulement parvenues après l’examen en commission de projet de rapport préliminaire.
17. Dans l’élaboration du présent rapport, nous avons également utilisé les constats et les conclusions des institutions et mécanismes de suivi pertinents mis en place dans le cadre des conventions du Conseil de l’Europe dont la Fédération de Russie est une partie contractante. Les travaux des organes suivants ont été pris en compte: la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour»), le Comité des Ministres dans le cadre de sa fonction de contrôle de l’exécution des arrêts de la Cour, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, le Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO), le Comité d’experts sur l’évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (MONEYVAL), le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), le Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales et la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI).
18. Nos missions nous ont permis de rencontrer de très nombreux interlocuteurs y compris, d’une part, les plus hauts représentants des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire aux niveaux fédéral et régional et, d’autre part, des représentants des organisations nationales et internationales de la société civile et des dirigeants de l’opposition extraparlementaire. Nous avons profité de toutes les occasions d’écouter ces derniers, y compris pendant les sessions de l’Assemblée parlementaire à Strasbourg. La commission de suivi a également organisé une audition à laquelle elle a invité des représentants des principales forces politiques non représentées à la Douma, ainsi que le maire de Yaroslav, qui a remporté les élections contre un candidat du parti au pouvoir.
19. Il nous semble utile de clarifier le fait que, selon nous, le mandat des corapporteurs de la commission de suivi couvre à la fois les engagements et les obligations du pays sous notre responsabilité, conformément au paragraphe 5 du mandat de la commission de suivi, énoncé dans la Résolution 1115 (1997) sur la création d’une commission de l’Assemblée pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l’Europe (commission de suivi) et modifié par la Résolution 1431 (2005).
20. Le tableau annexé au présent rapport résume la situation de la Fédération de Russie quant au respect des engagements qu’elle a contractés au moment de son adhésion.

2. Situation politique

2.1. Evolution de la situation politique depuis 2005

21. La période visée a été marquée par deux élections législatives à la Douma d’Etat et par deux élections présidentielles. Les premières élections législatives, en décembre 2007, ont permis au parti au pouvoir, Russie Unie, d’asseoir une majorité confortable en obtenant 315 des 450 sièges. Deux autres partis, qui soutiennent habituellement les politiques gouvernementales, Russie Juste et le Parti libéral-démocrate, ont remporté respectivement 38 et 40 sièges. Le Parti communiste d’opposition a obtenu 57 sièges. Les élections législatives suivantes, qui ont eu lieu le 4 décembre 2011 ont déclenché, à la surprise générale, l’engagement de la société civile et le processus politique dont nous sommes aujourd’hui les témoins. Le chapitre suivant portera sur ces élections et sur les faits connexes.
22. La première des deux élections présidentielles a eu lieu en mars 2008. Le vainqueur, Dimitri Medvedev, qui a recueilli près de 70 % des suffrages, bénéficiait du soutien de Russie Unie et du président sortant, Vladimir Poutine, non éligible dans la mesure où la Constitution russe interdit l’exercice de plus de deux mandats présidentiels consécutifs. En sa qualité de candidat, M. Medvedev avait fait part de son intention, en cas de victoire, de nommer M. Poutine au poste de Premier ministre, ce qu’il fit le 8 mai 2008. Le scrutin présidentiel suivant s’est tenu le 4 mars 2012. Il a été remporté par M. Poutine avec 63,6 % des suffrages exprimés. Le 15 mai 2012, M. Medvedev a été nommé Premier ministre, comme cela avait été annoncé avant les élections.
23. La période considérée dans le présent rapport a été caractérisée par un renforcement accru du pouvoir exécutif, processus déjà entamé au début des années 2000. Elle a été marquée par les changements législatifs introduits en 2004 au terme desquels l’élection directe des gouverneurs avait été remplacée par des nominations présidentielles avec le consentement des assemblées régionales.
24. A l’occasion du train de mesures adopté durant les deux mandats présidentiels, entre 2000 et 2008, la propriété ou le contrôle gouvernemental des principaux médias a été mis en place 
			(12) 
			Par exemple, en 2006,
le gouvernement a contraint la plupart des stations de radio russes
à arrêter les retransmissions d’émissions de Voice
of America et Radio Liberty,
financées par les Etats-Unis. Pour plus d’informations sur le sujet,
se reporter au chapitre sur la liberté des médias.. L’introduction des amendements législatifs et la mise en œuvre plus restrictive des lois existantes ont favorisé la création d’un environnement hostile aux activités des journalistes indépendants, des défenseurs des droits de l’homme et des militants des ONG. Les actes de harcèlement, et même de violence physique, y compris les assassinats de personnes critiques à l’égard du gouvernement et du président, assortis d’un climat d’impunité, ont largement contribué à restreindre le pluralisme politique. Cette tendance a été accentuée par les restrictions imposées aux activités de l’opposition politique, y compris le refus d’enregistrement de nouveaux partis, les limitations posées à la liberté de réunion, d’expression, etc. Nous procéderons à une analyse plus détaillée de ces questions dans les prochains chapitres du présent rapport.
25. Le changement de présidence intervenu en 2008 a suscité certains espoirs fondés sur l’appel lancé par le président nouvellement élu en faveur d’une modernisation et d’une réforme des institutions économiques et politiques inefficaces du pays. Au début de son mandat, le Président Medvedev a défini quatre axes prioritaires, les quatre «i»: innovation, institutions, investissements et infrastructures 
			(13) 
			Voir également l’article
du Président Medvedev «Go Russia» sur le site internet de la présidence..
26. Fin 2008, le Président Medvedev a proposé un certain nombre de changements politiques entérinés par la suite. Il s’agissait notamment de modifications constitutionnelles étendant le mandat présidentiel à six ans et portant à cinq ans celui des députés de la Douma d’Etat.
27. Par ailleurs, en vue d’accroître le contrôle législatif de l’exécutif, il a proposé d’imposer au gouvernement la soumission de rapports annuels à la Douma d’Etat. Il a également annoncé l’introduction d’une nouvelle loi autorisant les autorités régionales à révoquer les maires.
28. Dans un même temps, le Président Medvedev a présenté un train de mesures visant à renforcer le pluralisme des partis et conférant en particulier davantage de droits aux petites formations grâce notamment à une réduction du nombre de signatures requises pour qu’un parti puisse se porter candidat à des élections, à une diminution du nombre de membres nécessaires pour l’enregistrement d’un parti et à l’abolition du versement d’une caution en lieu et place des signatures indispensables pour participer aux élections.
29. Montrant une nouvelle fois la volonté du Président Medvedev d’accroître le pluralisme politique, l’Assemblée fédérale a approuvé en avril 2009 sa proposition d’attribuer un ou deux sièges aux partis politiques recueillant entre 5 % et 7 % des voix lors des prochaines élections à la Douma 
			(14) 
			La
loi précédente prévoyait un seuil de 7 % sous lequel aucun siège
n’était attribué.. Ces différents changements seront examinés en détail dans le chapitre consacré au pluralisme politique.
30. En mai 2009, le Président Medvedev a soumis des propositions portant modification à la loi sur la Cour constitutionnelle et à celle relative à la période probatoire en cas de nominations judiciaires. Ces amendements ont été approuvés, mais les changements apportés à la sélection du président de la Cour constitutionnelle ont été majoritairement perçus comme un retour en arrière sur le plan démocratique et ouvertement critiqués par deux juges constitutionnels qui voyaient là le signe du manque d’indépendance judiciaire de plus en plus flagrant en Russie 
			(15) 
			Un des
deux juges a été contraint de démissionner et l’autre s’est vu retirer
certaines de ses fonctions. Dans leurs observations sur l’avant-projet
de rapport, les autorités russes ont qualifié cette déclaration
d’infondée. Pour plus d’informations, voir le chapitre sur le système
judiciaire..
31. En août 2009, le Président Medvedev a appelé à une nouvelle limitation des procès avec jury (il avait déjà, fin 2008, signé une loi restreignant les procès avec jury aux affaires de terrorisme ou d’extrémisme) qui impliquent des «communautés criminelles». Certains experts judiciaires et défenseurs des droits civils ont critiqué cette proposition, estimant qu’il s’agissait d’une tentative de restriction des acquittements par les jurys.
32. Nous examinerons tous ces changements ainsi que d’autres apportés aux lois judiciaires dans le chapitre sur le système judiciaire.
33. L’incapacité à punir les responsables du décès de M. Magnitski en prison ainsi que la condamnation de M. Mikhail Khodorkovski en décembre 2010 à six années de prison supplémentaires ont été considérées par beaucoup comme la preuve des pressions politiques et de l’influence du pouvoir exécutif auxquelles le système judiciaire russe reste soumis. Nous reviendrons sur ces questions dans le chapitre sur le sujet.
34. La situation dans la région du Caucase du Nord, et notamment en République tchétchène, en Ingouchie et au Daghestan, demeure particulièrement préoccupante des points de vue de la protection des droits de l’homme, du fonctionnement des institutions démocratiques et du respect de l’Etat de droit.
35. Le foyer de l’insurrection a glissé vers l’Ingouchie et, plus particulièrement vers le Daghestan; pour autant, la situation en Tchétchénie n’est pas retournée à la normale. Même si le mouvement rebelle tchétchène connaît un sérieux déclin, il parvient encore à lancer des attaques terroristes isolées (voir plus bas). En dépit de progrès indéniables dans le domaine de la reconstruction, le climat de peur qui prévaut, la situation des droits de l’homme et le fonctionnement de la justice et des institutions démocratiques continuent de susciter de très vives inquiétudes. En particulier, les disparitions d’opposants au régime et de défenseurs des droits de l’homme restent largement impunies. Le véritable respect des droits de l’homme, de l’Etat de droit ainsi qu’une démocratie opérationnelle sont autant de conditions indispensables pour vaincre le terrorisme et prévenir la violence sous toutes ses formes.
36. En Ingouchie et au Daghestan, l’inquiétante résurgence de la violence depuis 2009 est allée de pair avec un climat d’impunité dans lequel les assassinats et les disparitions d’opposants et de journalistes indépendants ne sont ni élucidés ni poursuivis en justice.
37. Dans plus de 150 arrêts, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Fédération de Russie pour de graves violations des droits de l’homme commises dans la région. Le rapport sur les recours juridiques en cas de violations des droits de l’homme dans la région du Caucase du Nord (Doc. 12276), présenté en juin 2010 par M. Dick Marty au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, contient des informations plus détaillées sur le sujet.
38. Le terrorisme reste malheureusement un problème majeur en Fédération de Russie. Depuis le dernier rapport de 2005, le pays a été frappé par de nombreux et terribles attentats qui ont fait de nombreuses victimes.
39. Au nombre des attentats perpétrés contre des civils en Fédération de Russie citons l’explosion d’une bombe dans un marché de la banlieue moscovite, en août 2006, qui a fait 10 morts. Le déraillement du Nevsky Express causé par l’explosion d’une bombe entre Moscou et Saint-Pétersbourg, en août 2007, a fait 60 blessés. Deux ans plus tard, en novembre 2009, un attentat à la bombe a provoqué la mort de 26 personnes et en a blessé une centaine d’autres sur la même ligne ferroviaire. En août 2007, l’explosion d’une bombe placée dans un bus de la ville de Togliatti, dans le centre du pays, a fait 8 morts et 50 blessés. En mars 2010, deux explosions ont eu lieu aux heures de pointe dans des stations du métro moscovite, tuant 34 personnes et en blessant 18 autres. Un attentat suicide à l’aéroport Domodedovo de Moscou, en janvier 2010, a fait 36 morts et plus d’une centaine de blessés.
40. On compte encore plus d’attaques contre des cibles militaires. En octobre 2005, des postes clés de sécurité ont été attaqués à Naltchik, ville principale de la région du Kabardino-Balkarie: 12 civils et 12 agents de police ont été tués. En février 2006, 7 policiers ont été tués dans un village de la région de Stavropol, au sud de la Russie. En avril 2007, un hélicoptère russe a été abattu en Tchétchénie et 18 personnes à son bord ont péri. En août 2009, le camion d’un kamikaze a enfoncé les portes du poste de police principal de Nazran (plus grande ville ingouche), faisant 20 morts et 138 blessés. En janvier 2010, 7 agents de police ont été tués et 20 autres blessés par une voiture piégée bourrée d’explosifs dans un dépôt de la police de la route au Daghestan.
41. En juin 2009, le président ingouche Iounous-bek Evkourov a été gravement blessé lors d’un attentat suicide à l’explosif contre sa voiture.
42. Selon le général Evgueni Potapov, chef adjoint du personnel de la commission nationale antiterroriste, le nombre global de crimes à caractère terroriste est en baisse. Seulement 779 crimes de ce type ont été enregistrés en 2010, contre 1 030 en 2009. Un total de 410 personnes (119 civils, 268 militaires et agents des forces de l’ordre, 13 fonctionnaires et 10 personnalités) ont perdu la vie dans 21 attaques terroristes et 14 attentats suicide à la bombe. Selon M. Potapov, 60 activistes se sont rendus à la police et 93 actes terroristes ont été déjoués en conséquence de mesures préventives. Les forces de police et l’armée ont trouvé et détruit 433 bases d’activistes et caches d’armes, et saisi 454 bombes artisanales, 1 263 armes à feu et plus de 2,5 tonnes d’explosifs 
			(16) 
			Rossiiskaya
Gazeta, 10 mars 2011..
43. L’énumération ci-dessus des actes de terrorisme sur le territoire de la Fédération de Russie n’est pas exhaustive, mais illustre bien l’ampleur de la menace que doivent affronter les autorités du pays. Cette situation explique aussi en partie le soutien exprimé par une population russe traumatisée en faveur des mesures restrictives du gouvernement, même si elles entraînent en contrepartie des limitations des droits et des libertés.
44. La guerre entre la Géorgie et la Russie a éclaté en août 2008. Comme nous l’avons vu, l’Assemblée a suivi de près, dès le départ, l’évolution de la situation dans le cadre d’une procédure distincte. Il a été spécialement convenu que le présent rapport, tout comme le rapport sur la Géorgie, ne traiterait pas d’une manière détaillée de la guerre et de ses conséquences. Ces questions font l’objet d’un rapport distinct, établi en coopération avec nos collègues qui sont corapporteurs sur la Géorgie.

2.2. Evolution de la situation depuis les élections législatives de décembre 2011

45. En septembre 2011, lors du Congrès de Russie Unie, M. Poutine a annoncé sa candidature à la présidentielle et déclaré qu’en cas de victoire il nommerait M. Medvedev au poste de Premier ministre, celui-ci n’étant pas en lice pour le scrutin. L’annonce de la permutation du pouvoir a été ressentie comme une humiliation pour beaucoup de Russes, ce qui expliquerait en partie leur participation massive aux manifestations.
46. Les élections législatives à la Douma d’Etat se sont déroulées le 4 décembre 2011. Dans leurs conclusions préliminaires conjointes, publiées le 5 décembre 2011 
			(17) 
			Ces
conclusions préliminaires ont été confirmées par la suite dans le
rapport final du Bureau des institutions démocratiques et des droits
de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe (OSCE/BIDDH) du 12 janvier 2012 et dans le rapport de
la commission ad hoc présenté à l’Assemblée le 23 janvier 2012., les membres de la mission internationale d’observation des élections (MIOE), comprenant des représentants de l’Assemblée parlementaire, ont souligné un certain nombre de dysfonctionnements dans le processus électoral qui, selon eux, «ne réunissait pas les conditions nécessaires pour une compétition juste».
47. A la suite de la publication des conclusions préliminaires, plusieurs dirigeants politiques européens, dont Catherine Ashton, Haute représentante de l’Union européenne, David Lidington, ministre d’Etat britannique aux Affaires européennes, et Guido Westerwelle, ministre allemand des Affaires étrangères, se sont dits préoccupés et ont appelé les autorités russes à enquêter sur les cas présumés de fraudes électorales.
48. Dans le discours qu’elle a prononcé à Vilnius devant les ministres des Affaires étrangères des Etats membres de l’OSCE, la Secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton a déclaré que «les électeurs russes méritent qu’une enquête exhaustive soit menée sur tous les signalements crédibles de fraudes et de manipulations électorales et nous espérons en particulier que les autorités russes prendront des mesures en ce sens».
49. Les sondages effectués à la sortie des bureaux de vote et les résultats préliminaires proclamés le lendemain des élections ont montré que le parti au pouvoir, Russie Unie, avait bénéficié d’un soutien bien inférieur à celui enregistré lors des précédentes élections législatives de 2007 (passant de 64 % à environ 49 %) mais qu’il demeure le parti le plus important, conservant la majorité des sièges à la Douma d’Etat. Sur les sept partis politiques en lice, seuls quatre représentés à la Douma sortante ont atteint le seuil requis de 7 % et obtenu ainsi des sièges. Outre le parti Russie Unie susmentionné, il s’agissait: du Parti communiste de la Fédération de Russie, du Parti libéral-démocrate de Russie et de Russie Juste. Les trois autres partis qui se sont présentés aux élections sans toutefois franchir le seuil de 7 % des voix étaient le Parti démocrate uni russe «Iabloko», les Patriotes de Russie et Juste Cause.
50. Immédiatement après les élections, les allégations de fraude en faveur du parti au pouvoir alimentées par des vidéos prises à partir de téléphones portables et par les membres de réseaux sociaux sur internet ont donné lieu à des manifestations spontanées anti-gouvernementales dans les rues de Moscou, de Saint-Pétersbourg et, dans une moindre mesure, dans l’ensemble du pays. Les manifestants appelaient à l’annulation des résultats et à la tenue d’un nouveau scrutin.
51. Ces manifestations spontanées des 5 et 6 décembre, réunissant plusieurs milliers de personnes, ont conduit à plus d’un millier d’arrestations, principalement à Moscou. Plusieurs éminentes personnalités de l’opposition ont été placées en détention. Certaines d’entre elles, dont Boris Nemtsov, ont été libérées quelques heures plus tard, tandis que d’autres, à l’instar de son collègue, le blogueur bien connu de l’opposition, Alexeï Navalni, ou d’Ilia Iashin, ont été condamnées à une peine d’emprisonnement de quinze jours pour avoir désobéi aux ordres de la police au cours de la manifestation non autorisée.
52. Le 6 décembre 2011, le Président Medvedev a déclaré que les élections avaient été libres et démocratiques tout en ordonnant dans le même temps l’ouverture d’une enquête sur les présumées violations. Il a déclaré qu’un total de 117 plaintes pour des présumées fraudes électorales avaient été déposées le jour du scrutin 
			(18) 
				RIA Novosti, le 6
décembre 2011.. M. Chourov, chef de la Commission électorale centrale, s’est engagé publiquement à ce que tous les éléments de plainte, notamment les clips vidéo, soient examinés avec soin. Il a ajouté cependant que les plaintes représentaient moins de 1 % des suffrages exprimés, ce qui signifie qu’elles ne peuvent affecter les résultats de façon significative.
53. Le 7 décembre 2011, la Haute représentante de l’Union européenne, Catherine Ashton, a exprimé son inquiétude face au placement en détention de centaines de manifestants et aux rapports faisant état de violence policière exercée à l’encontre de militants, de journalistes et de passants. Elle a rappelé la nécessité de respecter la liberté de réunion et d’expression.
54. Le même jour, Jerzy Buzek, Président du Parlement européen, s’est déclaré préoccupé par les événements survenus au lendemain des élections, à savoir «la détention de dizaines de militants de l’opposition, les manœuvres d’intimidation pratiquées contre l’organisme indépendant de surveillance électorale Golos et les cyberattaques perpétrées contre les principaux sites internet d’information indépendants».
55. Dans notre déclaration du 8 décembre 2011, publiée en qualité de corapporteurs de la commission de suivi pour la Russie, nous avons mentionné que «dans tout Etat démocratique, le droit de manifester pacifiquement est l’un des droits fondamentaux de la population; il relève de la liberté d’expression et de réunion. Rien ne justifie l’arrestation et la détention de centaines de personnes qui se sont simplement rassemblées pour protester dans le calme. Au contraire, elles ont le même droit à être protégées par la police que ceux qui expriment leur soutien au parti vainqueur». Nous avons également appelé les autorités russes à veiller à ce que toutes les personnes détenues soient immédiatement relâchées.
56. Le 10 décembre 2011, la Commission électorale centrale (CEC) a annoncé les résultats définitifs des élections. Le taux de participation s’est élevé à 60,2 %. Russie Unie a remporté 238 des 450 sièges à la Douma d’Etat (49,3 % des suffrages exprimés), le Parti communiste a obtenu 92 sièges (19,19 %), Russie Juste 64 sièges (13,2 %) et le Parti libéral-démocrate, 56 sièges (11,6 %). Russie Unie a de ce fait perdu sa majorité constitutionnelle mais conserve plus de la moitié des sièges. Les partis n’ayant pas obtenu de siège sont respectivement le parti «Iabloko» (3,4 %), les Patriotes de Russie (1 %) et Juste Cause (0,5 %).
57. Plusieurs partis politiques enregistrés, notamment le Parti communiste, Juste Cause et Iabloko, ont contesté les résultats. Le Parti communiste a accusé la CEC de non-respect de la procédure dans le traitement des plaintes relatives aux cas présumés de falsifications et a exprimé sa défiance à l’égard de son président, appelant à sa révocation. Le parti Iabloko a mis en cause les résultats de l’ensemble du district de Moscou et demandé un nouveau décompte des voix.
58. Golos, un organisme russe indépendant de surveillance électorale, a déclaré avoir déposé plainte au sujet de plus de 7 000 cas de falsification durant les élections. En dépit de l’interdiction faite aux groupes nationaux de la société civile d’observer les élections législatives, Golos a déployé près de 2 000 observateurs le jour du scrutin, enregistrés en tant que journalistes.
59. Cette organisation non gouvernementale réputée et respectée, qui œuvre depuis plus d’une décennie, a fait l’objet de campagnes hostiles avant et après les élections. Le 3 décembre 2011, à la suite d’une requête déposée par le président de la CEC, le tribunal a condamné l’organisation à une amende de 30 000 roubles pour violation de la loi interdisant la publication de sondages d’opinion ou d’autres études portant sur les élections durant les cinq derniers jours de campagne. L’accusation était motivée par la publication sur le site web de Golos d’une liste de violations présumées durant la campagne électorale. Le site web a été à plusieurs reprises la cible d’attaques et ses membres, dont le président, ont été victimes de harcèlement. Le 2 décembre 2011, Golos a fait l’objet d’une émission diffusée sur NTV, chaîne contrôlée par l’Etat, visant à discréditer l’organisation.
60. Le 14 décembre 2011, le Parlement européen a adopté une résolution sur les résultats des élections à la Douma du 4 décembre 2011, dans laquelle il se déclare vivement préoccupé par les informations faisant état de fraudes et demande la tenue de nouvelles élections équitables après l’enregistrement de tous les partis d’opposition.
61. En réponse aux critiques internationales à propos des élections, le Premier ministre Poutine a accusé les pays occidentaux d’encourager les manifestations. Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, a fait une déclaration dans laquelle il jugeait inacceptables les commentaires de la Secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton sur les élections législatives russes ainsi que ceux d’autres représentants de la Maison Blanche et du Département d’Etat américain.
62. Dans l’intervalle, l’opposition avait appelé à un grand rassemblement le 11 décembre et soumis une demande d’autorisation qui a été accordée. Des milliers de personnes ont participé à la plus grande manifestation antigouvernementale jamais organisée à Moscou, sur la place Bolotnaya, depuis la chute de l’Union soviétique. Les estimations du nombre de participants allaient de 25 000, selon la police, à 100 000, selon les organisateurs. La plupart des autres sources font état de 50 000 personnes. Les orateurs, applaudis par les manifestants, ont appelé à l’annulation des résultats des élections, à la tenue d’un nouveau scrutin, à la révocation de Vladimir Chourov, chef de la Commission électorale centrale, à l’ouverture d’une enquête sur les présumés bourrages d’urnes ainsi qu’à la libération immédiate des manifestants arrêtés. La manifestation était bien organisée et pacifique.
63. A Saint-Pétersbourg, près de 10 000 personnes se sont rassemblées sur la place Pionerskaya et ont écouté les discours appelant à de nouvelles élections. D’autres manifestations et rassemblements de moindre envergure ont été organisés dans l’ensemble du pays, y compris à Khabarovsk, Vladivostok, Kourgan, Novossibirsk et Iekaterinbourg. Il n’a été procédé à aucune arrestation de manifestants à Moscou, mais le ministère de l’Intérieur a fait état de 130 interpellations lors des rassemblements qui se sont déroulés dans le pays, dont la plupart à Khabarovsk, à l’extrême est de la Sibérie.
64. Une autre grande manifestation autorisée par les autorités a eu lieu le 24 décembre 2011. Elle s’est déroulée de manière pacifique et sans heurts, et n’a semble-t-il donné lieu à aucun placement en détention. A Moscou, elle a réuni environ 80 000 manifestants.
65. Les deux grandes manifestations tenues à Moscou avaient une composition politique très diversifiée: elles ont rassemblé des représentants d’un extrême à l’autre de l’échiquier politique. Selon l’enquête réalisée par le centre indépendant Levada, la majorité écrasante des participants étaient des représentants très instruits de la classe moyenne citadine, beaucoup d’entre eux connectés via des réseaux sociaux sur internet.
66. Les dirigeants politiques du pays ont de toute évidence été surpris par l’ampleur des mouvements de protestation. A compter de la mi-décembre, ils ont toutefois déclaré clairement qu’ils répondraient aux préoccupations restantes exprimées par les protestataires. Le 15 décembre 2011, lors d’une émission télévisée en direct de «questions-réponses», le Premier ministre Poutine a promis une libéralisation du système politique russe s’il était élu lors des prochaines élections présidentielles.
67. Le 22 décembre 2011, dans une déclaration prononcée à l’occasion de la session conjointe de la Douma et du Conseil de la Fédération, le Président Medvedev a fait part de son intention de soumettre au parlement, avant la fin de son mandat, un certain nombre de textes de loi visant à la libéralisation du système politique, s’agissant notamment des partis politiques et de la procédure de nomination des gouverneurs.
68. Les semaines suivantes, le président Medvedev a soumis à la Douma d’Etat des propositions législatives concernant la libéralisation des conditions à respecter pour la formation et les activités des partis politiques, l’exemption pour les partis politiques enregistrés de collecter les signatures des électeurs, excepté pour les élections présidentielles et les élections des gouverneurs. Nous étudierons ces propositions plus en détail dans le chapitre sur la démocratie pluraliste.
69. Nous tenons simplement à faire remarquer à ce stade que la loi sur l’élection directe des gouverneurs, au lieu de leur nomination par le président, répond à une préoccupation de longue date de l’Assemblée parlementaire. Toutefois, la disposition qui prévoit une «consultation» avec le président sur les candidatures potentielles avant leur enregistrement est à la fois problématique et préoccupante. Par ailleurs, nous avons été au regret d’apprendre que, le 17 janvier 2012, même après avoir soumis la proposition de loi à la Douma, le Président Medvedev a limogé les gouverneurs de Volgograd et d’Arkhangelsk, deux régions dans lesquelles Russie Unie avait obtenu un score inférieur à la moyenne du pays lors des dernières élections législatives. La loi a été signée par le Président Poutine le 2 mai 2012.
70. Afin de résoudre certains autres problèmes soulevés par les observateurs et d’améliorer la qualité du processus le jour du scrutin, le Premier ministre a annoncé l’introduction de mesures spécifiques le 4 mars 2012 à l’occasion de l’élection présidentielle, dont l’installation de webcams et l’utilisation d’urnes transparentes.
71. Le 24 décembre 2011, le Conseil présidentiel des droits de l’homme a déclaré avoir perdu confiance en M. Chourov, chef de la CEC, qui a été largement critiqué par les observateurs des élections et par les manifestants pour manque d’impartialité 
			(19) 
			Dans la même déclaration,
le conseil a indiqué qu’il était nécessaire d’assurer l’adoption
rapide d’une nouvelle législation électorale afin d’organiser des
élections législatives anticipées.. Malgré cela, M. Chourov a annoncé qu’il ne démissionnerait pas.
72. Les faits qui ont suivi les élections législatives ont jeté un éclairage nouveau sur l’enregistrement des candidats aux élections présidentielles, considéré quelques mois auparavant par beaucoup comme une simple formalité.
73. Hormis les leaders de deux partis représentés à la Douma, Guennadi Ziouganov (Parti communiste) et Vladimir Jirinovski (Parti libéral-démocrate), qui étaient en lice pour la présidentielle de 2008, sept autres candidats ont soumis les documents nécessaires à leur enregistrement auprès de la Commission électorale centrale. Deux d’entre eux, Edouard Limonov, leader du parti d’extrême gauche, et Boris Mironov, lié au mouvement nationaliste, se sont vu refuser l’enregistrement pour des raisons de forme. L’inscription de ce dernier sur la liste des candidats à la présidentielle a été autorisée sur décision de la Cour suprême, ce qui a été largement perçu comme un cas sans précédent.
74. Parmi ces six candidats, seul Sergueï Mironov, leader de Russie Juste nommé par son parti, a été exempté, en vertu de la législation, de l’obligation de recueillir deux millions de signatures. Les autres candidats, à savoir Mikhaïl Prokhorov, milliardaire fondateur du parti Juste Cause mais qui a quitté ce parti avant les élections législatives, Grigori Iavlinski, fondateur du parti «Iabloko», Edouard Limonov et Dimitri Mezentsev, gouverneur d’Irkoutsk, disposaient de vingt jours pour recueillir des signatures dans au moins une cinquantaine d’entités de la Fédération de Russie.
75. Le 27 janvier 2012, la CEC a annoncé que 25 % des 2 132 000 signatures soumises par M. Iavlinski avaient été jugés irrecevables du fait que ces signatures avaient été apposées sur des copies de formulaires, et non sur des originaux. M. Iavlinski s’est donc vu refuser l’enregistrement définitif. En s’adressant à des journalistes le même jour, il a insisté sur le fait que cette décision avait un fondement politique. Le 10 février 2012, la Cour suprême a confirmé la décision de la CEC. Seule la candidature de M. Prokhorov a été validée.
76. Dans leurs observations sur l’avant-projet de rapport de la commission de suivi de l’Assemblée, les autorités russes ont évoqué la Cour suprême pour justifier le rejet du recours de M. Iavlinski. La Cour a interprété la disposition pertinente de la loi fédérale «sur l’élection du Président de la Fédération de Russie» comme exigeant qu’un électeur signe et date sa signature de sa propre main. Il doit également écrire certaines informations personnelles soit de sa main, soit, à sa demande, avec l’aide de la personne qui collecte les signatures. Tout cela doit se faire sur les formulaires originaux que fournit la Commission électorale centrale. Etant donné que M. Iavlinski a soumis des copies de formulaires de signature, la Cour a décidé qu’ils ne pouvaient être considérés comme signés et datés de la main de l’électeur.
77. Toutefois, étant donné le peu de temps disponible pour la collecte des signatures et l’immensité du territoire du pays, nous maintenons l’avis que cette interprétation est bien trop restrictive et qu’elle est néfaste pour le processus démocratique.
78. Le 4 février 2012, pas moins de 120 000 personnes ont participé à la troisième et plus grande protestation massive depuis les élections législatives pour dénoncer l’illégitimité de la prochaine élection présidentielle due à l’absence de véritable compétition politique.
79. Des manifestations ont eu lieu également à Saint-Pétersbourg le même jour, attirant 5 000 personnes, parallèlement à des rassemblements de moindre envergure dans plusieurs dizaines d’autres villes russes.
80. A Moscou, un rassemblement au soutien du Premier ministre Poutine n’a pas attiré plus de 20 000 personnes, pour la plupart enseignants, employés municipaux, employés d’entreprises publiques ou syndicalistes, venus avec leurs collègues dans des bus mis à disposition par leurs employeurs.
81. Une action de l’opposition baptisée «Le grand cercle blanc» a réuni le long de la «Ceinture des Jardins», à Moscou, plus de 30 000 personnes se tenant par la main pour former un cercle ininterrompu autour du centre-ville.
82. A la suite d’une initiative spontanée de la société civile, une «Ligue de citoyens» consacrée à l’observation de la prochaine élection présidentielle a été créée. Plusieurs milliers de volontaires entendaient observer les activités des commissions électorales le 4 mars 2012.
83. L’élection présidentielle s’est déroulée le 4 mars 2012. Cinq candidats se sont présentés. Les résultats finaux ont été annoncés par la CEC le 7 mars: M. Poutine a gagné dès le premier tour avec 63,6 % des voix. Les autres candidats ont obtenu respectivement: M. Zyuganov: 17,18 %; M. Prokhorov: 7,98 %; M. Zhirinovsky: 6,22 % et M. Mironov: 3,85 %. Un taux de participation de 64 % a été annoncé pour ce scrutin.
84. Dans leur déclaration commune du 5 mars 2012, les membres de la Mission internationale d’observation des élections, qui comprenait des représentants de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, ont souligné que «les conditions étaient clairement faussées en faveur de l’un des candidats, l’actuel Premier ministre Vladimir Poutine». Dans leur rapport sur l’observation de l’élection présidentielle 
			(20) 
			Doc. 12903., les observateurs de l’Assemblée ont conclu que «ces élections ont abouti à la victoire claire d’un candidat, à la majorité absolue, rendant inutile un second tour. Toutefois, le choix des électeurs a été limité, la compétition électorale n’a pas été équitable et l’absence d’un arbitre impartial s’est fait ressentir».
85. Face aux nombreuses accusations de fraude formulées lors des élections à la Douma, des webcams ont été mises en place dans chaque bureau de vote afin de garantir une plus grande transparence. De plus, environ 30 % des bureaux de vote ont utilisé de nouvelles urnes, transparentes et pourvues d’une ouverture plus petite, pour empêcher le bourrage d’urne.
86. Le nombre de personnes qui se sont portées volontaires pour observer l’élection présidentielle a fortement augmenté depuis les élections législatives de décembre, ce qui révèle une forte mobilisation de la société civile. De nombreux observateurs ont été désignés par la Ligue des électeurs, une initiative citoyenne née du mouvement de protestation suscité par les élections à la Douma d’Etat.
87. Comme nous l’avons déjà dit, la loi électorale de la Fédération de Russie n’autorise pas d’observateurs nationaux autres que ceux affiliés aux candidats et aux partis en lice. Pour surmonter cet obstacle, plusieurs ONG ont pris contact avec différents candidats pour faire inscrire leurs membres en tant que représentants. Ainsi, la Ligue des électeurs a conclu des accords de coopération avec les candidats Prokhorov, Mironov et Zyuganov, ainsi qu’avec le parti Iabloko. Dans le cadre de ces accords, une base de données consolidée des rapports et des procès-verbaux des observateurs a été créée pour permettre une comparaison avec les procès-verbaux de la CEC. Pour obtenir des accréditations, les ONG ont aussi fait inscrire leurs observateurs en tant que journalistes.
88. Certaines ONG, dont l’association Golos, affirment avoir subi tout au long de la campagne des pressions de la part des autorités en raison de leurs activités d’observation des élections 
			(21) 
			Rapport sur l’observation
nationale de l’élection présidentielle en Fédération de Russie,
le 4 mars 2012, par l’association Golos disponible sur le site internet
de l’association: <a href='http://www.golos.org/'>www.golos.org</a>.. Le jour du scrutin, de nombreux cas d’obstruction des activités d’observateurs ont été signalés, y compris l’interdiction d’accéder à des bureaux de vote ou leur expulsion de ceux-ci 
			(22) 
			Rapport
final de la mission d’observation des élections de l’OSCE/BIDDH,
Varsovie, 11 mai 2012.. Quelques cas de harcèlement et de violences à l’encontre des observateurs ont également été signalés.
89. Dans son rapport final, la CEC annonce avoir enregistré 178 plaintes le jour des élections et 168 par la suite. Certains candidats à la présidence ont affirmé détenir des preuves de violations dans plusieurs bureaux de vote. Ainsi, M. Prokhorov a déclaré que ses observateurs avaient relevé 170 cas où le procès-verbal signé par la commission électorale était différent des résultats annoncés. Le Parti communiste, le Parti libéral-démocrate et celui de M. Mironov ont également annoncé leur intention de déposer des recours.
90. La période postélectorale a été marquée par plusieurs manifestations autorisées et non autorisées organisées à Moscou et à Saint Pétersbourg, avec une présence policière importante. Le 5 mars, une grande manifestation a été organisée place Pouchkine à Moscou au motif que les élections étaient entachées d’irrégularités massives. M. Prokhorov, qui figurait parmi les orateurs, a annoncé son intention de fonder un nouveau parti politique libéral. Environ 250 contestataires qui s’étaient attardés au-delà de l’heure autorisée pour la manifestation ont été arrêtés par la police. Le même jour, à Saint Pétersbourg, deux cortèges non autorisés ont été organisés, et plusieurs centaines de contestataires ont été arrêtés.
91. Le 10 mars, une manifestation a été organisée sur Novy Arbat, à Moscou, en signe de mécontentement suite aux élections.
92. Le 20 mars, une action a été organisée devant la tour de télévision d’Ostankino pour protester contre les manipulations et les propos diffamatoires diffusés par les chaînes de télévision. Un autre groupe s’est réuni le 17 mars place Pouchkine pour manifester son soutien aux prisonniers politiques.
93. Des violences ont eu lieu dans les rues pendant les quelques jours précédant l’entrée en fonction du Président Poutine, le 7 mai 2012. Le 6 mai, plus de 50 000 contestataires se sont réunis pour une «marche des millions». Cette manifestation était autorisée, mais à la suite de heurts violents avec un petit groupe qui tentait de briser le cordon de police place Bolotnaya, au moins 650 contestataires ont été arrêtés et des dizaines ont été blessés. D’après la police, de 20 à 30 policiers figuraient parmi les blessés. Le 9 mai, un tribunal a condamné deux dirigeants de l’opposition, MM. Navalny et Udaltsov, à quinze jours de prison pour refus d’obéir aux ordres de la police pendant la manifestation du 6 mai.
94. Les heurts et les arrestations se sont poursuivis, mais à une moindre échelle, pendant les jours qui ont suivi tandis que des groupes de contestataires esquivaient la police dans le centre-ville. La police a également pris une mesure sans précédent en interpellant dans les cafés et les restaurants des dizaines de partisans de l’opposition au simple motif qu’ils arboraient un ruban blanc, le symbole du mouvement pour les «élections équitables». Environ 120 personnes ont ainsi été arrêtées d’après RIA Novosti 
			(23) 
			The
Moscow News, 15 mai 2012..
95. Un nouveau type de mouvement, les «marches de protestation», a vu le jour à l’appel de certains dirigeants de l’opposition. Le 13 mai, la première «marche de protestation» a réuni près de 2 000 personnes dans le centre-ville de Moscou, dont des écrivains et des chanteurs connus 
			(24) 
			RIA
Novosti, 13 mai 2012..
96. Parallèlement, le nouveau Président Poutine a annoncé la composition du nouveau cabinet, où continuent de siéger certaines personnalités qui avaient été fortement critiquées par le passé. Ainsi, l’ex-ministre de l’Intérieur, Rashid Nurgaliyev, a été nommé au poste de sous-secrétaire du Conseil de sécurité présidentiel. M. Nurgaliyev a suscité l’indignation massive du public du fait d’allégations de très nombreuses affaires de torture et d’autres abus de la police. Sa nomination a été perçue comme un signe de mépris pour les critiques du public.
97. Le 5 juin 2012, la Douma a adopté, à notre grand regret et malgré les protestations de l’opposition et de la communauté internationale 
			(25) 
			Voir également notre
déclaration du 6 juin 2012 (ref: AP 111(2012)) où nous avons insisté
sur le fait que «cette mesure mettrait en péril la liberté d’expression
et la liberté de réunion. Elle serait symboliquement une occasion
perdue de renforcer le processus démocratique en Fédération de Russie,
puisqu’elle refermerait la fenêtre ouverte au cours des six derniers
mois suite aux manifestations massives de la population russe. La
dynamique de la société devrait servir à mettre en œuvre les réformes,
et non à les supprimer»., une loi augmentant considérablement les amendes encourues pour participer à des protestations non autorisées ou pour les infractions commises lors des manifestations autorisées. Cette loi offre une grande marge d’interprétation et confère davantage de pouvoir aux autorités pour décider du lieu où les manifestations peuvent être organisées et de la forme qu’elles peuvent prendre. La société civile de Russie affirme que cette loi viole les dispositions de la Constitution russe relatives à la liberté de réunion.
98. Nous déplorons tout particulièrement que la Douma ait décidé d’adopter cette loi controversée dans un contexte où la loi sur les rassemblements déjà en place posait déjà problème du point de vue de sa conformité aux normes du Conseil de l’Europe. La commission de suivi de l’Assemblée a demandé à la Commission de Venise de préparer un avis sur cette loi, et ses conclusions publiées en mars 2012 ont confirmé nos craintes. Non seulement la nouvelle loi ne lève pas nos inquiétudes, mais elle en crée de nouvelles. En juin 2012, la commission de suivi a demandé à la Commission de Venise de rendre un avis sur la loi sur les protestations.
99. Le 12 juin 2012, qui est un jour férié en Russie, les autorités ont sanctionné une deuxième «marche des millions» qui a réuni environ 50 000 Russes de tous les âges et de toutes les orientations politiques. Plusieurs dirigeants du mouvement, M. Navalny, M. Yashin et Mme Sobchak, une personnalité de la télévision, n’ont pas pu y participer parce qu’ils avaient été convoqués pour un interrogatoire une heure avant le début de la protestation. Un autre meneur, M. Udaltsov, a refusé la convocation et s’est rendu à la manifestation. Le jour précédant celle-ci a été marqué par des descentes de police et des perquisitions sans mandat au domicile de plusieurs militants connus.
100. La Douma travaille actuellement sur un autre projet de loi qui fait l’objet de vives critiques de la part des ONG nationales et internationales et de la société civile. La nouvelle loi sur les ONG stigmatise les organisations bénéficiant de financements provenant de l’étranger (presque toutes les ONG sur les droits de l’homme sont concernées) en les qualifiant d’«agents étrangers» et leur impose de lourdes exigences bureaucratiques et des inspections. Les personnes chargées d’établir les rapports requis s’exposent, en cas de non-respect, à de lourdes amendes pouvant aller jusqu’à 91 000 USD ou à trois ans de prison. Cette question sera examinée de manière plus détaillée dans le chapitre correspondant.
101. La situation évolue. Nous sommes vivement préoccupés par la direction que prennent les événements. Nous y serons évidemment très attentifs.

