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Rapport | Doc. 13089 | 07 janvier 2013

Les activités de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) en 2010-2012

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. Tuur ELZINGA, Pays-Bas, GUE

Origine - Renvoi en commission: Renvoi 3846 du 9 mars 2012. 2013 - Première partie de session

Résumé

L’Assemblée parlementaire examine une nouvelle fois les activités de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). L'Assemblée a cherché à orienter davantage le débat vers une évaluation politique des travaux de la banque.

Par conséquent, la commission des questions politiques et de la démocratie présente cette année un rapport qui donne une attention particulière à la nouvelle méthodologie adoptée par la BERD pour évaluer la conformité de ses pays d'opérations avec les aspects politiques du mandat de la banque, notamment sur la base de quatre critères: gouvernement représentatif et responsable; société civile, médias et participation; Etat de droit et accès à la justice; droits civils et politiques.

L’Assemblée devrait déclarer sa disponibilité pour coopérer avec la banque dans l’élaboration et le suivi de ses évaluations.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 14 décembre
2012.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire a examiné les activités de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) sur la période 2010-2012 à la lumière des rapports établis par la banque et du rapport élaboré par la commission des questions politiques et de la démocratie. A la suite de la réforme des structures et des méthodes de travail de l’Assemblée, qui a pris effet en janvier 2012, l’Assemblée a cherché à rendre le débat plus politique et à se concentrer davantage sur une évaluation politique des travaux de la banque, et non pas tant sur ses activités concrètes comme par le passé.
2. L’Assemblée rappelle que l’Accord établissant la Banque européenne pour la reconstruction et le développement comporte un élément politique significatif puisqu’il spécifie que la banque peut mener des opérations dans les pays d’Europe centrale et orientale qui non seulement progressent dans leur transition vers des économies de marché, mais aussi s’engagent à respecter et appliquent les principes de la démocratie pluripartite et du pluralisme.
3. Conformément au préambule de l’Accord, la réussite de la transition des Etats membres vers une économie de marché est étroitement liée à une progression parallèle sur la voie de la démocratie et de l’Etat de droit. L’aspect politique du mandat de la banque s’étend ainsi à tous les éléments de l’objet social de la banque et cette dernière devrait le suivre et l’encourager, car il fait partie intégrante du processus d’assistance à la transition des pays d’opérations vers des économies de marché.
4. Dans l’accord de coopération conclu entre le Conseil de l’Europe et la BERD en 1992, les deux organisations étaient convenues d’échanger des informations, en particulier pour ce qui est du suivi et de l’appréciation du développement de la démocratie en Europe centrale et orientale. Par ses débats sur les activités de la BERD, l’Assemblée assure une supervision parlementaire des opérations de la banque.
5. La période couverte par la présente analyse des activités de la BERD (2010-2012) a été marquée par la deuxième vague de la crise économique et financière actuelle qui a durement frappé l’Europe, surtout, à savoir la crise de la dette souveraine européenne dans un certain nombre d’Etats avec en corollaire une crise de confiance dans la monnaie unique de la zone euro. Pour tenter de restaurer la confiance des marchés dans les fondamentaux économiques des pays touchés, des programmes d’austérité ont été mis en œuvre tout au long de cette même période et le ralentissement économique qu’ils ont entraîné dans la zone euro, et en Europe de l’Ouest en général, a eu un impact sur les pays en transition de la région. La BERD a considérablement intensifié ses opérations pour soutenir les réponses à la crise et la reprise dans ses pays d’opérations.
6. L’Assemblée se félicite de la nouvelle méthodologie développée par la BERD pour évaluer l’impact de ses projets sur la transition, dans les pays de référence, c'est-à-dire la grille d’évaluation de la transition, présentée dans le Rapport 2010 de la BERD sur la transition. Elle constate cependant avec regret que la méthodologie de la grille d’évaluation reste limitée et n’inclut pas les progrès sur la voie de la démocratie et de l’Etat de droit.
7. Elle note avec intérêt le nouveau Mémorandum d’accord signé par la banque avec la Commission européenne et la Banque européenne d’investissement (BEI) en 2011 en vue d’une coopération plus étroite entre les signataires. L’établissement de la Facilité pour le développement de l’entreprise et l’innovation dans les Balkans occidentaux, qui pourrait avoir des retombées bénéfiques pour toute la région, est un exemple récent de cette coopération. Un autre exemple est le Plan d'action conjoint de 2009-10, où la BERD et la BEI ont travaillé très étroitement soutenant les banques et le crédit à l'économie réelle en Europe centrale et orientale; un nouveau Plan d'action conjoint a été récemment annoncé par la BERD, la BEI et la Banque mondiale, couvrant 2013-14 et promettant 30 milliards d'euros pour soutenir la reprise économique et la croissance en Europe centrale et en Europe du Sud-Est.
8. L’Assemblée se félicite également de l’extension, à la suite de la Déclaration de Deauville, de la portée géographique du mandat de la BERD pour soutenir la transition dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée (les pays du SEMED) qui adhèrent à la démocratie pluripartite, au pluralisme et à l’économie de marché; elle note que des opérations ont débuté en Egypte, en Jordanie, au Maroc et en Tunisie au second semestre de 2012, par le biais d’un fonds spécial. Le statut, à part entière, de pays d’opérations suppose la ratification des amendements à l’article 1 du statut de la banque. Ceci est prévu pour le premier semestre de 2013.
9. La situation dans ces pays est cependant fort différente de celle qui régnait en Europe centrale et orientale il y a vingt ans, tout autant que le contexte économique mondial. Il conviendrait d’en tenir compte. Il est important, en particulier, d’interagir et de coopérer avec les organisations de la société civile et les partenaires sociaux afin de modeler la politique de transition de façon à ce qu’elle recueille le soutien le plus large, et de façon à promouvoir prospérité et stabilité sociale et qu’elle ne cause pas d’injustice sociale. De plus, il est important de développer la synergie dans l’ensemble des efforts européens de soutien aux démocraties émergentes dans le monde arabe. La BERD devrait donc renforcer sa coordination avec l’Assemblée (en prenant en compte son statut de partenaire pour la démocratie), avec la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), mais aussi avec d’autres organismes pertinents.
10. L'Assemblée se félicite de la récente révision et mise à jour par la BERD de la méthodologie d'évaluation de la conformité de ses pays d'opérations sur les aspects politiques du mandat de la banque, notamment sur la base de quatre critères: gouvernement représentatif et responsable; société civile, médias et participation; Etat de droit et accès à la justice; droits civils et politiques.
11. Elle attend avec intérêt la mise en œuvre effective de cette nouvelle méthodologie et encourage la BERD à renforcer sa coopération avec le Conseil de l'Europe – et en particulier avec l'Assemblée – dans l’élaboration et le suivi de ses évaluations.

