1. Les crises économiques
et financières persistantes mettent en évidence l’accroissement
des inégalités dans la société et les insuffisances des politiques
socio-économiques
1. Le rapport de la commission
des questions politiques et de la démocratie présente les tendances
de développement dans les pays de l’OCDE, les réponses politiques
aux problèmes créés par la crise et la coopération avec les pays
du sud et du sud-est de la Méditerranée. En tant que rapporteur
pour avis au nom de la commission des questions sociales, de la
santé et du développement durable, je souhaite me concentrer davantage
sur les conséquences sociales et autres de l’accroissement des inégalités
de revenus et de richesses dans la société.
2. D’après les constatations de l’OCDE, la stagnation économique,
voire la récession dans certains pays, n’a pas seulement causé la
dégradation des marchés du travail, et donc une hausse importante
et persistante du chômage, et notamment du chômage de longue durée;
elle a aussi conduit les pouvoirs publics à prendre des mesures
qui se traduisent par des réductions drastiques des dépenses sociales
et par un accroissement des inégalités de revenus et de richesses.
Dans le même temps, ainsi que l’admet le rapport, «la montée des inégalités
est bien antérieure à la crise financière, mais le ralentissement
de la croissance en a renforcé la résonance politique». Des études
de l’OCDE et d’autres travaux de recherche
font état d’un creusement des écarts de
revenus dans la plupart des pays européens et révèlent que les systèmes
fiscaux et sociaux sont devenus moins redistributifs depuis le début
de la mondialisation et de la libéralisation financière, au milieu
des années 1990. De fait, une tendance répandue à l’instauration
de régimes d’imposition plus favorables pour les revenus du capital,
par opposition aux revenus du travail, a accentué les inégalités,
même dans les pays les pIus égalitaires.
3. Les travaux de la commission des questions sociales, de la
santé et du développement durable
, ainsi que d’autres études, indiquent
que ces inégalités nuisent à la cohésion socio-économique de la
société et tendent à en compromettre le développement social, mais
aussi économique, et la stabilité politique. Des sociétés plus inégalitaires
se caractérisent par davantage de pauvreté (qui touche notamment
les groupes vulnérables comme les enfants, les personnes âgées,
les chômeurs de longue durée, les personnes handicapées et les personnes
présentant des déficiences), une dégradation de la santé physique
et mentale, une augmentation de la violence, une baisse du niveau
d’instruction, une montée des mouvements politiques extrémistes
et populistes, un recul de la participation à la vie politique et
un affaiblissement de la classe moyenne qui constitue le socle de
la démocratie libérale
.
Ce climat réduit la capacité de la population à s’adapter aux ajustements
structurels, à suivre l’évolution des marchés du travail et à soutenir
les réformes, d’où une érosion de la compétitivité du pays et une
dégradation encore plus importante de la qualité de vie de la population.
Les transferts de l'Etat, par le biais de la fiscalité et des systèmes
de protection sociale, restent le principal moyen de protéger les
ménages à faibles revenus.
4. En outre, de nombreux experts affirment que les statistiques
officielles sur les inégalités sous-estiment largement l’effet des
«avoirs dissimulés» que les individus et les entreprises les plus
riches du monde accumulent dans des centres financiers extraterritoriaux,
et l’ampleur de la fraude et de l’évasion fiscales pratiquées par
les entreprises. Ces deux phénomènes nuisent à la fois aux finances
publiques et aux contribuables ordinaires. En juin 2012, la Commission
européenne a diffusé une communication
dans laquelle elle préconise
de renforcer les mesures de lutte contre la fraude et l’évasion
fiscales en rappelant que, selon les estimations, l’économie souterraine
représenterait en moyenne près d’un cinquième du produit intérieur brut
(PIB) dans les seuls pays de l’Union européenne, soit au total 2 000
milliards d’euros. Des études précédentes de l’Assemblée nous apprennent
qu’en Europe centrale et orientale, l’économie souterraine est encore
plus développée
. Ces constats démontrent clairement
la nécessité de s’attaquer – d’urgence et de manière plus globale –
au problème de la fraude fiscale et des paradis réglementaires qui
subsistent en Europe et dans bien d’autres pays
. L'Assemblée devrait donc encourager
l’OCDE à poursuivre ses travaux dans ce domaine.
5. A ce propos, nous devrions aussi mentionner le rapport élaboré
par Mme Naghdalyan sur le thème «Un retour
à la justice sociale grâce à une taxe sur les transactions financières»
(
Doc. 13017), qui remet en question la persistance de régimes fiscaux
imposant les revenus du travail plus lourdement que les revenus du
capital. De plus, divers travaux universitaires suggèrent que, contrairement
à ce qu’affirment les économistes conventionnels, une augmentation
des impôts sur le capital n’entrave pas nécessairement la croissance;
soumettre le capital à des taux d’imposition identiques, voire supérieurs,
à ceux qui s’appliquent au travail contribuerait plutôt à réduire
de manière tangible les inégalités de revenus et de richesses dans
la société
.
6. Les tendances démographiques et les répercussions de la crise
financière suscitent aussi des inquiétudes, notamment en Europe,
au sujet de la viabilité à long terme des régimes de pension et
du niveau insuffisant des retraites dans de nombreux pays, surtout
à cause des mesures d’austérité qui ont aggravé les inégalités sociales.