3. Situation économique et sociale

102. L’économie de la Russie a connu une croissance soutenue de 2000 à 2008, caractérisée par une hausse moyenne annuelle de son produit intérieur brut (PIB) d’environ 7 %. Cette période marque une rupture avec la période de 1992 à 1998 pendant laquelle le PIB russe avait reculé en moyenne de 6,8 % par an. Ce boom économique a propulsé la Russie du vingtième au septième rang des grandes puissances économiques mondiales. De ce fait, presque toutes les dettes contractées par l’Etat russe sur les marchés étrangers ont été remboursées et le revenu réel par habitant est passé de 5 900 USD en 1998 à 9 600 USD en 2005. Par ailleurs, les investissements ont augmenté en moyenne de 12 % par an pendant cette période 
			(26) 
			Source OCDE: <a href='http://www.cbr.ru/'>www.cbr.ru</a>..
103. La très forte croissance économique, liée au prix élevé du pétrole, a permis à la Russie d’atteindre un niveau de stabilité économique qu’elle n’avait pas connu depuis l’effondrement de l’Union soviétique et a donné lieu à une amélioration importante du niveau de vie de la population. Les salaires réels ont augmenté deux fois plus vite, le pourcentage de la population vivant sous le seuil de pauvreté est passé de 38 % en 1998 à 9,5 % en 2004, et le chômage est tombé en dessous de 7 % 
			(27) 
			Ibid..
104. La croissance du PIB russe a principalement été tirée par les exportations de pétrole, de gaz et d’autres ressources naturelles. La Russie est le numéro deux mondial des producteurs de pétrole et le numéro un des producteurs de gaz naturel. Les prix mondiaux du pétrole ont quintuplé entre 2002 et 2008.
105. Le recul des prix de l’énergie et la crise économique mondiale de 2008-2009 ont contribué à la baisse de 8 % du PIB russe en 2009. Cependant, la hausse des prix du pétrole sur les marchés mondiaux en 2010-2011 a relancé l’économie russe encore une fois.
106. Les secteurs industriels du gaz naturel et du pétrole russes occupent une place importante sur le marché mondial de l’énergie. La Russie possède de loin les plus grandes réserves de gaz naturel de la planète, soit plus de 30 % du total mondial. Elle est classée au huitième rang mondial pour ses réserves de pétrole, qui représentent au moins 10 % du total mondial.
107. Les entreprises présentes dans les secteurs gazier et pétrolier sont soit directement contrôlées par le gouvernement russe, soit soumises à une forte influence de celui-ci. Certains craignent que la dépendance de l’Europe à l’égard de l’énergie russe et le poids croissant de la Russie dans de larges segments de l’infrastructure énergétique européenne posent un problème à long terme. L’Assemblée parlementaire a fait part de ses préoccupations dans le rapport sur «Le danger de l’utilisation de l’approvisionnement énergétique comme instrument de pression politique» 
			(28) 
			Voir le Doc. 11116. Notons que la Russie elle-même considère ses ressources
naturelles comme un instrument politique. Le document «La stratégie
nationale de sécurité à l’horizon 2020», publié en mai 2009, indique
que «le potentiel des ressources russes est un des facteurs qui
ont accru les possibilités de la Fédération de Russie de renforcer
son influence sur la scène internationale»..
108. Les craintes suscitées par la politique énergétique russe portent principalement sur la fourniture de gaz naturel à l’Europe. En effet, près de 80 % des importations européennes de gaz naturel provenant de Russie transitent par l’Ukraine, ce qui n’a pas empêché Gazprom, société contrôlée par l’Etat, d’interrompre toutes ses livraisons de gaz acheminé par cette voie pendant près de trois semaines en raison de désaccords avec l’Ukraine en 2006 et 2009. En 2010 et 2011, des litiges entre la Russie et le Bélarus ont entraîné une réduction temporaire des livraisons de gaz naturel et de pétrole au Bélarus et aux pays voisins.
109. Ces problèmes ont conduit la Russie et certains pays européens à élaborer de nouveaux projets de gazoducs, notamment le North Stream, qui relie directement la Russie et l’Allemagne en passant sous la mer Baltique, et le South Stream, par lequel le gaz russe sera acheminé sous la mer Noire vers la Bulgarie, l’Autriche, l’Italie et la Grèce.
110. Mais du fait des craintes suscitées par les conséquences possibles d’une dépendance énergétique excessive à l’égard de la Russie, il est prévu de construire le gazoduc Nabucco pour transporter du gaz à partir de l’Azerbaïdjan en contournant la Russie.
111. La dépendance élevée de l’économie russe vis-à-vis des exportations de pétrole, de gaz et d’autres ressources naturelles reste un formidable défi. Le pétrole et le gaz représentaient 61 % des recettes d’exportation de la Russie en 2005. Le secteur manufacturier ne représentait que 8 % des exportations russes. La forte hausse des recettes pétrolières a provoqué une flambée des dépenses de consommation, largement satisfaites par des importations, mais elle n’a pas favorisé le redressement du secteur manufacturier ou de l’agriculture russes. Une grande partie de la richesse a été investie à l’étranger par les oligarques.
112. L’Etat est le principal bénéficiaire du boom pétrolier dans la mesure où il a doublé le nombre de bureaucrates et triplé les dépenses militaires. Il a renforcé son contrôle sur les entreprises industrielles stratégiques, notamment dans le secteur pétrolier, et donné naissance à une nouvelle forme hybride d’oligarchie et de capitalisme d’Etat. Le climat est toujours aussi peu favorable au développement des petites entreprises, qui ne représentent que 17 % des emplois contre 60 % aux Etats-Unis. Une baisse du prix du pétrole risque de fragiliser les fondements assez instables du modèle de développement russe.
113. Des experts affirment que ce boom économique ne peut pas durer car il ne repose pas sur une assise solide et que le succès actuel est dû au facteur chance. L’économie russe est aussi handicapée par les nombreux problèmes suivants: infrastructures dégradées, oléoducs et gazoducs vieillissants, aéroports délabrés, réseau d’autoroutes limité, pollution de l’eau, système de santé en mal de financements et de réformes, système d’enseignement seulement partiellement réformé, efficacité énergétique égale au tiers de la moyenne des pays membres de l’OCDE, faiblesse de l’investissement intérieur, taux de criminalité et de corruption élevés, fuite des capitaux et chômage.
114. Pour comprendre la situation économique actuelle, il convient de rappeler que la libéralisation radicale décidée par Boris Eltsine en 1992 n’a pas créé une économie de marché concurrentielle mais a donné naissance à un capitalisme oligarchique sans l’Etat de droit et les mesures sociales qui auraient permis d’atténuer les souffrances que la transition infligeait aux millions de Russes. En 2001, on estimait que les 23 plus grosses sociétés du pays représentaient 30 % du PIB russe et qu’elles étaient contrôlées par 37 personnes. La montée en puissance des oligarques a coïncidé avec une vague d’anarchie, de meurtres commandités et d’étalages de richesse grotesques qui contrastaient terriblement avec la situation sociale et économique très difficile de la majorité écrasante de la population. Pour de nombreux Russes, les années 1990 demeurent un symbole de vulnérabilité et d’instabilité économiques qu’ils associent malheureusement souvent à la démocratie.
115. En renforçant l’exécutif et en instaurant une «verticalité du pouvoir», le Président Poutine a réussi à soumettre et contrôler les oligarques.
116. En septembre 2009, le Président Medvedev a publié un article, «Russie, en avant!» 
			(29) 
			Le
Président russe écrit dans son article: «Répondons à une question
à la fois simple et très grave: doit-on s’appuyer à l’avenir sur
une économie primitive fondée sur les matières premières et la corruption
endémique? Une économie inefficace, une sphère sociale semi-soviétique,
une démocratie fragile, des tendances démocratiques négatives et
un Caucase instable représentent de très gros problèmes même pour
un pays comme la Russie (…). Jouer un rôle de premier plan en comptant
sur les marchés du gaz et du pétrole est impossible. (…) En fixant
cinq priorités pour le développement technologique et en prenant
des mesures spécifiques pour la modernisation du système politique
ainsi que des mesures pour renforcer le système judiciaire et lutter
contre la corruption, je donne la priorité à ce que je considère
comme les bases de l’avenir de la Russie. En outre, il est nécessaire
de libérer notre pays des problèmes sociaux persistants qui inhibent
son énergie créatrice et limitent notre progrès commun. (…) La démocratie
russe ne saurait être une simple copie des modèles étrangers. (…)
La société civile ne peut pas être achetée par des aides de l’étranger.
La culture politique ne sera pas reconfigurée en calquant les traditions
politiques des sociétés avancées. Un système judiciaire efficace
ne peut pas être importé. La liberté ne peut pas être copiée dans
un livre. (…) La modernisation de la démocratie russe et la mise
en place d’une nouvelle économie ne seront possibles, selon moi,
que si nous utilisons les ressources intellectuelles des sociétés
postindustrielles. (…) Nous avons besoin de l’argent et de la technologie
de l’Europe, de l’Amérique et de l’Asie, et les pays de ces régions
ont besoin des débouchés offerts par la Russie. Nous sommes très
intéressés par un rapprochement et une interprétation de nos cultures
et de nos économies.», qui déplorait la récession économique en Russie et appelait à déployer davantage d’efforts pour accélérer la modernisation économique. Ces idées étaient présentées dans le discours annuel sur l’état de la nation qu’il a prononcé devant l’Assemblée fédérale russe en novembre 2009. Dans un discours de politique étrangère de juillet 2010, le Président Medvedev a déclaré que la crise économique mondiale avait provoqué «un changement de paradigme dans les relations internationales» et il a invité les diplomates et les responsables commerciaux russes à forger une «alliance de modernisation» avec les démocraties occidentales pour favoriser les investissements étrangers en Russie, en particulier dans le domaine de l’innovation technologique.
117. En décembre 2011, la Russie a été admise à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) après un cycle de négociations commencé en 1993. Jusqu’à cette date, la Russie était la seule économie importante restée en dehors de l’OMC, une organisation qui compte plus de 150 membres. Parmi les problèmes recensés par l’OMC et qui ont rendu les négociations interminables figuraient notamment les politiques et pratiques de la Russie en matière d’application des lois, les réglementations sanitaires pouvant bloquer les importations de produits agricoles et les subventions considérables accordées au secteur agricole.
118. Malgré le soutien des Etats-Unis et de l’Union européenne, le veto de la Géorgie a bloqué le processus d’adhésion de la Russie pendant quelques années. L’adhésion récente à l’OMC témoigne de la volonté de la Russie d’appliquer les normes internationales en matière de gouvernance, ce qui rassurera certainement les investisseurs.
119. Lors de son adhésion, la Fédération de Russie s’est engagée à étudier, en vue de la ratification, la Charte sociale européenne du Conseil de l’Europe. La Charte sociale européenne (révisée) (STE no 163) a été signée en 2000 et ratifiée en 2009. La Russie n’a pas accepté le Protocole additionnel prévoyant un système de réclamations collectives (STE no 158). Le premier rapport préparé par les autorités russes sur la mise en œuvre de la Charte dans le cadre des mécanismes de suivi de la Charte a été soumis le 28 octobre 2011.
120. Le principal défi social auquel est confrontée la Russie est celui de la crise démographique dont les proportions sont contestées, mais qui est suffisamment grave pour que les dirigeants russes soient contraints de la traiter comme une menace pour la sécurité nationale et non comme un simple problème socio-économique 
			(30) 
			Voir le discours du
Président Poutine sur l’état de l’Union en 2002 et 2004.. En 1992, la population russe est entrée dans une période de croissance négative, le nombre de décès dépassant le nombre de naissances et de migrants. Le taux de fécondité a reculé au point d’être parmi les plus bas au monde. Le taux d’avortement, quant à lui, est le plus élevé.
121. La Russie connaît un taux de mortalité inhabituellement élevé dû à des causes non naturelles, notamment l’alcoolisme. La durée de vie, en particulier chez les hommes en âge de travailler, a chuté brutalement. La consommation croissante d’alcool n’est pas la seule explication de la mortalité accrue. Les décès dus à la violence, aux blessures et à d’autres causes non naturelles ont contribué de manière significative à cette croissance. Les taux de suicides et d’homicides enregistrés en Russie sont parmi les plus élevés au monde. En outre, les décès dus à la maladie et à des pathologies dégénératives et chroniques, comme le cancer, les maladies respiratoires, cardiovasculaires et circulatoires, ont considérablement augmenté, notamment dans le contexte d’un système de soins inefficace.

4. Relations extérieures

4.1. Relations dans le contexte européen

122. Le cadre juridique de la coopération entre l’Union européenne et la Fédération de Russie a été établi par l’Accord de partenariat et de coopération (APC) signé en 1994 et entré en vigueur en 1997 pour dix ans. Cet accord prévoyait des structures communes (conseil permanent, groupes de travail) et des instruments propres à chaque partie (stratégies, Instrument européen de voisinage et de partenariat).
123. L’APC, qui a expiré en 2007, a été automatiquement renouvelé et restera en vigueur jusqu’à la conclusion d’un nouvel accord. Les négociations portant sur un nouvel accord ont néanmoins été difficiles. Elles n’ont démarré qu’en 2008 car certains membres ont retardé leur ouverture pendant deux ans 
			(31) 
			La Pologne et l’Estonie
ont exercé leur droit de veto: le premier Etat essaie de faire pression
pour lever l’embargo russe sur les importations de viande polonaise
et le second réagit à la crise liée à la statue du Soldat de bronze.. Le processus a été ralenti pendant longtemps par le litige créé par la demande d’adhésion de la Russie à l’OMC et les objections formulées par l’Union européenne à l’égard de la présence de troupes russes en Abkhazie et en Ossétie du Sud. Le nouvel accord ne devrait pas être conclu dans un proche avenir.
124. Parallèlement, la coopération s’est poursuivie dans le cadre des quatre «espaces communs», une stratégie qui a été créée en 2003 et recouvre quatre domaines politiques spécifiques: les questions économiques et l’environnement; la liberté, la sécurité et la justice; la sécurité extérieure, y compris la gestion des crises et la non-prolifération; ainsi que la recherche et l’éducation, notamment les aspects culturels.
125. Par ailleurs, en 2010, la Russie et l’Union européenne ont lancé un «partenariat pour la modernisation» pour contribuer au développement et à la diversification de l’économie russe, et les deux parties négocient la possibilité de mettre en place un régime d’exemption de visas. Les principaux domaines prioritaires fixés sont les suivants: amélioration et renforcement des relations économiques et commerciales bilatérales et promotion des petites et moyennes entreprises; élargissement des possibilités d’investissement dans des secteurs stratégiques en vue de stimuler la croissance et l’innovation; coopération scientifique, harmonisation des réglementations et normes techniques; fonctionnement efficace du système judiciaire et renforcement de la lutte contre la corruption.
126. Les relations entre l’Union européenne et la Russie portent en grande partie sur des questions économiques et énergétiques. Comme cela a été indiqué précédemment, l’Europe dépend dans une large mesure des livraisons de gaz et de pétrole russes, qui couvrent près de 25 % de ses besoins. Cependant, certains Etats membres de l’Union européenne sont presque dépendants à 100 % de l’énergie russe. Cette dépendance devrait s’accroître au cours des vingt prochaines années. Jusqu’ici, l’Union européenne n’est pas parvenue à élaborer une politique énergétique stratégique commune et la Russie a donné la priorité à des relations bilatérales avec plusieurs Etats membres de l’Union européenne, avec leur accord.
127. En revanche, la Russie est très dépendante de l’Union européenne, qui est son principal partenaire économique (au total, les importations et exportations russes s’élèvent à environ 6,5 % des exportations de l’Union européenne 
			(32) 
			Voir DG Trade Statistics, EU bilateral trade.), et la modernisation de la Russie ne serait guère possible sans les technologies et le marché européens.
128. L’Union européenne et la Russie coopèrent dans un certain nombre de questions régionales et internationales importantes, comme le nucléaire iranien, le processus de paix au Proche-Orient, l’Afghanistan/Pakistan, la sécurité européenne et les conflits prolongés en Géorgie et dans la République de Moldova, le changement climatique, le trafic de drogues et la traite d’êtres humains, la criminalité organisée, la lutte contre le terrorisme et la non-prolifération.
129. Au cours de ces dernières années, les questions économiques ont, dans une large mesure, éclipsé le débat sur les valeurs. Depuis le début du deuxième mandat du Président Poutine, la question des lacunes démocratiques de la Russie ne fait plus partie des priorités des relations entre la Russie et l’Europe. La suite donnée aux conséquences du conflit entre la Russie et la Géorgie a renforcé l’impression que l’Union européenne privilégiait les intérêts pragmatiques au détriment des principes.
130. Les réactions récentes de certains dirigeants européens et du Parlement européen aux événements qui ont suivi les élections parlementaires de décembre 2011 laissent espérer que la question des valeurs démocratiques fera de nouveau partie intégrante du dialogue politique entre l’Union européenne et la Russie.

4.2. La Russie et les Etats qui ont succédé à l’Union soviétique; les voisins et «l’étranger proche»

131. Lors de son adhésion, la Russie s’est engagée à «dénoncer comme erroné le concept de deux catégories différentes de pays étrangers, certains étant traités comme une zone d’influence spéciale appelée l’«étranger proche». Dans la pratique, l’expression «étranger proche» est couramment utilisée en Russie pour désigner les 14 anciennes républiques soviétiques.
132. Cet engagement signifiait que la Russie non seulement dénonçait comme erroné le concept d’«étranger proche», mais cessait effectivement de traiter certains pays comme une zone d’influence spéciale, sans égard suffisant pour leur souveraineté et leur intégrité territoriale.
133. Le concept de politique étrangère et le concept de sécurité nationale de la Fédération de Russie, adoptés par décrets présidentiels en juillet 2008 et en mai 2009 respectivement, ne font aucune référence à la notion d’«étranger proche».
134. Cependant, dans un entretien accordé aux trois chaînes de télévision principales (Channel 1, Rossia et NTV) le 31 août 2008, à la veille de la reconnaissance de l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, le Président Medvedev a présenté un des principes directeurs de sa politique étrangère de la façon suivante: «Protéger la vie et la dignité de nos citoyens, où qu’ils se trouvent, est une priorité incontestable de notre pays. Les décisions que nous prendrons en matière de politique étrangère seront fondées sur cette nécessité. Nous protégerons aussi les intérêts de nos entrepreneurs à l’étranger. Il faut que tout le monde sache que nous répondrons à toutes les agressions commises contre nous. Enfin, comme c’est le cas pour d’autres pays, il existe des régions dans lesquelles la Russie a des intérêts privilégiés. Ces régions comptent des pays avec lesquels nous partageons des liens historiques particuliers et entretenons des relations amicales et de bon voisinage. Nous accorderons une attention particulière à nos activités dans ces régions et développerons des liens d’amitié avec ces pays, nos voisins proches. Ce sont là des principes que je suivrai dans la conduite de notre politique étrangère.»
135. Dans un entretien accordé à la chaîne de télévision Euronews le 3 septembre 2008, le président Medvedev a réaffirmé sa position dans les termes suivants: «La Russie, comme tout autre Etat, portera une attention particulière à certaines régions dans lesquelles elle a des intérêts privilégiés. Elle compte entretenir des relations spéciales, cordiales et à long terme avec les Etats de ces régions.»
136. Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères de la Russie, déclarait, dans une lettre publiée le 10 septembre 2008 dans le quotidien polonais Gazeta Wyborcza, que la Russie avait une sphère géographique «d’intérêts privilégiés» et appelait la Pologne et le reste de l’Europe à reconnaître cette «nouvelle réalité». M. Lavrov a également déclaré: «En conduisant notre politique étrangère, nous appliquons invariablement les principes formulés par le Président Dimitri Medvedev, notamment en portant une attention particulière aux régions où la Russie a des intérêts privilégiés. (…) Nous appelons nos partenaires à suivre l’exemple de la Russie et à reconnaître les nouvelles réalités. Nous pensons que les déclarations faites par les dirigeants de certains pays sur les politiques “impérialistes” et “révisionnistes” de la Russie sont totalement erronées.»
137. L’expression «intérêts privilégiés» est un nouveau concept dans le discours politique russe. Son sens est vague et n’indique pas clairement à quels pays et régions il s’applique. On peut présumer qu’il désigne l’ancien «étranger proche», c’est-à-dire les Etats de l’ex-Union soviétique.
138. Cette nouvelle doctrine politique a été annoncée par la Russie après l’utilisation de la force militaire à l’extérieur de son territoire pour imposer par la force le changement des frontières d’un autre Etat, la Géorgie, et après le décret présidentiel du 26 août 2008 qui reconnaissait officiellement l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie. Le déploiement de troupes russes qui a eu lieu ensuite dans les deux régions séparatistes a été critiqué par la communauté internationale, qui a demandé à la Russie de retirer ses troupes et de revenir sur les reconnaissances d’indépendance. Cela n’a pas été accompli.
139. La Russie continue de s’opposer vivement à l’élargissement de l’OTAN à la Géorgie et à l’Ukraine. En 2008, les pays participant au sommet de l’OTAN à Bucarest ont dû accepter la position de plusieurs membres européens importants et refuser à l’Ukraine et à la Géorgie le droit d’adhérer au Plan d’action pour l’adhésion de l’OTAN. La décision était bien argumentée. En effet, l’Ukraine manquait de soutien sur le plan intérieur pour rejoindre l’OTAN, et des conflits frontaliers opposaient la Géorgie à certains de ses voisins. Pour beaucoup d’observateurs, la Russie avait de fait récupéré un droit de veto concernant l’élargissement des institutions euro-atlantiques au territoire de la Communauté des Etats indépendants (CEI).
140. L’arrêt ou la réduction des livraisons d’énergie et, plus généralement, les pressions économiques exercées sur l’Ukraine et le Bélarus en particulier, mais aussi sur d’autres anciennes républiques soviétiques, ont été des caractéristiques distinctives de la politique étrangère conduite par la Russie à l’égard de certains pays.
141. Dans ce contexte, nous souhaiterions aussi rappeler les recommandations de la Commission de Venise 
			(33) 
			Voir
l’Avis no 572/2010. sur les amendements à la loi fédérale relative à la défense, soumis pour avis par la commission de suivi. Nous prions instamment les autorités russes de résoudre les problèmes soulevés par les dispositions relatives à la protection de ressortissants d’un Etat donné qui se trouvent sur le territoire d’un Etat tiers. La Commission de Venise estime qu’elles posent problème étant donné que cette protection relève essentiellement de la responsabilité de l’Etat tiers. Si celui-ci ne parvient pas à prévenir un génocide ou un nettoyage ethnique, il revient à la communauté internationale d’assurer cette protection sur la base d’une résolution pertinente du Conseil de sécurité des Nations Unies. La protection de ses ressortissants nationaux ne devrait pas servir de prétexte pour une intervention militaire ni aboutir à l’installation de troupes pour assurer la protection prolongée des ressortissants concernés.
142. La délégation russe signale que ni le concept de politique étrangère ni le concept de sécurité nationale de la Fédération de Russie ne font référence au concept d’«étranger proche». Elle considère que cet engagement est rempli.

