1. Introduction
1. Le conflit en Syrie ne cesse
de s’intensifier entraînant ainsi de plus en plus de victimes, dont
un grand nombre de civils. Les attaques de l’armée syrienne font
200 à 300 morts par jour. D’après l’Observatoire syrien des droits
de l'homme basé au Royaume-Uni, on dénombre, selon les dernières
estimations, plusieurs dizaines de milliers de morts depuis le début
du conflit.
2. Parallèlement, le nombre de réfugiés et de déplacés internes
dans le pays ne cesse d’augmenter. Selon l’Observatoire des situations
de déplacements internes (IDMC), environ 1 500 000 personnes ont
perdu leur maison et leurs moyens de subsistance en Syrie.
3. Le nombre de réfugiés, qui ne cesse d’évoluer quotidiennement,
s’élève à l’heure actuelle à environ 294 000 pour les réfugiés et
à 1 200 000 pour les personnes déplacées. Les tirs et les combats
à Alep, Homs, Damas, Idlib et Deraa obligent les civils à quitter
le pays pour se réfugier dans les pays avoisinants ou à se rendre
dans d’autres villes syriennes.
4. Parmi ces réfugiés se trouvent un grand nombre d’enfants non
accompagnés qui racontent que leurs parents sont décédés ou sont
restés dans le pays pour s’occuper de leur famille.
5. Au vu de ce qui précède, il est nécessaire d’examiner d’une
part, la situation dans le pays et, d’autre part, la situation dans
les pays avoisinants ainsi que les conséquences pour les Etats membres
du Conseil de l’Europe.
2. La
situation en Syrie
2.1. Violations des
droits de l’homme
6. Le président de la commission
d’enquête sur la Syrie, M. Paulo Pinheiro, a rendu un rapport au
Conseil de Sécurité des Nations Unies sur les violations flagrantes
des droits de l’homme par les forces gouvernementales et les Chabiha,
la milice au pouvoir, ainsi que par des groupes antigouvernementaux
en Syrie et demandé le renvoi de la question devant la Cour pénale
internationale. Je tiens à saisir cette occasion pour soutenir la
demande de plusieurs pays de prolonger et d’élargir le mandat de
cette commission, afin qu’elle puisse poursuivre ses investigations.
7. De son côté, lors d’une visite à Alep, qui se situe au nord-ouest
de la Syrie, Human Rights Watch a été informée de mauvais traitements
et d’actes de torture contre les détenus par des groupes d’opposition
armés qui se sont également rendus responsables d’exécutions extrajudiciaires
et sommaires, ce qui constitue également un crime de guerre manifeste.
2.2. Conditions de
vie très précaires
8. Selon le Haut-Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et les autres organisations présentes
dans le pays, la situation est de plus en plus critique. Les déplacés
internes dans le pays commencent à manquer de nourriture, de produits
de première nécessité et d’eau potable, et les conditions d’hygiène
et de sécurité sont loin d’être bonnes.
9. En outre, en raison de la reprise de l’année scolaire, il
devient de plus en plus urgent de trouver des solutions de remplacement
pour les personnes qui se trouvent dans les écoles. Selon le HCR,
350 écoles sont occupées par des personnes déplacées et, selon le
gouvernement, plus d’un million de personnes occupent des bâtiments
publics. Les autorités syriennes ont publié une liste des écoles
pouvant continuer à héberger les familles après la rentrée scolaire,
mais ces écoles ne sont pas suffisantes pour héberger tout le monde.
2.3. Problèmes de
sécurité
10. Les combats continuent dans
les villes syriennes et les médias font quotidiennement part des
attaques contre des civils, le personnel des organisations humanitaires
et les membres du corps médical, sans compter les vols de nourriture
et de médicaments.
11. La plupart des hôpitaux sont fermés et le personnel médical
doit travailler de manière clandestine et dans des conditions non
sécurisées. J’aimerais ici rendre hommage aux organisations qui
continuent à aider et à soigner les personnes déplacées dans leur
pays dans des cliniques clandestines, et ce au mépris de leur propre
sécurité, et je tiens à saluer tout particulièrement le travail
et l’engagement du HCR et des autres organisations sur place dont
les membres essaient d’aider au mieux les victimes du conflit, malgré
les difficultés rencontrées quotidiennement et les dangers auxquels
ils doivent faire face.
12. En effet, le personnel des organisations humanitaires rencontre
de graves difficultés et ne dispose pas de conditions sécurisées
pour porter secours et soigner les blessés ainsi que pour acheminer
la nourriture et les produits de première nécessité.