B. Exposé des motifs, par M. Elzinga, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. En juin 2011, l’Assemblée parlementaire a décidé certaines réformes de ses structures et une nouvelle répartition des tâches. Ainsi, le nouveau mandat de la commission des questions politiques et de la démocratie indique que «la commission établit des rapports sur les activités de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). En vue de la préparation des rapports et des débats à l'Assemblée, la commission entretient des relations avec l'OCDE et la BERD…».
2. Avant ces réformes, c’est la commission des questions économiques et du développement qui était chargée de préparer ces rapports sur une base annuelle puis biennale. J’ai été nommé rapporteur de cette commission et j’ai conservé cette fonction au sein de la commission des questions politiques et de la démocratie. Un schéma de rapport a été préparé en novembre 2011. Cependant, étant donné la charge de travail de cette commission, il n’a pas été possible de préparer le rapport pour débat par l’Assemblée en 2012 et j’ai donné mon accord pour qu’il soit débattu en 2013. Comme dans le passé, le débat de l’Assemblée sur ce sujet devrait suivre une présentation du Président de la BERD.
3. Dans le débat sur la réforme de l'Assemblée, certains membres de la commission des questions économiques et du développement ont proposé que les rapports sur les activités de l’OCDE et de la BERD soient établis par la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable (qui a hérité d’autres compétences de cette commission) et non pas par la commission des questions politiques et de la démocratie, proposition à laquelle M. Walter a répondu: «La logique de confier cette tâche à la commission des questions politiques, c'est que le travail de ces deux institutions est fondamentalement politique. C’est de l'examen de ces institutions que nous parlons (…) et cela correspond très logiquement à la commission des questions politiques.»
4. Dans le cadre de la préparation de mon rapport, j’ai assisté à la réunion annuelle de la BERD ainsi qu’à son Forum des affaires, les 18 et 19 mai 2012 à Londres. J’ai, en particulier, assisté aux sessions du Conseil des Gouverneurs de la banque, à la discussion sur «La transition sous pression: changements en pleine turbulence économique» et participé à plusieurs autres activités en réseau. J’ai également eu des échanges de vues avec MM. Oleg Levitin et Stefano Bertozzi, membres du personnel de la BERD, ainsi qu’avec plusieurs représentants de la société civile. Dans ce contexte, je souhaite également remercier M. Luca Marcolin 
			(2) 
			Luca Marcolin est assistant
de recherche à VIVES – Flemish Institute for Economics and Society,
Université catholique de Louvain, Belgique., qui m’a aidé à préparer les aspects plus techniques de ce rapport.
5. Le Conseil des Gouverneurs de la BERD a élu à la Présidence de la banque Sir Suma Chakrabarti, un haut-fonctionnaire du Royaume-Uni, qui succède à M. Thomas Mirow. L’une des questions les plus discutées a été l’élargissement des activités de la banque au Sud et à l’Est de la Méditerranée (la région du SEMED) à la suite du Printemps arabe. L’Egypte, la Jordanie, le Maroc et la Tunisie sont déjà actionnaires de la BERD.
6. Ainsi que mentionné par l’Economiste en chef de la BERD lors d’un des ateliers débat, la BERD est la seule institution financière comportant le mot démocratie dans son mandat. En effet, l’article 1 de l’Accord de constitution de la banque dispose que la BERD a pour vocation de ne venir en aide qu’aux pays qui «s’engagent à respecter et mettent en pratique les principes de la démocratie pluraliste [et] du pluralisme». Il est donc surprenant de trouver, parmi les pays de la région d’opérations de la banque, des pays tels que le Bélarus ou le Turkménistan. En revanche, il ne semble pas nécessaire qu’un pays soit démocratique pour qu’il devienne actionnaire de la BERD, ce qui explique pourquoi l’Egypte et le Maroc étaient au nombre de ses pays fondateurs en 1991.
7. Le 5 septembre 2012, une sous-commission ad hoc sur les Relations avec la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) (de la commission des questions politiques et de la démocratie) s’est réunie au siège de la BERD à Londres où elle a eu des échanges de vues avec: Sir Suma Chakrabarti, Président de la BERD, sur la vision stratégique de la banque; Mme Piroska Nagy, Bureau de l’Economiste en chef de la BERD, sur les tendances économiques globales et l’impact de la situation de la zone euro sur les pays d’opérations; M. Hans Peter Lankes, Directeur exécutif de la Stratégie institutionnelle et Vice-président de la BERD, Politiques opérationnelles, sur l’élargissement de la BERD vers le Sud et l’Est de la Méditerranée (SEMED); M. Joseph Eichenberger, Evaluateur en chef de la BERD, sur l’évaluation des progrès et l’impact sur les projets de la BERD; et M. Joachim Schwarzer, Vice-président du Conseil directeur de la BERD, sur le rôle du Conseil d’administration de la BERD dans la gouvernance de l’institution.
8. Le Président de la banque a confirmé l’importance de la coopération avec l’Assemblée parlementaire et a accepté de prendre part au débat de l’Assemblée sur les activités de la BERD qui aura lieu durant la partie de session de janvier 2013.

2. Contexte

9. Le Conseil de l'Europe et la BERD ont signé un accord de coopération en 1992 en vertu duquel les deux organisations sont convenues d’échanger des informations, en particulier concernant le suivi et l’appréciation du développement de la démocratie en Europe centrale et orientale. Depuis lors, l'Assemblée parlementaire sert de forum permettant à des parlementaires de différents pays européens de suivre les activités de la BERD dans le cadre de son soutien à la transition sur la voie d'une économie de marché, de la démocratie et de l’Etat de droit.
10. La BERD compte 65 actionnaires, à savoir 63 pays et deux institutions européennes (l’Union européenne et la Banque européenne d’investissement). Elle est le premier investisseur par la taille dans la région en transition couvrant l’Europe centrale et orientale et l’Asie centrale, puisqu’en septembre 2012, elle opérait officiellement dans 29 pays. Quatre pays supplémentaires (l’Egypte, la Jordanie, le Maroc et la Tunisie) devraient bientôt devenir des pays d’opérations, bien que la coopération technique ait démarré dès 2012. Si l’Egypte et le Maroc comptaient au nombre des pays fondateurs de la banque en 1991, ce n’est qu’en 2011 que la Jordanie et la Tunisie ont demandé et obtenu la possibilité de rentrer dans l’actionnariat de la banque. Le 16 novembre 2012, il a été annoncé que le Kosovo 
			(3) 
			Toute référence au
Kosovo, que ce soit au territoire, aux institutions ou à la population,
dans ce texte s’entend dans le plein respect de la Résolution 1244
du Conseil de sécurité des Nations Unies et sans préjudice du statut
du Kosovo. allait devenir membre de la BERD en tant que pays bénéficiaire.
11. Au cours des vingt dernières années, la mission de la BERD en Europe centrale et orientale a été largement menée à bien, cette région ayant achevé avec plus ou moins de succès une transition vers une démocratie pluripartite et une économie basée sur les règles du marché, une progression pour laquelle les activités et la coopération technique de la BERD ont joué un rôle substantiel. En réponse aux bons résultats obtenus en Europe orientale et en Asie centrale, la banque développe actuellement des politiques de «graduation» et «d’après-graduation» pour se désengager progressivement des pays qui ont le plus progressé dans cette transition. Conformément à la stratégie à moyen terme du Troisième Bilan de la BERD sur les ressources capitalistiques 
			(4) 
			BERD:
Third Capital Resources Review 2007-2011, et Background Material
on Capital Resources Review 4, 2011-2015. , les huit pays qui ont rejoint l'Union européenne en mai 2004 devaient sortir du champ d'intervention de la banque d'ici 2010, ce qui a alimenté la discussion sur l'intérêt à long terme suscité par ses opérations. Les événements qui se sont produits entre 2008 et 2012 ont mis un terme à la discussion: la crise économique a fortement touché les économies de la région en transition, restreignant la disponibilité de financement pour l’investissement, réduisant les échanges et la croissance et faisant augmenter le chômage. Sur les huit pays susmentionnés, seule la République tchèque a accompli avec succès sa séparation d'avec la banque en 2007, les sept pays restants ayant bénéficié d'un soutien renforcé de cette dernière pour réduire l'impact de la crise économique. L’échéance pour le désengagement a été repoussée à 2015, et la banque a conservé un rôle central dans la promotion du secteur privé dans la région en transition.
12. En outre, le mandat géographique des opérations de la BERD a été élargi en 2011 pour couvrir les pays du SEMED (Sud et de l’Est de la Méditerranée: l'Egypte, la Jordanie, le Maroc et la Tunisie). A la suite du Printemps arabe, le Partenariat de Deauville a appelé la BERD à intervenir dans cette région, au vu des succès qu’elle a déjà enregistrés avec les pays en transition sur la voie de la démocratie et d'une économie orientée selon les lois du marché. Le Partenariat a reconnu que la puissance financière de la banque et son expertise dans la promotion des investissements du secteur privé seraient fondamentales pour améliorer le climat des affaires dans la région et, à plus long terme, les perspectives de croissance. La BERD, tout en prenant acte des défis posés par la nouvelle portée de ses activités, a démarré ses opérations dès le deuxième semestre de 2012 en utilisant un fonds d'investissement dédié d'un milliard d'euros. Elle ne peut pas utiliser ses propres ressources tant que tous ses actionnaires n’auront pas ratifié les articles 1 et 18 amendés de l'Accord de constitution de la BERD.
13. Les interventions de la BERD se sont concentrées en particulier sur trois secteurs: i) le secteur financier, afin de réduire les contraintes sur le crédit et les sorties de capitaux frappant la région du fait de l'effondrement financier de 2008 et de la crise de l'euro de 2010 à 2012; ii) le secteur des infrastructures, dont le champ d'intervention est vaste, tout comme l'effet multiplicateur d'infrastructures efficientes et durables sur d'autres secteurs de l'économie de ces pays; iii) l'agroalimentaire, en réponse à la crise alimentaire et aux pics des cours du soja et des céréales enregistrés en 2008, 2010 et 2012. Dans plusieurs cas, la BERD est intervenue avec d'autres institutions financières internationales (IFI) ainsi qu'avec la Commission européenne dans les domaines présentant un intérêt commun. La BERD contribue à ces initiatives coordonnées grâce à sa longue expertise de soutien du secteur privé pour en maximiser l’efficience, la compétitivité et la pérennité.
14. Dans le même temps, la crise a eu des répercussions sur la perception de la démocratie et de la liberté des marchés par les populations de la région en transition. Dans les pays où la crise a été la plus dure, le soutien public aux changements institutionnels s’est nettement amoindri, ce qui a, du coup, tendu à ralentir le rythme des réformes. Dans certains des pays d'opérations de la banque, l'accès à des médias libres, la participation politique et la concurrence dans les affaires ont été davantage limités. La BERD a relevé ces défis en adaptant sa méthodologie d'évaluation de l'impact de ses projets sur la transition. Dans la nouvelle grille d’évaluation de la transition, les changements institutionnels imputables à l'activité de la BERD sont maintenant aussi importants que la performance financière. La nouvelle grille donne une image plus claire des changements institutionnels intervenus dans les pays et durant les périodes de référence, car la BERD est convaincue qu'une économie de marché libre ne peut fonctionner convenablement sans des institutions de soutien appropriées.