4.3. La guerre entre la Géorgie et la Russie

143. Nous rappelons à cet égard que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté les Résolutions 1633 (2008), 1647 (2009) et 1683 (2009) sur les conséquences de la guerre entre la Géorgie et la Russie, présentées par la commission de suivi, qui a traité cette question comme un dossier distinct. Les questions humanitaires sont examinées par la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, qui a été à l’origine de plusieurs résolutions 
			(34) 
			Résolution 1648 (2009) et Résolution
1664 (2009).. Nous réaffirmons la pertinence de tous ces textes adoptés.
144. S’agissant de l’enquête internationale indépendante sur les origines et le déroulement de la guerre entre la Géorgie et la Russie, nous renvoyons au rapport de la Mission d’enquête internationale indépendante sur le conflit en Géorgie mise en place par l’Union européenne et conduite par l’ambassadrice Heidi Tagliavini. Mme Tagliavini a participé à l’audition organisée par la commission de suivi à Paris en janvier 2011 et a fait une présentation détaillée de ses constats.
145. Nous sommes d’avis que le rapport Tagliavini est le document sur les circonstances et les causes de la guerre le plus complet et le plus objectif qui ait pu être rédigé à partir des informations déclassifiées et volontairement fournies par les parties impliquées. Nous invitons toutes les parties intéressées à consulter ce document à la fois détaillé et volumineux. Notons également que les deux pays concernés ont publiquement déclaré leur accord avec la plupart des analyses et conclusions du rapport. Nous pensons que ce rapport et les résolutions de l’Assemblée sont complémentaires.
146. Nous rappelons également la position de principe adoptée par l’Assemblée qui veut que la reconnaissance de l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie par la Russie, et ensuite par quatre autres Etats (le Nicaragua, le Venezuela, Nauru et Tuvalu), soit contraire au droit international et aux principes de l’intégrité territoriale, tout comme la poursuite du déploiement de forces militaires russes dans les deux régions séparatistes.
147. Le non-respect des résolutions ci-dessus reste préoccupant. Les demandes soumises à la Russie dans divers domaines, y compris l’accès sans restriction des organisations internationales, de l’aide humanitaire et des observateurs de l’Union européenne, ainsi que des enquêtes crédibles sur des cas de violations à la fois des droits de l’homme et du droit international (notamment le nettoyage ethnique), n’ont pas été suivies d’effet.
148. La Géorgie et la Russie ont tenu des discussions à 20 reprises pour tenter de régler des différends. Les négociations dites de Genève, présidées conjointement par l’Union européenne, les Nations Unies et l’OSCE, sont organisées sous la forme de deux groupes de travail avec la participation des représentants de la Géorgie, de la Russie et des Etats-Unis, ainsi que de Soukhoumi et de Tskhinvali. Le premier groupe de travail traite des questions de sécurité, et le deuxième des problèmes humanitaires, et notamment le retour des réfugiés et des personnes déplacées. Ils ne semblent pas progresser. Le dernier cycle remonte au mois de juin 2012, et le prochain doit débuter le 3 octobre 2012.
149. En compagnie des rapporteurs sur la Géorgie et du président de la commission de suivi, nous prévoyons de réaliser une mission d’information à Moscou, à Tbilissi, à Soukhoumi et à Tskhinvali un peu plus tard dans l’année. Nos conclusions feront l’objet d’un rapport séparé. Nous ne développerons donc pas ces questions dans le présent rapport.

4.4. Le respect des obligations dérivées du Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe (FCE)

150. Un des engagements pris par la Fédération de Russie lors de son adhésion concerne le respect des obligations qu’elle a contractées en vertu du traité FCE signé en 1990. Le précédent rapport de suivi de 2005 déclarait que «la Fédération de Russie remplit largement ses obligations en vertu du Traité FCE, ce qui est l’objet de son engagement devant l’Assemblée».
151. Depuis, la situation a changé dans la mesure où, le 13 juillet 2007, le Président Poutine a promulgué un décret prévoyant la suspension des obligations contractées par la Russie en vertu du traité et prenant effet 150 jours plus tard. Le président a déclaré que cette suspension était le résultat de «circonstances extraordinaires (…) qui concernent la sécurité de la Fédération de Russie et exigent des mesures immédiates». La suspension s’applique au traité FCE original et aux accords de suivi, en particulier le traité FCE adapté et signé lors du Sommet d’Istanbul en 1999.
152. La délégation parlementaire russe à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a expliqué que, selon l’article 1.d du Statut du Conseil de l’Europe, les questions relatives à la défense nationale ne sont pas de la compétence du Conseil de l’Europe, et elle a en conséquence refusé d’examiner cette question.

4.5. Le retrait des troupes russes de la République de Moldova

153. Lors de son adhésion au Conseil de l’Europe, la Russie s’était engagée à ratifier, dans un délai de six mois après son adhésion, l’accord intervenu le 21 octobre 1994 entre les Gouvernements russe et moldave, et à poursuivre le retrait de la 14e armée et de son matériel du territoire de la République de Moldova dans un délai de trois ans à compter de la date de signature de l’accord.
154. Le retrait des troupes russes de Transnistrie a été également une obligation internationale contractée par la Russie dans le cadre de l’Accord d’adaptation du Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe signé par le Président Boris Eltsine pendant le sommet de l’OSCE qui s’est tenu à Istanbul en novembre 1999. Selon ce document, la Russie a pris l’engagement de retirer ses forces de Transnistrie d’ici à la fin de 2002. Cependant, comme susmentionné, la Russie a suspendu l’application du traité en 2007.
155. Le 21 juin 1995, l’accord signé en 1994 par la Russie et la République de Moldova a été soumis à la Douma d’Etat par le Président Eltsine pour ratification. Il a été retiré par le Président Poutine le 11 mars 2003.
156. Jusqu’à présent, la Russie n’a pas ratifié l’accord du 21 octobre 1994 et les forces russes restent stationnées dans la région transnistrienne de la République de Moldova contre la volonté du Gouvernement moldove et en violation des engagements internationaux de la Russie. A l’heure actuelle, 1 500 soldats russes sont déployés sur le territoire transnistrien. La plupart patrouillent conjointement avec des soldats transnistriens et moldaves, et des observateurs militaires ukrainiens. Les autres assurent la garde des dépôts de munitions qui datent de l’ère soviétique.
157. La Russie fournit également une aide économique pour renforcer le régime séparatiste pro-russe en Transnistrie, malgré les appels répétés de l’Union européenne et des Etats-Unis pour qu’elle y renonce.
158. En 2008, l’Assemblée parlementaire de l’OTAN a adopté une résolution pressant la Russie de respecter les engagements qu’elle a pris au Sommet d’Istanbul en 1999 et de mettre fin à sa présence militaire illégale dans la région transnistrienne de la République de Moldova dans un très proche avenir.
159. Les dirigeants russes ont cherché à subordonner le retrait de leurs troupes à la résolution du statut de la Transnistrie. Le vice-ministre des Affaires étrangères de la Russie, M. Grigori Karasin, a déclaré le 20 janvier 2010 que son pays continuerait sa mission de maintien de la paix en Transnistrie tant qu’une solution durable ne serait pas trouvée à la crise séparatiste qui sévit dans la région orientale de la République de Moldova.
160. Pour ce qui est des aspects positifs, les pourparlers officiels, auxquels participent des négociateurs de Russie, de Transnistrie, de la République de Moldova, d’Ukraine, de l’OSCE ainsi que des observateurs des Etats-Unis et de l’Union européenne (pourparlers dits 5+2), ont repris le 30 novembre 2011 à Vilnius, après avoir été suspendus pendant cinq ans et, par la suite, à Dublin les 28 et 29 février 2012 et à Vienne les 17 et 18 avril 2012. A Vienne, les parties sont parvenues à un accord sur plusieurs points de procédure. Elles ont également décidé que tout accord conclu par les parties doit définir les mécanismes à même de garantir son application. Cette démarche s’inscrit dans le cadre de la politique des «petits pas» qui a récemment été adoptée.
161. Concernant cet engagement, la délégation russe a de nouveau déclaré que, s’agissant d’une question relative à la défense nationale, elle n’était pas de la compétence du Conseil de l’Europe.
162. Dans leurs observations sur l’avant-projet de rapport de la commission de suivi de l’Assemblée, les autorités se réfèrent également à la Déclaration faite par le Conseil ministériel de l’OSCE lors de sa réunion de Porto, en décembre 2002, qu’elles qualifient de «consensus» et qui, d’après elles, confirme l’obligation de la Fédération de Russie d’achever le retrait de ses forces «pour autant que les conditions nécessaires soient réunies» 
			(35) 
			Le texte déclare: «Nous
prenons acte avec satisfaction de l’engagement de la Fédération
de Russie d’achever le retrait de ses forces dans les meilleurs
délais et de son intention d’y parvenir d’ici le 31 décembre 2003,
pour autant que les conditions nécessaires soient réunies.».

4.6. La restitution de biens et de biens culturels à d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe

163. Lors de son adhésion au Conseil de l’Europe, la Russie s’est engagée à «négocier les demandes de restitution de biens culturels à d’autres pays européens sur une base ad hoc qui permettrait de distinguer les différentes catégories de biens (archives, œuvres d’art, bâtiments, etc.) et de propriétaire (public, privé ou institutionnel)». La Russie a également accepté de «régler rapidement toutes les questions relatives à la restitution de biens réclamés par des Etats membres du Conseil de l’Europe et notamment les archives transférées à Moscou en 1945».
164. La loi fédérale sur les biens culturels déplacés vers l’URSS à la suite de la seconde guerre mondiale et se trouvant sur le territoire de la Fédération de Russie a connu un processus législatif très compliqué. Adoptée par la Douma en 1998, elle a été rejetée par le Conseil de la Fédération, puis reformulée, adoptée, elle a fait l’objet d’un veto du Président et a été soumise à la Cour constitutionnelle. Après deux décisions de la Cour constitutionnelle, elle a finalement de nouveau été adoptée en 2000 avec des amendements, et de nouveau amendée en 2004 et en 2008.
165. A l’origine, la loi proclamait que tous les objets culturels étrangers saisis, sans distinction entre œuvres d’art, archives ou livres rares, étaient des trophées militaires et donc, à ce titre, la propriété de la Fédération de Russie. A la suite de la décision de la Cour constitutionnelle, les législateurs ont introduit un amendement déclarant que les objets culturels en question étaient des dédommagements pour la perte des trésors culturels subie par l’Union soviétique pendant la guerre. Ils ont par ailleurs prévu une exception importante permettant aux pays, personnes et organisations (y compris les organisations religieuses) qui ont été victimes du nazisme de réclamer la restitution des biens perdus. La loi amendée dispose que les anciens propriétaires qui relèvent de ces catégories peuvent exiger la restitution de leurs biens.
166. La loi prévoit aussi un mécanisme de création d’une base de données de tous les objets culturels déplacés sur le territoire russe. Jusqu’ici, le ministère de la Culture, qui est responsable du processus, a recensé 250 000 objets, 265 000 dossiers d’archives et environ 1,2 million de livres rares.
167. La base de données, disponible sur le site web du ministère 
			(36) 
			Le site internet <a href='http://www.lostart.ru/'>www.lostart.ru</a> a été créé en 2010., aide les personnes, les organisations et les gouvernements à identifier les biens perdus et à saisir les tribunaux pour qu’ils leur soient restitués.
168. Concernant les négociations portant sur la restitution d’archives, notamment des documents essentiels du renseignement militaire et des organes de sécurité gouvernementaux, des archives des syndicats, des dossiers appartenant à des loges maçonniques et à des communautés juives, ainsi que des documents personnels de personnalités éminentes, les négociations bilatérales menées entre la Fédération de Russie et les pays concernés dans le cadre des lois de 1998 telles qu’amendées ont été davantage couronnées de succès que celles concernant la restitution des œuvres d’art.
169. Depuis l’adoption de la loi, des archives ont été restituées aux pays suivants: Liechtenstein, Grande-Bretagne, France, Belgique, Pays-Bas et Autriche. En outre, 103 dossiers appartenant à des loges maçonniques ont été restitués au Luxembourg. Enfin, des documents de la famille Rothschild ont été restitués à Vienne, premier exemple d’un arrangement familial à caractère privé.
170. La plupart des demandes des pays de l’Europe occidentale ont été satisfaites, mais de nombreuses autres archives saisies dans des pays de l’Europe de l’Est et du Sud-Est, ainsi qu’en Allemagne, sont encore à Moscou.
171. Certes, de nombreux pays qui faisaient partie de l’ancien bloc communiste avaient reçu une partie de leurs archives saisies pendant les années de la guerre froide. Cependant, des quantités importantes de dossiers leur appartenant sont encore conservées à Moscou.
172. Les négociations se poursuivent notamment en vue d’une restitution plus générale de documents d’archives polonaises.
173. La République tchèque et les Etats qui ont succédé à l’ex-Yougoslavie sont un autre exemple.
174. La Grèce négocie depuis plus de dix ans la restitution des archives de la communauté juive séfarade de Thessalonique, dont 90 % des membres ont péri dans l’Holocauste. La demande officielle a été transmise en 2008. Dans leurs observations sur l’avant-projet de rapport de la commission de suivi de l’Assemblée, les autorités nous ont indiqué qu’elles avaient, fin 2011, soumis à la Grèce une proposition d’accord de «restitution mutuelle de documents». Elles n’ont pas encore reçu de réponse.
175. A cet égard, nous tenons à rappeler la Résolution 1205 (1999) de l’Assemblée sur les biens culturels des juifs spoliés.
176. L’Allemagne constitue une exception car aucune restitution n’a été notée. La restitution des archives allemandes est désormais interdite par la loi de 1998 
			(37) 
			La
loi interdit la restitution de tous les biens culturels, y compris
les archives, aux «anciens ennemis» dont l’Allemagne, la Bulgarie,
la Hongrie, l’Italie, la Roumanie et la Finlande..
177. Contrairement aux archives, la restitution des œuvres d’art et des livres rares a été beaucoup moins couronnée de succès, ce qui est peut-être dû à un processus de recensement plus difficile. Par exemple, les estimations du nombre de livres «trophées» encore conservés en Russie varient de 1,2 million (ministère russe de la Culture) à 12 millions 
			(38) 
			Voir
l’article de Patricia Kennedy Grimsted «Restitution achievements
under the Russian law», International
Journal of Cultural Property, 2010..
178. Des négociations concernant les objets d’art les plus célèbres sont conduites conformément à la loi de 1998 et certaines ont abouti. C’est le cas de la bibliothèque Sarospatak, composée de 134 volumes, qui a été restituée à la Hongrie en 2005, et de quatre fragments de fresque restitués à l’Ukraine en 2009. Un autre exemple est celui de la restitution de vitraux à l’Allemagne. En revanche, le trésor roumain (une collection d’objets de valeur confiée par le Gouvernement roumain au Gouvernement russe afin qu’elle soit protégée pendant la première guerre mondiale) n’a pas été restitué et les autorités russes ont refusé d’en discuter.
179. En outre, seulement environ 1 000 livres trophées (sur 1 million ayant été saisis) ont été restitués depuis 1999. Parmi ceux qui restent en Russie, on compte 649 documents en papyrus écrits en langue perse appartenant à la Bibliothèque nationale d’Autriche. Du côté positif, mentionnons la restitution à l’Autriche de la bibliothèque des princes Esterhazy, qui est en cours.
180. Se référant aux négociations bilatérales en cours, la délégation russe considère que l’engagement concernant la restitution des biens culturels a été rempli.
181. Notons cependant que les cercles politiques russes et le grand public en général sont vivement opposés à la restitution, comme l’illustrent les débats qui agitent les médias 
			(39) 
			Voir RIA Novosti, «Russia
returns Sarospatak library to Hungary», 9 février 2006.. Nous considérons que cet engagement n’est pas rempli.

5. Fonctionnement de la démocratie pluraliste

5.1. Elections libres et équitables

182. Comme nous l’avons déjà indiqué, quatre élections nationales importantes ont été organisées en Russie depuis la présentation du dernier rapport en 2005, c’est-à-dire les élections législatives à la Douma d’Etat en 2007 et en 2011 et les scrutins présidentiels de 2008 et de 2012.
183. A la suite des élections à la Douma d’Etat du 2 décembre 2007, les observateurs de l’Assemblée parlementaire ont considéré que «si ces législatives ont été en grande partie libres du point de vue des options de vote, elles n’ont absolument pas été loyales» 
			(40) 
			Voir le Doc. 11473, rapport sur l’observation des élections législatives
dans la Fédération de Russie (2 décembre 2007)..
184. Dans leurs conclusions, les membres de la commission ad hoc ont souligné que l’effet cumulé de la loi électorale amendée a nui au pluralisme politique, car la nouvelle loi handicape davantage les nouveaux partis et les petits partis désireux de se présenter. Le seuil prohibitif de 7 % requis pour qu’un parti puisse siéger à la Douma et l’interdiction faite aux partis de former des alliances électorales dans des blocs n’encouragent pas la formation de nouveaux partis et ne favorisent pas le développement d’un plus grand pluralisme parlementaire. Les règlements sur l’enregistrement des partis ont également été remis en cause. Le processus d’enregistrement des candidats, jugé trop bureaucratique et non neutre, a lui aussi été vivement critiqué.
185. Le rapport a soulevé un certain nombre de préoccupations relatives à la campagne électorale et à son financement, y compris l’utilisation considérable des ressources administratives et le soutien massif de l’Etat à Russie Unie, l’accès inégal aux médias, l’environnement politique peu encourageant et même des allégations de harcèlement à l’égard des forces de l’opposition. En conclusion, les observateurs de l’Assemblée ont appelé les autorités russes à remédier à ces défaillances et déficiences avant les prochaines élections.
186. L’invitation à observer les élections adressée à l’Assemblée limitait au départ à 30 le nombre d’observateurs. Toutefois, en réponse à une demande de la mission préélectorale, le président de la Douma d’Etat, M. Gryzlov, a accepté de porter à 55 le nombre d’observateurs de l’Assemblée.
187. Parallèlement, l’OSCE/BIDDH a refusé d’envoyer une mission d’observateurs à long terme en raison des conditions imposées par les interlocuteurs russes (qui ont par exemple ramené de 450 à 70 le nombre d’observateurs, et interdit à des citoyens russes d’intervenir en qualité d’observateurs). La délégation de l’Assemblée a étroitement collaboré avec les observateurs de l’Assemblée parlementaire de l’OSCE.
188. Le scrutin présidentiel qui s’est déroulé quelques mois plus tard, le 2 mars 2008, a également été observé par l’Assemblée parlementaire. Elle a conclu que ces élections «reflétaient la volonté d’un électorat dont le potentiel démocratique n’avait malheureusement pas été utilisé» 
			(41) 
			Voir le Doc. 11536, rapport sur l’observation de l’élection présidentielle
en Fédération de Russie (2 mars 2008)..
189. La commission ad hoc a souligné que l’élection présidentielle, qui avait davantage le caractère d’un plébiscite, avait reproduit la plupart des insuffisances constatées pendant les élections à la Douma de décembre 2007. Malheureusement, aucune des préoccupations formulées à cette époque n’a été prise en compte.
190. Un autre sujet d’inquiétude concernait la procédure d’enregistrement des candidats, en raison de sa complexité, sa lourdeur et son manque d’ouverture, notamment à l’égard des candidats indépendants. La législation sur le financement des campagnes électorales, les abus de ressources administratives et l’accès inégal aux médias sont autant de défauts qui mettent en cause l’équité des élections.
191. Les observateurs de l’Assemblée ont vivement recommandé que la législation électorale existante soit révisée et modifiée en étroite coopération avec des experts de la Commission de Venise. Par ailleurs, ils ont souligné la nécessité de réformes visant à garantir l’indépendance des médias et, en particulier, la mise en place d’un système de radiodiffusion publique véritablement indépendant qui échappe à l’influence et à la mainmise de l’Etat ainsi qu’aux manipulations d’autres groupes d’intérêts.
192. La commission ad hoc était composée de 30 membres. Elle a déploré l’absence sur le terrain de ses partenaires traditionnels dans l’observation des élections, et notamment de l’OSCE/BIDDH, qui a considéré qu’il était impossible de déployer sa mission d’observateurs à long terme en raison des contraintes de calendrier que lui imposait la CEC russe et des restrictions sur le nombre d’observateurs. Il a donc décidé de ne pas participer. L’Assemblée parlementaire de l’OSCE et le Conseil nordique ont également décidé de ne pas participer à l’observation. Le Parlement européen n’avait pas été invité.
193. A la suite de l’élection présidentielle, la Présidence de l’Union européenne a fait une déclaration déplorant que le processus électoral n’ait pas permis une véritable compétition. Elle a également estimé que le fait que les candidats de l’opposition n’aient pu accéder aux médias sur un pied d’égalité était particulièrement préoccupant.
194. A la lumière des conclusions susmentionnées, et faute d’un rapport de suivi complet sur la Russie, la commission de suivi a systématiquement inclus dans ses rapports d’activité annuels un appel aux autorités russes les enjoignant de remédier aux défauts de la législation électorale et de solliciter les conseils juridiques de la Commission de Venise 
			(42) 
			Voir
la Résolution 1747 (2010)..
195. Nous avons conscience qu’en 2009 et 2010, à l’initiative du Président Medvedev, la Douma d’Etat avait adopté un certain nombre de lois fédérales portant modification aux procédures électorales existantes afin de renforcer le pluralisme politique et la représentativité des élus.
196. En particulier, les cautions électorales exigées pour l’enregistrement d’associations électorales et de candidats à des fonctions électives ont été abolies. De plus, certaines dispositions législatives de la Fédération de Russie ont été amendées pour réduire progressivement le nombre de signatures d’électeurs requises pour l’enregistrement des candidats et les listes fédérales de candidats pour l’élection des députés à la Douma d’Etat, pour exonérer de la collecte de ces signatures les partis politiques dont les listes sont autorisées à participer à la répartition des sièges des organes législatifs (représentatifs) nationaux dans un tiers au moins des sujets (entités constitutives) de la Fédération de Russie.
197. S’agissant de la question du seuil électoral élevé, les amendements apportés à la loi fédérale «sur l’élection des députés à la Douma d’Etat de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie» prévoient l’attribution de sièges aux listes fédérales de candidats ayant obtenu entre 5 et 7 % du total des voix selon la règle suivante: les partis ayant recueilli plus de 6 % mais moins de 7 % des voix bénéficient de deux sièges à la Douma et ceux qui ont obtenu plus de 5 % mais moins de 6 % des voix, un siège.
198. Par ailleurs, en réponse aux critiques concernant le seuil trop élevé, la Commission électorale centrale a attiré notre attention sur l’article 82 de la loi susmentionnée qui stipule que l’attribution de sièges aux listes ayant obtenu plus de 7 % des voix suppose qu’il y ait au moins deux listes de candidats dans ce cas et qu’elles aient réuni ensemble plus de 60 % des suffrages exprimés. Cela signifie que, théoriquement, un parti ayant obtenu moins de 5 % des voix peut se voir attribuer des sièges.
199. Au niveau régional, où les élections se déroulent selon un système de représentation proportionnelle, le seuil électoral est fixé par la législation régionale et ne peut être supérieur à celui prévu pour les élections fédérales. Le nombre de listes électorales déposées pour le parlement local ne peut être inférieur à deux et les listes habilitées à des sièges doivent avoir obtenu ensemble au moins 50 % des suffrages exprimés (les législateurs régionaux peuvent fixer un pourcentage supérieur). Selon les amendements introduits en 2010, si le seuil électoral fixé par la loi d’une entité constitutive dépasse 5 %, cette même loi doit prévoir l’attribution d’au moins un siège aux listes ayant obtenu plus de 5 % des voix.
200. Ces dispositions ont été complétées par un amendement de la loi fédérale relative aux principes généraux de l’organisation des instances législatives et exécutives nationales des sujets de la Fédération de Russie, qui prévoit qu’un député élu sur une liste de candidats autorisée à prendre part à la répartition des sièges et qui a obtenu un siège peut constituer à lui seul un groupe. Il peut également, au même titre que les représentants d’autres groupes, proposer des candidats aux fonctions électives d’une instance législative, prendre la parole et participer aux travaux de différentes instances.
201. Les autorités russes ont justifié le seuil élevé en affirmant qu’il est indispensable pour maintenir la stabilité politique et prévenir le fractionnement du parlement. Avant l’instauration du seuil de 7 % en 2003 
			(43) 
			De
1993 à 2003, ce seuil était de 5 %., le paysage politique russe était une mosaïque de plus de 150 forces politiques. Les autorités russes estiment que cet aspect est d’autant plus important en Russie, où l’influence des avis minoritaires sur la société est souvent plus importante que le soutien effectif dont ils bénéficient. Elles font également référence à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Yumak et Sadak c. Turquie, qui a rejeté la requête déposée par le plaignant dénonçant un seuil électoral excessivement élevé 
			(44) 
			Le 30 janvier 2007,
Requête no 10226/03..
202. Cependant, la position de l’Assemblée parlementaire (et bien sûr la nôtre) à cet égard est claire. Elle a été exprimée à maintes reprises, notamment dans les résolutions adoptées à la suite des débats sur la situation des droits de l’homme et la démocratie en Europe 
			(45) 
			Voir la Résolution 1547 (2007) et la Résolution
1619 (2008) relatives à la situation des droits de l’homme et de
la démocratie en Europe. Dans la première, l’Assemblée déclare que,
«dans les démocraties bien établies, il ne devrait pas y avoir de
seuils supérieurs à 3 % dans les élections législatives».. Nous étions donc heureux d’apprendre l’adoption par la Douma, en octobre 2011, d’un amendement à la loi électorale ramenant le seuil à 5 %. Nous déplorons toutefois que cette modification n’ait pas encore été en vigueur au moment des élections législatives de décembre 2011, et qu’elle ne doive entrer en vigueur que le 1er janvier 2013. Le représentant du Président Medvedev au parlement, M. Garry Minkh, a justifié ce «retard» par la nécessité d’élaborer une législation à l’intention des petits partis 
			(46) 
			Site internet RT: «Less
is more: Russia reduces electoral threshold», 21 octobre 2011..
203. Plusieurs amendements introduits dans la législation en 2009 et 2010 concernent les élections locales et régionales.
204. Les modifications apportées aux lois fédérales sur les partis politiques et sur les garanties fondamentales des droits électoraux et du droit des citoyens de la Fédération de Russie à participer à des référendums autorisent la participation d’organisations non gouvernementales aux élections locales. Ces amendements visaient essentiellement à instaurer de nouvelles formes de participation des organisations non gouvernementales en leur permettant de désigner des candidats aux élections municipales en collaboration avec les partis politiques, et donc d’assurer leur représentation au sein des collectivités locales et d’autres structures locales de gouvernement.
205. Grâce aux amendements à la loi sur la représentation des électeurs dans les organes législatifs (représentatifs) de la Fédération de Russie et à l’exemption de l’obligation de récolter les signatures d’électeurs pour les partis politiques dont les listes de candidats ont obtenu des sièges dans les organes législatifs (représentatifs) nationaux des sujets de la Fédération de Russie, il faut désormais, quand le seuil électoral dépasse 5 % des suffrages exprimés, que la législation du sujet concerné de la Fédération de Russie prévoie l’attribution d’un siège aux listes de candidats ayant obtenu un nombre de voix inférieur au seuil mais d’au moins 5 % des suffrages exprimés, sans se voir attribuer de sièges. Un siège doit être attribué à chaque liste de candidats remplissant ces conditions. Si le seuil électoral est fixé à 5 % des suffrages exprimés ou moins, cette disposition n’est pas applicable.
206. Dans les élections à l’organe législatif (représentatif) national d’un sujet de la Fédération de Russie, ainsi que dans les élections locales organisées sur le territoire de ce sujet, l’enregistrement d’une liste de candidats déposée par un parti politique ayant obtenu des sièges de députés, ou dont la liste de candidats bénéficie du transfert d’un siège dans cet organe législatif (représentatif) national d’un sujet de la Fédération de Russie, n’est pas soumis à l’obligation de récolter des signatures. Les sections régionales d’un tel parti et ses autres subdivisions sont également dispensées de cette obligation de collecte des signatures quand elles présentent des candidats ou des listes de candidats à ces élections.
207. Ces partis politiques bénéficient également d’un temps d’antenne gratuit sur les radios et les télévisions locales et nationales lors d’un référendum pertinent.
208. Les amendements à la loi fédérale garantissant le droit constitutionnel des citoyens de la Fédération de Russie d’élire les organes locaux et d’y être élus ont ramené de 21 à 18 ans l’âge auquel un citoyen peut siéger au sein d’un organe représentatif local. Cette majorité a été fixée à 21 ans le jour de l’élection à l’organe législatif (représentatif) national d’un sujet de la Fédération de Russie.
209. Les amendements à la loi fédérale sur les garanties fondamentales des droits électoraux et du droit des citoyens de la Fédération de Russie à participer à des référendums ont modifié la procédure de constitution des commissions électorales municipales. L’organe représentatif d’une région urbaine, d’un district de ville ou d’un quartier d’une ville fédérale désigne la moitié des membres de la commission électorale sur la base des propositions soumises par la commission électorale du sujet de la Fédération de Russie dont elle dépend. L’organe représentatif d’une commune désigne la moitié des membres de la commission électorale locale sur la base des propositions soumises par la commission électorale de la région urbaine ou du conseil du territoire.
210. Les amendements à la loi fédérale sur les garanties fondamentales des droits électoraux et du droit des citoyens de la Fédération de Russie à participer à des référendums fixent à un minimum de deux ans la durée du mandat des organes nationaux des entités constitutives de la Fédération de Russie, des organes des collectivités locales et des élus qui y siègent, ainsi que des organes et des élus prévus par les constitutions (statuts) des entités constitutives de la Fédération de Russie et les statuts des instances municipales.
211. En outre, plusieurs amendements législatifs de la même période tendaient à améliorer le cadre juridique en vue de la campagne électorale.
212. Les amendements aux lois de la Fédération de Russie relatives aux élections et aux référendums, relatifs à la fourniture de temps d’antenne et d’espaces dans la presse pour la campagne préélectorale, ont complété la loi fédérale sur les garanties fondamentales des droits électoraux et du droit des citoyens de la Fédération de Russie à participer à des référendums par une disposition autorisant la législation d’une entité constitutive de la Fédération de Russie à ne pas accorder de temps d’antenne gratuit ou d’espaces gratuits dans la presse à une association électorale qui, ayant établi une liste de candidats en vue d’une élection, a recueilli un nombre de voix inférieur à celui prévu par le texte concerné et n’a pu prendre part à la répartition des sièges, ou à un candidat qui n’a pas été élu et a obtenu un nombre de voix inférieur au pourcentage prévu par ce même texte. Dans une telle éventualité, le nombre de voix stipulé par la législation d’une entité constitutive de la Fédération de Russie ne peut être supérieur à 3 % des suffrages exprimés.
213. Nous saluons cette libéralisation de la loi électorale, car cette amélioration de la législation est essentielle pour garantir un processus électoral réellement démocratique et pluraliste.
214. Les modifications législatives ayant déjà été adoptées, nous sommes déçus que les autorités russes aient choisi de ne pas coopérer avec la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) dans la préparation des textes, alors qu’elle aurait pu faire profiter le pays de son expertise. Nous déplorons qu’à aucun stade l’expertise juridique de la Commission de Venise n’ait été requise sur les amendements proposés.
215. Les initiatives prises par les autorités vont certes dans la bonne direction, mais de nouvelles améliorations s’imposent pour garantir un réel pluralisme du système électoral. Malheureusement, certaines préoccupations majeures soulevées au cours des missions d’observation de 2007 et de 2008 n’ont pas été traitées, amenant aux mêmes constats lors des dernières élections.
216. Les dernières élections législatives à la Douma d’Etat se sont déroulées le 4 décembre 2011. Elles ont été observées par 40 observateurs à long terme du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE (OSCE/BIDDH) ainsi que par 325 observateurs à court terme de l’OSCE/BIDDH, de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et de l’Assemblée parlementaire de l’OSCE dans le cadre d’une Mission internationale d’observation des élections (MIOE).
217. Comme nous l’avons indiqué ci-dessus les observateurs internationaux ont soulevé, dès leurs conclusions préliminaires, un certain nombre de très graves préoccupations qui ont ensuite été confirmées dans le rapport sur l’observation des élections législatives en Fédération de Russie que la commission ad hoc a présenté à l’Assemblée 
			(47) 
			Voir le Doc. 12833., ainsi que dans le rapport final élaboré par la mission d’observation des élections de l’OSCE/BIDDH 
			(48) 
			Rapport final de la
mission d’observation des élections de l’OSCE/BIDDH, Varsovie, 12
janvier 2012..
218. Malheureusement, toutes les étapes du scrutin ont été entachées par une série de violations du Code électoral. Le problème a été amplifié par le fait que les lois qui encadrent les élections législatives sont à la fois complexes et difficiles à comprendre. Une des deux principales lois régissant les élections législatives, la loi fédérale sur les garanties fondamentales des droits électoraux et du droit des citoyens de la Fédération de Russie à participer à des référendums, a été amendée 28 fois sur la seule période de 2008 à 2011, et la loi fédérale sur l’élection des députés à la Douma d’Etat de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie a été modifiée 17 fois sur le même intervalle.
219. Dans le système législatif russe, les amendements ne sont pas intégrés dans le texte existant mais sont adoptés comme des lois séparées. Cela rend la législation éminemment complexe et incohérente, au détriment de la précision et de la clarté, et ouvre la porte à la confusion et aux interprétations abusives.
220. A diverses reprises, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a appelé les autorités russes à élaborer, en collaboration avec la Commission de Venise, un code électoral consolidé 
			(49) 
			Voir, par exemple,
le Doc. 12275, rapport sur la situation de la démocratie en Europe
et l’évolution de la procédure de suivi de l’Assemblée.. En tant que corapporteurs, nous avons également soulevé ce point avec la délégation parlementaire russe à l’Assemblée. C’est ainsi que le 15 décembre 2011 la commission de suivi a transmis à la Commission de Venise pour un avis juridique, à notre initiative et avec l’accord de la délégation russe, les lois électorales et quatre autres lois fédérales qui suscitent des inquiétudes.
221. Dans son avis 
			(50) 
			Avis no 657/2011. publié en mars 2012, la Commission de Venise a confirmé qu’il convient d’améliorer la législation relative aux élections à la Douma d’Etat pour la rendre pleinement conforme aux normes internationales. Elle a également recommandé une simplification et une consolidation de ces textes. Elle a mis l’accent sur quelques préoccupations qui ont également été relevées par les observateurs des élections et qui avaient, dans une large mesure, alimenté le manque de confiance généralisé dans le processus électoral.
222. Le manque de neutralité de la Commission électorale centrale constitue sans doute le problème le plus grave. La CEC compte 15 membres, dont sont cinq nommés par le Président de la Fédération, cinq par la Douma d’Etat et cinq par le Conseil de la Fédération. Dès lors, elle est manifestement subordonnée à l’exécutif et au parti au pouvoir. C’est encore plus vrai pour les 83 commissions électorales des sujets de la Fédération (SEC), pour les 2 746 commissions électorales territoriales (TEC) et pour les plus de 95 000 commissions électorales de circonscription (PEC). La partialité des commissions électorales de tous les niveaux et sur l’ensemble de la période électorale est bien documentée. Nous y reviendrons dans les pages suivantes. La Commission de Venise a recommandé de modifier les procédures de nomination afin de garantir l’indépendance et l’impartialité effectives des commissions électorales.
223. La transparence des élections a été affectée par une clause restrictive ajoutée à la loi par un amendement de 2005: seuls les candidats inscrits ou les partis dont les listes de candidats participent au scrutin peuvent désigner des observateurs dans les bureaux de vote. Les ONG ou les associations ne sont pas autorisées à faire inscrire des observateurs. C’est la raison pour laquelle les bénévoles de Golos ont été contraints de mener l’observation des élections en qualité de journalistes travaillant pour le journal Grazhdanskij golos.
224. La transparence du scrutin le jour du vote a encore été réduite par les dispositions ambiguës qui permettaient aux présidents des commissions de refuser des observateurs et même des membres des commissions électorales en invoquant divers prétextes. La Commission de Venise a recommandé de modifier les règles applicables aux observateurs des élections afin de garantir qu’elles ne peuvent pas être interprétées d’une manière restrictive et pour éviter toute discrimination entre les observateurs nationaux et internationaux. Elle a aussi insisté sur le fait que des observateurs nationaux extérieurs aux partis devraient également être admis et que l’observation des élections devrait être élargie au processus postélectoral, conformément aux normes internationales.
225. La période préélectorale a été marquée par une convergence entre l’Etat et le parti au pouvoir. Il était habituel de voir les représentants des administrations régionales et locales participer à la campagne en faveur du parti au pouvoir. Les programmes sociaux et autres de l’Etat ont largement été exploités à des fins électorales. L’exemple le plus frappant est une affiche électorale de Russie Unie qui était pratiquement la copie des affiches de la commission électorale de la Ville de Moscou. Saisie d’une plainte de Iabloko et de Russie Juste, la CEC n’a pas conclu à une violation.
226. Parallèlement, des entraves au fonctionnement d’autres partis par les organes de l’Etat ont été signalées. Ainsi, il y aurait eu de nombreuses confiscations illégales de matériel de campagne, ainsi que des pressions exercées sur des entrepreneurs locaux engagés dans la campagne. La Commission de Venise a recommandé d’envisager des règles permettant de garantir la séparation effective entre l’Etat et les partis pour assurer leur efficacité.
227. Les médias n’ont pas respecté la législation en vigueur, autorisant des méthodes illicites de campagne et attribuant aux candidats de l’opposition des créneaux horaires défavorables. La Commission de Venise a recommandé de mettre en place des garanties pour assurer l’égalité d’accès aux médias.
228. Il faudrait par ailleurs réexaminer les règles de financement des campagnes électorales et envisager une forme de financement public.
229. Parmi les autres questions qui, de l’avis de la Commission de Venise, demandent à être prises en considération, sont citées les restrictions à l’enregistrement des listes fédérales de candidats, en particulier s’agissant de la vérification des signatures, le problème des circonscriptions, les obstacles à l’enregistrement des partis politiques (voir le prochain chapitre), l’interdiction des candidatures individuelles, la représentation des femmes et des minorités, la disposition interdisant les campagnes négatives, et les règles sur le vote mobile.
230. Un grand nombre d’observateurs affirment que, le jour du scrutin, l’accès aux bureaux de vote leur a été refusé ou qu’ils ont été empêchés d’effectuer leur travail d’observation. D’après un rapport publié par Golos, environ 10 % de ses observateurs étaient concernés. Par ailleurs, de nombreux observateurs ont été expulsés des bureaux de vote sans motif.
231. Les principales irrégularités ont été constatées après la fermeture des bureaux de vote, pendant et après le dépouillement, avec notamment des incidents de bourrage d’urnes et de falsification de procès-verbaux. L’ampleur de ces falsifications est particulièrement alarmante. Lors de la mission postélectorale, les représentants de Golos ont affirmé avoir constaté le nombre impressionnant de 700 procès-verbaux dûment signés mais présentant des résultats différents de ceux publiés par la CEC.
232. Le problème serait sans doute moins aigu si les procédures de plainte et d’appel étaient claires et bien suivies, ce qui n’a malheureusement pas été le cas. L’ambiguïté des dispositions de la loi (par exemple la distinction peu claire entre les mots «demande» et «plainte») et la partialité de certaines commissions (d’après le rapport publié par Golos, 76 % des plaintes déposées par leurs observateurs ont été rejetées et, en violation de la loi, 23 % d’entre elles n’ont même pas été consignées dans le procès-verbal) ont compromis la transparence de l’ensemble du processus de recours.
233. Aucune information n’est disponible sur le nombre total de plaintes déposées auprès des commissions électorales pendant la campagne électorale et après le jour du scrutin. Les déclarations publiques relatives au nombre de plaintes concernant la période préélectorale et le jour du scrutin ont été confuses et parfois contradictoires. La CEC ne semble pas avoir respecté le délai légal de cinq jours pour traiter l’ensemble des plaintes et leur apporter une réponse écrite. Elle n’a pas publié toutes les plaintes sur son site internet, contrairement à ce que demande la loi. L’ensemble du processus de traitement des plaintes au sein de la CEC manquait de transparence et de responsabilité, et n’offrait pas aux plaignants un droit à un recours effectif et dans un délai raisonnable.
234. Dans un rapport publié le 18 janvier 2012, le procureur général a annoncé avoir examiné 3 000 cas de violations commises durant la période électorale et qui lui avaient été signalés par la CEC. Ils incluaient des actes de campagne le jour du scrutin, des exclusions des listes électorales ainsi que la découverte, par un procureur régional, d’un procès-verbal détaillant les résultats électoraux la veille de la tenue des élections. Deux affaires pénales ont été ouvertes pour falsification et tentative de corruption d’électeurs et 95 personnes ont été accusées de violations administratives. Nous considérons que ces chiffres restent très différents de ceux qui ont été signalés par les observateurs de Golos, de Iabloko et d’autres partis.
235. La loi prévoit que les tribunaux peuvent également être saisis de telles plaintes. Toutefois, une application limitative des règles de recevabilité (ainsi, une plainte pour falsification d’un procès-verbal ne peut être introduite que par l’un de ses signataires, ce qui exclut l’intervention d’un intermédiaire comme Golos) a fortement limité le rôle des tribunaux. Au cours de la mission postélectorale, nous avons cependant été informés du dépôt de plusieurs centaines de plaintes portées devant les tribunaux par Iabloko, Juste Cause, le Parti communiste et Golos après le scrutin.
236. Nous avons également suivi avec un grand intérêt les initiatives citoyennes en vue de l’observation du scrutin présidentiel.
237. Comme nous l’avons indiqué plus haut, l’élection présidentielle s’est tenue le 4 mars 2012. L’Assemblée a envoyé une commission ad hoc qui a travaillé dans le cadre de la Mission internationale d’observation des élections qui comprenait également les missions d’observation des élections de l’OSCE/BIDDH et de l’Assemblée parlementaire de l’OSCE. Quarante observateurs à long terme ont été déployés dans le pays.
238. Afin de résoudre certains autres problèmes soulevés par les observateurs des élections législatives de décembre et d’améliorer la qualité du processus, le Premier ministre a annoncé l’introduction de mesures spécifiques le jour du scrutin, dont l’installation de webcams dans les bureaux de vote et l’utilisation d’urnes transparentes.
239. La législation électorale n’a toutefois pas été modifiée entre les élections législatives et présidentielle, et les principales préoccupations n’ont pas toutes été résolues. Elles sont à nouveau réapparues dans les conclusions des observateurs 
			(51) 
			Voir le Doc. 12903 de l’Assemblée et le Rapport de l’ OSCE sur le scrutin
présidentiel, Varsovie, 11 mai 2012..
240. A la lumière des considérations ci-dessus, nous concluons que la décision par laquelle la CEC a refusé l’inscription de M. Iavlinski n’a contribué ni à la qualité du processus démocratique ni au pluralisme politique en Russie. L’exigence des 2 millions de signatures à réunir dans au moins la moitié des 83 sujets de la Fédération en à peine vingt jours est déjà assez difficile et ne devrait pas être complétée par des interprétations restrictives. Comme nous le disions plus haut, le rejet de la candidature de M. Iavlinski a été motivé par le fait que 25 % de ses signatures étaient soit des copies, soit présentées sur des copies de formulaires. Cet argument nous paraît très discutable, et nous déplorons qu’il ait été invoqué pour limiter le pluralisme politique.
241. Nous avons déjà évoqué les propositions législatives du Président Medvedev à la Douma à la suite de sa déclaration devant les deux chambres du parlement, le 21 décembre 2011. L’une d’elles est le projet de loi fédérale «portant modification de certains textes de loi de la Fédération de Russie aux fins de supprimer la nécessité pour les partis politiques de recueillir les signatures des électeurs pour les élections des députés à la Douma d’Etat de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie, des autorités gouvernementales des entités constitutives de la Fédération de Russie et des collectivités locales», qui a été promulguée le 2 mai 2012. Avant son adoption, seuls les partis politiques représentés à la Douma d’Etat et les organes législatifs du pouvoir d’Etat à divers échelons étaient exonérés de l’obligation de collecter les signatures de soutien des électeurs dans le cadre des élections au niveau correspondant. La nouvelle loi stipule que tous les partis enregistrés en sont exemptés, hormis pour les élections présidentielles. Il réduit également le nombre de signatures requises pour les candidats indépendants. Pour les candidats à la présidence, le nombre de signatures exigées a été ramené de 2 millions à 100 000.
242. Bien évidemment, une élection juste et démocratique nécessite plus qu’une bonne législation. Le processus électoral dans son ensemble doit être véritablement concurrentiel et donner à tous les acteurs politiques la possibilité effective d’y prendre part. Cela étant dit, une amélioration de la législation électorale est essentielle pour garantir un processus électoral réellement démocratique et pluraliste.

