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Rapport | Doc. 13163 | 08 avril 2013

La gestion des défis en matière de migrations et d'asile au-delà de la frontière orientale de l'Union européenne

Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées

Rapporteur : M. Andrea RIGONI, Italie, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12525, Renvoi 3758 du 11 avril 2011. 2013 - Deuxième partie de session

Résumé

Les pays situés au-delà des frontières orientales de l’Union européenne sont soumis à une pression croissante du fait de l’arrivée de réfugiés, de demandeurs d’asile et de migrants en situation irrégulière dont l’objectif à terme est d’entrer dans l’Union européenne. La Turquie y est particulièrement exposée, mais des pays d’Europe orientale, parmi lesquels des pays des Balkans, l’Ukraine et la Russie, sont aussi de plus en plus confrontés à des flux migratoires. Mais ces pays sont-ils en mesure de faire face à ces flux?

Le rapport étudie les conséquences des flux du point de vue de la protection internationale et du droit d’asile, du recours à la rétention, des accords de réadmission et du soutien qu’apporte l’Union européenne aux pays en question. Il conclut que ces pays ne sont pas suffisamment préparés pour jouer le rôle d’un rempart contre les migrations irrégulières à l’est de l’Union européenne. Leurs systèmes d’asile, pour la plupart, ne garantissent pas encore convenablement l’octroi du droit d’asile à toutes les personnes qui en ont besoin. En outre, leurs politiques d’accueil et de rétention, y compris les conditions de rétention, ne sont pas conformes dans de nombreux cas à des normes de droits de l’homme acceptables.

Les pays situés au-delà des frontières orientales de l’Union européenne sont victimes d’une politique de l’Union qui vise de plus en plus à externaliser les problèmes liés aux migrations irrégulières et au droit d’asile. Si l’Union européenne souhaite poursuivre cette politique, elle devra renforcer considérablement son assistance aux pays en question afin de leur permettre d’accomplir une tâche qui est en grande partie la conséquence des politiques de l’Union elle-même. Il appartient aussi à ces pays d’améliorer eux-mêmes leur réponse à cette situation, notamment en mettant en place des systèmes d’asile efficaces, en recherchant des alternatives à la rétention et en améliorant les conditions de vie dans leurs établissements de rétention.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 4 avril
2013.