3. Développement économique et politique entre 2010 et 2012

3.1. La deuxième vague de la crise économique

15. La période couverte par le présent rapport sur les activités de la BERD (2010 à 2012) a été caractérisée par l'arrivée de la deuxième vague de la crise économique, qui a frappé durement l'Europe et le monde.
16. La première vague de la crise (2008-2009) a laissé dans son sillage une Europe frappée par un chômage à deux chiffres dans plusieurs pays, avec un secteur public fortement endetté (plus de 80 % du produit intérieur brut (PIB) en moyenne pour la zone euro). De graves préoccupations se sont fait jour sur la possibilité de soutenir un tel niveau de dette dans un scénario d'économies en stagnation, où il est très improbable de voir les déséquilibres budgétaires et compétitifs corrigés. Depuis 2010, les Etats membres de l'Union européenne se sont attelés à élaborer des paquets de sauvetage pour soutenir la Grèce, l'Irlande et le Portugal, alors que l'Espagne et l'Italie suscitent des craintes de plus en plus vives. Pour restaurer la confiance des marchés financiers dans les fondamentaux économiques de ces pays sur la sellette, des programmes d'austérité ont été mis en œuvre depuis 2010. Ces mesures incluaient le «Pacte Euro Plus» composé d'un paquet de réformes politiques destinées à améliorer la performance budgétaire et compétitive des pays, ainsi que le Pacte des 6 et son volet complémentaire «le paquet budgétaire», au titre duquel les Etats membres se voyaient demander, entre autres dispositions, d'inscrire dans leur Constitution un amendement sur l'équilibre budgétaire.
17. En conséquence, l’effet déflationniste de la contraction budgétaire sur les dépenses publiques et privées a pénalisé l'investissement privé du fait d'une incertitude croissante pesant sur les perspectives macro-économiques de la zone euro. La politique monétaire expansionniste de la Banque centrale européenne (BCE) n'est pour l'instant toujours pas suffisante pour soutenir une expansion du crédit et la croissance. Les bilans des banques de l'Union européenne souffrent encore du brutal dégonflement de la valeur de leurs actifs et investissements. Les prévisions économiques modérément optimistes pour l'économie européenne en 2009 ont donc été balayées par l'arrivée de la deuxième vague de la crise, ce que l'on a appelé la «crise de la dette souveraine européenne».
18. Le ralentissement dans la zone euro et en Europe de l’Ouest en général a eu des répercussions aussi sur les pays de la région en transition, comme la première vague de la crise 
			(5) 
			BERD: Rapport 2009
sur la transition et «Les activités de la Banque européenne pour
la reconstruction et le développement (BERD) en 2009: faciliter
l’intégration économique en Europe», Doc. 12349 de l’Assemblée. . Les pays d'opération de la BERD ont connu un début de reprise en 2008 et 2009, effacé à partir de 2010. De plus, même s’il semble qu'un mécanisme de résolution pour les déséquilibres budgétaires de la zone euro a été mis en place, les perspectives économiques demeurent moroses, l'incertitude restant grande, encore aujourd’hui, ce qui explique que les opérations de la BERD s'appuient sur une approche consistant à «avancer à tâtons». La probabilité d'un deuxième choc sur la région en transition demeure élevée, du fait des évolutions négatives de la crise de la zone euro 
			(6) 
			BERD: Perspectives
économiques régionales dans les pays d’opérations de la BERD : juillet
2012..