5.2. Pluralisme des partis

243. Jusqu’au début de l’année 2012, sept partis étaient enregistrés en Russie. Quatre d’entre eux sont représentés à la Douma: Russie Unie (le parti au pouvoir, 238 sièges, à comparer aux 315 sièges dans la Douma précédente), le Parti communiste de la Fédération de Russie (92 sièges contre 57 sièges auparavant), le Parti libéral-démocrate de Russie (56 sièges contre 40 auparavant) et Russie Juste (64 sièges contre 38 auparavant). Les trois autres partis ne disposent pas d’une représentation parlementaire. Ce sont les Patriotes de Russie, le Parti démocrate uni russe Iabloko et le parti Juste Cause.
244. De 2003 à avril 2012, seuls deux partis ont été enregistrés en Russie, à savoir Russie Juste en 2003, et Juste Cause en 2009. Dans le même temps, pas moins de huit partis ont vu leur enregistrement refusé par le ministère de la Justice. Un parti, le Parti républicain de Russie, a été dissous.
245. Si, dans certains cas, les refus d’enregistrement du ministère de la Justice n’ont pas soulevé d’inquiétudes de la part de la société civile et des défenseurs des droits de l’homme, parce qu’ils étaient conformes aux pratiques de tout Etat démocratique et respectaient les normes démocratiques, certains autres ont suscité de vives controverses et ont fait l’objet de critiques de la société civile et de la communauté internationale.
246. Ce fut notamment le cas du Parti de la liberté du peuple (PARNAS), un mouvement d’opposition coprésidé par M. Boris Nemtsov, ancien Vice-Premier ministre, M. Mikhail Kasyanov, ancien Premier ministre, M. Vladimir Ryzhkov, ancien parlementaire de la Douma, et M. Vladimir Milov, ancien vice-ministre de l’Energie. Le parti est très critique à l’égard des politiques menées par le gouvernement. Son programme inclut le retour à un mandat présidentiel de quatre ans, la révision du procès de l’ancien dirigeant de Ioukos, Mikhail Khodorovski, et la révision des règles d’enregistrement des partis. Selon ses fondateurs, le parti est représenté par des antennes régionales dans 53 des 83 régions de Russie et compte plus de 46 000 membres, satisfaisant ainsi aux exigences juridiques minimales pour être enregistré comme parti politique. Il a tenu son congrès fondateur le 13 décembre 2010 et déposé sa demande d’enregistrement le 23 mai 2011. Le ministère de la Justice a fait part de son refus le 22 juin 2011. Cette décision était d’autant plus préoccupante qu’elle est intervenue à l’approche des élections législatives, et a empêché le parti de se présenter à ce scrutin.
247. Au cours de notre visite à Moscou, en juillet 2011, nous avons rencontré le vice-ministre de la Justice, M. Lubimov, ainsi que les directeurs des services directement impliqués dans la procédure d’enregistrement. Selon les explications qui nous ont été fournies par les responsables, ils auraient appliqué à la lettre la loi sur les partis politiques, certaines des dispositions des statuts du Parti de la liberté du peuple n’étant pas conformes à la législation en vigueur. En particulier, la charte du parti ne prévoyait pas de système de rotation de ses dirigeants. Par ailleurs, des vérifications aléatoires ont prouvé qu’un certain nombre de membres du parti ne satisfaisaient pas aux exigences (ils n’avaient par exemple pas d’adresse permanente), et que d’autres étaient en réalité décédés.
248. Pour sa part, M. Nemtsov a affirmé que l’effectif de son parti dépassait largement le seuil des 40 000 adhérents (la liste comptait 45 000 noms dont seuls 72 étaient invalides). De plus, selon M. Nemtsov, la charte stipule clairement que, lors des congrès organisés régulièrement par le parti, un vote serait entrepris pour désigner les dirigeants. Toujours d’après lui, les statuts de son parti ont été «copiés» sur ceux de Russie Unie (le parti au pouvoir), une allégation toutefois réfutée par le ministère.
249. Cette décision regrettable a été prise peu de temps après l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 12 avril 2011 
			(52) 
			Voir Parti républicain de Russie c. Russie (Requête
no 12976/07)., qui a critiqué la loi fédérale sur les partis politiques et qualifié d’injustifiée la dissolution du Parti républicain de Russie en 2007. Cette affaire concernait la plainte formulée par le parti à propos de l’ingérence des autorités dans son fonctionnement interne et sa dissolution en 2007 sur décision de justice. La Cour européenne des droits de l’homme a conclu à une violation de l’article 11 (liberté de réunion et d’association) de la Convention européenne des droits de l’homme pour ce qui est du refus des autorités de modifier les informations relatives au Parti républicain dans le registre national et de sa dissolution ultérieure.
250. Nous étions tous deux d’avis que la loi fédérale sur les partis politiques devrait manifestement être révisée. Malheureusement, l’arrêt rendu en avril par la Cour ne le demande pas explicitement. Il ne s’agit pas d’un arrêt pilote et son dispositif n’exige pas une modification de la loi. C’est pourquoi la commission de suivi, réunie le 15 décembre 2011, a demandé, à notre initiative et en accord avec la délégation russe, que la Commission de Venise procède à une expertise juridique de cette loi.
251. Dans son avis 
			(53) 
			Avis no 658/2011. publié en mars 2012, La Commission de Venise a relevé de graves lacunes dans la loi alors en vigueur. D’après la Commission de Venise, cette loi rendait très difficile l’existence même des partis politiques et n’était pas conforme aux normes européennes, et en particulier aux articles 10 et 11 de la Convention européenne des droits de l’homme.
252. Les principaux problèmes identifiés par la Commission de Venise concernent la procédure d’enregistrement des partis politiques et le contrôle des affaires internes des partis politiques par les autorités de l’Etat. La Commission de Venise a recommandé que le nombre d’adhérents exigé soit considérablement abaissé, que les conditions de représentation régionale soient assouplies, voire abolies, et que le contrôle intrusif exercé pendant la phase initiale d’enregistrement soit atténué. De plus, les partis devraient être en mesure de contrôler leurs propres procédures internes et, le cas échéant, de saisir les tribunaux. L’ensemble des pouvoirs de supervision et de contrôle des partis politiques devrait être attribué à une autorité indépendante ne relevant pas du pouvoir exécutif, de façon à assurer la transparence et à favoriser la confiance dans les institutions.
253. Le parti Juste Cause, créé en 2009 par la fusion de l’Union des forces de droite, du parti de la Force civile et du Parti démocrate de Russie, est le seul à avoir obtenu son enregistrement avant les élections de décembre 2011. Certains pensent que le Kremlin aurait autorisé sa formation parce qu’il cherchait un parti loyal susceptible de rassembler les électeurs libéraux. Son fondateur, M. Leonid Gozman, qualifie son parti de «compromis politique avec les autorités» 
			(54) 
			The
Moscow Times, 17 mai 2011..
254. Dans la pratique, les difficultés rencontrées par les partis politiques pour leur enregistrement en vue d’élections ont restreint la concurrence politique en Russie, ont réduit les choix disponibles pour l’électorat et ont réellement fait obstacle au pluralisme politique dans le pays.
255. Une fois encore, nous reconnaissons qu’en 2009 et 2010 les autorités ont pris certaines mesures pour renforcer la pluralité du système. Nous avons déjà évoqué dans le chapitre précédent un certain nombre de lois visant à faciliter l’accès des partis aux élections législatives.
256. Ces mesures ont été enrichies par d’autres textes de loi, dont des amendements à la loi sur les partis politiques prévoyant une réduction progressive du nombre minimal de membres requis pour la création et les activités d’un parti politique. Une des lois proposées par le Président de la Fédération de Russie et adoptées par la Douma permet à un représentant des partis sans siège à la Douma de participer, au moins une fois par an, dans un débat parlementaire (cette disposition s’applique également aux assemblées régionales). Un autre texte adopté au cours de cette période, la loi fédérale relative à l’égalité de traitement des partis représentés au parlement dans les reportages consacrés à leurs activités par les émissions des télévisions et radios publiques nationales, garantit l’égalité de traitement des partis politiques dans les reportages consacrés à leurs activités et définit les obligations imposées aux programmes (émissions) des télévisions et radios russes nationales et régionales lorsqu’elles rendent compte des activités des partis politiques.
257. A la suite des critiques exprimées au lendemain des élections législatives de décembre 2011, le président de l’époque a proposé des amendements à la loi fédérale sur les partis politiques. Ils sont entrés en vigueur le 4 avril 2012. La loi révisée ramène de 40 000 à 500 le nombre de membres que doit réunir un parti politique avant de pouvoir être enregistré. De plus, elle ne formule aucune exigence quant au nombre de membres qui doivent provenir d’entités régionales. La loi prévoit une suspension de trois mois de la procédure d’enregistrement en cas de non-conformité de la demande avec les exigences de la procédure; la procédure reprend à l’issue des trois mois.
258. Après les amendements à cette loi, le ministère de la Justice a relevé, au 1er juin 2012, la création de 172 comités d’organisation et a reçu neufs demandes d’enregistrement. En outre, cinq organisations ont signifié au ministère leur intention de se faire enregistrer comme des partis politiques.
259. Dans le cadre de l’exécution de l’arrêt de la Cour, le ministère à revalidé l’enregistrement du Parti républicain de Russie.
260. Nous avons déjà évoqué dans le chapitre précédent la loi supprimant la nécessité, pour les partis politiques, de recueillir des signatures d’électeurs en vue des élections législatives.
261. Nous saluons ces progrès qui nous paraissent extrêmement importants pour la situation de la démocratie en Russie. Nous déplorons toutefois que ces amendements n’aient pas fait l’objet de consultations avec la Commission de Venise et n’aient pas répondu à toutes les préoccupations formulées par cette dernière, notamment du point de vue du degré de contrôle bureaucratique sur la création et le fonctionnement des partis politiques.
262. Dès lors que l’on s’intéresse à la démocratie représentative, à son bon fonctionnement et à l’efficacité du processus démocratique, la question de la place laissée à l’opposition est incontournable. Le pluralisme politique est une pierre angulaire de la démocratie et d’une société moderne, et une source de légitimité politique.
263. Jusqu’aux dernières élections législatives, le parti au pouvoir disposait d’une majorité constitutionnelle à la Douma d’Etat et, en outre, les partis de l’opposition parlementaire – à l’exception du Parti communiste – ont rarement remis en cause les politiques du gouvernement. Cette situation a certainement affaibli le contrôle du parlement sur l’exécutif.
264. Le fait qu’une grande partie de l’opposition russe ne soit toujours pas représentée à la Douma et ne participe pas au dialogue politique est une source de préoccupation. Une telle situation ne saurait être bénéfique pour le système démocratique dans son ensemble.
265. Nous saluons le fait que les autorités se déclarent ouvertes aux réformes, mais tenons à souligner que, pour faire des progrès réels dans ce domaine, il faudrait une amélioration considérable de l’environnement politique de sorte que les forces de l’opposition soient de réels adversaires dans la course électorale et qu’un système multipartite digne de ce nom s’instaure.

5.3. Séparation des pouvoirs, système de contre-pouvoirs

266. Depuis l’adoption par la Douma, en 2004, des amendements aux lois fédérales «relative aux principes généraux de l’organisation des instances législatives et exécutives nationales des sujets de la Fédération de Russie» et «sur les garanties fondamentales des droits électoraux et du droit des citoyens de la Fédération de Russie à participer à des référendums», la composition de la chambre haute du parlement est, dans une certaine mesure, déterminée par le Président de la Fédération.
267. La chambre haute du Parlement russe – le Conseil de la Fédération – est composée de deux représentants de chaque sujet de la Fédération de Russie, issus respectivement des instances législatives et exécutives. Sa tâche principale est de contrôler l’action des autorités fédérales et notamment du président.
268. Alors qu’avant 2004 le Conseil de la Fédération était constitué pour moitié de gouverneurs élus au suffrage universel direct, depuis l’adoption des amendements mentionnés précédemment, depuis, le Président de la Fédération de Russie soumet une candidature au parlement régional, qui ne peut opposer son refus que par deux fois. Dans une telle éventualité, le président a le droit de dissoudre le parlement régional et de nommer un chef intérimaire de l’exécutif régional (il peut aussi soumettre cette candidature une troisième fois).
269. Par ailleurs, le président peut révoquer des gouverneurs avant la fin de leur mandat pour divers motifs, tels que la «perte de confiance du président» ou les «manquements dans l’exercice de leurs fonctions». Bien évidemment, ces dispositions restreignent considérablement l’indépendance des gouverneurs et, par voie de conséquence, celle de la chambre haute du parlement.
270. La Commission de Venise a exprimé ses vives préoccupations à propos de la loi en vertu de laquelle la moitié des membres de l’organe législatif sont nommés et peuvent être révoqués par le président lui-même. Dans son avis 
			(55) 
			Avis no 321/2004 (CDL-AD(2004)042)., la Commission de Venise a conclu que l’adoption de la loi nécessite une réforme de la composition du Conseil de la Fédération afin de préserver le principe de la séparation des pouvoirs.
271. Sur l’ensemble de la période couverte par le présent rapport, la chambre basse du Parlement russe, la Douma, a été dominée par Russie Unie, le parti favorable au président qui bénéficiait d’une majorité constitutionnelle des deux tiers jusqu’aux récentes élections. De plus, deux des trois autres partis (Russie Juste et le Parti libéral-démocrate) soutiennent régulièrement Russie Unie lors des votes. Cette situation n’a pas beaucoup évolué depuis les élections de décembre, même si Russie Unie ne dispose plus actuellement que de la majorité simple.
272. Compte tenu des graves préoccupations formulées quant à l’équité des élections législatives successives, cette situation ne peut que soulever des inquiétudes.
273. Comme nous l’avons indiqué plus haut, le 16 janvier 2012, le Président Medvedev a présenté à la Douma d’Etat un projet de loi fédérale «sur les grands principes d’organisation des organes législatifs (représentatifs) et exécutifs des sujets de la Fédération de Russie» rétablissant l’élection directe des gouverneurs, au lieu d’une nomination par le président, ce que nous saluons. Cette loi est entrée en vigueur le 1er juin 2012.
274. Nous réitérons toutefois nos préoccupations relatives à la conformité de cette loi avec les normes démocratiques, notamment sur la question d’un éventuel contrôle présidentiel sur la liste des candidats se présentant aux élections. D’après la loi, les candidats sont soit proposés par les partis politiques, soit indépendants. Le Président de la Fédération peut, à sa propre initiative, engager des consultations avec les partis politiques et avec les candidats indépendants. Les nominations doivent être soutenues par 5 % à 10 % des élus des organes représentatifs des circonscriptions locales pour que le nom des candidats puisse être inscrit sur les listes électorales.
275. L’indépendance de l’appareil judiciaire est abordée dans un des chapitres suivants.

5.4. Pluralisme des médias

276. La liberté des médias reste un sujet de grave préoccupation en Russie. Elle est fortement compromise par le contrôle de l’Etat sur les médias radiodiffusés, la faible diversité des organes de presse, l’usage arbitraire de la loi contre l’extrémisme et, par-dessus tout, l’impunité des actes de violence à l’encontre de journalistes. L’organisation internationale de défense de la liberté de la presse, Reporters sans frontières, a classé la Russie au 140e rang sur 178 pays dans son index de la liberté de la presse 2010 
			(56) 
			Voir le site internet: <a href='http://fr.rsf.org/press-freedom-index-2011-2012,1043.html'>http://fr.rsf.org/press-freedom-index-2011-2012,1043.html</a>., derrière des pays tels que l’Ethiopie ou le Qatar.
277. Les médias radiodiffusés manquent manifestement de diversité. Depuis l’an 2000, le gouvernement a établi son contrôle sur l’ensemble des médias nationaux en centralisant, fermant ou nationalisant les chaînes télévisées et les stations de radio indépendantes 
			(57) 
			Dans les années 2000,
toutes les chaînes de télévision nationales (Channel One, NTW, ORT,
TW-6) ont été soit nationalisées, soit placées sous le contrôle
de l’Etat (par la prise d’une participation majoritaire au capital),
et toutes évitent de critiquer le pouvoir.. Il conserve aussi le contrôle des plus grandes stations de radio, Radio Mayak et Radio Rossyi, ainsi que des agences de presse ITAR-TASS et RIA Novosti. Seules deux stations de radio, Ekho Moskvy et Radio Svoboda, ont réussi à préserver leur indépendance.
278. Dans le rapport de 2005 sur la Russie, et dans l’intention de parvenir à la mise en place d’une plate-forme indépendante pour tout le spectre des opinions politiques, nos prédécesseurs ont appelé à créer une véritable chaîne nationale de télévision publique placée sous la responsabilité d’un radiodiffuseur public indépendant, dans le strict respect des normes pertinentes du Conseil de l’Europe 
			(58) 
			Voir la Résolution
sur l’avenir du service public de la radiodiffusion adoptée lors
de la 4e Conférence ministérielle européenne
sur la politique des communications de masse, en 1994, et la Recommandation
no R (96) 10 du Comité des Ministres
sur la garantie d’indépendance du service public de radiodiffusion.. Nous estimons que cette recommandation n’a pas été suivie d’effet, car l’on ne saurait qualifier la télévision Channel One, qui est la propriété de l’Etat, de conforme à ces normes.
279. De même, nos prédécesseurs ont demandé la création d’un organe indépendant de régulation pour le secteur public de radiodiffusion, conformément aux normes du Conseil de l’Europe 
			(59) 
			Voir la Recommandation
Rec(2000)23 du Comité des Ministres, du 20 décembre 2000.. Un conseil de la radiodiffusion a en effet vu le jour en 2008, mais sa composition et les méthodes de nomination et d’exclusion de ses membres, qui dépendent fortement de l’exécutif, ne permettent pas de garantir son indépendance.
280. Dans leurs observations sur l’avant-projet de rapport de la commission de suivi de l’Assemblée, les autorités russes nous ont indiqué que le 12 avril 2012, le Président Poutine a promulgué un décret «sur la télévision publique en Fédération de Russie» par lequel la création d’une nouvelle chaîne publique est décidée. Le décret prévoit également la création d’un Conseil de la télévision publique chargé de la surveillance de la chaîne publique. Les membres de ce conseil ne peuvent être des membres du Conseil de la Fédération, de la Douma d’Etat ou de la Chambre publique, des fonctionnaires des divers niveaux du gouvernement ou des agents des services municipaux. Ils seront proposés par la Chambre publique (voir le paragraphe 301) et nommés par le président. Nous pensons qu’il s’agit d’une évolution positive qui devrait favoriser la liberté d’expression en Russie, et nous y serons très attentifs.
281. S’agissant de la presse, un petit nombre de journaux nationaux, à l’instar de Novaya Gazeta, ont réussi à conserver leur indépendance éditoriale et expriment des points de vue divergents, assurant ainsi un minimum de pluralisme. Cependant, la pression sur les médias indépendants reste considérable. Certains rapports font état de l’usage sélectif de réglementations bureaucratiques, de pratiques d’intimidation et de harcèlement et, parfois, de l’ouverture d’enquêtes pénales motivées par des considérations politiques contre des journalistes critiques à l’égard du pouvoir.
282. Au niveau local, la situation est plus contrastée. Dans certaines régions russes, comme celle de Perm, les médias sont relativement libres mais, dans d’autres, le contrôle du pouvoir politique ou de potentats locaux, notamment liés aux grands groupes énergétiques et industriels, est total. Les interdictions d’imprimer ou de distribuer les journaux de la presse indépendante sont une pratique commune 
			(60) 
			Voir Reporters sans
frontière, Rapport par pays: Russie, 2 juillet 2011..
283. Les publications électroniques connaissent également une croissance dynamique; Izvestia a récemment rapporté que l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) contrôlera les réseaux sociaux afin de prévenir les manifestations de masse telles que celles qui se sont déroulées récemment en Tunisie et en Egypte 
			(61) 
			Sommet
de l’OTSC à Astana, août 2011..
284. Le procureur général russe Youri Chaika a souligné l’importance d’un contrôle des services de réseaux sociaux, affirmant qu’il est «justifié par la protection des intérêts des citoyens, mais également par la prévention de la montée de la criminalité» 
			(62) 
			Ibid.. Cette déclaration permet de supposer que M. Chaika n’a pas connaissance de la Convention sur la cybercriminalité du Conseil de l’Europe (STE no 185).
285. Les projets d’amendements à la loi «sur la protection des enfants contre les dangers de l’information pour leur santé et leur développement» qui sont actuellement examinés par la Douma inquiètent la société civile. Le projet de loi révisée publié sur le site internet de la Douma prévoit la mise en place d’une liste noire de sites internet contenant des informations dont la diffusion est interdite. Ses auteurs affirment qu’elle vise à bloquer les sites présentant des contenus pornographiques, des informations relatives à la toxicomanie ou à l’automutilation. Les critiques craignent toutefois une interprétation abusive et la mise en place d’une censure qui aboutirait au filtrage des contenus en ligne, y compris des moteurs de recherche internationaux, comme le pratique la Chine. En signe de protestation, Wikipedia a fermé son portail en langue russe pendant vingt-quatre heures.
286. Compte tenu de l’influence grandissante d’internet en tant que principale source d’information (plus de 40 % des citoyens russes utilisent Runnet), la question de la liberté d’expression en ligne a considérablement gagné en pertinence. Internet est devenu une plate-forme de mobilisation politique et sociale.
287. Le filtrage et la surveillance en ligne, ainsi que les attaques contre les sites web de l’opposition, sont déjà malheureusement des pratiques courantes, comme l’illustrent bien les problèmes rencontrés par Golos en décembre 2011.
288. Le blocage de sites web est une pratique largement employée par les autorités, principalement au plan régional, pour contrôler les contenus diffusés sur internet. En juillet 2010, un tribunal de la République d’Ingouchie a demandé à un fournisseur local d’accès internet de bloquer l’accès à LiveJournal; en août 2010, un fournisseur de Toula a temporairement bloqué l’accès au portail indépendant Tulskie Pryaniki. Un fournisseur de la ville de Khimki a bloqué l’accès des usagers à Ecmo.ru car ce site hébergeait une pétition appelant le maire de cette ville, Vladimir Strelchenko, à démissionner. Il existe d’autres exemples de cette méthode.
289. Les cyberattaques se multiplient également, notamment à l’encontre de plates-formes de blog comme LiveJournal et des sites web des quotidiens indépendants comme Novaya Gazeta. Le blocage de sites ou les attaques contre les blogueurs sont de plus en plus fréquents, ce qui a amené Reporters sans frontières à placer la Russie «sous surveillance» dans la liste des «ennemis d’internet» publiée le 12 mars 2011.
290. Tout comme nos prédécesseurs dans le rapport de 2005 sur la Russie, nous ne pouvons que conclure à la garantie insuffisante du pluralisme et de l’indépendance des médias en Fédération de Russie et que cette situation a des conséquences manifestes sur le fonctionnement de la démocratie dans le pays. Nous espérons toutefois que la création d’une nouvelle chaîne de télévision publique et d’un Conseil de la télévision publique contribuera à l’amélioration de la situation, et nous y serons attentifs.
291. Nous reviendrons sur la question de la liberté d’expression et de la situation des journalistes en Russie dans le chapitre sur les droits de l’homme et les libertés fondamentales.