(open)
1. Le flux mixte de migrants, de demandeurs d’asile et de réfugiés s’effectue de plus en plus dans les pays au-delà de la frontière orientale de l’Union européenne. Au fur et à mesure que les routes des migrations irrégulières, du trafic et de la traite sont fermées, de nouvelles routes apparaissent, mettant à l’épreuve les frontières et la capacité des Etats à gérer ces flux.
2. La Turquie est le pays au-delà de la frontière orientale de l’Union européenne qui est davantage sous pression actuellement. Cela n’est pas simplement dû à l’afflux de réfugiés en provenance de Syrie, mais au fait que la Turquie est considérée par les réfugiés et les migrants d’Asie et d’Afrique comme une étape pour l’entrée en Grèce et, à partir de là, dans d’autres Etats membres de l’Union européenne. La Turquie n’est cependant pas la seule dans ce cas: les pays des Balkans connaissent une hausse des flux migratoires mixtes, qui touche aussi des pays comme l’Ukraine, la République de Moldova et la Russie.
3. L’Union européenne et ses Etats membres ont un intérêt direct à maintenir ces flux migratoires mixtes hors de l’Union européenne et à renvoyer les personnes qui y sont entrées sans autorisation vers les pays d’où elles viennent. Dans le même temps, ils sont tenus de respecter leurs obligations au titre du droit international.
4. Les pays au-delà des frontières extérieures de l’Union européenne se retrouvent de plus en plus dans une situation où ils doivent assumer la responsabilité de personnes qui veulent entrer dans l’Union européenne mais ne le peuvent pas. Ils deviennent donc non seulement des pays de transit, mais aussi de fait des pays de destination.
5. S’il est indéniable que l’Union européenne prend des initiatives pour aider ces pays à gérer ces flux mixtes, certains, si ce n’est la plupart d’entre eux, ne sont pas en mesure d’y faire face. Preuve en est l’appel que les pays eux-mêmes ont lancé en faveur d’une assistance. En outre, des institutions comme le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et la Cour européenne des droits de l’homme ont affirmé à plusieurs reprises que renvoyer certaines personnes dans ces pays n’était pas sûr.
6. De nombreuses personnes renvoyées dans ces pays le sont dans le cadre d’accords de réadmission négociés entre l’Union européenne et les pays concernés. Dans sa Résolution 1741 (2010) sur les accords de réadmission, un mécanisme de renvoi des migrants en situation irrégulière, l’Assemblée parlementaire a mis en avant les problèmes quant à l’application de ces accords. Les dispositions exigeant des pays de réadmission qu’ils reprennent non seulement leurs propres ressortissants, mais aussi des ressortissants de pays tiers, sont notamment source de préoccupation.
7. L’Assemblée reconnaît que l’Union européenne et ses Etats membres ont le droit de contrôler leurs frontières. Cependant, la charge et la responsabilité de la gestion de ces flux migratoires mixtes, ayant essentiellement pour destination l’Union européenne, ne devraient pas être déplacées vers les pays voisins. D’une part, c’est une question d’équité, puisque le problème tire son origine de l’Union européenne elle-même, qui agit comme un aimant sur ces flux mixtes. D’autre part, c’est une question d’engagement en faveur de la protection des droits de l’homme au niveau international. Les pays qui doivent gérer les conséquences des frontières fermées de l’Union européenne doivent être en mesure de garantir les droits de ceux qui pénètrent ou qui sont renvoyés sur leur territoire.
8. L’Assemblée estime par conséquent que l’Union européenne et ses Etats membres, dans un esprit de coopération internationale et de partage des responsabilités, doivent faire davantage d’efforts pour aider les pays au-delà de leurs frontières orientales à gérer ces pressions migratoires et à veiller à ce que les personnes impliquées dans ces flux mixtes soient traitées avec humanité et dans le respect de leurs droits fondamentaux et de leurs besoins de protection internationale, notamment le droit d’asile.
9. L’Assemblée demande par conséquent à l’Union européenne et à ses Etats membres:
9.1. d’augmenter de façon substantielle leur soutien à leurs voisins orientaux, afin:
9.1.1. de veiller à ce que toutes les mesures nécessaires soient prises pour garantir les droits de ceux qui ont besoin d’une protection internationale, y compris le droit d’asile, qui est aussi protégé par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne;
9.1.2. de prévoir des structures d’accueil satisfaisantes pour les flux mixtes de migrants, de demandeurs d’asile et de réfugiés, et là où les migrants et les demandeurs d’asile sont retenus conformément aux normes internationales; de veiller, lorsque des alternatives à la rétention ne sont pas possibles, à ce que les lieux de rétention soient conformes aux droits de l’homme et aux normes humanitaires;
9.2. de respecter leurs obligations en vertu du droit international, y compris en premier lieu le principe de non-refoulement, qui s’applique aussi aux frontières et interdit le refoulement indirect; et de s’abstenir de renvoyer les ressortissants de pays tiers lorsqu’il est évident que les pays de réadmission ne peuvent pas faire face, ou ne peuvent pas garantir les droits fondamentaux. En outre, les accords de réadmission devraient être revus pour veiller à ce que:
9.2.1. ils contiennent des garanties suffisantes assurant aux demandeurs d’asile renvoyés dans un pays un accès effectif à la procédure d’asile;
9.2.2. ils contiennent des clauses de suspension pouvant être invoquées en cas de violations persistantes des droits de l’homme dans les pays concernés;
9.2.3. ils réglementent ce qui se passe aux frontières, en empêchant les renvois automatiques ou semi-automatiques sans véritable examen de la situation d’une personne;
9.2.4. ils prévoient un suivi adéquat de l’application des accords et de la situation des personnes après leur renvoi.
10. L’Assemblée appelle les pays au-delà des frontières orientales de l’Union européenne:
10.1. à renforcer la coopération intrarégionale et interrégionale et à concevoir des stratégies globales attentives à la protection pour répondre aux flux mixtes, sur la base du Plan d’action en dix points du HCR sur la protection des réfugiés et les mouvements migratoires mixtes;
10.2. à améliorer leur capacité de traiter les demandes d’asile, en particulier:
10.2.1. en mettant en place des systèmes d’asile équitables et efficaces accessibles aux demandeurs d’asile;
10.2.2. en renforçant leurs structures et leurs ressources humaines pour traiter les demandes d’asile et en proposant une formation aux personnes impliquées dans le processus d’asile;
10.2.3. en renforçant la capacité des gardes-frontière à identifier les réfugiés et les personnes ayant des besoins spécifiques et à les orienter vers les autorités compétentes en vue d’une prise en charge appropriée;
10.2.4. en veillant à ce que les personnes qui ont besoin d’une protection internationale obtiennent conseil juridique et assistance, en particulier lorsqu’elles sont placées en rétention;
10.2.5. en faisant dûment attention aux demandeurs d’asile ayant des besoins spécifiques;
10.2.6. en formant les juges au sujet des normes internationales pertinentes en matière d’asile et de protection internationale;
10.2.7. en assurant la qualité et la cohérence des décisions concernant les demandes d’asile, conformément à la Résolution 1695 (2009) de l’Assemblée «Améliorer la qualité et la cohérence des décisions en matière d’asile dans les Etats membres du Conseil de l’Europe»;
10.2.8. en mettant en œuvre tous les arrêts et les mesures provisoires émanant de la Cour européenne des droits de l’homme;
10.2.9. en améliorant leur capacité à garantir des droits sociaux minimums tels que des moyens de subsistance, des services de santé gratuits et un hébergement;
10.2.10. en augmentant les capacités d’accueil et en veillant à ce que les centres d’accueil pour les demandeurs d’asile soient conformes aux normes internationales;
10.2.11. en veillant à ce que les demandeurs d’asile soient informés des dangers liés aux trafiquants et aux passeurs qui pourraient tenter d’entrer en contact avec eux;
10.3. à renforcer leur capacité à traiter de l’accueil et de la rétention des migrants en situation irrégulière, notamment:
10.3.1. en limitant le recours à la rétention et les périodes pendant lesquelles elle est autorisée, et en recherchant des alternatives à la rétention;
10.3.2. en transférant la gestion des centres de rétention de la police ou de l’armée à des autorités mieux à même de s’occuper de personnes qui n’ont commis aucun crime;
10.3.3. en garantissant l’accès à l’asile, la possibilité de contester le placement en rétention, et d’autres droits que la loi reconnaît en matière de rétention;
10.3.4. en s’abstenant de placer en rétention des enfants ou autres personnes ayant des besoins spécifiques, en gardant présent à l’esprit que les mineurs non accompagnés et/ou séparés ne devraient jamais être retenus;
10.3.5. en garantissant aux personnes retenues l’accès à un avocat, et aux membres de leur famille, ainsi qu’à des soins médicaux;
10.3.6. en autorisant le contrôle des lieux de rétention par des organes nationaux et internationaux dans un souci de transparence, et en veillant à ce que les parlementaires aient le droit de visiter les lieux de rétention et soient encouragés à faire usage de ce droit;
10.3.7. en veillant à ce que les locaux de rétention ne respectant pas les normes soient fermés et que seuls soient utilisés des centres pouvant garantir des conditions de rétention humaines, avec accès aux soins médicaux, à des activités adéquates, etc.