3.2. Les évolutions économiques dans les pays d'Europe de l’Est de 2010 à 2012

19. Les pays d'opérations de la BERD ont commencé à récupérer en ordre dispersé en 2009, même si la croissance est demeurée presque partout inférieure au niveau qu'elle avait connu entre 2005 et 2008. Selon l’analyse de la BERD, trois facteurs ont contribué à la reprise: le rebond de la demande étrangère, en particulier d'Europe de l'Ouest, pour des produits locaux, grâce à une amélioration des conditions économiques mondiales; l'élimination progressive des sorties de capitaux émanant de la région en transition dues à des besoins en liquidités moins pressants de la part des banques occidentales investissant dans la région; le suivi attentif des politiques budgétaires et monétaires dans les pays en transition 
			(7) 
			BERD: Rapport 2010
sur la transition.. Une contraction du PIB en termes réels a en revanche été affichée en Bulgarie, en Croatie et en Roumanie (pour l’Europe du Sud-Est) jusqu'à la mi-2010, ainsi qu'au Kirghizistan, en Ukraine et en Lituanie. La récession plus profonde qui a touché l'Europe du Sud-Est et une reprise très lente dans les Pays baltes se sont traduites par des niveaux élevés de chômage persistant et une croissance atone de la demande intérieure.
20. En fait, l’un des grands changements économiques entraînés par la crise a été le passage d'une demande intérieure à une demande extérieure comme moteur de l'économie. Avant la crise, les changements économiques structurels accompagnant la transition avaient entraîné des réévaluations substantielles des prix de l’immobilier et une augmentation considérable du pouvoir d'achat des consommateurs, ainsi que des arrivées de capitaux étrangers. La crise a mis un terme à ces évolutions, faisant augmenter le chômage et réduisant les arrivées de capitaux en particulier 
			(8) 
			Dans le Rapport 2010
sur la transition, chapitre 2, il est indiqué qu’en 2008, les actifs
transfrontaliers présents dans les régions ECB et l’Europe du Sud-Est
ont chuté de 9 %, et n’ont pas rattrapé leur retard à un niveau
comparable par rapport à l’Asie et l’Amérique latine, essentiellement
du fait que les activités bancaires transfrontalières provenaient
en grande partie de banques européennes, qui se heurtaient à des
difficultés y compris dans leur pays d’origine.. Les exportations, au contraire, ont redémarré une fois de plus à partir de 2009 après le grand effondrement des échanges en 2008 et la remarquable performance enregistrée entre 2000 et 2007 (la part de la région dans les exportations mondiales a doublé sur cette période, passant de 5 % à 10 %). Selon le rapport 2010 de la BERD sur la transition, ce passage à un nouveau modèle de croissance s'est appuyé sur trois grands déterminants: a) l'augmentation des importations en termes réels des partenaires commerciaux (qui ont doublé dans la presque totalité des pays de l’Europe centrale et orientale et de la Communauté des Etats indépendants (CEI); b) l’abaissement moyen des droits de douane sur les échanges, en particulier dans certains secteurs, grâce à l'adhésion de certains pays en transition à l'Union européenne entre 2004 et 2007, et à la signature d'accords de libre-échange entre l’Union et plusieurs pays d'Europe du Sud-Est et du SEMED (Sud et Est de la Méditerranée); c) le faible coût unitaire du travail dans la région en transition, du moins au début du XXIe siècle.
21. A partir du deuxième trimestre de 2011, la presque totalité des pays de la région en transition avait renoué avec une croissance positive et une production, en termes réels, revenue au niveau d'avant la crise, même si l'Amérique latine et la partie émergente des pays asiatiques étaient encore en sous-performance. Si les pays de la région ont suivi des trajectoires différentes en matière de croissance, en moyenne, celle-ci a été tirée par la demande extérieure jusqu'à mi-2010, tandis que les prix élevés des matières premières et une reprise de la croissance du crédit grâce à des politiques monétaires expansionnistes dans la région alimentaient la demande intérieure en 2011 
			(9) 
			BERD: Rapport 2011
sur la transition; rapport annuel 2011.. Toutefois, le modèle de libre-échange qui avait aidé la région à tirer profit de facteurs extérieurs moteurs a eu un effet boomerang lorsque le principal partenaire commercial de la région, la zone euro, a commencé à traverser une nouvelle phase d’incertitude à propos de sa stabilité macro-économique, sapant les espoirs de croissance dans la région et dans le monde. En conséquence, la demande d'exportation émanant de la région en transition et les cours des matières premières ont reculé substantiellement, ces derniers réduisant par là-même les recettes tirées des exportations de certains des pays où la BERD opère (Azerbaïdjan, Kazakhstan, Russie, Ouzbékistan, Mongolie en particulier). Les effets bénéfiques de la réduction exceptionnelle des barrières tarifaires obtenue grâce aux accords de libre-échange devraient également s'atténuer avec le temps, tandis que les avantages dus à des coûts compétitifs ont déjà atteint leurs limites, en particulier dans les pays d’Europe centrale et orientale et les Pays baltes.
22. En même temps, la consolidation budgétaire par les gouvernements, la persistance de fort taux de chômage, une chute brutale des salaires et un recul des flux de transfert d'argent vers les pays d'origine des migrants se sont conjugués pour contraindre encore plus la demande intérieure, notamment pour le SEMED, où un chômage élevé, que ce soit pour les jeunes ou de manière générale, devrait persister. Le désengagement transfrontalier des banques en particulier, qui persiste dans les régions d'Europe du Sud-Est et de la région ECB, ainsi que la stagnation de la croissance du crédit émanant d'Europe de l'Ouest, ont en outre limité la demande intérieure dans la région.
23. Les projections de croissance semblent indiquer que celle-ci devrait passer de 4,6 % en 2011 à 2,7 % en 2012 pour l'ensemble des pays d'opérations 
			(10) 
			BERD:
Perspectives économiques régionales dans les pays d’opérations de
la BERD: juillet 2012.. Bien entendu, ces chiffres cachent des disparités substantielles d'une région à l'autre: un ralentissement est attendu dans les pays d'Europe de l’Est en conséquence du ralentissement des exportations vers l'Europe de l’Ouest, en particulier en Croatie et en Hongrie, deux pays qui, selon les projections, devraient entrer en récession. Les Pays baltes, la Pologne et la République slovaque, au contraire, font figure d'exception, avec une croissance annuelle dépassant les 2,5 % grâce à la résistance de leur secteur manufacturier face aux cycles économiques négatifs qui touchent l’Europe de l’Ouest. On s'attend également à ce que la croissance de l'Asie centrale ralentisse quelque peu, essentiellement du fait du recul des prix des matières premières, même si elle restera fermement ancrée en positif. Les prévisions pour le SEMED faisaient état de taux de croissance légèrement positifs (de 1,8 % à 2,7 %) pour 2012, mais une forte incertitude politique a sapé la confiance des investisseurs. Pour ce qui est du tourisme, le recul des investissements directs étrangers (IDE) et des échanges devrait peser encore plus sur l'emploi (-2,5 % en Egypte et -5 % en Tunisie depuis la mi-2010 par rapport aux moyennes entre 2004 et 2007). Les prévisions pour la performance de l’économie mondiale, et en particulier de la zone euro, se sont détériorées depuis la publication de ces chiffres par la BERD. Il est donc probable que la plupart des chiffres soient encore trop optimistes.
24. Le scénario de base pour ces projections pointe vers une lente résolution de la crise de la dette souveraine dans la zone euro, ce qui suppose une contraction budgétaire durable et une faible croissance du crédit. Il n’est donc pas à exclure qu'une aggravation de la crise de la dette souveraine, conjuguée aux difficultés économiques persistantes dans la zone euro (vieillissement, migration, passage à une économie plus verte) aurait des conséquences négatives plus lourdes sur la région en transition.

3.3. Les conséquences politiques de la crise: rythme de la réforme et démocratisation

25. L'article 1 du mandat de la BERD dispose que celle-ci ne peut soutenir le processus de transition que dans des pays engagés à instaurer un système politique démocratique et pluraliste, ainsi qu’à s'engager sur la voie d'une économie de marché ouverte. En conséquence, l'évolution de la réalité politique dans les pays d'opérations est suivie en permanence par la BERD, et l'évaluation pays par pays se fait tous les trois ans. Le rapporteur ne voit pas clairement dans quelle mesure cette évaluation confirme (ou non) que ces pays progressent effectivement sur la voie de la démocratie.
26. Par rapport à la précédente vague d'études, qui avait été menée en 2006, il ressort de l'analyse des données collectées par la BERD dans l'étude pour 2010 sur la transition que les difficultés économiques rencontrées dans la région en transition ont modifié de manière significative la perception que les populations des pays de référence se font d'une économie de marché et de la démocratie. Les ménages se sont vus poser plusieurs questions sur l’impact de la crise dans leurs vies et sur leur perception de la démocratie et, en particulier: i) si, d’après eux, l’économie et le système politique étaient en meilleure posture qu’avant la crise; ii) s’ils avaient voté aux dernières élections; iii) dans quelle mesure ils avaient confiance dans leur présidence et les divers niveaux de gouvernement; et iv) de choisir si, dans certains circonstances, une économie planifiée peut être préférable à une économie de marché ou si cela n’a pas d’importance, et si un régime autoritaire peut être préférable à la démocratie dans certaines circonstances ou si cela n’a pas non plus d’importance. L’enquête portait également sur le degré de l’impact de la crise sur les ménages et par quel biais (perte d’emploi, perte d’emploi du partenaire, réduction du temps de travail, faillite de l’entreprise familiale, etc.).
27. Dans cette étude, pratiquement comme pour la précédente, l'Albanie, la Mongolie, le Monténégro, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et la Turquie se sont révélés très favorables à la démocratie, alors que l’Arménie, le Bélarus, la Géorgie et le Kazakhstan sont ceux qui ont vu l’attrait de la démocratie augmenter le plus. La plus forte hausse dans la région en transition a été enregistrée en Arménie, avec des niveaux de soutien à la démocratie comparables au pays occidental moyen. Le soutien a décliné substantiellement dans tous les nouveaux membres de l’Union européenne hormis la Bulgarie, même si, en 2006, ce pays avait déjà enregistré un faible niveau pour ce critère. Le résultat est particulièrement net pour la Hongrie, la République slovaque et la Slovénie, qui étaient d’importants partisans de la démocratie dans la précédente étude. En revanche, dans certains pays de la CEI, les réponses marquant l’adhésion ont augmenté. Le niveau général de confiance dans les institutions gouvernementales dans la région en transition était très contrasté d’un pays à l’autre, et dans deux pays seulement (Ouzbékistan et Tadjikistan), les sondés ont indiqué une amélioration du climat politique sur la période 2006-2010. Dans la plupart des autres pays de la région, les réponses ont fait ressortir la perception d’une détérioration de la situation politique, en particulier en Croatie et en Roumanie.
28. L'analyse statistique plus approfondie de ce constat a montré que la performance économique est corrélée positivement avec les changements de perception à l'égard des institutions du marché et de la démocratie qui sont intervenus entre 2006 et 2010. En particulier, cette analyse a prouvé que le fait d'avoir subi la crise de plein fouet a fait reculer de 10 % la probabilité de préférer la démocratie et les marchés à toute autre alternative. Un deuxième résultat suggère que le soutien à des institutions politiques et économiques est plus fort si les conditions étaient pires avant la crise dans le pays. En d'autres termes, ce qui semblait également important pour soutenir la démocratie et les institutions des marchés était le changement relatif imposé à la population par la crise par rapport à la situation d’avant la crise. Ceci pourrait expliquer pourquoi le soutien n'a pas diminué substantiellement dans les pays de la CEI, où les conséquences de la crise pourraient avoir été ressenties comme mineures par rapport aux difficultés imposées par le processus de transition pour sortir du système soviétique.
29. La perspective mitigée mais quelque peu négative concernant les réformes démocratiques et orientées selon les lois du marché, qui a été relevée dans l'Etude sur la transition, s'est également reflétée dans les indicateurs de la BERD concernant la réforme pour l’instauration d’une économie de marché, à la fois en 2010 et en 2011. Des reculs majeurs ont été évités concernant la réforme, mais les conditions économiques plus dures et la mise en œuvre des programmes d'austérité ont ravivé les tensions sociales dans les pays d'opérations. D'un côté, cela a donné le «Printemps arabe». De l'autre, la détérioration des conditions de vie dans la région en transition a abouti à la montée en puissance, dans plusieurs pays, de gouvernements plus nationalistes et plus autoritaires. La BERD a suivi avec une attention particulière les évolutions en Hongrie, en Russie et en Ukraine, et aucune amélioration nette n'a été enregistrée dans les pays du Caucase du Sud et d'Asie centrale, qui restent caractérisés par des présidences fortes et des parlements faibles. La corruption s'est aggravée dans pratiquement tous les pays d'opérations, tandis que le bilan des changements intervenus en matière de liberté des médias est quelque peu mitigé, les médias sociaux étant plus facilement accessibles, mais des contrôles plus stricts ont été en revanche instaurés sur ces médias, de même que sur le journalisme dans certains pays de la région.