5.5. Société civile

292. Une société civile mûre, active et bien organisée constitue un rouage important pour le fonctionnement d’un système démocratique et pour le dynamisme de la démocratie en général. Elle joue un rôle essentiel dans le système des contre-pouvoirs démocratiques.
293. Les événements qui se sont produits au lendemain des récentes élections démontrent qu’il existe une société civile forte en Russie, ce qui permet d’envisager avec un grand optimisme l’avenir de la démocratie dans ce pays.
294. La loi de la Fédération de Russie sur les organisations non gouvernementales, qui est entrée en vigueur en avril 2006, contient plusieurs dispositions controversées qui ont été critiquées par la société civile dans le pays et à l’étranger. Les dispositions de cette loi imposent notamment aux ONG de soumettre un rapport annuel sur leurs activités et sur leurs sources de financement. A défaut ou en cas de non-respect des exigences et conditions strictes définies dans cette loi, les ONG courent le risque d’être dissoutes par décision d’un tribunal.
295. La Russie compte plus de 200 000 ONG. Lors de nos missions dans ce pays, nous avons eu l’occasion de rencontrer des représentants de nombreuses organisations non gouvernementales nationales et internationales, et avons été impressionnés par leur engagement et leur contribution à la démocratie. Certaines ONG ont joué un rôle majeur dans la récente mobilisation de la société russe en réunissant des preuves de dysfonctionnements et de carences du système politique russe, en dénonçant les violations des droits de l’homme et en proposant des conseils juridiques aux victimes. Golos, une organisation spécialisée dans l’observation d’élections, a considérablement contribué à divulguer les irrégularités du processus électoral. La Ligue des citoyens, qui vient de voir le jour pour l’observation du scrutin présidentiel, illustre bien le rôle que la société civile peut jouer en faveur de la démocratisation du système.
296. Dans ce contexte, nous sommes vivement préoccupés par les efforts des autorités visant à discréditer quelques-unes des ONG nationales et internationales les plus respectées en les accusant publiquement, de manière infondée, d’obéir aux instructions de l’étranger, de servir des intérêts étrangers et d’accepter des fonds provenant de l’étranger.
297. Les amendements à la loi russe sur les ONG, proposés par Russie Unie, sont particulièrement préoccupants. Au moment de la rédaction du présent rapport, ils avaient déjà été adoptés par la Douma et attendaient leur adoption par le Conseil de la Fédération prévue à l’automne. Le projet de loi contraindrait les organisations non gouvernementales recevant des fonds de l’étranger et participant à une «activité politique» (une expression à la définition vague et sujette à interprétation) de se faire enregistrer en qualité d’«agents extérieurs», et les soumettrait à de lourdes obligations bureaucratiques de rapports. Les termes «agents extérieur» ont une connotation négative en russe et l’enregistrement proposé stigmatiserait la majorité des ONG de défense des droits de l’homme qui bénéficient de subventions provenant de l’étranger.
298. Ce projet a suscité de vives réactions de la part de nombreuses ONG ainsi que de la communauté internationale. La Haute représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, Mme Catherine Ashton, s’est déclarée préoccupée par ces amendements qui, de son point de vue, risquent de limiter l’espace disponible pour une société civile dynamique dans le pays 
			(63) 
			RIA
Novosti, 10 juillet 2012.. Le projet de texte a également été critiqué par M. Mikhail Fedotov, le président du Conseil présidentiel sur le développement de la société civile et les droits de l’homme.
299. Les pressions injustifiées et les intimidations sont également monnaie courante. Lors d’une conférence de presse le 31 janvier 2012, les dirigeants de Golos ont évoqué des intimidations ouvertes, des tentatives pour expulser l’organisation de ses locaux, des cas d’écoutes téléphoniques et d’effraction dans ses boîtes aux lettres à l’approche de l’élection présidentielle 
			(64) 
			RIA Novosti, 31 janvier
2012..
300. La question plus générale du harcèlement, des agressions et des meurtres de défenseurs des droits de l’homme, y compris l’assassinat de la célèbre militante Natalia Estemirova, ainsi que le climat d’impunité qui règne autour de ces faits seront traités dans le chapitre sur la situation en matière de droits de l’homme. Nous tenons simplement à exprimer ici notre vive inquiétude face à la liste dramatiquement longue des meurtres. Dans la majeure partie des cas, leurs auteurs n’ont pas été identifiés. Cette situation est inadmissible et doit changer.
301. En 2005, une loi adoptée par la Douma a conduit à l’établissement d’une Chambre publique – un organe consultatif composé de représentants d’ONG. Certains de ces représentants sont nommés par le Président de la Fédération, et cooptent, à leur tour, d’autres représentants d’ONG. Cette chambre a pour mission «d’examiner les décisions clés du gouvernement et surtout les projets de loi relatifs aux perspectives de développement revêtant une importance pour l’ensemble du pays» 
			(65) 
			<a href='http://www.president.kremlin.ru/'>www.president.kremlin.ru</a>.. La Chambre publique est financée par le budget fédéral.
302. Au cours de nos visites, nous avons rencontré le président et les membres de la Chambre publique, mais nous avons encore du mal à comprendre la logique sous-jacente à la création de cet organe, dont les travaux – à notre avis – font double emploi avec ceux d’un parlement élu.
303. Certaines ONG ont critiqué la création de la Chambre publique, affirmant qu’elle s’apparente à un instrument destiné à modeler et à apprivoiser la société civile.

5.6. Démocratie locale et régionale

304. Lors de son adhésion, la Fédération de Russie s’est engagée à signer et ratifier la Charte européenne de l’autonomie locale (STE no 122), ce qu’elle fit en 1998.
305. Dans sa dernière recommandation sur la démocratie locale et régionale en Fédération de Russie 
			(66) 
			Recommandation 297 (2010) du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil
de l’Europe., adoptée en 2010, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, qui contrôle la mise en œuvre de la Charte européenne de l’autonomie locale, a reconnu les progrès réalisés par le Gouvernement russe en matière de réforme législative de la démocratie locale et régionale et les avancées enregistrées, en coopération avec les associations de pouvoirs locaux, dans la mise en œuvre de la législation sur l’autonomie locale et des nouvelles structures qui en découlent, dans la modernisation des pouvoirs locaux et régionaux en Fédération de Russie, ainsi que dans la formation des administrateurs et des élus locaux à l’exercice de leurs nouvelles fonctions.
306. Dans le même temps, le Congrès a cependant souligné plusieurs sujets de préoccupation. Il s’agit, entre autres, des amendements concernant la révocation des maires, qui peuvent avoir pour conséquence d’empêcher ces derniers d’exercer leur mandat électif sans ingérence ou pression politique des conseils municipaux.
307. La question de la nomination des gouverneurs, une pratique qui était en vigueur avant l’adoption d’une proposition de loi déposée par le Président Medvedev fin décembre 2011, constituait également un grave sujet de préoccupation pour le Congrès comme pour l’Assemblée parlementaire. Le Président du Congrès a salué la réforme proposée par le Président Medvedev dans une déclaration publiée le 18 janvier 2012.
308. Le manque de garanties juridiques permettant d’éviter que les pouvoirs locaux soient soumis à un niveau excessif de contrôle par des autorités supérieures (régionales) ainsi que les interventions de plus en plus fréquentes dans les affaires relevant de l’autonomie locale par les autorités de niveau supérieur (régionales) sont incompatibles avec la disposition de la charte relative au principe de subsidiarité.
309. Cette situation est encore aggravée par les compétences peu claires des pouvoirs locaux et l’important écart entre leurs compétences et leurs ressources. Par ailleurs, à la suite de l’introduction récente d’une nouvelle loi, la portée des compétences partagées a été élargie, donnant lieu à un transfert forcé de compétences des niveaux supérieurs avec les ressources financières qui les accompagnent.
310. En juin 2011, à la suite de l’Instruction présidentielle «sur la préparation de suggestions sur la répartition des pouvoirs entre les autorités exécutives fédérales, les autorités exécutives des entités de la Fédération de Russie et les collectivités locales», un groupe de travail a été créé et chargé d’élaborer les propositions législatives correspondantes. Le gouvernement prépare actuellement des projets de lois et mène des consultations avec toutes les parties prenantes. Nous espérons que le projet définitif tiendra compte de toutes les recommandations du Congrès.
311. Non seulement les autorités locales disposent de fonds nettement insuffisants pour s’acquitter des missions que leur confient des lois spécifiques, mais elles ne sont pas libres de définir les priorités de leurs dépenses, de faire des choix politiques et de fixer le montant des taxes et des charges locales, ce qui les rend encore plus vulnérables face aux pressions politiques.
312. D’après les informations communiquées par les autorités russes, le président entrant a chargé le gouvernement de lui soumettre, avant la fin de l’année 2012, des propositions législatives visant à augmenter les moyens financiers des collectivités locales et à garantir la stabilité des budgets régionaux. Ainsi, l’une des mesures envisagées serait de réexaminer les régimes de cotisations sociales afin d’affecter prioritairement les recettes aux budgets locaux.
313. L’obligation de consulter les pouvoirs locaux sur toutes les questions qui les concernent directement n’est pas toujours respectée, en violation de la Charte européenne de l’autonomie locale (par exemple à Toula où le parlement régional a adopté une loi modifiant l’organisation des élections municipales pour les villes de plus de 400 000 habitants pour passer d’un système majoritaire à un système proportionnel, sans consulter le conseil municipal de Toula).
314. La corruption est l’un des défis majeurs auxquels est confrontée la démocratie locale en Russie. En dépit des lois de lutte contre la corruption, s’agissant notamment des conflits d’intérêts, la législation serait habituellement contournée. Nous reviendrons sur cette question dans le chapitre sur l’Etat de droit.

6. Etat de droit

6.1. Pouvoir judiciaire

315. La Fédération de Russie a accompli des progrès considérables dans la mise en œuvre des recommandations du Conseil de l’Europe concernant la modernisation de son système judiciaire, en termes de travail législatif. Des réformes importantes ont été réalisées dans le domaine du droit en Russie depuis les années 1990. Cependant, des problèmes de taille subsistent.
316. Le manque d’indépendance du pouvoir judiciaire et le manque de confiance du public, qui en résulte, constituent les principaux problèmes du système judiciaire russe 
			(67) 
			D’après un sondage
d’opinion réalisé en 2006, seuls 19 % des Russes ont confiance dans
l’impartialité et l’indépendance de la justice (RIA Novosti, 22
juin 2006).. Ils sont profondément enracinés dans la culture juridique et politique, car les juges de l’époque soviétique étaient souvent considérés non pas comme des arbitres, mais plutôt comme des défenseurs des intérêts de l’Etat. Ces problèmes ne sont manifestement pas faciles à résoudre 
			(68) 
			Le 15 juillet 2008,
s’exprimant lors de la Conférence sur le développement du système
judiciaire, le Président Medvedev a admis que la Russie est loin
d’avoir un pouvoir judiciaire indépendant et que les juges subissent fréquemment
des pressions lors des audiences. D’après le président, il importe
de prendre toutes les mesures nécessaires pour renforcer l’indépendance
des juges; la législation en vigueur devrait la garantir. Cependant,
il va sans dire que des pressions et influences sont exercées, que
l’administration est instrumentalisée et que la corruption directe est
souvent utilisée (RIA Novosti, 16 juillet 2008).. L’une des mesures visant à améliorer l’image de l’appareil judiciaire est l’adoption, en 2008, de la loi «sur l’accès aux informations relatives aux activités des tribunaux en Fédération de Russie» ainsi que la publication, sur le site internet de la Cour suprême, d’informations sur l’état d’avancement des procédures judiciaires.
317. Le cadre législatif et administratif, qui ne protège pas les juges contre l’influence indue de l’Etat ou d’intérêts privés, contribue clairement au faible degré d’indépendance du pouvoir judiciaire. Le fonctionnement du pouvoir judiciaire induit des pressions sur les juges à travers un système complexe qui n’est pas toujours manifeste ou visible et qui met en œuvre non seulement des pressions externes, mais aussi des mécanismes internes et la bureaucratie.
318. Ces mécanismes internes sont devenus plus importants à la suite de l’action des autorités visant à renforcer les pouvoirs de l’exécutif, appelée en Russie «renforcement du pouvoir vertical». Les ingérences politiques se sont intensifiées dans le contexte des lois entrées en vigueur après le «siège» de Beslan, prétendument à des fins de «lutte contre le terrorisme». L’exécutif exerce un pouvoir considérable à travers le Haut collège de qualification 
			(69) 
			Le Haut collège de
qualification de la Fédération de Russie comprend 29 membres, y
compris des juges de différents échelons, nommés par le Conseil
des juges, 10 membres nommés par le Conseil de la Fédération et
un membre nommé par le Président de la Fédération. et les collèges de qualification judiciaire 
			(70) 
			Ils sont composés de
juges des tribunaux de la Fédération de Russie à différents échelons,
de membres nommés par la Conseil de la Fédération et d’un membre
nommé par le Président de la Fédération., qui sont censés constituer un organe d’autogouvernance du système judiciaire chargé de nommer, promouvoir et révoquer les juges.
319. Les procédures de sélection et de nomination ne sont pas transparentes, et le défaut de réglementation ou de procédures et normes claires établies par les collèges crée un risque d’abus.
320. Le droit des présidents de tribunal de s’opposer à un candidat (ou plusieurs) proposé(s) par le Haut collège de qualification confère à ceux-ci un pouvoir étendu et une compétence difficilement justifiables sachant que les collèges sont censés examiner rigoureusement chaque candidature, évaluer les examens et faire passer des entretiens 
			(71) 
			Dans leurs observations
sur l’avant-projet de rapport de la commission de suivi de l’Assemblée,
les autorités ont insisté sur le fait que, d’après la procédure,
la décision finale de recommander un candidat est prise par le Haut
collège de qualification et non par les présidents de tribunaux,
dont le veto peut être rejeté par une majorité des deux tiers. Nous estimons
toutefois que le rôle des présidents de tribunal dans la procédure
de sélection et de nomination est trop étendu et ne se justifie
pas..
321. Enfin, le caractère incontestable du refus de nomination, autrement dit l’absence de recours et le défaut d’obligation de motivation, mis en place en 2001 par le Président de la Fédération de Russie, a beaucoup affaibli la procédure de sélection. En outre, il n’existe pas de normes claires pour la procédure au niveau du bureau chargé, au sein de l’administration présidentielle, d’approuver les candidatures. Par exemple, aucun délai n’est fixé pour la nomination. Il convient de souligner qu’un pourcentage élevé de candidatures recommandées n’est pas avalisé par l’administration présidentielle 
			(72) 
			Commission internationale
de juristes, «The state of the judiciary in Russia», 2010.. Dans leurs observations sur l’avant-projet de rapport de la commission de suivi de l’Assemblée, les autorités russes ont fait observer que l’expression «un pourcentage élevé» est inexacte, étant donné que le Président de la Fédération a rejeté à peine 4 % des candidats en 2009, 2 % en 2010 et 1 % en 2011. Nous estimons toutefois que cette ingérence est importante et injustifiée.
322. Ce processus, qui peut empêcher une personne mal vue par l’exécutif d’intégrer le pouvoir judiciaire, est contraire aux normes du Conseil de l’Europe 
			(73) 
			Voir
la Recommandation no R (94) 12 du Comité
des Ministres sur l’indépendance, l’efficacité et le rôle des juges, ainsi
que le rapport sur l’indépendance du système judiciaire adopté par
la Commission de Venise en mars 2010. Les autorités russes nous
ont toutefois déclaré que les juges de paix ne s’occupent que de
questions mineures..
323. L’indépendance des juges est vaine sans protection de leur mandat. Malheureusement, dans le système judiciaire russe, le mandat des juges n’est souvent pas protégé et les juges peuvent être révoqués de façon arbitraire. En vertu de la loi relative au statut des juges, les juges fédéraux sont nommés à vie. Cependant, les juges de paix (juges des tribunaux des sujets de la Fédération de Russie) sont nommés pour une période de cinq ans, ce qui est contraire aux normes internationales.
324. Jusqu’en 2009, tous les juges fédéraux nommés pour la première fois devaient suivre une période de stage de trois ans, qui était largement perçue comme un moyen permettant d’éliminer des juges pour des motifs politiques ou personnels. Ce mécanisme a été critiqué par le Président Medvedev lors du Congrès des juges en 2008 et ensuite aboli.
325. La modification apportée à la législation en 2009, bien que positive, ne comblait qu’une des nombreuses lacunes qui permettent une révocation ou punition disciplinaire arbitraire ou injuste des juges. Des motifs vagues de responsabilité disciplinaire se prêtant à une interprétation large et abusive sont utilisés pour exercer des pressions sur les juges. En particulier, l’obligation d’éviter «tout ce qui peut saper l’autorité du pouvoir judiciaire» 
			(74) 
			Loi de la Fédération
de Russie relative au statut des juges dans la Fédération de Russie,
article 3. peut être – et serait – utilisée pour justifier des révocations abusives, ce qui met en péril l’indépendance et l’impartialité du travail des juges.
326. On peut citer, pour illustration, l’affaire de la juge Olga Kudeshkina, qui a été révoquée après avoir formulé des remarques critiques à propos de pressions dont elle avait fait l’objet dans le cadre de l’instruction d’un dossier. Elle a été accusée de «saper la confiance du public dans l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire en Russie». La juge Kudeshkina a remporté son procès devant la Cour européenne des droits de l’homme 
			(75) 
			Affaire Kudeshkina c. Russie, requête no 29492/05,
arrêt du 26 février 2009., mais n’a jamais été rétablie dans ses fonctions de juge. La Cour suprême, auprès de laquelle elle a introduit un recours, a confirmé le refus de réintégration malgré l’arrêt de la Cour.
327. Lors d’un entretien accordé en 2009 au quotidien espagnol El Pais, le juge de la Cour constitutionnelle Vladimir Yaroslavtsev a affirmé que le bureau exécutif du Président de la Fédération et les services de sécurité avaient sapé l’indépendance du pouvoir judiciaire en Russie. En octobre 2009, la Cour constitutionnelle a pris l’initiative sans précédent d’accuser le juge Yaroslavtsev de «saper l’autorité du pouvoir judiciaire» en violation du Code judiciaire et l’a contraint à démissionner du Conseil de la magistrature 
			(76) 
			Dans leurs observations,
les autorités russes ont déclaré qu’aucune poursuite disciplinaire
n’avait été engagée à l’encontre de M. Yaroslavtsev, qu’il n’avait
fait l’objet d’aucune sanction et qu’il n’était donc pas justifié
de parler de départ forcé. Elles affirment cependant que, en vertu
d’une règle généralement reconnue d’éthique de la magistrature,
il est inadmissible qu’un juge critique les décisions rendues par
ses collègues ou leurs activités professionnelles, ce qui constitue
également une des garanties de l’indépendance du pouvoir judiciaire
dans son ensemble..
328. Dans un entretien accordé à Sobesednik, le juge Anatoly Kononov, qui s’est souvent démarqué des décisions prises par la majorité de la cour, a pris la défense du juge Yaroslavtsev, déclarant qu’il n’existe pas de pouvoir judiciaire indépendant en Russie. Le juge Kononov a été contraint de démissionner de la Cour constitutionnelle le 1er janvier 2010, soit sept ans avant le terme de son mandat.
329. Les présidents de tribunal peuvent engager une procédure disciplinaire, ce qui soulève des questions quant à leur impartialité et à l’objectivité des informations collectées, sachant notamment que les instances disciplinaires ont tendance à suivre l’avis des présidents de tribunal.
330. En 2010, un nouvel organe dénommé «Présence judiciaire disciplinaire» a été créé. Il s’agit d’un tribunal fédéral spécialisé à travers lequel les collèges de qualification peuvent, en deuxième instance, se prononcer sur les mesures disciplinaires à l’encontre de juges. Il reste encore à voir dans quelle mesure il s’attaquera aux problèmes ci-dessus concernant la sécurité du mandat. Les autorités russes nous ont annoncé que des amendements à la loi «sur le statut des juges», qui définissent des critères concrets pour les procédures disciplinaires, sont en préparation.
331. Les autres méthodes inappropriées employées pour exercer une influence sur les juges sont nombreuses; elles vont de la manipulation des promotions ou des avantages à l’exercice de pressions directes sur un juge concernant une affaire spécifique.
332. Les présidents de tribunal ont des pouvoirs trop étendus, y compris un rôle déterminant dans la nomination des juges, dans leurs promotions et rémunérations (y compris les avantages matériels) ainsi qu’en matière d’ouverture d’une procédure disciplinaire contre des juges. Dans les tribunaux régionaux, les présidents de tribunal décident du renouvellement du mandat des juges de paix 
			(77) 
			Voir le rapport de
la Commission internationale de juristes, note de bas de page n°
73.. Par ailleurs, l’attribution des affaires par les présidents de tribunal est très problématique, sachant que des affaires sont souvent attribuées à certains juges afin d’aboutir au résultat requis ou réattribuées lorsque le juge concerné ne consent pas à statuer de la manière voulue. De même que les autres pouvoirs excessifs des présidents de tribunal, cette pratique ouvre la voie à des abus.
333. Les présidents de tribunal sont nommés par le Président de la Fédération de Russie pour un mandat de six ans renouvelable une fois. Jusqu’en 2009, la Cour constitutionnelle avait été une exception à cette règle, son président étant à l’époque élu par d’autres juges, ce qui contribuait certainement à une plus grande indépendance de la cour. Cependant, à la suite des modifications apportées en 2009 à la loi relative à la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie, un nouveau système a été adopté et le président de la cour est désormais nommé sur recommandation du Président de la Fédération de Russie.
334. Le système met la pression sur les juges afin qu’ils fassent montre de loyauté à l’égard des organes de l’Etat ou de certains responsables de ces organes et intègrent des considérations politiques. Il est signalé que les menaces contre l’indépendance de la justice sont particulièrement aiguës dans les affaires mettant en jeu des intérêts d’acteurs politiques ou économiques puissants. Les exemples les plus notoires sont les affaires concernant Youkos et M. Mikhail Khodorkovski 
			(78) 
			Ses
avocats ont fait l’objet de procédures disciplinaires sur ordre
du bureau du procureur sur la base de motifs fallacieux – l’ordre
des avocats local a prouvé son indépendance en rejetant les accusations
à l’issue d’une enquête approfondie..
335. L’accès à un avocat est réglementé par la loi fédérale «sur les avocats» qui dispose que la procédure de désignation d’un avocat pour les personnes sans ressources doit être définie par le barreau de chacune des entités de la Fédération de Russie, qui est également responsable de cette mission. Il semble toutefois que cette disposition reste systématiquement sans effet dans la pratique, l’avocat étant désigné par un enquêteur.
336. En outre, l’avocat dépend fortement de l’enquêteur, qui signe le document certifiant qu’il était effectivement présent lors de l’enquête. Il a besoin de ce document pour être payé par l’Etat, et celui-ci peut évidemment être utilisé comme un moyen de pression supplémentaire. Il convient de réformer cette pratique et d’instaurer des garanties légales afin que la désignation et le travail des avocats relèvent de la responsabilité des barreaux, ce qui permettrait d’éliminer les éventuels abus.
337. D’une manière plus générale, le système de l’aide juridictionnelle gratuite n’a pas été effectivement mis en place. Nos prédécesseurs ont déjà attiré l’attention sur ce problème dans le rapport présenté en 2007. Il n’existe que peu d’avocats de la défense, voire aucun, dans les régions reculées du pays et les avocats s’efforcent souvent d’échapper à l’assistance gratuite. Une nouvelle loi fédérale «sur l’aide juridictionnelle gratuite» a cependant été adoptée en novembre 2011 dans un effort pour remédier à cette situation très fâcheuse. Nous espérons que cette mesure aura des retombées positives.
338. Le ministère public (Prokuratura) est l’institution la moins touchée par la réforme du système judiciaire en Russie. Lors de son adhésion au Conseil de l’Europe, la Fédération de Russie s’est engagée à adopter «de nouvelles lois conformes aux normes du Conseil de l’Europe (…) sur le rôle, le fonctionnement et l’administration du parquet». En 2002, nos prédécesseurs ont certes noté certains progrès, mais ont indiqué qu’ils attendaient des autorités russes qu’elles mènent à bien la réforme du parquet conformément aux principes du Conseil de l’Europe et aux engagements contractés. Cette question a aussi été longuement traitée par nos prédécesseurs dans la dernière note sur la Russie, en 2007, et nous invitons toutes les parties intéressées à le consulter. En 2003, les rapporteurs de l’époque ont conclu que depuis 2002 le processus de réformes était gelé, et que des changements significatifs s’imposaient.
339. Les principales préoccupations relevées par tous nos prédécesseurs sont le rôle excessif de la Prokuratura dans les affaires pénales et sa fonction générale de contrôle.
340. Concernant le premier aspect, il est très inquiétant de constater que dans les affaires pénales les tribunaux semblent constituer une annexe du bureau du procureur général. Cela transparaît, entre autres, dans le pourcentage très faible des acquittements (moins de 1 %) et la forte disparité en termes de taux d’acquittement entre les affaires impliquant un jury (20 %) et les affaires impliquant seulement des juges (1 %).
341. Il semblerait que les juges qui ne respectent pas les ordres informels des procureurs s’exposent à des procédures disciplinaires pour d’autres motifs. C’est ce qu’illustre l’affaire de la juge Kudeshkina, citée ci-dessus, qui a été révoquée en 2003 après avoir refusé d’appliquer les consignes de la Prokuratura dans le procès de M. Pavel Zaitsev et s’être publiquement exprimée sur les pressions qu’elle avait subies.
342. Ces pouvoirs excessifs de la Prokuratura ont été jugés incompatibles avec les articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec la Recommandation Rec(2000)19 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur le rôle du ministère public dans le système de justice pénale et avec la Recommandation 1604 (2003) de l’Assemblée sur le rôle du ministère public dans une société démocratique régie par le principe de la primauté du droit.
343. De plus, il est très préoccupant que le parquet soit tout à la fois chargé de contrôler l’ensemble des services de répression, d’enquêter sur les infractions, de protéger les victimes ou les citoyens en général, de poursuivre les auteurs d’infractions et de faire respecter la légalité dans l’ensemble des procédures judiciaires.
344. Il convient de saluer le fait que les autorités russes aient décidé de s’attaquer à ce problème en adoptant, en septembre 2007, la loi fédérale «sur le procureur» qui modifie le Code de procédure pénale et crée une nouvelle institution chargée de l’instruction judiciaire, le Comité d’investigation.
345. Au départ, le Comité d’investigation faisait partie de la Prokuratura, son directeur étant un des adjoints du procureur. Il a cependant été nommé selon la même procédure que ce dernier (par le Conseil de la Fédération, sur proposition du Président de la Fédération) et n’a pas été placé sous sa juridiction. En janvier 2011, dans le cadre d’une révision positive de la loi, le Comité d’investigation a été séparé de la Prokuratura pour devenir une structure indépendante.
346. Cette réforme visait à séparer les fonctions d’instruction judiciaire et de «contrôle de la légalité». L’instruction judiciaire concernant les crimes graves ou particulièrement graves relève désormais de la compétence exclusive des enquêteurs du Comité d’investigation. Le «contrôle de la légalité» continue de relever des procureurs. Les enquêtes relatives aux autres infractions qui ne font pas partie des compétences exclusives du Comité d’investigation continuent d’être menées par le ministère de l’Intérieur, sous l’étroite supervision des procureurs. Ces derniers donnent des instructions contraignantes aux enquêteurs.
347. Les pouvoirs étendus de la Prokuratura dans le contrôle des instances exécutives, législatives, opérationnelles et administratives posent problème. D’une manière générale, l’éventail des instruments dont dispose le ministère public (comme le pouvoir de sommer à comparaître devant le procureur général pour s’expliquer sur toute question qui relève des pouvoirs de contrôle ou d’enquête du procureur) est bien trop vaste et aucun texte ne précise dans quel domaine et dans quel type de procédure ces ordonnances sont contraignantes.
348. Les autorités russes nous ont indiqué que deux nouveaux projets de loi sur le «bureau du procureur général de la Fédération de Russie» et sur «le statut des procureurs en Fédération de Russie» sont en cours d’élaboration. Nous espérons qu’ils répondront aux préoccupations exprimées ci-dessus.
349. Un autre grave problème structurel réside dans les violations du principe de la «sécurité juridique» par l’annulation de décisions de justice définitives à travers la «procédure de contrôle juridictionnel» (nadzor) que prévoit le Code de procédure civile. En outre, il constitue la deuxième source de requêtes répétitives devant la Cour de Strasbourg.
350. Il est absolument essentiel de réformer cette procédure pour deux raisons: d’une part, pour renforcer la légitimité et la crédibilité de l’ensemble du système judiciaire russe. Ce problème nuit à l’efficacité du système judiciaire dans son ensemble.
351. D’autre part, le contrôle juridictionnel n’est pas un recours que les requérants doivent épuiser avant de pouvoir déposer leur requête devant la Cour européenne des droits de l’homme. Par conséquent, la vaste majorité des affaires qui arrivent à Strasbourg n’ont pas été examinées par la Cour suprême de Russie. Cette dernière n’a alors pas eu l’occasion de remédier à une violation avant qu’elle soit soumise à Strasbourg. Ce problème est donc étroitement lié à celui de l’efficacité à long terme du système de la Convention européenne des droits de l’homme. En d’autres termes, la réforme de cette procédure permettrait de réduire l’afflux de requêtes à la Cour de Strasbourg, en établissant une voie de recours interne que les citoyens russes devraient épuiser avant de pouvoir introduire une requête à Strasbourg (actuellement, les citoyens russes peuvent soumettre une requête après le deuxième niveau de juridiction).
352. Dans une déclaration rendue publique le 20 mai 2011, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, M. Thorbjørn Jagland, a appelé à une réforme du système judiciaire russe en soulignant ce qui suit: «Une grande partie des affaires concernant la Russie pendantes devant la Cour européenne des droits de l’homme concernent des appels de décisions prises par les tribunaux régionaux (…). A mon avis, dans un immense pays comme la Russie, une décision nationale définitive devrait obligatoirement être rendue par une instance judiciaire nationale suprême au niveau fédéral, qu’il s’agisse d’une Cour suprême ou de la Cour constitutionnelle.» M. Jagland s’est réjoui du fait que M. Valery Zorkin, président de la Cour constitutionnelle, soutienne sa proposition et que le Président Medvedev lui ait déclaré «qu’il conviendrait d’étudier sérieusement cette proposition». Nous faisons nôtre la position du Secrétaire Général sur ce point et espérons voir le changement du système judiciaire russe se concrétiser dans un futur proche.
353. Les autorités russes semblent être conscientes de l’importance de ce problème. Depuis l’arrêt Ryabykh c. Russie, elles ont déjà mis en œuvre deux réformes afin de rendre la procédure conforme aux exigences de la Convention. La première réforme a eu lieu en 2002 avec l’adoption du nouveau Code de procédure civile. La seconde s’est déroulée en 2007, notamment pour donner suite à l’arrêt de la Cour constitutionnelle de Russie du 5 février 2007. Le 12 février 2008, cette réforme a été renforcée par un décret de l’assemblée plénière de la Cour suprême de la Fédération de Russie qui énonce, à l’intention des juridictions inférieures, des lignes directrices insistant en particulier sur la nécessité de se conformer aux exigences de la Convention et, plus spécialement, sur le principe de la «sécurité juridique».
354. Dans l’affaire Martynets c. Russie, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé ces réformes insuffisantes pour résoudre le problème 
			(79) 
			Voir
la décision rendue le 5 novembre 2009 dans l’affaire Martynets c. Russie, requête no 29612/09.. D’après la Cour, la procédure de contrôle juridictionnel n’est toujours pas compatible avec la Convention malgré les changements tangibles introduits par les réformes susmentionnées.
355. Parallèlement, la Cour a estimé que la procédure de contrôle juridictionnel prévue par le Code de procédure commerciale est conforme à la Convention 
			(80) 
			Kovaleva et autres c. Russie, requête
no 6025/09, décision du 25 juin 2009..
356. Une troisième réforme du Code de procédure civile, adoptée en décembre 2010, vise à mettre en place des juridictions d’appel dans le système des juridictions russes de droit commun, et donc à limiter le recours à la procédure de contrôle juridictionnel. Cette réforme est entrée en vigueur le 1er janvier 2012 sans avoir été soumise à l’évaluation de la Cour européenne des droits de l’homme. Malheureusement, il y a peu de chances que la réforme améliore la situation. En effet, elle n’a pas comblé les principales lacunes de la procédure de contrôle juridictionnel que la Cour a relevées dans ses arrêts.
357. Ces lacunes sont la multiplicité des instances habilitées à contester une décision définitive, à laquelle s’ajoute le problème des délais. Un arrêt devenu définitif peut encore être annulé par trois instances; l’affaire est alors renvoyée pour réexamen, mais la nouvelle décision ainsi rendue peut à nouveau être contestée par les trois mêmes instances. Par conséquent, il est difficile de définir le point de départ du délai de six mois dont disposent les requérants pour soumettre une requête devant la Cour suprême. Enfin, les pouvoirs discrétionnaires du président et du vice-président de la Cour suprême restent inchangés: ils peuvent tous deux exprimer leur désaccord avec la décision d’un juge à la suite de l’examen d’une demande de recours en cassation ou de nadzor.
358. Le programme conjoint Union européenne/Conseil de l’Europe pour la mise en place d’une instance d’appel en Fédération de Russie, qui est en cours, vise notamment à garantir la définition de recours clairs et cohérents pour le réexamen de décisions de justice.
359. La non-exécution de décisions de justice internes est un des autres problèmes structurels majeurs du système judiciaire russe et constitue la première source d’introduction de requêtes devant la Cour de Strasbourg. Pour y remédier, les autorités russes ont adopté deux nouvelles lois fédérales: la loi d’indemnisation et une loi fédérale modifiant certaines dispositions législatives, qui sont entrées en vigueur le 4 mai 2010.
360. Ce nouveau recours permet de demander des indemnités en cas de procédure excessivement longue ou d’exécution retardée ou inexistante des décisions de justice internes à l’encontre de l’Etat. En outre, les autorités russes ont présenté au Comité des Ministres de nombreux exemples de la pratique judiciaire attestant la mise en œuvre effective de cette réforme, ainsi que des informations relatives à l’adoption de mesures supplémentaires visant à garantir l’efficacité du nouveau programme d’indemnisation, dont les dispositions budgétaires pertinentes 
			(81) 
			Voir la Résolution
intérimaire du Comité des Ministres, CM/ResDH(2011)293..
361. Malgré ces progrès, la Cour a estimé dans deux arrêts récents 
			(82) 
			Ilyushkin
and others v. Russia et Kalinkin
and others v. Russia, arrêts du 12 avril 2012. que la nouvelle législation ne résout pas le problème spécifique de l’inexécution des décisions de justice ordonnant à l’Etat d’octroyer un logement à des militaires dans des situations spécifiques.
362. Les conditions de détention provisoire, et notamment dans les centres de détention provisoire, la durée excessive et l’absence d’une motivation pertinente et suffisante de la détention provisoire, les mauvais traitements pendant la garde à vue ainsi que le défaut d’enquêtes efficaces seront examinés dans les prochains chapitres consacrés à l’exécution des arrêts de la Cour et aux violations des droits de l’homme.
363. La corruption est un phénomène étendu qui perdure dans l’appareil judiciaire en Russie. Cette réalité a été publiquement reconnue à plusieurs occasions, y compris dans les plus hautes sphères du pouvoir, et de nombreuses mesures ont été adoptées afin de la combattre. Pourtant, dans leurs observations sur l’avant-projet de rapport de la commission de suivi de l’Assemblée, les autorités russes affirment que les faits de corruption chez les magistrats sont exceptionnels, comme l’illustre le nombre de condamnations correspondantes: en 2010 et 2011, seuls trois juges ont été condamnés pour de telles infractions. De notre point de vue, ce chiffre extrêmement faible est très préoccupant à la lumière des nombreuses allégations de corruption. Nous reviendrons sur cette question dans le prochain chapitre.