B. Exposé des motifs, par M. Rigoni, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le flux mixte de migrants, de demandeurs d’asile et de réfugiés se déplace de plus en plus du sud de l’Europe vers l’Est. Au fur et à mesure que les routes des migrations irrégulières, du trafic et de la traite sont fermées, de nouvelles routes apparaissent, mettant à l’épreuve les frontières et la capacité des Etats à gérer ces problèmes.
2. De nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe sont tout à fait conscients de ces défis. Ceux qui font partie de l’Union européenne sont soucieux de maintenir ces flux mixtes à l’extérieur de leurs frontières territoriales. Les Etats membres se trouvant au-delà des frontières extérieures de l’Union se retrouvent dans une position difficile, car ils deviennent de plus en plus des pays de transit pour ceux qui cherchent à entrer dans l’Union européenne, ainsi que des pays de destination en tant que tels.
3. Le présent rapport a pour but d’étudier certains des principaux défis auxquels doivent faire face ces pays, et d’examiner si les pays situés au-delà des frontières orientales de l’Union européenne sont capables de les relever et sont prêts à le faire. Dans le cas contraire, il sera nécessaire d’étudier les mesures devant être prises pour les aider à relever ces défis tout en respectant les droits de l’homme et les préoccupations en matière d’asile. Il s’agit là d’une responsabilité non seulement des pays situés au-delà des frontières orientales de l’Union européenne, mais aussi des pays de l’Union européenne, qui sont les principaux facteurs d’attraction de ces flux migratoires mixtes.
4. Dans mon rapport, j’ai décidé de me concentrer sur quatre problèmes liés à ces flux migratoires mixtes, dont deux sont essentiellement des préoccupations relatives aux droits de l’homme.
5. Le premier concerne la difficulté d’identifier, au sein de ces flux, les réfugiés et autres personnes ayant besoin d’une protection internationale.
6. Le deuxième est celui de la rétention. L’Assemblée parlementaire a rappelé à plusieurs reprises que la rétention de migrants en situation irrégulière et de demandeurs d’asile ne doit être qu’une mesure de dernier ressort, qui n’est applicable qu’après examen de toutes les autres alternatives à la rétention 
			(2) 
			Résolution 1707 (2010) sur la rétention administrative des demandeurs d’asile
et des migrants en situation irrégulière en Europe, paragraphe 9.1.1.. Cependant, dans la réalité, la rétention est souvent utilisée comme une forme de gestion des migrations et comme une mesure systématique. La question qui se pose est alors de savoir si ces pays ont mis en place les lois et pratiques appropriées pour veiller à ce que la rétention soit conforme aux normes juridiques internationales et s’ils disposent également de locaux de rétention adaptés ou de mécanismes pour proposer des alternatives à la rétention.
7. Le troisième problème est celui des renvois de l’Union européenne vers ces pays et du recours aux accords dits de réadmission de l’Union européenne pour ces renvois. De toute évidence, toute politique de gestion des migrations nécessite une politique de renvois et les accords de réadmission font souvent partie intégrante d’une telle politique. Tous les retours doivent être conformes aux Vingt Principes directeurs du Conseil de l’Europe sur le retour forcé. En ayant cela à l’esprit, il convient de s’interroger sur l’équité de ces accords, en particulier lorsqu’il est fait pression sur des pays non membres de l’Union européenne pour qu’ils acceptent des ressortissants de pays tiers, dont seraient sinon responsables les Etats membres de l’Union européenne. Par ailleurs, des questions de droits de l’homme se posent dans le cadre de l’application de ces accords, qui ont déjà été soulevées par l’Assemblée dans sa Résolution 1741 (2010) sur les accords de réadmission, un mécanisme de renvoi des migrants en situation irrégulière.
8. La quatrième et dernière question que je souhaiterais aborder est celle de l’aide apportée par l’Union européenne et de l’impact et de l’efficacité de cette aide.
9. En rassemblant des informations pour le présent rapport, j’ai eu l’occasion de me rendre en Ukraine ainsi qu’en Turquie. Je remercie les autorités des pays concernés pour leur ouverture d’esprit, ainsi que tous ceux qui m’ont assisté et m’ont fourni des informations générales pour mon rapport. Je remercie tout particulièrement le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et ses divers bureaux dans la région, qui m’ont aidé pendant ma mission en tant que rapporteur, notamment pendant les visites et la préparation du rapport.