4. La réponse de la BERD: relever les défis

4.1. Davantage de ressources et de nouveaux mécanismes

30. Le but ultime de la BERD est d’instaurer la prospérité et la stabilité dans ses pays d'opérations. Pour cela, elle facilite la transition vers l'économie de marché, promeut l'initiative privée et entrepreneuriale et appuie la réforme institutionnelle tant au niveau économique que politique. Les conséquences dramatiques de la crise mondiale, ainsi que le Printemps arabe et la crise alimentaire, ont fourni à la BERD à la fois une demande et des opportunités d’activités nouvelles. Le tableau ci-après présente une ventilation de ses investissements.
 

2009

2010

2011

Investissement annuel

Prévisions 2013-2015 (moyenne)

7,86 milliards

9,00 milliards

9,05 milliards

8,5 milliards

Cofinancement complémentaire

10,35 milliards

13,17 milliards

20,8 milliards

Nombre d’opérations

311

386

380

Part entreprises privées (% du total)

83 %

74 %

77 %

Capital disponible

20 milliards

20 milliards

30 milliards

Investissement annuel par secteur:

Secteur financier

3,1 milliard

3 milliards

2,9 milliards

Industrie, commerce, agroalimentaire

1,56 milliard

2,3 milliards

2,7 milliards

Ressources naturelles

671 millions

693 millions

571 millions

Infrastructures

479 millions

486 millions

596 millions

Transport

1,2 milliard

1,3 milliard

1 milliard

Electricité et énergie

836 millions

1,2 milliard

1,2 milliard

31. 2010 en particulier a été caractérisée par une augmentation importante des nouveaux projets financés, tant en nombre (de 311 à 386) qu’en valeur (de 7,8 milliards d'euros en 2009 à 9 milliards en 2010). Cet effort remarquable suit la rapide augmentation de 50 % du financement disponible, dégagée entre 2008 et 2009. Les chiffres de l'investissement annuel sont restés globalement inchangés jusqu'à 2011, même si leur effet multiplicateur sur un financement complémentaire privé a augmenté substantiellement: pour chaque euro investi par la BERD dans de nouveaux projets, 2,3 euros étaient apportés par des donateurs extérieurs en 2011, contre 1,3 euro au maximum en 2009. Ces chiffres laissent à penser que les opérations de la BERD se sont améliorées à la fois sur le plan qualitatif et quantitatif pour ce qui est du capital investi. Afin de surmonter les défis imposés par la crise économique en Europe orientale et en Asie centrale, ainsi que d'étendre les opérations de la BERD au SEMED, ses actionnaires ont approuvé une demande d'augmentation de capital de 20 milliards d’euros à 30 milliards d’euros en mai 2010. Ceci devrait lui permettre de procéder entre 2013 et 2015 à des engagements annuels moyens de 8,5 milliards d'euros dans de nouveaux projets d'affaires.
32. L'augmentation des nouveaux investissements chaque année a été particulièrement concentrée sur quatre domaines où la BERD dispose d'une grande expertise: le secteur financier, les infrastructures, les transports et la production énergétique. Ces choix sont cohérents avec sa stratégie visant à développer «l’épine dorsale» du secteur productif, afin de faciliter la poursuite du développement autonome d'initiatives entrepreneuriales privées dans les pays. Les investissements dans ces secteurs répondent à certaines contraintes imposées par la crise.
33. En premier lieu, le décalage entre le financement interne et le financement externe. La région en transition a connu des sorties massives de capitaux autres que des IDE dans la première phase de la crise, dues à l'incertitude accrue au sujet des perspectives économiques de la région et à la raréfaction des liquidités mondiales qui a suivi la faillite de Lehman Brothers 
			(11) 
			BERD: Rapport 2009
sur la transition.. La majeure partie des développements macro-économiques intervenus dans la zone euro ont entraîné une vague de désengagements bancaires transfrontaliers en 2011 et 2012, qui ont touché la région en transition. Face à des contraintes de liquidités dans leurs pays d'opérations principaux, et du fait qu'il fallait mobiliser davantage de capitaux pour être plus crédibles vis-à-vis des marchés, les banques occidentales ont retiré des volumes substantiels de capitaux de leurs filiales locales dans la région en transition. Les régions de la BCE et d'Europe du Sud-Est ont été particulièrement touchées, car la part de participations étrangères aux capitaux y était importante. Pour contrer ce phénomène, en 2009, la BERD s'est associée à l'initiative de coordination des banques européennes (initiative dite «de Vienne») à laquelle participent des institutions financières internationales, la BCE, la Commission européenne, des autorités de régulation des pays dans lesquels les grands groupes bancaires ont leur siège et des établissements de ces mêmes groupes bancaires. La première phase de l'initiative, qui s’est achevée début 2011, est parvenue à alimenter en capitaux et liquidités les filiales des groupes bancaires occidentaux dans la région en transition 
			(12) 
			BERD:
Initiative de Vienne, passer à une nouvelle étape (2012).. La prolongation de l'initiative («Vienne 2.0») a reconcentré les interventions, axées jusque-là vers l'arrêt du désengagement des établissements des banques occidentales dans la région, pour s'assurer que ce processus ne pénalise pas les économies locales. L'initiative vise également à promouvoir des politiques de supervision bancaire en Europe de l'Ouest et dans les pays en transition, afin de limiter les conséquences systémiques des chocs économiques et financiers dans ces régions.
34. En deuxième lieu, les emprunts en monnaies locales. Durant la période considérée, la BERD a lancé l'initiative pour le développement des monnaies locales et des marchés de capitaux locaux, en coordination avec d'autres institutions financières internationales. Elle a pour but de développer le financement d'activités dans la monnaie du pays d'opérations, afin d'éviter que les bénéficiaires ne subissent le risque de taux de change associé aux prêts en devises fortes. Le prêt en monnaie locale contribue à la transparence du projet et, en définitive, stimule le développement d'un marché financier local. La BERD a mis sur pied une facilité de prêt en monnaie locale, en 2011, avec laquelle elle a financé 18 prêts en faveur d'intermédiaires financiers en Arménie, en Géorgie, au Kirghizistan, en République de Moldova et au Tadjikistan, ainsi que 30 prêts au secteur productif libellés en devises russe, kazakh, turque et polonaise.
35. En troisième lieu, l’efficience énergétique et les infrastructures. L’essor des partenariats public-privé dans la région de référence est parvenu à drainer des ressources considérables vers la région en transition pour le développement du secteur des infrastructures. La BERD a doublé son volume d'investissement par rapport aux années de l'avant-crise en investissant plus de 3,3 milliards en infrastructures et transports entre 2010 et 2011; les projets se sont concentrés spécifiquement sur l'adduction d'eau, le traitement des eaux usées, le traitement des déchets solides et le développement de réseaux ferrés. Une attention particulière a été consacrée à l'efficacité énergétique et à la lutte contre le changement climatique, tout en promouvant la compétitivité du secteur productif dans la région en transition. La BERD a ainsi mis en place l'initiative pour une énergie durable en vue de réduire les émissions de CO2 jusqu’à 35 millions de tonnes par an par le biais d'investissements directs dans le secteur énergétique et, indirectement, par un soutien aux banques partenaires locales participant à des projets liés à l'énergie. 2,1 milliards ont été investis en 2010 et 2,6 milliards en 2011 grâce à cette initiative. En outre, en 2010, la BERD a lancé sa première émission d'obligations pour la durabilité environnementale. Ces obligations étaient conçues pour financer des projets environnementaux et en définitive réduire les émissions de CO2 dans les pays d'opérations: les fonds collectés ont été investis exclusivement dans des projets de promotion de technologies propres pour l'amélioration de l'efficacité énergétique et la distribution d'eau, les services environnementaux, les transports publics et la gestion des déchets.
36. Dans cette perspective sectorielle des investissements de la BERD, n’oublions pas les ressources consacrées à la lutte contre la volatilité des prix des denrées alimentaires, en particulier grâce au soutien à l'industrie agroalimentaire. Un paragraphe lui est consacré dans la Partie 5 du présent rapport.