6.2. Corruption

364. La corruption est un phénomène structurel étendu dans la Fédération de Russie, qui touche la société dans son ensemble, y compris les institutions publiques établies pour contrer la corruption. Les enquêtes d’opinion organisées ces dernières années témoignent de son existence dans tous les secteurs de la vie publique, y compris le domaine politique et l’exécutif à différents échelons, les organes répressifs, le système judiciaire, les services responsables des marchés publics, les services de santé publique, le système éducatif, le logement et les services communaux 
			(83) 
			Voir le Rapport d’évaluation
sur la Fédération de Russie adopté par le GRECO en décembre 2008
(Greco Eval I-II Rep (2008) 2F)..
365. Transparency International a régulièrement classé la Russie comme un des pays les plus corrompus du monde. D’après l’indice de perception de la corruption pour 2011, la Russie occupe le 143e rang (sur 183), avec une note de 2,4 sur 10.
366. De même, l’OCDE a évoqué dans ses rapports la corruption dans l’administration russe, qui est considérée par les investisseurs étrangers et nationaux comme un des principaux freins à l’investissement en Russie aujourd’hui 
			(84) 
			OCDE,
Etude économique de la Fédération de Russie, 2006.. La Banque mondiale a relevé que la corruption s’est sensiblement aggravée en Russie ces dernières années, à la fois en termes de captation de l’Etat et de corruption de l’administration 
			(85) 
			Document de la Banque
mondiale intitulé «Administrative and Regulatory Reform in Russia»
[la réforme administrative et réglementaire en Russie], 2006.. La Commission européenne souligne que la corruption reste un problème majeur en Russie 
			(86) 
			Commission
européenne, Document stratégique 2007-2013: Fédération de Russie..
367. Les autorités russes reconnaissent que la corruption se situe à un niveau inacceptablement élevé dans le pays et que non seulement elle met en péril le fonctionnement des institutions de l’Etat, mais qu’aussi elle a une incidence négative sur la vie économique en général, dans la mesure où elle sape la concurrence entre les acteurs du marché pour les biens et les services et rend l’économie russe moins attrayante pour les investissements étrangers. Les autorités reconnaissent également qu’il existe un lien entre la corruption et la criminalité organisée, et que la corruption est une composante de l’«économie souterraine».
368. Les autorités russes prennent indiscutablement ces problèmes au sérieux. Entre 2005 et 2007, la Commission de la Douma d’Etat chargée de la lutte contre la corruption a coopéré étroitement avec le Conseil de l’Europe aux fins de la mise en œuvre de programmes d’appui financés par l’Union européenne et destinés à harmoniser la législation russe avec les exigences de la Convention pénale du Conseil de l’Europe sur la corruption (STE no 173) et de la Convention des Nations Unies contre la corruption, dans la perspective d’une ratification de ces deux instruments, qui est finalement intervenue en 2007.
369. La lutte contre la corruption est reconnue en tant que priorité au plus haut niveau politique. Peu après être entré en fonction en mai 2008, le Président Medvedev a signé un décret portant création d’un Conseil présidentiel de lutte contre la corruption, appelé à jouer le rôle d’un organe supérieur de coordination; en juillet 2008, le président a approuvé un Plan national de lutte contre la corruption 
			(87) 
			Le préambule du plan
incluait la déclaration ci-après: «Malgré les mesures passées, la
corruption continue d’entraver gravement le fonctionnement normal
de tous les mécanismes sociaux, empêche les transformations sociales
et les progrès de l’économie nationale, suscite dans la société
russe de sérieuses inquiétudes et une défiance à l’égard des institutions
publiques, ternit l’image de la Russie sur la scène internationale
et est perçue à juste titre comme une des menaces majeures à la
sécurité de la Fédération de Russie. Par conséquent, l’élaboration
de mesures de lutte contre la corruption, principalement destinées
à traiter ses causes profondes, et la mise en œuvre de ces mesures
dans le contexte du développement intégral du pays, deviennent impératives.».
370. La Russie a adhéré au Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO) du Conseil de l’Europe le 1er février 2007, se soumettant ainsi au mécanisme de suivi du GRECO. Dans le Rapport d’évaluation des premier et deuxième cycles conjoints sur la Fédération de Russie, adopté en décembre 2008 
			(88) 
			Greco Eval I-II (2008) 2F., le GRECO a soulevé un certain nombre de problèmes et a formulé 26 recommandations. Certaines d’entre elles requéraient des mesures fondamentales, y compris l’établissement de bases claires pour la politique nationale de lutte contre la corruption, des réformes législatives de grande ampleur et des changements d’ordre organisationnel dans l’administration publique, les services répressifs et le pouvoir judiciaire ainsi qu’en rapport avec la société civile.
371. Le Rapport de conformité sur la Fédération de Russie, adopté par le GRECO en décembre 2010 
			(89) 
			Greco
RC I/II (2010) 2F., qui évalue les mesures prises par les autorités russes pour se conformer aux recommandations, a conclu que la Fédération de Russie a mis en œuvre de façon satisfaisante un peu plus du tiers des 26 recommandations.
372. Les préoccupations en suspens ont trait à la nécessité, premièrement, de réviser le système de procédures administratives et pénales de façon à établir sans ambiguïté que les affaires de corruption doivent être traitées en tant qu’infractions pénales en règle générale, et, deuxièmement, d’adopter les mesures législatives requises pour établir la responsabilité des personnes morales en matière d’infractions de corruption et prévoir des sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives dans ces affaires, y compris des sanctions pécuniaires, conformément aux exigences de la Convention pénale sur la corruption.
373. Etant donné la tâche immense que représente la mise en œuvre de toutes les recommandations en suspens et l’engagement des autorités russes de s’y atteler, le GRECO procédera à la prochaine évaluation des progrès à la fin de 2012.

6.3. Exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme

374. Depuis l’adhésion de la Fédération de Russie à la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour a rendu en tout 1 119 arrêts concernant la Russie 
			(90) 
			Situation en mars 2011,
voir la «Fiche pays pour la presse», Cour européenne des droits
de l’homme., dont plus de 1 045 ont conclu à au moins une violation de la Convention, principalement de l’article 6 (droit à un procès équitable), de l’article 1 du Protocole no 1 (protection de la propriété) et de l’article 5 (droit à la liberté et à la sécurité). Au 31 mars 2012, un total de 37 850 requêtes étaient pendantes devant la Cour, soit près de 25 % de l’ensemble des affaires pendantes.
375. D’après l’article 46 de la Convention européenne des droits de l’homme, c’est le Comité des Ministres qui surveille l’exécution des arrêts de la Cour. Au 31 décembre 2011, 1 087 affaires concernant la Fédération de Russie étaient inscrites à l’ordre du jour du Comité des Ministres et en attente d’exécution; 953 d’entre elles sont des «affaires clones». A notre avis, l’Assemblée parlementaire et la Douma d’Etat ont un rôle important à jouer à cet égard et devraient contribuer activement à l’avancement de la mise en œuvre des arrêts.
376. La commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée prépare des rapports périodiques sur la mise en œuvre des arrêts de la Cour dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe. Le plus récent a été présenté à l’Assemblée en janvier 2011 
			(91) 
			Voir le Doc. 12455 et la Résolution
1787 (2011).. Il a soulevé plusieurs problèmes structurels importants dans le système judiciaire russe, qui ont induit des retards préoccupants sur le plan de la mise en œuvre.
377. Sans nous ingérer dans le domaine de compétence de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, nous souhaiterions attirer l’attention sur certains problèmes soulevés par le rapport, dans la mesure où ils sont directement liés au processus de suivi des obligations et engagements et relèvent de notre mandat. De cette façon, nous tenons également à souligner l’importance que l’Assemblée attache à la question de l’exécution des arrêts de la Cour.
378. Plus de 90 % de toutes les affaires concernant la Fédération de Russie en attente d’exécution devant le Comité des Ministres sont des affaires «clones» ayant trait aux principaux problèmes structurels qui ont été décrits dans le chapitre du présent rapport sur le pouvoir judiciaire.
379. La non-exécution de décisions judiciaires nationales est un des problèmes structurels les plus importants, qui est à l’origine de nombreuses affaires «clones». En 2002, la Cour a conclu à une violation de la Convention pour non-exécution d’une décision de justice nationale accordant des prestations sociales à une victime de la catastrophe de Tchernobyl 
			(92) 
			Voir l’arrêt du 7 mai
2002 dans l’affaire Burdov c. Russie, requête
no 59498/00.. En janvier 2009, la Cour, qui était alors confrontée à un afflux sans cesse croissant de requêtes similaires, a rendu un arrêt pilote dans l’affaire de la victime précitée 
			(93) 
			Voir
l’arrêt du 15 janvier 2009 dans l’affaire Burdov
c. Russie (n° 2), requête no 33509/04.. Comme cela a été indiqué dans le chapitre précédent, le 4 mai 2010, la Douma d’Etat a adopté des modifications au Code civil en vue de remédier à la situation. Cette mesure devrait incontestablement être considérée comme positive même si, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, certaines sources d’inquiétude subsistent.
380. La violation du principe de la «sécurité juridique» à travers la «procédure de contrôle juridictionnel» (nadzor), qui permet d’annuler une décision de justice définitive, est un autre problème structurel majeur. Le premier arrêt de la Cour dans l’affaire correspondante a été rendu en 2003 
			(94) 
			Voir l’arrêt de la
Cour du 24 juillet 2003 dans l’affaire Ryabykh
c. Russie, requête no 52854/99.; depuis lors, un nombre considérable d’affaires «clones» ont été introduites devant la Cour. Là encore, nous invitons le lecteur à consulter le chapitre précédent pour de plus amples informations.
381. Les conditions de détention provisoire inacceptables (notamment dans les centres de détention provisoire), ainsi que la durée excessive et l’absence d’une motivation pertinente et suffisante de la détention provisoire, constituent le problème structurel suivant dans le système juridique russe. Le premier arrêt rendu à ce propos en 2002 
			(95) 
			Voir l’arrêt de la
Cour du 15 juillet 2002 dans l’affaire Kalashnikov
c. Russie, requête no 47095/99. a conclu à des carences graves en termes d’espace et de conditions de vie (y compris l’absence de toilettes privées, des problèmes d’aération ainsi que le manque d’accès à la lumière naturelle et à des mesures sanitaires de base). Depuis lors, un nombre considérable d’affaires «clones» ont été introduites auprès de la Cour.
382. Le groupe «Kalashnikov» réunit 71 affaires qui font actuellement l’objet du contrôle du Comité des Ministres. Dans toutes ces affaires, la Cour a estimé que les mauvaises conditions en détention provisoire et notamment les cellules fortement surpeuplées et l’environnement insalubre pouvaient être assimilés à des traitements dégradants. Toutefois, nous tenons à souligner que le principal problème réside dans un recours non nécessaire à la détention provisoire, qui se traduit par une surpopulation carcérale. Ce problème structurel a ses origines, entre autres, dans une pratique judiciaire inadaptée (non-respect des délais stipulés par le droit national, défaut de prise en compte des circonstances propres à chaque affaire, non-recours à des mesures de prévention substitutives). Un total de 61 autres affaires concerne l’irrégularité de la détention et sa durée excessive ainsi que l’insuffisance des motifs pour justifier une prolongation de la détention provisoire.
383. En janvier 2012, la Cour a rendu dans l’affaire Ananyev et autres c. Russie un arrêt pilote dans lequel elle a constaté que les conditions de détention insatisfaisantes sont un problème structurel récurrent en Russie qui résulte des dysfonctionnements de son système pénitentiaire, auxquels s’ajoute l’insuffisance des garanties légales et administratives.
384. Les autorités russes sont conscientes du problème et s’efforcent d’y remédier. Elles nous ont soumis de nombreuses données statistiques illustrant la nette diminution du nombre de personnes placées en détention provisoire (une baisse de 29,5 % entre 2006 et 2012). De plus, des amendements apportés au Code pénal en décembre 2011 visent à faire diminuer le nombre de personnes concernées par des peines de privation de liberté. Dernier aspect mais non le moindre, le programme fédéral de «développement du système pénitentiaire en Fédération de Russie pour 2007-2016» entend induire une amélioration des conditions de détention. D’après les autorités, des améliorations tangibles sont déjà constatées.
385. Les mauvais traitements lors de la garde à vue ainsi que le défaut d’enquêtes efficaces à ce propos constituent un autre problème structurel. Le premier arrêt de la Cour a été rendu en 2006 
			(96) 
			Mikheyev
c. Russie, janvier 2006.; depuis lors, 33 autres arrêts similaires ont été rendus. En février 2011, une nouvelle loi sur la police a été adoptée. Il semblerait malheureusement que la réforme ne couvre pas des points importants, tels que les garanties offertes dans le cadre de la garde à vue (information d’un tiers au sujet de la détention, droit d’être assisté par un avocat et droit de consulter un médecin). De même, les rapports du CPT, qui pourraient fournir des orientations utiles aux autorités russes sur tous ces points, demeurent confidentiels. Enfin, l’affaire Mikheyev c. Russie démontre la carence, dans le droit pénal russe, d’outils appropriés pour lutter contre l’impunité. Par exemple, la torture ne semble pas avoir été érigée en infraction pénale. Le chapitre relatif aux abus des forces de police traitera des mesures les plus récentes prises dans la lutte contre l’impunité dans la police russe.
386. L’action des forces de sécurité dans la République tchétchène reste également une des principales causes des requêtes. Depuis 2007, la Cour a rendu de nombreux arrêts en rapport avec les actions des forces de sécurité russes en République tchétchène entre 1999 et 2003 
			(97) 
			Plus de
150 affaires, et 235 pendantes devant la Cour.. Ils concernent des homicides illégaux, des détentions secrètes, des cas de disparition, de torture et de destruction de biens, ainsi que l’absence d’enquêtes effectives et de recours effectifs devant les juridictions nationales.
387. Ces arrêts ont eu peu d’incidence sur la Fédération de Russie, vu que les plaintes continuent d’affluer. Près d’une centaine de requêtes ont été introduites pour la seule année 2009 concernant le Caucase du Nord (principalement la Tchétchénie). Le Comité des Ministres n’a cessé de prier instamment les autorités russes d’améliorer les dispositions légales et réglementaires qui encadrent les activités antiterroristes des forces de sécurité afin qu’il soit possible de demander des comptes aux auteurs d’infractions et d’offrir aux victimes des recours devant les juridictions nationales. Dans sa Résolution intérimaire CM/ResDH(2011)292 de novembre 2011, le Comité des Ministres a déploré le manque de progrès significatifs dans les enquêtes menées au plan national sur les violations des droits de l’homme identifiées par les arrêts de la Cour, même quand les faits et les principaux éléments étaient établis avec suffisamment de précision.
388. Le 14 mai 2012, les autorités russes ont communiqué des informations sur cette résolution intérimaire. Il convient de signaler certaines évolutions positives, telles que l’établissement d’un cadre réglementaire pour les enquêtes nationales, y compris une Unité d’enquêtes spéciales, en avril 2009, pour instruire les infractions particulièrement graves ayant donné lieu à une requête à Strasbourg 
			(98) 
			CM/Inf/DH(2010)26,
27 mai 2010.. Par ailleurs, le procureur s’est vu confier un «rôle de surveillance» renforcé, qui met l’accent sur l’intégration des normes de la Convention européenne des droits de l’homme dans le droit interne russe, et le système semble tenir davantage compte de la victime en termes d’accès à la procédure. Cependant, les retombées de ces mesures sur les enquêtes en cours restent incertaines; pour l’heure, une seule affaire a été élucidée.
389. D’autres affaires préoccupantes du point de vue de l’exécution des arrêts concernent le risque de mauvais traitements en cas d’extradition et le mépris pour les mesures provisoires prononcées par la Cour en vertu de l’article 39 du Règlement de la Cour 
			(99) 
			Voir l’arrêt Iskandarov c. Russie du 23 septembre
2010., ainsi que la violation de la liberté de réunion et la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle 
			(100) 
			Alekseyev
c. Russie.. Ce dernier aspect sera traité dans le chapitre sur la liberté de réunion.
390. Deux arrêts récents concernent directement l’engagement de la Russie «de cesser de restreindre, avec effet immédiat, la liberté de circulation internationale de personnes ayant connaissance de secrets d’Etat, à l’exception des restrictions qui sont généralement acceptées dans les Etats membres du Conseil de l’Europe» 
			(101) 
			Bartik
c. Russie, arrêt du 21 mars 2007, et Soltysyak c. Russie, arrêt du 20
juin 2011.. Dans les deux affaires, la Cour a constaté une entrave disproportionnée à la liberté de circulation des requérants résultant du refus des autorités de leur permettre de voyager à l’étranger pour des raisons privées au seul motif qu’ils avaient eu accès à des informations confidentielles (des «secrets d’Etat») au cours de leur carrière professionnelle. Ces restrictions arbitraires s’appuyaient sur la loi relative aux procédures d’entrée et de sortie de la Fédération de Russie.
391. Les deux requérants ont obtenu un passeport à la suite de la décision de la Cour. Pour se conformer à l’engagement pris lors de l’adhésion, les autorités ont créé, dès 2004, une Commission interministérielle pour la protection des secrets d’Etat chargée d’élaborer des propositions législatives appropriées pour rendre le droit russe conforme aux normes du Conseil de l’Europe. La commission a soumis des projets de loi en 2007. Malheureusement, aucun progrès n’a été constaté dans ce domaine.
392. Nous tenons ici à exprimer notre préoccupation à propos de certains signes inquiétants et de déclarations publiques de hauts fonctionnaires russes directement impliqués dans l’observation, par la Russie, des engagements et obligations souscrits lors de l’adhésion au Conseil de l’Europe. En effet, le Président de la Cour constitutionnelle, M. Valery Zorkin, a parlé de la «menace à la souveraineté de la Russie» que représentent les arrêts de la Cour et même de l’éventualité d’un retrait de son pays du Conseil de l’Europe. En Suisse, nous sommes accoutumés à de telles déclarations de la part de personnalités politiques conservatrices, mais nous sommes très étonnés d’entendre les propos en question de la bouche du Président de la Cour constitutionnelle.
393. Dans leurs observations sur l’avant-projet de rapport de la commission de suivi de l’Assemblée, les autorités russes ont indiqué que les citations ci-dessus avaient été retirées de leur contexte. Elles affirment que la déclaration complète faite par M. Zorkin lors du XIIe Forum international sur le droit constitutionnel est la suivante: «Nous avons conféré un pouvoir juridictionnel à la Cour européenne. Mais si la Russie souhaite, elle peut annuler le contrat. Je ne souhaite pas voir naître entre la Cour constitutionnelle et la Cour européenne des droits de l’homme une opposition qui irait dans le sens de ceux qui, dans le pays, cherchent des prétextes pour que l’on claque la porte.» Si nous avions mal compris les déclarations publiques de M. Zorkin, nous reconnaissons volontiers notre erreur et sommes heureux qu’il s’agisse d’un malentendu.
394. En juin 2011, un ancien vice-président du Conseil de la Fédération, M. Alexander Torshin, a présenté un projet de loi visant à habiliter la Cour constitutionnelle de la Russie à bloquer des décisions de la Cour. Ce texte a été retiré par la suite, mais le simple fait qu’il a été présenté est déjà troublant.

7. Droits de l’homme et libertés fondamentales

7.1. L’abolition de la peine de mort

395. La question la plus préoccupante concernant cette catégorie d’engagements est, à nos yeux, la non-ratification du Protocole no 6 à la Convention européenne des droits de l’homme relatif à l’abolition de la peine de mort en temps de paix. A son adhésion, la Russie a accepté de le signer dans un délai d’un an, de le ratifier dans les trois ans et de déclarer un moratoire sur les exécutions capitales avec effet à la date d’adhésion.
396. La Russie a signé le Protocole no 6 le 28 février 1996, et le gouvernement l’a présenté pour ratification à la Douma d’Etat le 6 août 1999. Dans l’intervalle, le 16 mai 1996, le décret présidentiel no 724 «sur la suppression progressive de l’application de la peine de mort en lien avec l’entrée de la Russie dans le Conseil de l’Europe» a été publié. Un moratoire de fait sur les exécutions capitales a été instauré en août 1996; il a été confirmé par la décision de la Cour constitutionnelle du 2 février 1999. Le 19 novembre 2009, la Cour constitutionnelle a déclaré que la peine de mort ne pouvait être imposée en Fédération de Russie en raison des engagements internationaux contractés par le pays.
397. Cette décision de la Cour constitutionnelle, illimitée dans le temps, ne saurait être perçue comme une simple extension technique du moratoire. C’est un pas important sur la voie de la consécration juridique de l’abolition de la peine de mort. La Russie n’a cependant toujours pas ratifié le Protocole no 6.
398. Au cours de nos visites, nous avons soulevé cette question avec plusieurs de nos interlocuteurs, en particulier à la Douma d’Etat. A chaque fois, il nous a été dit que l’opinion publique en Russie n’est pas prête à accepter l’abolition officielle de la peine de mort, en raison principalement de la gravité des menaces terroristes dans le pays. Les efforts visant à faire ratifier le protocole à la Douma pourraient par conséquent se révéler contre-productifs.
399. A notre avis, cette explication ne justifie néanmoins pas l’absence de progrès sur la voie du respect de cet engagement important. Dans la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe, l’opinion publique était à l’origine largement favorable à la peine de mort, et il incombait à la classe politique d’exercer son influence pour faire changer les mentalités dans le bon sens. Cela impliquait de mener des campagnes éducatives et informatives et d’engager un débat public et des discussions ouvertes, mais cela a porté ses fruits dans 46 pays. Nous ne voyons aucunement pourquoi la Russie devrait continuer à faire exception.

7.2. Le droit à la vie et la lutte contre l’impunité

400. En Russie, la situation relative aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales est, dans l’ensemble, préoccupante. Les principales préoccupations en la matière ont déjà été mentionnées dans la partie relative à la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme.
401. Des violations particulièrement graves du droit de l’homme le plus fondamental, à savoir le droit à la vie et à l’intégrité physique, se produisent dans le pays.
402. A la suite de l’examen d’un rapport sur la situation des droits de l’homme dans le Caucase du Nord par la commission des questions juridiques et des droits de l’homme 
			(102) 
				Voir le Doc. 12276., l’Assemblée a fermement condamné les atteintes aux droits fondamentaux par des groupes armés et les violations persistantes des droits de l’homme – assassinats, enlèvements et actes de tortures – dont la population civile continue d’être victime.
403. Le climat d’impunité autour des actes de violence et des meurtres perpétrés dans la région est préoccupant, d’autant que ces violations sont parfois le fait des forces de l’ordre elles-mêmes. Nous invitons nos lecteurs à consulter le rapport précité de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme pour un compte rendu détaillé de cette situation dramatique. Nous attirons également l’attention sur le rapport le plus récent de M. Thomas Hammarberg, l’ancien Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, sur la situation des droits de l’homme dans le Caucase du Nord, à la suite de sa visite en Fédération de Russie en mai 2011 
			(103) 
			Voir le document CommDH(2011)21.. La question des violations commises par les forces de l’ordre sera examinée dans la partie suivante du présent rapport.
404. Des informations alarmantes sont également fournies par le récent document d’Amnesty International intitulé «The circle of injustice. Security operations and human rights violations in Ingushetia».
405. A ce jour, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu plus de 150 arrêts concluant que la Russie avait manqué à son obligation de protéger la vie des proches des requérants, en Tchétchénie. La Cour a vivement critiqué les autorités pour le non-respect des arrêts antérieurs dans des affaires similaires.
406. Ainsi, le 2 décembre 2010, la Cour a rendu son arrêt dans l’affaire Abuyeva et autres c. Russie 
			(104) 
			Requête no 27065/05. concernant le bombardement par les forces militaires fédérales du village de Katyr-Yurt en Tchétchénie, qui avait causé la mort de 29 proches des requérants. La Cour a conclu à une violation du droit à la vie car l’enquête interne sur les événements avait été manifestement inefficace, en dépit d’un précédent arrêt de 2005 
			(105) 
			Isayeva
c. Russie, requête no 57950/00. concernant les mêmes événements, arrêt qui demandait instamment à la Russie d’établir la responsabilité des assassinats. Les requérants se sont vu attribuer des indemnités d’un montant de 1,72 million d’euros.
407. L’incapacité de la Russie à mettre en œuvre pleinement les arrêts de la Cour portant sur des requêtes émanant de Tchétchénie contribue au climat d’impunité qui prévaut dans la république et dans l’ensemble de la région du Caucase du Nord. La Russie coopère avec la Cour en versant les compensations financières requises aux victimes, mais ne remplit pas son obligation de mener des enquêtes effectives et de demander des comptes aux auteurs des crimes, même lorsqu’ils ont été identifiés. En outre, les autorités ne prennent pas de mesures pour empêcher que de tels faits se reproduisent. De nouvelles requêtes de Tchétchénie et des affaires similaires du Daghestan et d’Ingouchie continuent d’être portées devant la Cour.
408. La situation générale en matière de sécurité dans le Caucase du Nord reste tendue. Si l’ensemble de la population en souffre, certaines catégories de personnes, parmi lesquelles les défenseurs des droits de l’homme, les avocats, les militants et les journalistes indépendants, sont particulièrement exposées.
409. Ces derniers mois, trois affaires de meurtre ont encore été signalées: en décembre 2011, M. Ganzhimurad Kamalov, l’éditeur d’un hebdomadaire indépendant de premier plan au Daghestan, a été assassiné. En janvier 2012, M. Umar Saidmagomedov, un avocat, ainsi qu’un autre habitant de la région, M. Rasul Kurbanov, ont été assassinés par des membres des forces de l’ordre au Daghestan.
410. D’après les statistiques recueillies par le Comité de protection des journalistes (CPJ), la région du Caucase du Nord continue d’être l’un des lieux les plus dangereux du monde pour les journalistes. Cela est également le cas pour les défenseurs des droits de l’homme et les avocats. En dépit des nombreuses promesses faites par les dirigeants russes de créer des conditions de travail normales pour les militants et les journalistes dans la région, il continue d’y avoir des assassinats ciblés et des agressions physiques.
411. Malheureusement, ce type d’attaques ciblées ne se limite pas au Caucase du Nord. Les assassinats, coups et violences à l’égard de personnalités influentes de la société civile, de journalistes et d’avocats soulèvent de graves préoccupations en matière de droits de l’homme, et ce dans l’ensemble du pays.
412. Depuis l’assassinat, en 2006, de Mme Anna Politkovskaya, journaliste et défenseur des droits de l’homme bien connue – un événement qui a mis un coup de projecteur sur la gravité de la situation en Russie – nombre de défenseurs des droits de l’homme, journalistes et avocats spécialisés dans les droits de l’homme ont été agressés et passés à tabac, voire tués. Seuls les meurtres de l’avocat Stanislav Markelov et de la journaliste Anastasia Barburova ont fait l’objet de véritables enquêtes et conduit à la condamnation de leurs auteurs 
			(106) 
			Le
16 juillet 2012, les enquêteurs ont annoncé qu’un ancien officier
de police serait inculpé du meurtre de Mme Anna Politkovskaya.
Il devait être jugé selon une «procédure spéciale» parce que les
enquêteurs se sont mis d’accord avec lui sur les chefs d’accusation.. D’autres affaires restent non résolues, comme l’enlèvement et le meurtre de la défenseur des droits de l’homme Natalia Estemirova et les coups violents portés à l’encontre du journaliste du Kommersant Daily Oleg Kashin ou du rédacteur en chef du journal Khiminskaya Pravda, Mikhail Beketov.
413. En dehors de ces affaires hautement médiatisées, d’autres militants ou avocats non connus sont victimes de violences. Par exemple, M. Konstantin Fetisov, opposant non violent au projet de construction d’une autoroute traversant la forêt de Khimki, près de Moscou, a été agressé et grièvement blessé par des inconnus en novembre 2010.
414. Un autre exemple est le cas de Mme Elena Lavina, avocate russe représentant Mikhail Khodorkovski en appel, qui a été agressée et frappée dans la rue le 11 mai 2011.
415. Selon Human Rights Watch, les militants de diverses villes russes ont été agressés par des personnes non identifiées entre les élections législatives de décembre 2011 et l’élection présidentielle du 4 mars 2012. En outre, le 24 mars 2012, les bureaux de l’ONG «Groupe des hommes libres» à Nijni Novgorod ont fait l’objet d’une tentative d’incendie criminel. Ces affaires et bien d’autres sont décrites dans le rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée intitulé «La situation des défenseurs des droits de l’homme dans les Etats membres du Conseil de l’Europe» 
			(107) 
			Doc. 12956., sur lequel nous attirons votre attention.
416. Les abus commis par les forces de l’ordre font l’objet du prochain chapitre.
417. Les actes de violence à motivation raciale demeurent également un problème grave. D’après les données du centre d’information et d’analyse SOVA, pour la seule année 2010, 37 personnes sont décédées des suites de crimes motivés par la haine. Les données provisoires pour l’année 2011 recueillies par ce même centre montrent qu’au moins 20 personnes ont été tuées et 130 blessées lors d’attaques racistes ou néonazies dans les 34 régions de la Fédération de Russie. Six personnes ont également reçu des menaces de mort. Moscou reste en tête pour ce qui est du nombre d’incidents violents, avec sept meurtres et 28 blessés en 2011, devant la région de Moscou et Saint-Pétersbourg. Les principales cibles des attaques racistes continuent d’être les personnes originaires des anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale.