2. Portée du problème

10. Le nombre des migrants en situation irrégulière, des demandeurs d’asile et des réfugiés qui affluent dans les pays étudiés est en augmentation constante. Dans certains cas, ces augmentations sont substantielles et sont dues en partie aux événements intervenus en Afrique du Nord, en particulier en Tunisie et en Libye, ainsi qu’à ceux qui se produisent actuellement en Syrie. Elles s’expliquent aussi par les flux émanant d’anciennes zones de conflit telles que l’Afghanistan. Toutefois, l’une des raisons principales de ces augmentations tient à la fermeture progressive des itinéraires plus traditionnels de migration mixte du sud de la Méditerranée.
11. Pour citer des chiffres spécifiques: 9 230 demandes d’asile ont été déposées en Turquie en 2010, et plus de 20 000 en 2012. Encore ce chiffre n’inclut-il pas les 258 200 ressortissants syriens bénéficiant actuellement d’une protection temporaire en Turquie. Les chiffres sont plus préoccupants encore si l’on regarde les projections du HCR pour fin 2013: d’après ses calculs, il pourrait y avoir jusqu’à 703 340 personnes répondant aux critères du HCR (dont 586 000 Syriens) 
			(3) 
			Appel du HCR mise à
jour 2013 – Turquie, 1er décembre 2012..
12. La Serbie a recensé plus de 2 499 demandeurs d’asile en 2012, soit une augmentation de 500 % sur deux ans 
			(4) 
			Asylum-Migration related
challenges in the Republic of Serbia, UNHCR Office in Serbia, janvier
2013.. La Croatie a vu le nombre de demandes qu’elle reçoit augmenter de 180 % entre 2010 et 2011 (de 290 à 807, tandis que plus d’un millier de demandes ont été déposées en 2012).
13. Ce ne sont là que trois exemples, mais ils montrent à quelle vitesse l’ampleur du problème peut changer.