4.2. Une nouvelle perspective pour les institutions et la transition

37. Une analyse plus poussée des conséquences de la crise dans les pays d'opérations de la BERD a fait ressortir un désenchantement de la population à l’égard des institutions de la démocratie et du marché. Les résultats des réformes dans la région en transition ont été mitigés sur le plan géographique, mais ont fait ressortir un ralentissement généralisé du processus de réforme. La crise a donc révélé une faiblesse du cadre institutionnel et un désengagement politique à l’égard de la démocratie et du marché libre dans les pays de la BERD. Celle-ci s'est efforcée de surmonter ces obstacles en améliorant l'évaluation de l'impact de ses projets sur la transition, et en intensifiant sa collaboration avec d'autres institutions internationales.

4.2.1. Une nouvelle grille d’évaluation

38. Le rapport 2010 de la BERD sur la transition présente une nouvelle méthodologie pour évaluer les progrès des pays vers une économie de marché et la mise en place d’institutions démocratiques. Les indicateurs traditionnels de la BERD en matière de transition, qui ont été introduits en 1994 et modifiés plusieurs fois depuis, se sont révélés un excellent outil pour ce qui est du pôle universitaire et des décideurs politiques, mais se sont avérés insuffisants pour évaluer la pérennité des projets et des réformes après la crise. A certaines occasions, l’évaluation de la solidité financière prévue dans l'indicateur sur la transition s'est révélée complètement erronée à la lumière des événements. De plus, telles qu'elles étaient auparavant conçues, les grilles d’évaluation posaient l'hypothèse implicite qu'il était possible d'obtenir une meilleure note au critère de la transition en supprimant le soutien public à l'économie en faveur du développement de l'initiative privée et des marchés. Dans l'ancienne grille d’évaluation, l’importance attachée au processus de privatisation et aux flux entrants de capitaux privés pour l'investissement dans les pays de référence exagérait les progrès de ces derniers sur la voie d'une économie de marché libre. En particulier, elle réduisait l'importance des aspects réglementaires et d'application de la loi pour l'instauration d'un environnement des affaires compétitif et efficient.
39. La nouvelle grille d’évaluation sur la transition assigne une pondération quasiment identique aux informations basées sur le marché et à la qualité des institutions dans le pays. De plus, ces pondérations sont maintenant tirées de manière plus transparente des données publiques et caractéristiques de marché et institutionnelles du pays. Troisièmement, le score est attribué sur la base d’indicateurs de résultats (les changements à la structure du marché ou aux institutions consolidant le marché dans la période considérée) et non plus simplement sur la base de variables liées aux intrants (montant de capitaux nécessaire). Enfin, alors que la grille d’évaluation comptait à l'origine cinq indicateurs pour les infrastructures et deux indicateurs pour le secteur financier, elle en compte désormais 16 regroupés par secteur (entreprises, énergie, infrastructures, finance). La classification du secteur financier fait la distinction désormais entre les activités bancaires et non bancaires (existantes), l'assurance, les capitaux privés, les marchés des capitaux, le financement pour les très petites, petites et moyennes entreprises et les autres services financiers. A la suite de ces changements, l'évaluation de l'impact de la transition sur le secteur financier a changé avec la nouvelle méthodologie. En outre, l'image que l'on se fait du pays à partir de la grille d’évaluation est désormais plus cohérente et les décideurs peuvent se fier davantage à la capacité de la grille d’évaluation à s'adapter à la réalité du pays.

4.2.2. Une coopération institutionnelle renforcée

40. En 2011, la BERD a signé un nouveau Mémorandum d’accord avec la Commission européenne et la Banque européenne d’investissement (BEI), en remplacement de l'ancien Mémorandum remontant à 2006. Ce nouvel instrument souligne la nécessité d'une collaboration encore plus étroite entre les institutions signataires, basée sur l'intérêt commun qu’elles ont à accompagner les pays d'opérations dans leur transition sur la voie d'une économie basée sur les règles du marché. Les institutions ont en commun un certain nombre de secteurs dans lesquels la coopération peut être renforcée: consolidation du marché et des réformes démocratiques, mise à niveau en termes d’efficacité énergétique et de technologies vertes, développement des infrastructures, et soutien aux petites et moyennes entreprises (PME). Dans les projets dans lesquels interviennent à la fois la BERD et la BEI, chacune d'entre elles utilise les travaux de l'autre tout en réalisant une évaluation indépendante des crédits et du projet. La coopération entre la BERD, la BEI et la Commission européenne s'est concrétisée en particulier dans les secteurs du développement financier et des entreprises. On citera le récent établissement de la Facilité pour le développement et l’innovation des entreprises dans les Balkans occidentaux, qui devrait recueillir 141,2 millions d'euros en capital auprès des trois institutions et être en mesure de prêter environ 300 millions d'euros aux PME des Balkans occidentaux sur la période 2011 à 2015. La Facilité a été créée dans le Cadre d'investissement pour les Balkans occidentaux, qui a été mis en place en 2009 par les trois institutions pour servir l'investissement dans l'énergie, l'environnement, le transport, les infrastructures sociales et le secteur privé.
41. En 2009, la BERD a également travaillé en partenariat avec la BEI et la Banque mondiale pour créer le Plan d'action conjoint d'institutions financières internationales destiné à soutenir les intermédiaires financiers en Europe orientale durant la deuxième vague de la crise. Les trois institutions ont apporté 33 milliards d'euros (alors qu'au départ seuls 25 milliards étaient prévus) de financement au secteur financier et à celui des entreprises. Ils ont ainsi contribué à restaurer la confiance des marchés dans la région et veillé à ce que d'importantes institutions financières privées occidentales ne se désengagent pas de la région malgré les conditions difficiles sur le front des liquidités.
42. Un partenariat entre la BERD et d'autres institutions financières internationales (Banque africaine de développement, Banque asiatique de développement, Banque interaméricaine de développement, Banque mondiale) a été mis en place pour soutenir la lutte contre le réchauffement climatique. En particulier, dans le cadre de ce partenariat, les institutions financières internationales se sont engagées à investir 8,4 milliards d'euros chaque année pour soutenir les villes dans leurs efforts d'adaptation aux changements climatiques et pour en limiter les effets.