13. A cet égard, je tiens à rappeler les propos tenus par la Secrétaire
générale adjointe des Nations Unies aux affaires humanitaires, Mme Valérie
Amos, selon lesquels l’aide humanitaire devrait devenir la question
la plus importante, et ceux du porte-parole de l’émissaire des Nations
Unies, M. Ahmad Fawzi, demandant que la Syrie permette l’ouverture
de «couloirs humanitaires».
14. Toutefois, l’idée de l’ouverture de «couloirs humanitaires»
ou de «zones tampons» est loin de faire l’unanimité.
15. Par définition, les «couloirs humanitaires» ou les «zones
tampons» sont destinés à protéger les réfugiés et les déplacés internes
dans le pays ainsi que l’acheminement de l’aide humanitaire. Toutefois,
sans l’accord des autorités syriennes, ces zones risquent d’entraîner
des affrontements entre l’armée syrienne et les forces internationales
chargées de sécuriser ces zones.
16. Compte tenu de l’impact de ce conflit sur la population, il
est bon de rappeler que les parties au conflit doivent impérativement
faire une distinction entre les civils et les personnes participant
directement au conflit.
17. Les opérations militaires doivent être conduites en veillant
constamment à épargner la population civile et les biens de caractère
civil, comme les maisons, les écoles ou les lieux de travail.
3. La situation
dans les pays frontaliers et autres
18. Quelque 294 000 réfugiés ont
fui dans des pays frontaliers, comme la Turquie, la Jordanie, le
Liban, l’Irak; d’autres se sont rendus dans divers Etats membres
du Conseil de l’Europe. Le principal problème qui se pose en ce
moment, à l’approche de l’hiver, est celui de l’hébergement. En
effet, dans la plupart des pays, les réfugiés ont pu s’installer
dans des écoles mais, avec la rentrée des classes, il est urgent
de trouver d’autres centres d’hébergement. Dans ce contexte, je
souhaiterais que tous les pays frontaliers ou autres, y compris Israël,
ouvrent leurs frontières et les laissent ouvertes.
3.1. Les pays voisins
et frontaliers
19. La situation dans l’ensemble
des pays voisins et frontaliers devient de plus en plus critique
en raison du manque de nourriture, de produits de première nécessité
et de locaux. L’approche de l’hiver rendra cette situation encore
plus pénible et catastrophique.
3.1.1. Turquie
20. La Turquie a accueilli plus
de 87 000 réfugiés, si bien que devant ces arrivées massives, les
autorités turques ont décidé d’ouvrir deux nouveaux camps, d’une
capacité de 23 000 places. Un autre camp, d’une capacité de 10 000
places, a été ouvert en septembre. Je rappelle, dans ce contexte,
que dans sa
Résolution 1878
(2012) sur la situation en Syrie, l’Assemblée avait souligné
la nécessité de déplacer les camps de réfugiés à une plus grande
distance de la frontière avec la Syrie, afin de permettre une meilleure
sécurité des réfugiés et de garantir le caractère civil des camps.
21. Le gouvernement turc a instauré dès le départ un régime de
protection temporaire pour tous les citoyens syriens souhaitant
bénéficier de la protection internationale. Ce régime a été établi
conformément aux critères et aux principes internationaux, à savoir:
- les frontières restent ouvertes;
- aucun retour forcé vers la Syrie;
- toutes les personnes se trouvant en Turquie sont enregistrées,
disposent de papiers et ont droit à la protection et l’assistance
et ce jusqu’à ce qu’il soit possible de retourner dans le pays et
que le retour puisse se faire dans des conditions de sécurité maximum.
22. Selon les informations fournies par le HCR, sept nouveaux
camps ont été construits, ce qui ramène la capacité d’hébergement
à près de 130 000 personnes pour la Turquie à elle-seule.
23. Les autorités turques se déclarent toutefois très préoccupées
par la présence, dans le nord de la Syrie, de l’Union démocratique
kurde, parti affilié au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK)
et par conséquent considéré comme une organisation terroriste par
la Turquie et les Etats-Unis. Les autorités turques ont par conséquent
décidé de protéger leurs frontières en y déployant des chars et
des lance-missiles. Dans ce contexte, je condamne fortement les
attaques du PKK qui profite de la vacance de pouvoir et de sécurité
en Syrie, voire de la complexité du régime syrien, pour frapper
la Turquie.
24. Je voudrais saisir cette occasion pour remercier la Turquie
et les autorités turques d’avoir immédiatement répondu à l’appel
et d’avoir accueilli des réfugiés dès le début de la crise. Je dois
cependant réitérer l’appel lancé à ce pays de lever dès que possible
sa réserve géographique à la Convention de 1951 qui restreint les
obligations aux seules personnes déracinées suite à des événements
survenant en Europe.