Me référant à la
Résolution 1882 (2012) de l’Assemblée et à sa
Recommandation 2000 (2012) sur des pensions de retraite décentes pour tous, j’estime
que le Conseil de l'Europe
et
l’OCDE pourraient travailler ensemble, en vue de promouvoir les
bonnes pratiques dans ce domaine et d’élaborer des outils concrets
(tels que des lignes directrices) destinés à guider les Etats membres qui
sont en train de réformer – ou vont réformer – leurs régimes de
pension.
7. En outre, une grande organisation internationale – le Fonds
monétaire international (FMI) – revient actuellement sur la position
qui a longtemps été la sienne concernant les contrôles de capitaux internationaux
et admet que des mesures
de gestion des mouvements de capitaux sont acceptables dans le cadre
d’un processus de libéralisation et lors d’une crise financière
(ou dans les périodes entourant une crise). Encore faut-il que ce
message soit entendu par les régulateurs, les responsables politiques
et les décideurs. L’OCDE pourrait approfondir ce thème en vue d’évaluer
les effets de la dérégulation financière et de la sous-taxation
des services et produits financiers sur le développement économique
en général, et sur les régimes de protection sociale en particulier.
2. Obligation des
responsables politiques de remédier aux déficiences et d’ouvrir
la voie à une prospérité plus largement partagée
8. Je tiens à signaler une recommandation
très pertinente de l’OCDE (mise en évidence dans le rapport de M. Bockel),
selon laquelle il est particulièrement important de ne pas réduire
les prestations de chômage et la protection du travail, et de ne
pas sacrifier les politiques actives du marché du travail en période
de stabilité économique et de croissance, pour éviter de peser sur
le développement. Selon l’OCDE, les réformes fiscales visant à réduire
les prélèvements sur le travail et à les déplacer vers la consommation
ou les activités nuisibles à l’environnement peuvent améliorer rapidement
la situation de l’emploi, contribuer à soutenir les investissements
dans l'économie réelle, qui en a grand besoin, et donc générer des
avantages sociaux plus largement partagés par toute la société.
Cela suppose néanmoins de prendre des mesures énergiques pour améliorer
la fiscalité et les mécanismes de régulation. Il incombe aux responsables
politiques de s’appuyer sur le débat public et la recherche institutionnelle
pour tirer les enseignements des crises persistantes et des erreurs
du passé, afin d’ouvrir la voie à une reprise durable et à une croissance
de qualité.
9. La finalisation réussie et l’entrée en vigueur rapide du Protocole
d'amendement concernant la Convention conjointe du Conseil de l'Europe
et de l’OCDE sur l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale
(STE no 127), ainsi que la collaboration
fructueuse entre l’Assemblée parlementaire et la Commission européenne
sur les défis de la fiscalité, plaident en faveur de la poursuite
d’une coopération étroite entre ces institutions, qui devraient
s’entendre pour proposer des moyens concrets de réformer la fiscalité
de manière à mieux conjuguer développement économique et développement
social. La Commission européenne estime que le Forum mondial sur
la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales,
créé à l’initiative de l’OCDE, ne s’intéresse pas assez à la question
de la «concurrence fiscale loyale», que l’Union européenne soutient
vigoureusement par le biais de son code de conduite en matière de
fiscalité des entreprises. Je pense que les deux organisations devraient
chercher à développer une conception commune et promouvoir cette notion;
elles devraient aussi coordonner leurs actions pour lutter contre
l’évasion fiscale et l’évitement fiscal, notamment en aidant les
Etats à éliminer les pratiques fiscales dommageables et à améliorer
les mécanismes de régulation.
10. Compte tenu des travaux précédents des commissions de l’Assemblée
et des débats déjà organisés par l’Assemblée, ainsi que du débat
sur le thème «Un retour à la justice sociale grâce à une taxe sur
les transactions financières» qui se tiendra lors de la quatrième
partie de la session 2012 de l’Assemblée, le projet de résolution
sur les activités de l’OCDE pourrait encourager l’OCDE à étudier
de manière plus approfondie le contenu des propositions de la Commission
européenne et du Parlement européen concernant la taxe sur les transactions
financières, ainsi que la nécessité de réduire l’écart entre l’imposition
des revenus du capital et des revenus du travail, et par un appel
à intensifier ses recherches sur l’utilité des contrôles de capitaux.
11. Je voudrais aussi inviter à la prudence en ce qui concerne
l’évaluation des perspectives d’amélioration de la croissance dans
le monde en 2013. Selon les projections de l’OCDE, les attentes
en matière de croissance mondiale semblent reposer pour l’essentiel
sur les performances des grandes économies émergentes. Or, de sérieux
doutes subsistent quant à la fiabilité des chiffres concernant la
Chine; de plus, les économies chinoise et indienne présentent un
risque élevé de surchauffe
.
Ces incertitudes et ces risques, associés à des turbulences financières
persistantes aux Etats-Unis et dans la zone euro, devraient inciter
les responsables politiques de ces pays à demander un renforcement
des mesures destinées à améliorer la régulation des marchés financiers
et à investir dans un développement de qualité en faisant mieux
fructifier le capital social et en exploitant les possibilités de
croissance verte. Par conséquent, ainsi que le préconise l’OCDE,
les responsables politiques doivent «penser social» et «penser vert»,
en plus de «penser institutionnel» et «penser structurel».