3. Les systèmes d’asile de ces pays sont-ils prêts et ont-ils les capacités nécessaires pour faire face aux futurs défis que posent les flux migratoires mixtes?

14. Dans les pays considérés, les systèmes d’asile sont pour la plupart récents. Par ailleurs, bon nombre des responsables de leur gestion sont relativement inexpérimentés. Le HCR a apporté une aide considérable à ces pays pour les aider à construire leurs systèmes d’asile et à former les personnes chargées de leur gestion. D’autres efforts ciblés sont menés actuellement pour aider les pays des Balkans à développer des réponses basées sur la coopération et attentives à la protection face aux problèmes engendrés par les mouvements mixtes, conformément au Plan d’action en dix points du HCR sur la protection des réfugiés et les migrations mixtes. L’Union européenne a également apporté un soutien et des investissements importants. La question reste cependant de savoir si ces pays sont capables de faire face à leurs problèmes tout en respectant leurs obligations juridiques internationales et européennes.

3.1. Législation

15. En termes d’adaptation de la législation, la plupart des pays ont pris de nombreuses mesures – mais pas toutes – nécessaires pour adapter leur législation aux normes internationales.
16. La Croatie a amendé sa loi de 2007 relative à l’asile, la mettant en conformité avec les normes internationales, ce qui a été bien accueilli par la communauté internationale. En 2002, la République de Moldova a adhéré à la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 et à son protocole de 1967, et sa nouvelle loi relative à l’asile est entrée en vigueur en mars 2009. Celle-ci est pour l’essentiel conforme aux normes internationales, mais nécessite encore quelques modifications concernant les dispositions relatives au non-refoulement et à l’exclusion.
17. En Fédération de Russie, selon le HCR, «la protection juridique accordée aux demandeurs d’asile et aux réfugiés s’est améliorée ces dernières années» 
			(5) 
			<a href='http://www.unhcr.org/pages/49e48d456.html'>www.unhcr.org/pages/49e48d456.html</a>, 6 avril 2011. . Le pays a adhéré à la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 et à son protocole en 1992. En 1993, il a adopté la loi fédérale relative aux réfugiés. Depuis lors, le Service fédéral des migrations (SFM), en coopération avec le HCR, a préparé un nouveau projet de loi sur les réfugiés. Malheureusement, son examen par la Douma sera probablement repoussé à 2015. En attendant l’adoption de cette nouvelle loi, le SFM a comblé certaines lacunes de la législation en modifiant la réglementation. Le HCR a été associé à ce processus, par exemple au moyen de commentaires sur des questions telles que l’effet suspensif des recours et la prolongation de la validité des documents pendant les procédures de recours.
18. La Turquie, quoique signataire de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, maintient une réserve géographique. Cela signifie qu’elle accepte uniquement comme réfugiés les personnes originaires d’Europe. Celles qui proviennent d’un pays non européen dépendent actuellement de la volonté du HCR de leur octroyer le statut de réfugié et d’organiser leur réinstallation dans un pays tiers. La Turquie est la cible de pressions pour retirer sa réserve géographique, mais cela est lié aux négociations pour l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Il est toutefois encourageant qu’elle soit sur le point d’adopter sa toute première loi relative à l’asile, qui fournira des garanties de non-refoulement et octroiera également d’autres droits aux demandeurs d’asile.
19. En Ukraine, des évolutions positives ont enfin été enregistrées en matière de renforcement du cadre juridique de l’asile, motivées en partie par l’incitation que représente le plan d’action de l’Union européenne pour la libéralisation du régime des visas avec l’Ukraine. Une nouvelle loi sur les réfugiés et les personnes ayant besoin d’une protection complémentaire ou temporaire en Ukraine est entrée en vigueur le 28 juillet 2011. Elle introduit une protection complémentaire pour les personnes qui ne peuvent pas retourner dans leur pays d’origine et prévoit également un certificat unifié dans le cadre du système d’asile.
20. En Serbie, le cadre juridique semble très largement avoir été mis en place, grâce à l’adoption d’une loi sur l’asile en 2007. Cependant, sachant que le nombre des reconnaissances du statut de réfugié est quasiment nul 
			(6) 
			Comme
le HCR l’a indiqué récemment, le taux de reconnaissance était inférieur
à 1 %, trois personnes ayant bénéficié du statut de réfugié vers
la fin 2012., il y a manifestement des problèmes majeurs en matière d’octroi d’une protection internationale, y compris pour le droit d’asile.
21. Le dernier point m’amène à conclure que si ces pays ont apporté de nombreuses améliorations à leur législation, il convient maintenant de mettre l’accent sur l’application des lois dans la pratique. Sur le plan législatif, la Turquie doit être encouragée à poursuivre ses efforts pour adopter la nouvelle loi sur l’asile et à prendre des mesures pour lever dès que possible la réserve géographique à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés.