3.1.2. Jordanie
25. En Jordanie, on compte environ
54 000 Syriens et ce chiffre ne cesse de s’accroître, comme dans
les autres Etats frontaliers, depuis le début de l’année 2012. Les
autorités envisagent de prévoir de nouveaux camps, compte tenu de
la recrudescence depuis le début de l’année 2012 du nombre de réfugiés
arrivant dans leur pays. Depuis son ouverture, le 29 juillet 2012,
le camp de Zaatri, qui est situé près de la frontière syrienne, a
accueilli 28 000 réfugiés.
26. En règle générale, les réfugiés passent la frontière de nuit
et sont accueillis par l’Organisation internationale pour les migrations
(OIM) et l’armée jordanienne. La plupart de ces réfugiés font état
du fait qu’ils ont été déplacés de nombreuses fois avant d’arriver
en Jordanie.
27. Le HCR a, en fait, dénombré, l’arrivée de 1 400 Syriens par
jour, contre seulement 1 700 qui ont décidé de rentrer volontairement
en Syrie.
3.1.3. Liban
28. Selon les dernières estimations,
près de 57 000 Syriens ont été enregistrés ou en ont fait la demande au
HCR, qui a constaté une augmentation de près de 77 % du nombre de
réfugiés arrivant dans ce pays. Les réfugiés sont en majorité des
femmes et des enfants ou des personnes vulnérables.
29. La situation au Liban s’avère assez critique, compte tenu
du fait de l’arrivée massive de Syriens. En fait, selon le HCR,
les réfugiés sont bien plus nombreux que ne l’indiquent les statistiques,
ce en raison des droits de séjour dont bénéficient les Syriens au
Liban. A la différence de la Turquie, de la Jordanie et de l’Irak,
les réfugiés syriens sont disséminés parmi les Libanais plutôt que
regroupés dans des camps. Ils se retrouvent surtout dans le nord
du Liban, région qui a tissé des liens économiques et familiaux
avec la Syrie.
30. Mais la question du logement reste toutefois préoccupante
et le HCR a réclamé aux autorités libanaises de créer le plus rapidement
possible des centres d’accueil collectifs dans des bâtiments publics
vacants ou préfabriqués.
31. Un autre sujet de préoccupation est celui de la sécurité,
notamment au nord du pays et plus particulièrement à Akkar et à
Tripoli où, depuis mai 2012, ont eu lieu de violents affrontements
entre groupes alaouites et sunnites. La crise syrienne fait peser
une grave menace sur la souveraineté et l’intégrité territoriale du
Liban.
3.1.4. Irak
32. Il faut rappeler que plus d’un
million d’Irakiens sont venus en Syrie et se trouvent maintenant
pris au piège du conflit. Selon le HCR, les Irakiens représentent
plus de 90 % de la population réfugiée en Syrie.
33. Le nombre de réfugiés enregistrés en Irak s’élève à environ
34 000. Le Gouvernement irakien a d’ailleurs décidé de soutenir
les réfugiés d’origine irakienne souhaitant rentrer chez elles en
leur affrétant des vols spéciaux. Cela étant, toutes les frontières
ne sont pas ouvertes et le HCR a dû demander au Gouvernement irakien
de rouvrir le poste frontière d’Al-Qaem qui est fermé depuis le
15 août.
34. La plupart des réfugiés arrivant en Irak souffrent de traumatismes
graves, notamment les enfants qui ont été témoins de violences.
Ils sont généralement hébergés dans des écoles ou des mosquées.
35. Une grande partie de ces personnes sont arrivées en Irak en
laissant derrière elles leurs documents administratifs ainsi que
leurs titres de propriété.
36. Je saisis cette occasion pour saluer l’initiative prise par
le gouvernement d’octroyer des cartes de résident, valables six
mois, aux réfugiés se trouvant à Al Qaem.
3.2. Etats membres
du Conseil de l’Europe
37. On a enregistré environ 5 370
demandes d’asile dans les Etats membres du Conseil de l’Europe,
dont le plus grand nombre en Allemagne et en Suède.
38. Les demandes d’asile en Allemagne ont pratiquement doublé
depuis le début de l’année 2012, passant de 295 en janvier à 615
au mois de mai, ce qui fait un total de 2 155 demandes qui risque
encore d’augmenter dans les prochains mois. En ce qui concerne la
Suède, les autorités ont enregistré 865 demandes de janvier à mai,
ce qui fait au total 2 911 demandes.
39. Les autres pays les plus concernés sont la Belgique, la France,
l’Italie, la Suisse et le Royaume-Uni.
40. De son côté, la Grèce est en train de renforcer ses contrôles
maritimes et terrestres. Il faut rappeler que la Grèce était considérée
comme la principale entrée pour les migrants irréguliers. En effet,
selon les informations du ministère de la Protection du citoyen,
environ 100 000 migrants en situation irrégulière arrivent en Grèce
chaque année.