5. Problèmes spécifiques dans le cadre des activités de la BERD

5.1. L’extension des opérations de la BERD au SEMED

43. Le soulèvement démocratique en Afrique du Nord et au Proche-Orient, connu sous le nom de «Printemps arabe », a reçu son premier soutien par le G8 par le biais de la Déclaration de Deauville en mai 2011, qui a marqué le coup d'envoi du Partenariat multilatéral de Deauville visant à soutenir la transition démocratique et économique dans les pays du Printemps arabe. La Déclaration a également appelé à l'extension de la portée géographique du mandat de la BERD, afin de soutenir la transition dans les pays de la région qui adhèrent à la démocratie pluripartite, au pluralisme politique et à l'économie de marché, au vu des parallélismes entre le déroulement de la transition dans les pays d'Europe orientale et d'Asie centrale et de celle des pays d'Afrique du Nord, et les années d'expérience cumulées par la BERD dans le développement du secteur privé et de l'entreprenariat.
44. La BERD a donc été invitée à intervenir grâce à ses capacités avérées à apporter un appui aux pays en transition sur la voie de la démocratie et du renforcement de l’économie de marché. La BERD sera une cheville ouvrière essentielle pour mobiliser rapidement des ressources financières à la fois directement et indirectement, en apportant un financement et une expertise à des intermédiaires financiers ayant des problèmes de liquidités, ainsi que des garanties à d'autres sociétés occidentales qui souhaitent investir dans la région. Les secteurs prioritaires pour l'investissement sont la production de l'énergie, les services municipaux pour le traitement et l'adduction d'eau, les infrastructures et le soutien aux PME.
45. La BERD a entamé ses opérations en Egypte, au Maroc, en Jordanie et en Tunisie en 2012. Les deux premiers de ces pays étaient déjà actionnaires de la banque et ont fait part de leur intérêt à intégrer son groupe des pays d’opérations. La Jordanie et la Tunisie ont demandé à la fois l’adhésion et l’intégration au groupe des pays d’opérations. Les amendements au Statut de la BERD (articles 1 et 18) permettant à la banque d’étendre son mandat ont été approuvés en septembre 2011 par le Conseil des Gouverneurs de la BERD, mais la pleine capacité opérationnelle n’a été accordée qu’en septembre 2012. Dans l’intervalle, la banque a entamé une coopération technique avec les pays du SEMED grâce à la Facilité transactionnelle de 59 millions instaurée à Deauville avec la contribution de l’Australie, de la Finlande, de l’Allemagne, de la France, de l’Italie, des Pays-Bas, de la Norvège, de la Suède et du Royaume-Uni. Des ressources supplémentaires de 1 milliard d’euros ont été obtenues en mettant à profit, en mai 2012, le résultat net de la banque pour 2011. A pleine capacité, la banque devrait engager 2,5 milliards d’euros par an dans la seule région du SEMED, ce qui représente potentiellement un financement de 7 à 8 milliards d’euros par an grâce à des contributions d’investisseurs privés.
46. La banque apporte en plus un soutien au processus de transition en Afrique du Nord grâce à son initiative T2T, un cadre d’échange de connaissances entre anciens et nouveaux pays d’opérations, ainsi que par son partenariat avec d’autres institutions financières internationales dans la région. La BERD a signé un Mémorandum d’accord avec la Banque africaine de développement et la Banque islamique de développement en septembre 2011. Le Mémorandum reconnaît l’expertise de la BERD dans le financement des échanges, le soutien aux PME, les programmes de privatisation, la gestion et l’évaluation des projets. Les Banques africaine et islamique de développement contribueront au partenariat en mettant en commun leurs réseaux de relations avec des institutions locales et leur connaissance des pays d’opérations. Les institutions coordonneront l’investissement et les mesures liées aux diligences raisonnables, afin d’éviter les doublons.
47. En Tunisie et en Egypte, la transition d’une dictature à une démocratie, et le passage de systèmes économiques marqués par un fort interventionnisme d’Etat à des économies de marché, pose de nombreux défis, au premier rang desquels figure la capacité de ces pays à impliquer le secteur privé dans l’économie alors que les pouvoirs publics s’en retirent, tout en veillant à ce que le système économique continue de fonctionner. Ceci est particulièrement difficile du fait des lourdes incertitudes qui pèsent sur la stabilité économique et politique. Dans les pays où le secteur privé joue un rôle marginal dans le développement économique, l’une des priorités de la BERD a été de consolider les capacités pour les PME (compétences en comptabilité et en gestion, contacts avec des entreprises, partenariats d’affaires, etc.). Dans le même temps, la banque a fait porter son attention sur l’amélioration des institutions économiques favorisant la concurrence intérieure et internationale ainsi que sur un processus de privatisation transparent, afin d’éviter la création de centres de pouvoir économique marqués par la collusion et l’inefficacité (ou de contribuer à les démanteler).
48. En matière de focalisation de la BERD sur la privatisation, la prudence s’impose. Dès 2003, l’ancien Economiste en chef de la banque, Willem Buiter, avait déjà relevé des difficultés de nature réglementaire dues aux privatisations en Europe de l’Est, où pour l’essentiel, contrairement à l’Europe de l’Ouest, il n’y avait pas d’organismes de régulation avant la privatisation 
			(13) 
			<a href='http://www.willembuuiter.com/bv.pdf'>www.willembuuiter.com/bv.pdf</a>. . De manière plus générale, la politique de privatisation est très critiquée actuellement, tant du point de vue scientifique que dans une perspective sociétale. Des organisations de la société civile, telles que des ONG et des syndicats, sont plutôt sceptiques du fait des injustices sociales entraînées par des privatisations brutales 
			(14) 
			<a href='http://bankwatch.org/bwmail/51.ebrd-plans-egypt-slammed-human-rights-group'>http://bankwatch.org/bwmail/51.ebrd-plans-egypt-slammed-human-rights-group</a>.   
			(15) 
			<a href='http://www.jadaliyya.com/pages/index/5453/critical-perspectives-on-ebrd-transition-investment'>www.jadaliyya.com/pages/index/5453/critical-perspectives-on-ebrd-transition-investment</a>., en particulier pour des secteurs tels que l’eau, l’accès à l’eau étant un droit fondamental. En Egypte, des organisations de la société civile ont exprimé des craintes plus générales suscitées par l’impression que les valeurs fondatrices de la BERD sont moins importantes que les incitations de la banque en faveur de la libéralisation et de la privatisation des services publics, par exemple la fourniture d’eau potable et d’énergie 
			(16) 
			<a href='http://www.eipr.org/en/pressrelease/2012/09/11/1479'>www.eipr.org/en/pressrelease/2012/09/11/1479</a>..
49. S’il est vrai que les similarités sont nombreuses entre le processus de transition dans le SEMED, d’une part, et celui qui est à l’œuvre en Europe orientale et dans la CEI, d’autre part, la BERD a néanmoins reconnu qu’au vu des spécificités dans les institutions et le développement économique, social et politique, elle devra mobiliser toute son expertise pour ses interventions dans le SEMED. En particulier, les entreprises privées présentes dans la région représentent environ un tiers de la part de ce type d’entreprises implantées dans les pays d’opérations de la BERD en 1991. Elles ne sont pas concentrées dans l’industrie lourde et les secteurs à moyenne technologie qui ont aidé les pays de l’ex-bloc soviétique à s’intégrer aux chaînes d’approvisionnement mondiales relativement rapidement après le démarrage du processus de transition. Le fait que l’écart culturel soit plus grand entre l’Europe de l’Ouest et l’Afrique du Nord qu’il ne l’était avec l’Europe orientale, et qu’en moyenne le niveau du capital humain soit moins élevé dans la région du SEMED, n’incitera pas non plus l’Europe de l’Ouest à délocaliser, ce qui pourrait ralentir la transition vers une croissance économique durable dans la région. Des obstacles non tarifaires subsistent encore dans la région, dont la réduction exposera son secteur productif à des difficultés supplémentaires. Les Evaluations de l’impact durable de l’Accord de libre-échange que l’Union européenne envisage de conclure avec des pays de la région montrent que des pans économiques entiers risquent d’être balayés. Dans le secteur de l’alimentaire, des boissons et du tabac, selon les prévisions, la production devrait chuter de 96,9 % en Egypte, de 98,5 % au Maroc et de 94,1 % en Tunisie. Dans celui du textile, des vêtements, du cuir et de la chaussure, le recul est vertigineux, avec une chute de 99,7 % en Egypte ainsi qu’en Tunisie 
			(17) 
			Basé
sur l’Evaluation d’impact durable de la zone de libre-échange euro-méditerranéenne:
rapport final du projet SIA-EMFTA (révisé en novembre 2007), SIA-EMFTA
Consortium, 2007, et sur Impacts durables de la zone de libre-échange
euro-méditerranéenne: rapport final de la phase 2 du projet SIA-EMFTA
(révisé mars 2006), SIA-EMFTA Consortium, 2006..
50. Enfin, le contexte économique mondial d’aujourd’hui est différent de celui du début des années 1990. La longue crise économique dont nous ne sommes pas encore sortis a limité les possibilités de financement par des pays donateurs indépendants, en particulier de la zone euro, et le secteur des entreprises est moins enclin à prendre des risques. En outre, dans les populations, l’intérêt pour l’économie de marché s’est beaucoup émoussé par rapport à il y a vingt ans, risquant ainsi d’alimenter la réticence des populations du SEMED à assumer les coûts inévitables imposés par la transition. La BERD devra prendre en considération toutes ces différences lorsqu’elle concevra sa stratégie d’investissement pour le SEMED. Elle devrait intensifier son dialogue et sa collaboration avec les syndicats et des organisations de la société civile afin de rendre justice aux aspirations du Printemps arabe. Pour mettre à profit la synergie du soutien européen aux démocraties émergentes du monde arabe, il faudrait intensifier la coordination entre la BERD, l’Assemblée parlementaire (en tenant compte de son statut de Partenaire pour la démocratie), la Commission de Venise, mais aussi l’OCDE et d’autres organismes pertinents.