7.3. Violations commises par les forces de l’ordre

418. De nombreux cas de violations commises par les forces de l’ordre, notamment par la police, ont été signalés: ils englobent les actes de violence, le recours excessif à la force, les mauvais traitements durant la garde à vue ou encore les mauvaises conditions de détention. L’absence d’enquête effective et l’impunité sont un problème structurel. L’exercice de poursuites pénales à l’encontre des avocats, des défenseurs des droits de l’homme, des militants, des journalistes et de tous ceux qui se montrent critiques envers les autorités sont une autre source de graves préoccupations.
419. Comme nous l’avons indiqué dans le chapitre précédent, le début de l’année 2012 a été marqué par l’assassinat d’un avocat, M. Umar Saidmagomedov, et d’un particulier, M. Rasul Kurbanov, par les membres des forces de l’ordre au Daghestan. D’après le rapport de police officiel, les policiers auraient arrêté une voiture avec deux hommes à bord. Lors du contrôle, M. Kurbanov aurait ouvert le feu. La police aurait riposté par des tirs, tuant les deux hommes. Toutefois, selon les affirmations du Centre des droits de l’homme Memorial, fondées sur les dépositions de témoins, les deux hommes auraient été abattus à l’extérieur de la maison de M. Kurbanov dans le cadre d’une exécution préméditée par les policiers, puis leurs corps et la voiture de M. Kurbanov auraient été déplacés pour simuler une scène de crime 
			(108) 
			Voir
Russia «Expert testimony on the situation for human rights defenders»
par Tanya Lokshina, site web de Human Rights Watch, 26 janvier 2012.. Ces allégations doivent faire l’objet d’une enquête effective et impartiale.
420. En mars 2012, l’opinion publique a été choquée d’apprendre les circonstances dans lesquelles un prisonnier est décédé dans un centre de détention de Kazan (Tatarstan), à la suite des tortures infligées par la police.
421. La situation la plus préoccupante est celle du Caucase du Nord, où les membres des forces de l’ordre sont accusés de nombreuses violations des droits de l’homme, et notamment de détentions illégales, d’actes de torture, voire d’exécutions extrajudiciaires. Les enquêtes restent souvent inefficaces et les responsables sont rarement amenés à répondre de leurs actes.
422. Les journalistes, les défenseurs des droits de l’homme et les avocats sont la cible fréquente des forces de l’ordre. En 2010, rien qu’au Daghestan, Human Rights Watch a fait état de cinq cas d’agressions physiques à l’égard d’avocats par des policiers ou des enquêteurs. En novembre 2010, l’une des associations d’avocats du Daghestan a entamé une grève d’un mois pour demander la réalisation d’enquêtes sur les actes de violence commis à l’encontre des avocats. Les autorités se sont engagées à examiner les rapports relatifs aux allégations de violence mais aucune des plaintes des avocats n’a malheureusement fait l’objet d’une enquête effective en 2011.
423. Le cas de Mme Sapiyat Magomedova, une éminente avocate locale spécialisée dans le domaine des droits de l’homme qui représente les victimes dans des affaires très sensibles, portant notamment sur des allégations de torture lors de gardes à vue par la police, illustre bien le type d’abus commis par les forces de l’ordre et leur impunité dans le Caucase du Nord. En 2010, cette avocate a été frappée par la police dans les locaux du commissariat et a porté plainte. Les enquêteurs l’ont ensuite contactée à plusieurs reprises pour essayer de la convaincre de retirer sa plainte, mais elle a refusé. En 2011, elle a été accusée de deux infractions pénales: recours à la violence contre des représentants de l’Etat et outrage à agent. Si elle est déclarée coupable, elle encourt une peine d’emprisonnement de cinq ans et le retrait de son autorisation d’exercer sa profession.
424. La détention arbitraire et l’ingérence injustifiée de la police sont d’autres pratiques courantes, que l’on peut illustrer par le cas récemment signalé d’un membre du personnel du Groupe mobile commun d’ONG russes (Joint Mobile Group of Russian NGOs) en Tchétchénie 
			(109) 
			Ibid..
425. Les journalistes indépendants font également l’expérience de mesures arbitraires prises par les forces de l’ordre. Ainsi, des journalistes et le rédacteur en chef du journal indépendant Chernovik au Daghestan ont été victimes de harcèlement et de menaces, sous la forme de poursuites pénales pour extrémisme et injures contre des représentants de l’Etat. Ils ont été acquittés par le tribunal en 2011 au terme d’une longue bataille juridique.
426. Ces problèmes ne se limitent malheureusement pas au Caucase du Nord. Les militants d’autres régions de Russie sont également confrontés à des problèmes graves. Par exemple, en février 2010, les autorités de Novorossisk ont placé Vadim Karastelev, défenseur des droits de l’homme, en détention administrative pendant sept jours pour avoir organisé une manifestation. Le lendemain de la libération de M. Karastelev, des assaillants inconnus l’ont roué de coups, le blessant gravement. L’enquête de police est restée sans effet.
427. En mai 2010, Alexei Sokolov, défenseur des droits des prisonniers originaire d’Ekaterinburg, a été condamné à cinq ans d’emprisonnement pour vol et braquage, semble-t-il en représailles de ses activités 
			(110) 
			Voir «Human Rights Watch Memorandum for Russia-EU
Human Rights Consultations», 2010..
428. Dans une autre affaire emblématique déjà mentionnée dans le chapitre précédent, les organisateurs d’un rassemblement international de la société civile tenu en marge du sommet Union européenne-Russie de 2011 à Nijni Novgorod ont été la cible de nombreuses menaces et d’actes de harcèlement de la part des forces de l’ordre locales. La directrice adjointe de la Commission contre la torture de Nijni Novgorod a été maintenue en détention et privée de participation à l’événement. Sa plainte aux autorités n’a été suivie d’aucune enquête effective.
429. Des informations nombreuses font état d’actes de torture et d’autres mauvais traitements perpétrés par les membres des forces de l’ordre, souvent, semble-t-il, pour extorquer aux victimes des aveux ou de l’argent, dans l’ensemble du pays 
			(111) 
			Voir le rapport annuel
2011 d’Amnesty International sur la Russie..
430. Nombre de détenus se sont plaints d’avoir subi des sanctions disciplinaires illégales et d’avoir été privés des soins médicaux que leur état exigeait. Les cas tristement célèbres de M. Magnitsky et de Mme Trifonova, ainsi que l’impunité persistante des responsables de leur décès illustrent bien la gravité du problème. Ici encore, nous attirons l’attention du lecteur sur le rapport élaboré par la commission des questions juridiques sur cette question.
431. Un autre problème grave est celui des mauvaises conditions de détention et des centres de détention provisoire qui ne respectent pas les normes sanitaires et humanitaires minimales et n’offrent pas un accès suffisant aux services médicaux. Nous avons été choqués d’apprendre par M. Nemtsov qu’à la suite de son arrestation du 31 décembre 2010, il avait été maintenu pendant quarante-huit heures dans une pièce sans fenêtre ni lumière, ni lit.
432. Les autorités russes sont conscientes du problème. En 2006, le programme fédéral de «développement du système pénitentiaire en Fédération de Russie pour 2007-2016» a été adopté. En octobre 2010, le gouvernement a approuvé le «concept de développement du système pénitentiaire de la Fédération de Russie d’ici à 2020» qui est maintenant appliqué.
433. La Fédération de Russie a ratifié la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (STE no 126) en 1998. Sur 17 rapports de visites du CPT en Fédération de Russie, seul un (concernant la visite menée en 2001) a été rendu public. Lors de nos visites, nous avons à plusieurs reprises demandé aux autorités compétentes d’autoriser la publication du rapport le plus récent du CPT sur la Russie, datant de 2010. Elles nous ont assuré que la décision en ce sens avait déjà été prise. A ce jour, le rapport n’a malheureusement toujours pas été publié.
434. Le recours excessif à la force par les policiers à l’encontre de manifestants pacifiques est une autre source de préoccupation. Nous reviendrons sur ce point lorsque nous évoquerons les violations de la liberté de réunion en rapport avec l’article 31 de la Constitution de la Fédération de Russie et les manifestations qui ont fait suite aux élections de décembre. Cela étant, le problème ne se limite pas aux manifestations politiques. Le 8 mai 2011, près de 200 personnes se sont réunies dans la ville de Khimki pour une manifestation pacifique contre un projet d’autoroute. Le rassemblement a été subitement et violemment dispersé par la police antiémeute, qui a frappé les manifestants et les a traînés vers un car de police. Plusieurs personnes ont été blessées. Deux militants placés en détention auraient été frappés lors de leur garde à vue; ils ont signalé les coups à l’agent de permanence au commissariat mais aucune enquête effective n’a été menée.
435. Les autorités russes nous ont indiqué qu’une enquête a été ouverte sur cette affaire et que plusieurs agents de police font l’objet de poursuites pénales. De plus, plusieurs procédures disciplinaires ont été ouvertes.
436. Le recours excessif à la force par la police au cours de la Gay Parade à Moscou, en mai 2011, qui a fait 17 blessés parmi les participants, est une autre illustration de ce problème.
437. Les faits de corruption et la collusion entre les services de police, les enquêteurs et les magistrats du parquet compromettent, aux yeux de nombreux observateurs, le sérieux des enquêtes et l’efficacité de la justice. Ils accentuent l’impression d’un manque d’indépendance des juges, ce qui constitue un autre problème structurel.
438. Cela étant, la législation elle-même laisse dans une certaine mesure la porte ouverte aux abus. En particulier, les lois relatives à la police, au Service fédéral de sécurité (FSB) et à l’extrémisme préoccupent la société civile nationale et internationale.
439. Les amendements à la loi sur le FSB adoptés en 2010 autorisent les services spéciaux à lancer des avertissements aux individus, organisations et médias s’ils jugent que ces derniers mènent des activités extrémistes ou potentiellement extrémistes. Les individus ou organisations concernés sont alors tenus de mettre fin à ces activités. Etant donné l’ambiguïté de la définition du terme «extrémisme» dans la loi en vigueur, ces amendements ouvrent la voie à une interprétation arbitraire et à des abus. Des exemples concrets sont donnés dans le paragraphe consacré à la liberté d’expression et à la liberté de conscience et de religion.
440. Dans son Avis sur la loi fédérale sur le Service fédéral de sécurité 
			(112) 
			Avis no 661/2011. adopté en juin 2012, la Commission de Venise a noté qu’il «serait utile que la loi mentionne explicitement l’exigence de respecter dûment les principes de nécessité et de proportionnalité et celle d’octroyer des recours effectifs». Il est d’abord nécessaire, d’après la Commission de Venise, de mettre en place des mécanismes pour prévenir les abus politiques. Il faut que les agences fassent l’objet d’un contrôle externe, ce qui n’est pas le cas actuellement. De plus, s’agissant des mesures préventives et des mises en garde officielles, la Commission de Venise constate qu’elles peuvent être utilisées de façon arbitraire, produisant ainsi un effet dissuasif sur l’exercice des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
441. Par ailleurs, dans son Avis sur la loi fédérale sur la neutralisation des activités extrémistes 
			(113) 
			Avis no 660/2011., adopté en juin 2012, la Commission de Venise déclare clairement que cette loi pose problème en raison de sa formulation générale et imprécise, notamment pour des notions élémentaires comme la définition de l’«extrémisme», des «activités extrémistes», des «organisations extrémistes» ou des «documents extrémistes», qui donne une trop grande marge de manœuvre pour son interprétation et son application, ce qui mène à l’arbitraire. La Commission de Venise estime que les activités que la loi qualifie d’«extrémistes» et qui permettent aux autorités de prendre des mesures préventives et correctives n’impliquent pas toutes de la violence et ne sont pas définies avec suffisamment de précision pour permettre à un particulier d’adapter sa conduite ou de mener les activités d’une organisation de manière à éviter de tomber sous le coup de telles mesures. Enfin, les instruments spécifiques prévus par la loi pour lutter contre l’extrémisme – les avertissements écrits et les sommations – et les mesures punitives qui les accompagnent (interdiction des activités d’une organisation, fermeture de médias) posent des problèmes sous l’angle de la liberté d’association et de la liberté d’expression, et il convient de les amender.
442. Face aux nombreuses critiques – y compris au sein même des forces de l’ordre – qui se sont élevées contre les abus commis par les forces de police, le gouvernement a présenté un nouveau projet de loi sur la police. Ce projet de loi a fait l’objet d’un vaste débat dans le pays et, pour la première fois dans l’histoire de la Russie, les législateurs ont demandé des recommandations publiques sur le contenu du texte. Malgré cela, la loi fédérale sur la police entrée en vigueur en 2011 a été critiquée par les organisations de droits de l’homme qui lui reprochaient de ne pas avoir mis en place des mécanismes efficaces pour demander des comptes aux membres des forces de l’ordre responsables des actes de violence et des violations de droits de l’homme. Nous déplorons en outre que l’avis de la Commission de Venise sur le projet de loi n’ait pas été sollicité au cours du processus législatif.
443. Dans une tentative, déjà mentionnée dans le chapitre sur le système judiciaire, de renforcer l’indépendance des enquêtes pénales, le gouvernement a annoncé en septembre 2010 que la Commission d’enquête serait transformée en un organe d’investigation indépendant à compter de 2011. Il rendrait compte directement au président et ne serait plus placé sous l’autorité du bureau du procureur général. La commission avait été créée à l’origine en 2007 pour séparer les fonctions d’enquête et de poursuites.
444. Le vaste émoi suscité par des décès en détention provisoire faute de soins médicaux adéquats a entraîné des modifications à la loi régissant la détention provisoire.
445. De plus, des mesures d’assignation à résidence et des restrictions à l’usage de la détention provisoire ont été mises en place pour les personnes soupçonnées d’infractions économiques.
446. Au cours de nos visites, nous avons obtenu des informations et des statistiques sur les procédures, enquêtes et sanctions (procédures disciplinaires, actions en justice) imposées aux membres des forces de l’ordre déclarés coupables d’abus. Toutefois, le problème est loin d’être résolu et nécessite d’autres mesures énergiques pour accroître la transparence de l’action des membres des forces de l’ordre et leur obligation de rendre des comptes.
447. A la suite du décès tragique d’un détenu à Kazan, le chef du Comité d’investigation a publié, le 18 avril 2012, une ordonnance «sur les mesures complémentaires relatives à l’organisation des enquêtes sur les crimes commis par les représentants des forces de l’ordre». Cette ordonnance prévoit la création d’une division spéciale au sein du Comité d’investigation chargée des enquêtes sur les abus commis par la police. L’avenir nous dira dans quelle mesure cette disposition sera efficace.
448. Quoi qu’il en soit, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et la pratique d’autres Etats membres indiquent que, pour pallier efficacement les abus des forces de l’ordre, il faut que trois garanties essentielles soient en place pour toute personne détenue par la police: le droit de pouvoir informer de sa situation une tierce personne de son choix, d’avoir accès à un avocat et de demander un examen par un médecin de son choix. En outre, la législation devrait énoncer l’obligation, pour les policiers, d’informer sans délai les personnes détenues des droits susmentionnés et de consigner immédiatement cette détention dans un registre. La législation russe actuelle ne prévoit pas ces garanties et il convient de remédier à cette situation.
449. Par ailleurs, aucune disposition du droit pénal russe ne permet de poursuivre les auteurs d’actes de torture ou de mauvais traitements. En cas de poursuites, de tels faits sont généralement qualifiés d’«abus de pouvoir» ou d’«actes ayant causé des dommages corporels».
450. La prévention des abus et le renforcement de l’obligation, pour les policiers, de rendre des comptes devraient aller en parallèle avec l’élaboration de méthodes modernes d’enquête et d’interrogatoire permettant de limiter au maximum les risques d’un recours à la torture ou aux mauvais traitements. La police pourrait notamment tenir des registres de détention complets et informatisés, assurer l’enregistrement intégral des interrogatoires et recourir largement à différentes techniques de médecine légale. Il convient également d’améliorer la formation initiale et continue des officiers de police. Ainsi, l’adoption d’un Code de déontologie pour la police a joué un rôle déterminant dans l’évolution des mentalités au sein des forces de l’ordre de certains pays.

7.4. L’affaire de la mort de M. Magnitsky

451. Sergei Magnitsky était un jeune avocat russe employé par la principale société d’investissements étrangers de Russie, le Fonds Hermitage. En 2007, il a commencé à enquêter sur des allégations d’abus impliquant des hauts fonctionnaires russes et la criminalité organisée. Il a mis au jour une vaste affaire de fraude fiscale pour un total de 230 millions USD, organisée avec la complicité de fonctionnaires, et a déposé plusieurs plaintes. Son témoignage mettait en cause la police, les milieux judiciaires, des fonctionnaires des impôts, des banquiers et plusieurs membres du crime organisé.
452. Le 24 novembre 2008, M. Sergei Magnitsky a été arrêté par les policiers contre lesquels il avait témoigné, sur la base d’accusations d’évasion fiscale montées de toutes pièces. Il a été incarcéré pendant près d’un an sans procès. D’après les déclarations qu’il a faites lors des audiences au tribunal ainsi que les dossiers officiels, il a été soumis à des conditions de détention qui se sont constamment dégradées et à des soins médicaux insuffisants pour le forcer à déposer un faux témoignage contre ses employeurs.
453. Le 16 novembre 2009, huit jours avant l’expiration du délai d’une année pendant laquelle il pouvait être incarcéré sans procès, il a été violemment battu et abandonné sans assistance médicale dans une cellule d’isolement où il a fini par succomber. Ces faits ont été confirmés par le Conseil des droits de l’homme du Président Medvedev le 5 juillet 2011.
454. Les autorités carcérales ont attribué son décès à une «rupture de la plèvre», et par la suite à une crise cardiaque, et les pouvoirs publics ont refusé l’ouverture d’une enquête criminelle. Il a fallu attendre vingt mois après ces événements tragiques pour qu’une enquête pénale soit ouverte dans cette affaire, sur l’ordre du Président Medvedev. Cette enquête officielle a été arbitrairement restreinte, en se limitant aux allégations de «négligence médicale involontaire», et en passant sous silence la conspiration délibérée visant à faire pression sur M. Magnitsky. Les enquêteurs ont fait preuve de partialité et d’un mépris flagrant pour les normes juridiques les plus élémentaires en matière d’enquêtes sur des allégations de corruption et de crime organisé, comme l’illustrent les nombreuses lacunes qui ont caractérisé l’enquête.
455. De plus, les conclusions de deux enquêtes indépendantes, l’une réalisée par la Commission publique de contrôle de la ville de Moscou et l’autre par le Conseil présidentiel des droits de l’homme, ont été écartées par les instances de l’Etat et n’ont pas abouti à des poursuites.
456. Des poursuites pénales pour négligence ont été engagées à l’encontre de deux médecins du centre de détention provisoire où M. Magnitsky est décédé. Toutefois, personne n’a encore été traduit en justice ni inculpé pour sa mort. L’enquête en cours a été prolongée 12 fois depuis deux ans et demi.
457. En avril 2012, des procureurs russes ont annoncé le classement sans suite de la procédure pénale pour négligence engagée à l’encontre de l’un des deux médecins du centre de détention provisoire où M. Magnitsky est mort parce que les faits étaient prescrits. L’autre médecin de la prison est le seul fonctionnaire qui est inculpé pour le décès de M. Magnitsky 
			(114) 
			RIA
Novosti, le 14 mars 2012..
458. En 2010, le ministère russe de l’Intérieur a annoncé que M. Magnitsky était le principal suspect pour l’organisation des vols qu’il dénonçait. Les services du procureur général ont pris la décision sans précédent de juger l’avocat Magnitsky à titre posthume et rouvert l’affaire sur la base des mêmes accusations qui avaient déjà été dénoncées par le Conseil des droits de l’homme du Président Medvedev comme fabriquées de toutes pièces par les fonctionnaires ayant un conflit d’intérêts avec ce dossier.
459. La communauté internationale a maintes fois exhorté les autorités russes à mener une véritable enquête afin de poursuivre et de sanctionner toutes les personnes responsables pour la mort de M. Magnitsky. Mi-2011, l’administration américaine a décrété une interdiction de visa à l’encontre d’environ 60 fonctionnaires russes impliqués dans ce meurtre. Le Parlement européen a demandé l’instauration d’une interdiction de visa sur l’ensemble du territoire communautaire pour les fonctionnaires russes mis en cause dans cette affaire tragique. L’Assemblée parlementaire a condamné l’impunité dont jouissent les auteurs des faits dans sa Résolution 1891 (2012) sur la situation des défenseurs des droits de l’homme dans les Etats membres du Conseil de l’Europe.
460. Le 24 mai 2012, nous avons adressé une série de questions à la délégation parlementaire russe à propos de la mort de M. Magnitsky. Malheureusement, leurs réponses ne semblent pas aller au-delà de la position officielle bien connue des autorités russes exposée à l’issue des enquêtes officielles et des décisions de justice, et nous ne les trouvons pas satisfaisantes.
461. Tant que les responsables de la mort de M. Magnitsky n’auront pas été traduits en justice, cette affaire continuera d’illustrer tragiquement l’impunité et le manque d’indépendance du système judiciaire russe.

7.5. Liberté d’expression

462. La liberté d’expression est hautement problématique en Russie. Nous avons décrit dans l’un des chapitres précédents la situation des médias, caractérisée par un fort contrôle de l’Etat sur les radiodiffuseurs, une diversité limitée de la presse, l’usage arbitraire de la loi contre l’extrémisme et, par-dessus tout, les actes de violence perpétrés contre les journalistes et l’impunité de leurs auteurs.
463. L’insécurité des journalistes continue de représenter un danger réel pour la liberté de la presse en Russie. Nombre de professionnels seraient contraints de pratiquer l’autocensure en raison de la multiplication des agressions physiques ciblées de journalistes renommés et de l’incapacité persistante des autorités à mener des enquêtes crédibles et effectives et à punir les personnes responsables de coups et violences à l’égard de journalistes, voire de meurtres.
464. Selon le Comité de protection des journalistes (CPJ), pas moins de 22 journalistes ont été victimes d’assassinats ciblés entre 1991 et 2009. A titre de comparaison, les chiffres d’autres pays au cours de la même période sont les suivants: France: 0, Allemagne: 0, Italie: 0, Royaume-Uni: 1 
			(115) 
			D’autres
sources donnent des chiffres similaires: d’après Reporters sans
Frontières, 21 journalistes ont été assassinés entre 2000 et 2007;
l’Institut de la presse internationale (IPI) fait état de 40 journalistes
assassinés depuis 1990..
465. La Russie occupe la huitième place sur l’indice de l’impunité du Comité de protection des journalistes, une liste de pays dans lesquels des journalistes sont régulièrement assassinés sans que les gouvernements en punissent les auteurs. Depuis 1999, seuls trois procès pour meurtre de journalistes en mission ont abouti à la condamnation des auteurs: celui des meurtres de Larisa Yudina en 1998 et d’Ivan Sukhomlin en 2003 et celui des coups mortels portés à Igor Domnikov en mai 2000.
466. Le meurtre de Mme Anna Politkovskaya, une journaliste réputée pour ses critiques à l’encontre du Kremlin et abattue le 7 octobre 2006, et la non-élucidation à ce jour des circonstances exactes de sa mort ainsi que l’absence de sanction à l’encontre des responsables créent un climat d’impunité et de peur. Il est vrai que l’enquête a enregistré récemment certains progrès encourageants 
			(116) 
			Le
23 août 2011, un policier en retraite, le lieutenant-colonel Dmitry
Pavlyuchenkov, a été arrêté et inculpé pour l’organisation de cet
assassinat. Il a également été accusé d’avoir recruté les meurtriers.
Vladimir Markin, un porte-parole de la commission d’enquête russe,
a déclaré que les enquêteurs disposaient «d’informations sur le
commanditaire présumé», ajoutant toutefois qu’il serait prématuré
de rendre ces informations publiques. Le 12 juillet 2012, les enquêteurs
ont annoncé l’inculpation du suspect, avec lequel ils avaient conclu
un accord sur les chefs d’accusation., mais la question de l’identification des commanditaires reste ouverte et demandera beaucoup de persévérance de la part de la police et des autorités judiciaires.
467. Au cours de la même période, plus d’une centaine d’actes de violence visant des journalistes mais sans issue fatale ont été répertoriés. Les services répressifs ont enquêté sur plus de 70 de ces agressions (certaines agressions n’ont pas été signalées et la police n’est tenue d’enquêter que sur les agressions physiques les plus graves). Les enquêtes ont généralement été suspendues faute de progrès. Au total, quatre agressions ont été portées devant les tribunaux au cours de cette période. Deux ont mené à la condamnation des auteurs, mais pas des instigateurs présumés.
468. Les menaces contre les journalistes et les organes des médias constituent la forme la plus insidieuse d’intimidation.
469. Etant donné l’influence croissante d’internet en tant que principale source d’information (plus de 40 % des citoyens russes utilisent Runnet), la question de la liberté d’expression en ligne a considérablement gagné en pertinence. Là encore, les tentatives des autorités de développer le filtrage et la surveillance en ligne soulèvent de graves préoccupations. Des poursuites et des procès sont intentés à des blogueurs, souvent sur la base d’une interprétation vague de la loi contre l’extrémisme, qui a été modifiée en juillet 2007.
470. Il y aurait eu de nombreux cas de harcèlement de tous ordres – judiciaire ou autre – de blogueurs visant à intimider ceux qui se montrent critiques à l’encontre des autorités ou traitent de sujets sensibles.
471. Par ailleurs, la liberté d’expression des défenseurs des droits de l’homme, des avocats et des militants de la société civile reste limitée. Seule la condamnation – en mai 2011 – du couple responsable du double meurtre de l’avocat défenseur des droits de l’homme Stanislav Markelov et de la journaliste Anastasia Barburova a porté un premier coup sérieux au climat d’impunité qui prévaut en Russie.
472. A l’exception de ce double meurtre, aucun des assassinats de militants célèbres des droits de l’homme (Natalia Estemirova, Maksharip Aushev, Zarema Sadulava ou Alik Dzhabrailov, pour ne citer que ceux des deux dernières années) n’a été résolu de manière convaincante et aucun des auteurs n’a été condamné. Les défenseurs des droits de l’homme et les militants de la société civile sont également fréquemment victimes d’intimidation, de harcèlement administratif et d’agressions physiques.
473. A notre grand regret, la Douma a adopté, mi-juillet 2012, deux lois controversées qui ont un impact considérable sur la liberté d’expression: premièrement, une loi vivement décriée sur la pénalisation de la diffamation. Elle requalifie la diffamation en infraction pénale et prévoit des amendes pouvant atteindre 5 millions de roubles (152 000 USD). Elle annule la réforme du Président Medvedev de décembre 2011 qui avait dépénalisé la diffamation pour en faire une simple infraction administrative. Elle est contraire aux normes démocratiques et confère aux autorités le pouvoir de museler les critiques. Deuxièmement, la loi sur l’internet (loi sur l’information) qui devrait, d’après de nombreux observateurs, avoir des retombées négatives et mener à l’instauration de la censure. Wikipedia a fermé ses pages en russe pendant une journée avant le vote au motif que cette loi permettrait d’instituer une censure extrajudiciaire sur l’ensemble de l’internet en Russie.

7.6. Liberté de réunion

474. Le droit à la liberté de réunion – essentiel pour soutenir le pluralisme et la démocratie – continue de poser problème en Russie. Ce droit est inscrit à l’article 31 de la Constitution et régi par la loi fédérale de la Fédération de Russie sur «les rassemblements, réunions, manifestations, marches et piquets de grève» («loi sur les rassemblements»), modifiée en décembre 2010. Bien que le cadre normatif général soit conforme dans son principe aux normes européennes, l’interprétation de certaines dispositions ambiguës par les autorités soulève des préoccupations légitimes.
475. La loi prévoit une procédure de notification obligeant les organisateurs à informer les autorités de leur intention d’organiser un rassemblement. Ils ne sont cependant pas tenus, par cette disposition, de demander une autorisation. Cependant, l’ambiguïté du texte permet aux autorités de promulguer des décisions et des règles qui restreignent la liberté de réunion: un changement de lieu, par exemple.
476. Selon les Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique 
			(117) 
			La seconde édition
des Lignes directrices a été publiée en octobre 2010 par la Commission
de Venise et l’OSCE/BIDDH afin d’aider les Etats membres du Conseil
de l’Europe et de l’OSCE à harmoniser leur législation sur la liberté
de réunion avec les normes européennes., l’organisateur d’une réunion ne doit pas être forcé ou contraint d’accepter la ou les solution(s) de remplacement proposée(s) par les autorités, ni de négocier avec elles des aspects fondamentaux (notamment l’heure ou le lieu) de la réunion qu’il prévoit.
477. Cependant, une des dispositions de la loi fédérale qui a souvent été appliquée est l’interdiction de tenir une réunion si les organisateurs n’acceptent pas les propositions «motivées» des autorités de modifier le lieu ou l’heure de la réunion 
			(118) 
			Articles 5(5) et 12(2)
de la loi sur les rassemblements..
478. La Commission de Venise, dans son Avis sur la loi fédérale relative aux rassemblements, réunions, manifestations, marches et piquets de grève 
			(119) 
			Avis no 659/2011., publié en mars 2012, a recommandé une révision de ce régime de la notification préalable. Les motifs de restriction des rassemblements devraient être limités afin de permettre l’application du principe de la proportionnalité; les rassemblements spontanés devraient être tolérés dans la mesure où ils sont pacifiques; les obligations des organisateurs devraient être réduites. L’avis souligne également que, en cas de recours devant les tribunaux, ceux-ci devraient rendre une décision avant la date du rassemblement envisagé.
479. L’avis susmentionné montre clairement qu’il serait souhaitable de réviser le cadre juridique afin d’inclure des procédures efficaces, prévisibles et clairement définies pour la résolution des désaccords susceptibles de survenir dans le contexte de la procédure de notification. Nous sommes donc vivement préoccupés par l’adoption d’une nouvelle loi qui restreint davantage encore la liberté de réunion. Nous avons déjà mentionné la loi sur les protestations, adoptée le 6 mai 2012, qui augmente considérablement le montant des amendes pour l’organisation de manifestations non autorisées ou pour la participation à celles-ci. Une application restrictive de cette loi permettrait de sanctionner des personnes pour le simple fait de se promener dans la rue avec un ruban ou de lancer sur internet un appel à manifester. L’adoption de cette loi a suscité beaucoup de critiques tant en Russie qu’à l’étranger. Ce texte n’est pas conforme aux normes du Conseil de l’Europe et nous espérons sincèrement que les autorités russes le réexamineront en vue de le modifier.
480. Les autorités refusent les autorisations et la police disperse souvent – faisant parfois un usage inutile ou excessif de la force – les manifestations publiques organisées par les militants de la société civile et l’opposition politique, bien que les organisateurs respectent la procédure de notification prévue par la loi. La police procède à des arrestations arbitraires et place en détention des manifestants qui sont ensuite fréquemment condamnés à des sanctions administratives.
481. Les sanctions et peines infligées après des réunions sont également sources de préoccupation. De nombreuses allégations laissent entendre que le droit à un procès équitable n’est pas respecté. Dans plusieurs arrêts, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que les sanctions infligées à des manifestants constituaient une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté de réunion et d’expression.
482. Malgré ces difficultés, des rassemblements en faveur de la liberté de réunion ont été organisés par l’opposition dans les principales villes russes tous les 31 du mois, ce jour symbolisant l’article 31 de la Constitution russe, qui garantit le droit de réunion pacifique. Ils ont souvent été dispersés violemment par la police et certains militants politiques ont été placés en détention. Les moyens utilisés contre les manifestants et la justification de la détention sont très discutables. Ainsi, le rassemblement du 31 décembre 2010, bien qu’autorisé, a entraîné l’arrestation de près de 120 manifestants, parmi lesquels plusieurs figures de l’opposition, comme MM. Nemtsov, Ilia Iashin et Konstantin Kosiakin. Ces derniers ont été condamnés le 2 janvier 2011 à quinze, cinq et dix jours de rétention administrative respectivement, pour «non respect des instructions de la police», bien que des témoins oculaires aient affirmé qu’ils ne s’étaient pas opposés aux policiers.
483. Depuis la fin de l’année 2010, avec la nomination d’un nouveau maire de Moscou, certaines manifestations ont été autorisées. Ce changement positif a été confirmé récemment au cours de la période postélectorale. Nous nous en félicitons. En revanche, dans d’autres villes russes, les rassemblements ont malheureusement la plupart du temps été refusés.
484. Les autorités devraient veiller à ce que les membres des forces de l’ordre de tout grade respectent et protègent le droit à la liberté de réunion et agissent conformément à la loi lors des manifestations. Ces agents devraient suivre régulièrement des formations sur le maintien de l’ordre lors des rassemblements publics, dans le respect des principes relatifs aux droits de l’homme.
485. Ils devraient également être tenus de rendre compte de tout acte illégal commis lors d’une manifestation. Plusieurs mesures susceptibles de remédier à cette situation peuvent être recommandées: par exemple, imposer aux agents le port de signes visibles qui permettent de les identifier clairement lors de leurs interventions. Par ailleurs, il conviendrait de collecter et de publier des informations et des statistiques à propos des actes illégaux commis par les forces de l’ordre à ces occasions.
486. Il faut également souligner que la législation actuelle ne comporte pas de dispositions consacrées aux rassemblements spontanés. Le droit d’organiser de telles réunions est important dans les cas où une action différée risquerait d’affaiblir le message. Les semaines qui ont suivi les élections de décembre 2011 en ont été un exemple particulièrement représentatif.
487. Les Gay Parades sont systématiquement interdites. En septembre 2010, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à l’unanimité que la Fédération de Russie avait agi illégalement en interdisant les manifestations pour les droits des homosexuels en 2006, 2007 et 2008. Elle a affirmé que la Russie devait légaliser l’événement prévu le 20 mai 2011 
			(120) 
			Voir l’arrêt de la
Cour dans l’affaire Alekseyev c. Russie.. Les autorités russes n’ont pas respecté cet arrêt et, le 18 mai 2011, 18 manifestants pacifiques ont été arrêtés et agressés. L’un d’entre eux a été hospitalisé. Ces actes s’inscrivent dans le cadre de la problématique plus vaste de la discrimination à l’égard des LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres).
488. Dans l’entretien qu’il a accordé à la presse russe en sa qualité d’ancien rapporteur de l’Assemblée sur les droits des LGBT, M. Gross a souligné que la Russie devait se conformer aux décisions de la Cour et que l’interdiction de la Gay Pride de Moscou était contraire à la Convention européenne des droits de l’homme. Il a également critiqué la déclaration faite par le maire de Moscou, M. Sergey Sobyanin, selon laquelle «les Gay Parades n’ont pas leur place à Moscou». «Je déplore vivement que le nouveau maire adopte la position de son prédécesseur concernant les Gay Pride Parades. M. Yuri Luzhkov n’était pas un maire démocratique et a été associé à la corruption. Je ne comprends vraiment pas pourquoi le nouveau maire s’oppose tant à ces marches», a dit le rapporteur.
489. Le médiateur des droits de l’homme de Moscou, M. Alexander Muzykantsky, a annoncé le 25 avril 2011, qu’il préparait un rapport sur les violations par les autorités russes de la liberté d’organiser des manifestations.
490. Le 9 septembre 2011, l’ancien Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, M. Thomas Hammarberg, a adressé au gouvernement de la Fédération de Russie un courrier dans lequel il faisait part de sa préoccupation devant les entraves à la liberté de réunion.
491. Dans leur réponse du 30 septembre 2011, qui est consultable sur le site web du commissaire, les autorités russes ont fait des commentaires sur les questions soulevées dans la lettre et ont donné des informations sur certaines mesures prises pour améliorer la situation.