4. Quelles sont
les implications et la réponse de l’Europe?
41. Face à cette tragédie, l’Europe
se doit d’exercer sa responsabilité de protéger les populations
et de faire preuve de solidarité, en particulier avec les pays accueillant
un grand nombre de demandeurs d’asile. La crise économique qui sévit
en Europe ne doit pas servir de prétexte pour refuser d’accueillir
des réfugiés.
4.1. La protection
temporaire
42. Les premières mesures seraient
de mettre en place un mécanisme de protection temporaire et un plan d’action
pour l’accueil de ces réfugiés, comme par exemple ce qui a été fait
pour protéger les populations du Kosovo en 1999 ou pour accueillir
les chrétiens d’Irak en 2010.
43. Dans ce contexte, j’aimerais rappeler que, face à l’afflux
massif de personnes déplacées à la suite des conflits en ex-Yougoslavie
et de la crise du Kosovo, la plupart des Etats membres de l’Union
européenne mirent en place des dispositifs exceptionnels de «protection
temporaire» de droit ou de fait. Ces mesures ont été entérinées
par la Directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative
à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire
en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à
assurer un équilibre entre les efforts consentis par les Etats membres
pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet
accueil.
44. La protection temporaire éviterait ainsi aux réfugiés de se
soumettre aux procédures de demande d’asile, souvent très longues
et contraignantes, et leur permettrait de jouir d’une garantie de
sécurité immédiate.
45. Il faut noter que, pour l’instant, au sein des Etats membres
du Conseil de l’Europe, ce statut de protection temporaire n’est
plus appliqué. Toutefois, la responsabilité de protéger ne doit
pas s’arrêter à la frontière et les Etats membres ne doivent pas
se soustraire à leurs obligations à l’égard des réfugiés.
46. Une autre solution serait de faciliter au maximum la délivrance
des visas, en octroyant, si possible, des visas humanitaires via
les ambassades des pays voisins.
4.2. L’accueil et
l’hébergement des réfugiés
47. La préoccupation la plus importante
est celle de la préparation des pays à accueillir et à héberger
les réfugiés. Face à l’afflux massif de réfugiés, la communauté
internationale doit impérativement faire preuve de solidarité.
48. Dans ce contexte, je tiens à saluer la décision de la Commission
européenne de débloquer une aide humanitaire supplémentaire de 50
millions d’euros.
49. L’hébergement des réfugiés est une question qui devient encore
plus cruciale à l’approche de l’hiver. Si, au cours des mois précédents,
l’hébergement dans les tentes ne posait pas de problème, cette solution
ne sera bientôt plus viable pendant la période hivernale.
50. Les pays d’accueil devront également prendre des mesures particulières
pour les femmes et les enfants.
4.3. Mise en place
d’un plan d’aide
51. Il est impératif que la communauté
internationale mette en place un plan visant à garantir la stabilité économique
et politique de la Syrie. Ce plan devrait se concentrer sur les
aides à apporter en ce qui concerne la sécurité, les institutions
et la reconstruction économique, ainsi que dans le domaine humanitaire.
Dans ce contexte, une aide de la part de la Banque de développement
du Conseil de l’Europe serait fortement appréciée et l’on pourrait
ainsi envisager de demander à son gouverneur d’envisager un don
du Compte fiduciaire sélectif afin de renforcer l’action du HCR
en faveur des réfugiés de Syrie.
5. Conclusions
52. Compte tenu des conditions
de vie précaires dans lesquelles vivent les personnes déplacées
en Syrie et les réfugiés dans les pays limitrophes, le rapporteur
en appelle à la communauté internationale pour prendre les mesures
qui s’imposent pour aider toutes ces personnes à vivre dans des
conditions de vie décentes, conformes aux principes de notre Organisation.
53. Il estime que les Etats membres du Conseil de l’Europe se
doivent de réagir, d’autant que de plus en plus de demandes d’asile
sont enregistrées dans nos pays et il en appelle, à ce titre, aux
gouvernements pour qu'ils étudient la possibilité de mettre en place
une protection temporaire et les modalités d’un plan d’action afin
d’aider la Syrie à se reconstruire, que ce soit sur le plan des
institutions ou sur le plan économique.
54. Le rapporteur souhaite que les Etats membres prennent les
dispositions nécessaires pour prévoir des centres d’accueil et d’hébergement,
compte tenu du risque de recrudescence du nombre de réfugiés arrivant en
Europe.
55. Enfin, il est important que la communauté internationale soutienne
de manière inconditionnelle le médiateur, M. Lakhdar Brahimi, dans
ses efforts pour arriver rapidement à une résolution du conflit.