5.2. La crise alimentaire et l’investissement de la BERD dans le secteur agroalimentaire

51. Les prix des exportations alimentaires avait déjà pratiquement doublé entre le début de 2007 et mi-2008, en ce qui concerne les céréales, les matières grasses et les huiles notamment, un pic historique des cours qui a cependant été atteint et dépassé en 2011 et 2012. Bien que les prix aient reflué durant l’hiver, les cours mondiaux sont demeurés volatils 
			(18) 
			Banque mondiale; Observatoire
des prix des denrées alimentaires – divers rapports (2011-2012).. La dynamique des cours durant la période 2010-2012 suggère qu’une réplique de la crise alimentaire de 2008-2009 n’est pas à exclure, et que la volatilité des prix va durer encore un certain temps. La demande en hausse permanente de produits agricoles, en particulier les protéines animales et les biocarburants, conjuguée aux faibles niveaux des stocks alimentaires, crée une vive inquiétude au niveau planétaire. On citera aussi le changement climatique et la disponibilité de terres arables parmi les contraintes supplémentaires pesant sur la capacité d’exportation, ainsi que l’absence d’infrastructures de transport efficaces dans bon nombre de pays producteurs. C’est pourquoi le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, Olivier de Schutter, conclut que les denrées alimentaires et d’autres produits de base ne devraient pas être abandonnés à la merci des cycles économiques 
			(19) 
			<a href='http://www.srfood.org/index.php/en/component/content/article/1-latest-news/2513-underwrite-the-poor-like-we-underwrote-the-banks-un-experts-proposeglobal-fund-for-social-protection'>www.srfood.org/index.php/en/component/content/article/1-latest-news/2513-underwrite-the-poor-like-we-underwrote-the-banks-un-experts-proposeglobal-fund-for-social-protection</a>.. Selon les projections, la production agricole mondiale devra augmenter de près de 70 % au cours des 40 prochaines années pour répondre aux modes de consommation actuels 
			(20) 
			BERD: Initiative Secteur
privé pour la sécurité alimentaire (2011).. Il serait peut-être utile ici de faire remarquer qu’il faut de nouvelles règles et mécanismes de coordination pour la production et la distribution des produits alimentaires.
52. La BERD a placé le phénomène en priorité sur son ordre du jour car ses pays d'opérations ont été touchés par la crise alimentaire à la fois au niveau de la consommation et de la production. Dans bon nombre d’entre eux, les denrées alimentaires représentent 40 % voire plus du panier moyen du consommateur, de sorte que si les prix continuent d'augmenter, cela peut entraîner de l'inflation et peser lourdement sur les dépenses contraintes de subsistance. Les gouvernements des pays d'opérations sont déjà revenus à des interdictions d'exporter et à un plafonnement des prix pour maîtriser la hausse des cours des denrées alimentaires ces dernières années. Dans le même temps, la crise alimentaire pourrait constituer une grande opportunité pour certains des pays en transition. La Russie et l’Ukraine produisent aujourd'hui 18 % des céréales exportées dans le monde, et pouvant potentiellement représenter 50 % des exportations mondiales 
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			BERD: Initiative Secteur
privé pour la sécurité alimentaire (2011)..
53. La BERD peut les aider à y parvenir en mettant à leur disposition son expertise technique dans le secteur et dans le dialogue public-privé, ainsi que sa capacité à mobiliser des fonds pour le soutien au secteur privé. Les secteurs prioritaires d'investissement sont les infrastructures, l'efficacité énergétique et le développement des PME afin d'améliorer la logistique commerciale des produits agricoles et la gestion du risque dans ce secteur. En conséquence, elle a intensifié son intervention dans le secteur agroalimentaire entre 2010 et 2012, et pour la seule année 2011, elle a ainsi mobilisé 945 millions d'euros. Dans la même année, elle a également créé une Facilité pour l'investissement durable dans l'agroalimentaire afin d’améliorer l'efficacité énergétique dans le secteur et de soutenir des projets durables sur le plan social et environnemental. Grâce à cette Facilité, elle a investi 200 millions d'euros supplémentaires dans le secteur. Enfin, elle a lancé l'initiative secteur privé pour la sécurité alimentaire, avec l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), en 2011. Les deux organisations se sont entendues pour partager leurs connaissances dans le domaine de la recherche et leurs contacts avec le secteur agroalimentaire afin de répondre à la crise alimentaire par une plus grande implication du secteur privé, qui est le domaine d'expertise clé de la BERD. Toutefois, qui dit implication accrue du secteur privé dit aussi risque de perte de l’autorité des pouvoirs publics sur son territoire 
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			<a href='http://www.tni.org/sites/www.tni/org.files/download/landgrabbingprimer-0.pdf'>www.tni.org/sites/www.tni/org.files/download/landgrabbingprimer-0.pdf</a>.. Une approche équilibrée est donc nécessaire.

6. Conclusions

54. La région en transition a connu un ajustement économique considérable entre 2010 et 2012. La reprise économique soutenue, alimentée par une hausse des exportations en direction de l’Union européenne n'a pas duré. L'aggravation de la crise de la zone euro a éteint les espoirs en matière de croissance et limité la disponibilité de capitaux en provenance d'Europe de l’Ouest. De plus, les effets à long terme de la crise (et des programmes d'austérité qui ont été mis en place à la suite de celle-ci) sur le chômage et le bien-être des populations des pays d'opérations ont en moyenne sapé l'intérêt pour la démocratie et la liberté des marchés. Dans le même temps, le rythme des réformes sur la voie de l'ajustement des institutions s’est également ralenti. Il serait sage de revoir ces réformes à la lumière de la nouvelle situation politique et économique.
55. La BERD a réagi aux effets de la crise en augmentant son capital de 50 %, pour le porter à 30 milliards, et en maintenant un niveau élevé d'investissement dans ses pays d'opérations, en particulier dans le secteur financier, les infrastructures et l'énergie. L'expertise précieuse de cette dernière en matière de financement et pour le développement du secteur privé dans un contexte de transition a été reconnue par l'appel à étendre son mandat géographique à la région du SEMED, lancé par le G8 et le Partenariat de Deauville. Le défi principal que la BERD aura à relever dans un proche avenir sera très vraisemblablement d'adapter sa stratégie d'investissement à ce nouveau contexte caractérisé par d'importantes incertitudes politiques, sociales et économiques qui ne correspondent pas nécessairement à l'expérience de la BERD lors de ses investissements en Europe orientale et en Asie centrale.
56. La lutte contre la crise alimentaire constitue également un nouveau défi pour la BERD: même si l'investissement dans l'agroalimentaire a toujours représenté un pan du portefeuille de la banque, son soutien a atteint des records historiques, faisant de la BERD le premier investisseur du secteur dans la région en transition. Dans ce nouveau rôle, elle investira dans l'amélioration de l'ensemble de la chaîne d’approvisionnement, et en particulier dans les infrastructures de stockage et de transport, afin de faciliter une plus grande participation de la région aux échanges mondiaux de denrées alimentaires. Dans le même temps, la BERD doit encore incorporer la critique du Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation.
57. La BERD devra s'assurer que ses opérations permettent à la région de progresser dans le processus de transition vers plus de démocratie, de prospérité et de stabilité. Dans le cadre de la nouvelle grille d’évaluation sur les exigences en matière de transition dans les pays d’opérations, il conviendrait de s'attacher davantage aux évolutions institutionnelles liées aux projets financés. En particulier, la banque devra soutenir une croissance plus inclusive et contrebalancer les reculs enregistrés durant la crise dans certains de ses pays d'opération en matière de lutte contre la corruption, de liberté des médias et de liberté politique.
58. En décembre 2012, la BERD a adopté une nouvelle méthodologie pour évaluer la conformité de ses pays d’opérations avec les aspects politiques du mandat de la banque. Les rapports du Conseil de l’Europe, ainsi que ceux des Nations Unies et de l’OSCE, sont mentionnés en tant que références pour les évaluations de la banque. Les quatre critères pour l’évaluation politique sont: gouvernement représentatif responsable; société civile, médias et participation; Etat de droit et accès à la justice; droits civils et politiques. La mise en œuvre effective de cette nouvelle méthodologie – dont nous devrions nous féliciter – conduira à une prise de mesures concrètes en ce qui concerne les pays qui n’appliquent pas les principes de la démocratie et de la primauté du droit. Le Conseil de l’Europe – et en particulier l’Assemblée – devrait être prêt à coopérer avec la BERD dans l’élaboration et le suivi de ses évaluations.