7.7. Liberté de conscience et de religion

492. Lors de son adhésion, la Fédération de Russie s’est engagée à introduire des lois nouvelles conformes aux normes du Conseil de l’Europe, en particulier au sujet de la liberté de religion. La loi fédérale sur la liberté de conscience et les associations religieuses a été adoptée en 1997. Elle a été critiquée, dans le pays comme à l’étranger, au motif qu’elle méconnaît le principe de l’égalité des religions.
493. La loi de 1997 est très complexe et ses dispositions sont souvent ambiguës. Elle instaure différentes catégories de communautés religieuses auxquelles s’appliquent des régimes juridiques et des privilèges différents. Les décisions ultérieures de la Cour constitutionnelle en 1999, 2000 et 2002 ont quelque peu amélioré la situation, en limitant la base d’application de certains critères, mais la situation n’est toujours pas pleinement satisfaisante.
494. Dans le précédent rapport sur la Russie en 2005, les corapporteurs demandaient instamment aux autorités russes de réviser la loi, notamment pour éliminer les dispositions discriminatoires qui entravent l’enregistrement des organisations religieuses nouvelles, simplifier les procédures d’enregistrement et élargir les droits accordés aux groupes religieux non enregistrés. Cela n’a malheureusement pas été fait.
495. Un certain nombre de confessions et d’organisations religieuses, parmi lesquelles les mormons et la Krishna Consciousness Society, se sont heurtées à des problèmes pour obtenir leur enregistrement 
			(121) 
			Voir «Freedom of conscience
in Russia in 2010: restrictions and challenges», SOVA, Center for
Information and Analysis..
496. Dans leurs observations sur l’avant-projet de rapport de la commission de suivi de l’Assemblée, les autorités insistent sur le fait que le nombre de refus par l’Etat d’enregistrer des organisations religieuses est en nette diminution: de 2008 à 2011, il est tombé de 5,5 % à 2,4 %.
497. Nous avons par ailleurs été informés que la loi fédérale de lutte contre les activités extrémistes (loi sur l’extrémisme), adoptée en 2002 
			(122) 
			Voir également
le paragraphe 438 du présent rapport et l’Avis no 660/2012 de la Commission de Venise., était utilisée de manière abusive pour faire obstacle aux activités de certaines religions, et en particulier celles des Témoins de Jéhovah, une vaste communauté comptant 162 000 membres en Russie. Les cas d’utilisation abusive ont connu une hausse spectaculaire depuis l’introduction des amendements à la loi en 2006.
498. Dans la loi d’origine, la définition de l’extrémisme évoquait «l’incitation à la discorde sociale, raciale, nationale ou religieuse, associée à la violence ou à des appels à la violence». Dans l’amendement de 2006, la deuxième partie de la phrase a été supprimée. L’article 1 de la loi définit l’extrémisme comme suit: «toute activité menée par des associations sociales ou religieuses, par d’autres organisations, par les médias ou par des particuliers, impliquant la planification, l’organisation, la préparation et la réalisation d’actes dans l’un des buts suivants: incitation à la discorde sociale, raciale, nationale ou religieuse; proclamation du caractère exclusif, de la supériorité ou de l’infériorité d’une personne sur la base de son statut social, racial, national ou religieux, de sa langue ou de son attitude vis-à-vis de la religion». Cette définition ambiguë de «l’extrémisme» ouvre la voie à des mesures arbitraires de la part des services répressifs.
499. En conséquence, 68 publications religieuses des Témoins de Jéhovah, dont la «Bible pour enfants», ont été inscrites sur la liste fédérale des matériels extrémistes, publiée par le ministère de la Justice.
500. Certains membres de cette communauté font l’objet de poursuites pénales pour «incitation à la haine ou à l’hostilité et atteinte à la dignité humaine», ou distribution présumée de tracts «extrémistes» au sens des articles 282 et 282.1 du Code pénal. A ce jour, 10 enquêtes pénales ont été ouvertes à l’encontre de Témoins de Jéhovah.
501. Des membres de la communauté ont également été déclarés coupables de violations des articles 13.21, 20.2 et 20.29 du Code administratif car ils auraient distribué des périodiques religieux sans autorisation, tenu des réunions religieuses sans en informer les autorités et stocké des publications religieuses jugées extrémistes en vue de leur diffusion.
502. La loi fédérale sur le FSB récemment modifiée donne aux enquêteurs de nombreux moyens de s’immiscer dans la vie privée de particuliers, de les harceler et de les intimider sous prétexte de recueillir des preuves. Depuis décembre 2009, il y a eu plus de 1 000 incidents d’agressions, d’incendies criminels, de détentions par la police, de perquisitions et de saisies de documents, ainsi que de descentes de police au domicile de particuliers et dans des lieux de culte. Dans de nombreuses villes, les sites web de Témoins de Jéhovah ont fait l’objet de cyberattaques.
503. En 2010, par décision du Service fédéral de supervision des communications, des technologies de l’information et des communications de masse, l’autorisation de diffusion du principal magazine en langue anglaise des Témoins de Jéhovah a été annulée. En vertu de cette décision, le magazine ne peut même plus être importé dans le pays.
504. Le 10 juin 2010, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu que la liquidation et l’interdiction des activités de la communauté moscovite des Témoins de Jéhovah prononcées en 2004 étaient illégales. Depuis, la communauté n’a toutefois pas été en mesure de se faire réenregistrer, en dépit de multiples tentatives en ce sens.
505. On nous a présenté une longue liste d’affaires solidement documentées concernant des violations de la liberté de religion à l’encontre des Témoins de Jéhovah.
506. Jugeant cette situation inacceptable, nous avons pris l’initiative de solliciter l’avis juridique de la Commission de Venise sur la loi fédérale relative à l’extrémisme, telle que modifiée en 2006. Nous espérons que les recommandations de la Commission de Venise contribueront à remédier aux violations actuelles.
507. La situation a pris un tour extrêmement préoccupant quand, le 31 mai 2012, 17 Témoins de Jéhovah de Taganrog ont été inculpés pour organisation d’activités criminelles et participation à celles-ci au seul motif d’avoir pratiqué leur religion. Le procès devrait se tenir prochainement. La décision d’ouvrir une procédure pénale sur la base de l’article 282.2 du Code pénal (organiser des activités d’une organisation extrémiste) a été rendue le 5 août 2009 et fait suite à la décision du tribunal régional de Rostov de liquider l’organisation religieuse locale en tant qu’organisation extrémiste et de qualifier de documents extrémistes 34 de leurs publications religieuses.
508. La Russie s’est également engagée à restituer, dans les plus brefs délais, les biens des institutions religieuses. La loi sur le transfert aux organisations religieuses des biens appartenant à l’Etat ou aux municipalités a été adoptée par la Douma d’Etat en novembre 2010. Nous constatons avec satisfaction que la plupart des biens utilisés pour des services religieux ont été restitués. Cela nous a été confirmé lors de nos réunions avec les représentants de différentes confessions à Moscou et à Kazan.

7.8. Le service militaire de substitution

509. Lors de son adhésion, la Russie s’est engagée à adopter une loi prévoyant un service militaire de substitution. Elle l’a fait en 2002.
510. Dans leur rapport sur la Russie présenté en 2005, nos prédécesseurs ont vivement critiqué cette loi, jugeant qu’elle n’était pas compatible avec les normes européennes et n’offrait pas d’alternative juste aux jeunes appelés. Ils ont conclu que l’engagement en question n’était pas rempli, ajoutant que l’adoption d’une loi ne garantit pas automatiquement le respect des obligations et engagements souscrits. Nous partageons pleinement cet avis.
511. La Résolution 1455 (2005) sur le respect des obligations et engagements de la Fédération de Russie appelait les autorités russes à réviser la loi sur le service militaire de substitution afin «de lui enlever son caractère disproportionné et de la rendre conforme aux pratiques européennes».
512. Cela n’a malheureusement pas été fait. La délégation russe considère, pour sa part, que cet engagement est respecté. Pour justifier sa position, elle s’appuie sur des statistiques: d’après le ministère de la Défense, de 2004 à 2010, 5 388 demandes de service militaire de substitution ont été déposées; 4 072 de ces demandes, soit 80,5%, ont été satisfaites.

7.9. Protection des minorités, xénophobie et intolérance raciale

513. En adhérant au Conseil de l’Europe, la Russie s’est engagée à adopter des lois nouvelles conformes aux normes du Conseil de l’Europe pour la protection des minorités nationales, à signer et à ratifier, dans un délai d’un an à compter de la date d’adhésion, la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE no 157), à orienter sa politique à l’égard des minorités en suivant les principes énoncés dans la Recommandation de l’Assemblée 1201 (1993) sur un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme sur les droits des minorités, et à incorporer ces principes dans le système juridique et administratif et dans la pratique du pays. Elle s’est également engagée à signer et à ratifier, dans un délai d’un an à compter de la date de l’adhésion, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE no 148).
514. La Russie est un Etat multiethnique qui compte plus de 100 nationalités. D’après le recensement de 2010, les Russes constituent 80,9 % de la population totale, les Tatars 3,9 %, les Ukrainiens 1,4 %, les Bachkir 1,1 %, les Tchouvaches 1,1 %, les Tchétchènes 1 % et les autres 10,6 % comprenant les citoyens finno-ougriens, dont la situation est jugée préoccupante par l’Assemblée 
			(123) 
			Voir la Recommandation 1775 (2006)..
515. La Fédération de Russie a ratifié la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales le 18 juin 1998. La résolution la plus récente du Comité des Ministres contenant des recommandations pour l’amélioration du processus de mise en œuvre date de mai 2007. Les autorités russes ont soumis leur troisième rapport périodique en 2010 et le Comité consultatif a adopté son troisième avis en février 2012.
516. Tout en notant des progrès dans la mise en œuvre de la convention-cadre, cette résolution met l’accent sur un certain nombre de points préoccupants, et notamment l’application des garanties fédérales en vigueur en matière de protection des minorités, l’absence de législation complète contre la discrimination offrant des recours effectifs aux victimes de discrimination et les problèmes persistants d’accès à l’enregistrement du lieu de résidence et à la citoyenneté des membres des minorités nationales, lesquels se heurtent de ce fait à des difficultés dans l’exercice de leurs droits économiques, sociaux et civils.
517. On note une augmentation alarmante du nombre d’attaques violentes à motivation raciste. Le peu d’empressement des forces de l’ordre et des autorités chargées des poursuites à reconnaître la motivation raciale et nationaliste de ces infractions est préoccupant. En outre, l’incitation à la haine est devenue de plus en plus fréquente et reste bien trop souvent impunie.
518. On ne peut que déplorer le recul de la participation des minorités à la vie publique, et notamment l’abrogation des dispositions fédérales autorisant des quotas en matière de participation des populations autochtones aux assemblées législatives régionales. Dans leurs observations sur l’avant-projet de rapport, les autorités ont attiré notre attention sur le fait que la participation de représentants des minorités prend principalement la forme d’une adhésion et d’activités au sein des organes consultatifs affiliés aux autorités nationales et locales. Ils siègent notamment au sein du conseil consultatif d’experts affiliés à la Task Force interministérielle sur les relations interethniques. Le 7 mai 2012, le Président Poutine a en outre promulgué un décret sur «la promotion de la concorde entre les ethnies». Un «conseil des relations interethniques» devrait être mis en place sous la responsabilité du président.
519. La Fédération de Russie a signé la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires en 2010 mais ne l’a jamais soumise pour ratification. Au cours de notre précédente visite, nous avons appris que la procédure était en cours et que la ratification aurait lieu à bref délai. Nous demandons instamment aux membres de la Douma – comme nous l’avons déjà fait lors de nos réunions à Moscou – de mener à bien cette tâche sans tarder, d’autant plus que la question ne semble pas poser problème. En effet, lors de notre visite à Kazan, nous avons eu l’occasion de nous entretenir avec les différentes communautés linguistiques présentes en République du Tatarstan et en avons conclu que la situation générale en rapport avec les langues minoritaires était satisfaisante.
520. Le rapport le plus récent de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) a été publié en 2006 (il a été adopté en décembre 2005). Parmi les questions spécifiques qui y sont abordées figurent l’escalade de la violence raciste, la multiplication des déclarations et des publications racistes, l’exploitation du discours raciste en politique et le problème de la discrimination raciale dans le système d’enregistrement du lieu de résidence. La prochaine visite de l’ECRI et le rapport correspondant sont prévus pour cette année.

7.10. Les institutions du médiateur

521. Lors de son adhésion, la Russie s’est engagée à adopter une loi sur le bureau du Commissaire aux droits de l’homme. La loi fédérale sur le médiateur de la Fédération de Russie a été adoptée en 1997.
522. Le médiateur est indépendant du pouvoir exécutif et élu par la Douma pour une période de cinq ans. Depuis 2004, ce poste est occupé par notre ancien collègue de l’Assemblée parlementaire, M. Vladimir Lukin.
523. Le médiateur examine les plaintes relatives aux violations des droits et libertés fondamentaux des individus, prend des mesures pour rectifier les violations, formule des recommandations sur la conformité de la législation nationale avec le droit international et prépare des rapports annuels sur les activités de ses services pour le président, le parlement, le gouvernement, le procureur général et les plus hautes juridictions. En 2011, le bureau du médiateur a reçu plus de 54 000 plaintes individuelles ou collectives.
524. Si nous sommes véritablement impressionnés par la volonté d’agir et l’investissement personnel du médiateur actuel et de ses équipes, nous devons admettre que leurs activités ont un impact global limité sur la situation des droits de l’homme en Fédération de Russie et concernent principalement des cas particuliers.
525. La loi prévoit que chaque entité de la Fédération de Russie peut également élire son propre médiateur. Au cours de notre visite à Kazan, nous avons rencontré le médiateur du Tatarstan, Mme Saria Saburskaya, et avons été informés de ses activités.

7.11. Le Conseil présidentiel sur le développement de la société civile et les droits de l’homme

526. Le Conseil présidentiel des droits de l’homme 
			(124) 
			Il
remplace la Commission présidentielle des droits de l’homme établie
en 1993 en tant qu’organe complémentaire de l’institution du médiateur,
en relation directe avec le président et l’administration présidentielle. est un organe consultatif créé en 2004, chargé de préparer des recommandations au président sur les principaux problèmes de droits de l’homme. Il est composé de 27 représentants des principales ONG.
527. Le conseil a pris position sur de nombreuses questions importantes et délicates, montrant son indépendance et son impartialité. Il a élaboré des rapports sur le décès de M. Sergey Magnitsky, mettant en évidence la responsabilité des gardiens de prison, ainsi que sur la détention de M. Mikhail Khodorkovski, concluant à la nécessité d’une révision de l’enquête.
528. Plus récemment, le 24 décembre 2011, le conseil a appelé à la démission du président de la Commission électorale centrale.
529. Les rapports du Conseil présidentiel des droits de l’homme sont publics et consultables sur son site web. Toutefois, ils ne sont nullement contraignants, et leur influence est très limitée.
530. Malheureusement, en juin 2012, à la suite de l’annonce d’un changement dans le système de nomination des membres du conseil, 13 de ses 27 membres, dont la célèbre défenseur des droits de l’homme Ludmila Alexeeva, ont démissionné. Ils craignaient que le Conseil ne perde son indépendance par rapport aux autorités. Le 22 juin 2012, M. Mikhail Fedotov a déclaré que, à partir du mois suivant, les organisations non gouvernementales et autres groupes de la société civile russes pourraient proposer leurs candidats sur le site internet officiel du Conseil présidentiel des droits de l’homme et que le président sélectionnerait les nouveaux membres du conseil parmi ces candidats.
531. Cette décision ainsi que les nouvelles lois qui ont récemment été adoptées aggravent encore nos inquiétudes quant aux intentions des autorités et à l’avenir de la démocratie en Russie.

8. Conclusions

532. Dans l’ensemble, l’état de la démocratie en Russie est préoccupant, tout comme la lenteur des progrès réalisés par le pays pour se conformer à ses obligations et à ses engagements. Dans le présent rapport, nous relevons de nombreux problèmes dans tous les domaines qui nous intéressent, et notamment la démocratie pluraliste, l’Etat de droit et les droits de l’homme, tant au niveau de la législation qu’à celui de son application. Il conviendrait que la Fédération de Russie intensifie ses efforts et progresse plus rapidement sur la voie de la démocratisation.
533. Un aspect particulièrement préoccupant de la période couverte par ce rapport est le climat politique restrictif qui a fait obstacle à un dialogue politique digne de ce nom et à la libre expression de l’opinion publique.
534. L’environnement politique restrictif a également nui au processus électoral, une situation qui s’est ajoutée aux lacunes et aux dysfonctionnements de la législation et de l’administration électorales pour alimenter les vives critiques dont les récentes élections parlementaires et présidentielle ont fait l’objet.
535. Les inquiétudes concernant l’indépendance du système judiciaire sont étroitement liées à d’autres préoccupations relatives à la prééminence du droit, aux violations des droits de l’homme et à l’impunité des forces de l’ordre.
536. En notre qualité de rapporteurs pour le suivi du respect par la Fédération de Russie de ses obligations et de ses engagements, nous avons été chargés de la mission particulièrement difficile d’évaluer les progrès démocratiques d’un pays qui semble être à la croisée des chemins et qui doit choisir son avenir. D’ailleurs, à l’heure de rédiger les présentes conclusions (juillet 2012), il est difficile de prédire la direction que prendra la Russie.
537. Les manifestations massives qui ont suivi les élections législatives de décembre 2011 ont changé la donne politique en Russie. Après plus d’une décennie où le pouvoir était entre les mains d’une force politique disposant d’une majorité confortable au parlement et du soutien de la population, ce qui lui a permis de consolider sa position, parfois aux dépens des principes démocratiques, la population a exigé davantage d’ouverture et de participation dans le système politique.
538. La stabilité politique et la prospérité économique du début des années 2000, qui faisaient suite au chaos et aux difficultés économiques des années 1990, ne suffisent plus pour satisfaire les ambitions et les attentes de la population. La population russe, qui est souvent considérée comme passive sur le plan politique et favorable à un pouvoir fort et autoritaire, a soudain révélé ses attentes démocratiques et son potentiel politique.
539. Sa mobilisation massive ne s’est pas limitée aux grandes villes et à des catégories spécifiques de la population: tout le pays a été concerné et des personnes de toutes les classes de la population et de toutes les orientations politiques étaient représentées dans les manifestations. Une occasion unique est ainsi offerte au pouvoir, ce qui pourrait aboutir à une libéralisation du système.
540. Diverses réformes législatives lancées par l’ancien Président, Dmitri Medvedev, et inscrites dans la loi, dont les amendements à la loi électorale, l’élection au suffrage direct des gouverneurs et la modification des règles d’enregistrement des partis politiques, paraissaient confirmer un sincère souhait de libéralisation du système. L’annonce récente par le Président nouvellement élu, Vladimir Poutine, de son intention d’élargir le dialogue politique en intégrant l’opposition extraparlementaire semblait confirmer cette orientation positive.
541. Toutefois, de telles déclarations favorables aux changements sont trop souvent contredites par les actes. Comme nous l’avons indiqué dans l’introduction, l’adoption récente de lois restrictives et notamment la «loi sur les protestations», celles sur la repénalisation de la diffamation et sur l’internet ou les amendements à la loi sur les ONG constituent autant de retours en arrière et de motifs de s’interroger sur les intentions des instances dirigeantes.
542. L’expertise juridique de la Commission de Venise révèle que de nombreuses lois essentielles pour l’environnement démocratique de la Fédération de Russie posent problème du point de vue de leur conformité avec les normes démocratiques. Nous espérons que les autorités russes tiendront compte des recommandations de la Commission de Venise et les appliqueront sans tarder. Dans l’intervalle, les lois qui régissent actuellement les libertés fondamentales devraient être appliquées d’une manière moins restrictive.
543. Nous appelons également les autorités russes à faire appel à l’expertise de la Commission de Venise quand elles prépareront de nouvelles lois.
544. Nous sommes persuadés que les prochains mois seront très importants pour l’avenir démocratique de la Fédération de Russie. Une fois de plus, nous rappelons que les instances dirigeantes ont tout intérêt à écouter l’opinion publique et à la laisser s’exprimer librement. Le respect de la liberté d’expression, de la liberté de réunion et de la liberté d’association est essentiel dans un processus véritablement démocratique.
545. Nous sommes conscients de la frustration des autorités russes face à la durée de la procédure de suivi. Elles sont convaincues qu’un effort considérable a été consenti sur le plan législatif pour se conformer aux engagements, et que le pays devrait à présent aborder la phase du dialogue postsuivi. Nous avons pu constater cette frustration, voire de l’incompréhension, lors de nombreuses rencontres organisées pendant notre mission.
546. Nous avons toutefois acquis la conviction que les conditions ne sont pas encore réunies pour clore la procédure de suivi. Nous soulevons une série de sujets d’inquiétude dans le présent rapport. Nous avons eu des entretiens francs et directs sur ces préoccupations avec les autorités russes. Les problèmes non encore résolus, y compris en matière d’élections, de liberté d’expression, de liberté de réunion et de droits de l’homme, doivent être traités avant qu’une clôture de la procédure de suivi puisse être envisagée.
547. En outre, les lois restrictives susmentionnées, qui ont été adoptées au cours des derniers mois, font planer le doute sur les intentions réelles des autorités et sur leur volonté déclarée de démocratiser le pays. Nous recommandons par conséquent à l’Assemblée de poursuivre la procédure de suivi.
548. Nous suivrons attentivement l’évolution de la situation. Nous poursuivrons notre dialogue politique avec les autorités et sommes déterminés à ne pas dépasser les délais prévus par la procédure de suivi et à soumettre notre prochain rapport avant l’expiration de notre mandat en janvier 2015.

Annexe – Tableau des lois adoptées par la Fédération de Russie et qui sont pertinentes pour le respect de ses engagements tels qu’énoncés au paragraphe 10 de l’Avis 193 (1996) de l’Assemblée parlementaire relatif à la demande d’adhésion de la Russie au Conseil de l’Europe

(open)

i. de signer la Convention européenne des droits de l’homme au moment de son adhésion; de ratifier la Convention et les Protocoles nos 1, 2, 4, 7 et 11 dans un délai d’un an; de reconnaître, dans l’attente de l’entrée en vigueur du Protocole no 11, le droit de requête individuelle auprès de la Commission européenne et la juridiction obligatoire de la Cour européenne (articles 25 et 46 de la Convention);

La Convention et ses protocoles ont été ratifiés le 5 mai 1998.

ii. de signer dans l’année et de ratifier dans les trois ans suivant son adhésion le Protocole no 6 à la Convention européenne des droits de l’homme concernant l’abolition de la peine de mort en temps de paix,

et de mettre en place un moratoire sur les exécutions prenant effet le jour de l’adhésion;

Soumis pour ratification à la Douma d’Etat le 6 août 1999.

Décret no 724 «sur la réduction progressive des exécutions en rapport avec l’adhésion de la Russie au Conseil de l’Europe», signé par le Président de la Fédération de Russie le 16 mai 1996.

Un moratoire sur les exécutions a été mis en place en août 1996.

Un moratoire sur les peines de mort a été prononcé le 2 février 1999 et confirmé par la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie le 19 novembre 2009.

iii. de signer et de ratifier dans l’année suivant son adhésion la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants;

La Convention et ses Protocoles nos 1 et 2 ont été ratifiés le 5 mai 1998.

iv. de signer et de ratifier dans l’année suivant son adhésion la Convention-cadre européenne pour la protection des minorités nationales; de fonder sa politique à l’égard des minorités sur les principes énoncés dans la Recommandation 1201 (1993) de l’Assemblée, et d’incorporer ces principes dans le système et la pratique juridiques et administratifs du pays;

La Convention a été ratifiée le 21 août 1998.

v. de signer et de ratifier dans l’année suivant son adhésion la Charte européenne de l’autonomie locale;

la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires;

d’étudier, en vue de sa ratification,

la Charte sociale européenne (révisée); et de mener entre-temps sa politique selon les principes de ces conventions;

La Charte européenne de l’autonomie locale a été ratifiée le 5 mai 1998.

La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires a été signée le 10 mai 2001, mais n’a pas été soumise pour ratification.

La Charte sociale européenne (révisée) a été ratifiée le 16 octobre 2009.

vi. de signer et de ratifier et d’appliquer entre-temps les principes de base d’autres conventions du Conseil de l’Europe – notamment celles relatives à l’extradition;

à l’entraide judiciaire en matière pénale;

au transfèrement des personnes condamnées;

et au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime;

La Convention européenne d’extradition et ses protocoles de 1975 et de 1978 ont été ratifiés le 10 décembre 1999.

La Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale a été ratifiée le 10 décembre 1999.

La Convention sur le transfèrement des personnes condamnées a été ratifiée le 28 août 2007.

La Convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime a été ratifiée le 2 août 2001.

vii. de régler les différends internationaux et internes par des moyens pacifiques (obligation qui incombe à tous les Etats membres du Conseil de l’Europe), en rejetant résolument toute menace d’employer la force contre ses voisins;

 

viii. de régler les différends internationaux qui subsistent en matière de frontières selon les principes du droit international, en s’en tenant aux traités internationaux existants;

 

ix. de ratifier, dans un délai de six mois après son adhésion, l’accord intervenu le 21 octobre 1994 entre les Gouvernements russe et moldove, et de poursuivre le retrait de la 14e armée et de son matériel du territoire de la Moldova dans un délai de trois ans à compter de la date de signature de l’accord;

Le 21 juin 1995, l’accord a été soumis par le Président de la Fédération de Russie à la Douma d’Etat pour ratification. Le 11 mars 2003, le Président de la Fédération de Russie l’a retiré de la Douma d’Etat.

A ce jour, il reste environ 1 500 soldats russes sur le territoire de la Transnistrie.

x. de remplir les obligations qui lui incombent en vertu du Traité relatif aux forces armées conventionnelles en Europe (FCE);

En 2007, la Russie a suspendu le respect de ses obligations contractées en vertu du traité.

xi. de dénoncer comme erroné le concept de deux catégories différentes de pays étrangers, qui consiste à traiter certains d’entre eux appelés «pays étrangers proches» comme une zone d’influence spéciale;

 

xii. de négocier les demandes de restitution de biens culturels à d’autres pays européens sur une base ad hoc qui permettrait de distinguer les différentes catégories de biens (archives, œuvres d’art, bâtiments, etc.) et de propriétaires (public, privé ou institutionnel);

La loi fédérale sur les biens culturels déplacés vers l’URSS à la suite de la seconde guerre mondiale et se trouvant sur le territoire de la Fédération de Russie (ou «loi sur les trophées») a été adoptée en 1998 et amendée en 2000 et en 2004.

xiii. de restituer dans les plus brefs délais les biens des institutions religieuses;

La loi sur le transfert aux organisations religieuses des biens religieux appartenant à l’Etat ou aux municipalités a été adoptée par la Douma le 19 novembre 2010, approuvée par le Conseil de la Fédération et signée par le Président de la Fédération de Russie (30 novembre 2010).

xiv. de régler rapidement toutes les questions relatives à la restitution de biens réclamés par des Etats membres du Conseil de l’Europe, et notamment les archives transférées à Moscou en 1945;

Ces questions sont réglées bilatéralement par les parties concernées sur la base de la loi sur les trophées.

xv. de cesser de restreindre, avec effet immédiat, la liberté de circulation internationale de personnes ayant connaissance de secrets d’Etat, à l’exception des restrictions qui sont généralement acceptées dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, et de faciliter la consultation des archives conservées dans la Fédération de Russie;

En vertu de la Constitution de la Fédération de Russie (article 55, alinéa 3), «les droits et libertés de l’homme et du citoyen ne peuvent être limités par la loi fédérale que dans la mesure nécessaire pour protéger les fondements de l’ordre constitutionnel, de la moralité, de la santé, des droits et des intérêts légaux d’autrui, la garantie de la défense et de la sécurité de l’Etat».

Les restrictions pertinentes sont réglementées par la loi fédérale no 114 du 15 août 1996 sur les procédures d’entrée et de sortie du territoire de la Fédération de Russie (complétée par les amendements et les ajouts du 18 juillet 1998, du 24 juin 1999, du 10 janvier et du 30 juin 2003, et du 29 juin 2004).

Les décisions relatives aux cas spécifiques sont prises par la Commission interministérielle d’examen des demandes de citoyens de la Fédération de Russie concernant les restrictions de leur droit de sortir de la Fédération de Russie imposées par la Décision no 302 du gouvernement russe du 14 mars 1997.

xvi. de s’assurer que l’application de la Convention des droits de l’homme de la CEI n’entrave en rien la procédure et les garanties de la Convention européenne des droits de l’homme;

La participation de la Russie à la Convention des droits de l’homme de la CEI n’empêche pas les citoyens de la Fédération de Russie de jouir du droit de saisir la Cour européenne des droits de l’homme pour demander la protection de leurs droits de l’homme.

xvii. de réviser la loi sur les services de sécurité fédéraux afin de la mettre en conformité avec les principes et les normes du Conseil de l’Europe dans un délai d’un an suivant son adhésion:

en particulier, le droit du Service fédéral de sécurité (FSB) de posséder et de gérer des centres de détention préventive devrait être supprimé;

La loi fédérale sur le Service fédéral de sécurité (no 40 du 3 avril 1995) a été amendée depuis 1999 (les derniers amendements ont été adoptés le 16 octobre 2010).

Les centres de détention préventive du FSB dépendent désormais du système pénal et exécutif au sein du ministère de la Justice, en vertu du décret no 796, signé le 12 juillet 2005 par le Président de la Fédération de Russie.

L’Avis no 661/2011 de la Commission de Venise relève une série de points préoccupants dans la loi actuelle.

xviii. d’adopter une loi prévoyant un service militaire de substitution, comme prévu à l’article 59 de la Constitution;

La loi a été adoptée le 25 juillet 2002. Elle est entrée en vigueur le 1er janvier 2004.

xix. de réduire, voire d’éliminer, les incidents de mauvais traitements et les décès dans les forces armées en dehors des affrontements militaires;

 

xx. de poursuivre les réformes juridiques afin de mettre l’ensemble de sa législation en conformité avec les principes et les normes du Conseil de l’Europe:

en particulier, le décret présidentiel no 1226 devrait être révisé dans les plus brefs délais;

Les réformes juridiques se poursuivent en Fédération de Russie.

Décret no 1226 signé par le Président de la Fédération de Russie le 14 juin 1994; invalidé par le décret présidentiel no 593 du 14 juin 1997.

xxi. d’élargir sa coopération internationale pour prévenir – et éliminer les effets écologiques – des catastrophes naturelles et technologiques;

La Russie participe à l’Accord partiel ouvert du Conseil de l’Europe en matière de prévention, de protection et d’organisation des secours contre les risques naturels et technologiques majeurs – connaissance, prévention, gestion des risques, analyse post-crise et réhabilitation

(Accord EUR-OPA Risques majeurs).

xxii. de signer et de ratifier dans l’année suivant son adhésion l’Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l’Europe et ses protocoles additionnels;

L’Accord général a été ratifié le 28 février 1996.

xxiii. de coopérer pleinement à la mise en œuvre de la Directive no 508 (1995) de l’Assemblée relative au respect des obligations et engagements contractés par les Etats membres du Conseil de l’Europe, ainsi qu’aux processus de contrôle établis en vertu de la Déclaration du Comité des Ministres du 10 novembre 1994 (95e session);

La Russie coopère pleinement avec l’Assemblée parlementaire, le Comité des Ministres, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, le CPT, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) et le Commissaire aux droits de l’homme en matière de respect des obligations et engagements contractés par les Etats membres du Conseil de l’Europe, ainsi qu’aux processus de contrôle.

xxiv. de respecter strictement les dispositions du droit international humanitaire, y compris en cas de conflits armés sur son territoire;

 

xxv. de coopérer de bonne foi avec les organisations humanitaires internationales et de leur permettre d’exercer leurs activités sur son territoire conformément à leurs mandats.