3.2. Pratique

22. Adopter une législation est une chose, mais la mettre en pratique en est une autre. Si l’on garde présent à l’esprit que nombre de ces pays disposent d’une nouvelle législation mais ont peu d’expérience dans la mise en œuvre de ces lois relatives à l’asile et la prise en charge d’un grand nombre de demandeurs d’asile, il n’est peut-être pas surprenant que la plupart des questions et problèmes se posent en termes de pratique plutôt que de législation.
23. Les problèmes les plus courants que j’ai rencontrés lors de la préparation du présent rapport portent sur les aspects suivants:
  • les structures qui ont été créées pour traiter les demandes d’asile;
  • le volume des demandes;
  • la qualité et la cohérence des décisions en matière d’asile;
  • les faibles taux de reconnaissance;
  • le rôle des gardes-frontières;
  • la formation de toutes les personnes impliquées dans les procédures d’asile (des gardes-frontières et fonctionnaires chargés de l’asile aux avocats et aux juges);
  • les effectifs du personnel;
  • les ressources financières;
  • les courts délais pour le dépôt d’une demande d’asile;
  • la capacité insuffisante des centres d’accueil pour les demandeurs d’asile;
  • le traitement inéquitable;
  • le non-respect des arrêts et des mesures provisoires de la Cour européenne des droits de l’homme;
  • l’accès à l’assistance juridique;
  • l’accès à des soins médicaux, au logement, à l’assistance sociale, à l’emploi;
  • l’absence de protections spécifiques pour les demandeurs d’asile vulnérables;
  • l’accès aux procédures d’asile pour les personnes en rétention.
Dans cette partie du rapport, j’aimerais m’intéresser en particulier à la question de la qualité et de la cohérence des décisions en matière d’asile, qui englobe un grand nombre des points énumérés ci-dessus.

3.2.1. Qualité et cohérence des décisions en matière d’asile

24. Un signe clair de l’existence de problèmes est le faible taux de reconnaissance du droit d’asile dans de nombreux pays. En Serbie, personne ne s’est vu accorder le statut de réfugié depuis 2008, et cinq personnes seulement ont bénéficié d’une protection subsidiaire. Il y a à cela de nombreuses raisons, qui tiennent en partie à l’organisation de la procédure d’asile et aux conséquences du fait que c’est la police des frontières qui traite les demandes dans les services d’asile, plutôt que du personnel civil 
			(7) 
			<a href='http://www.mup.gov.rs/domino/zakoni.nsf/Asylum%20Law.doc'>www.mup.gov.rs/domino/zakoni.nsf/Asylum%20Law.doc</a>.. Du fait de cette situation, de nombreux candidats à l’asile renoncent à leur demande 
			(8) 
			Ce renoncement ne peut
être imputé à la seule qualité de la procédure d’asile. Il est lié
également au fait que de nombreuses personnes cherchent à entrer
dans l’Union européenne et à poursuivre leur voyage. La Croatie
est particulièrement touchée par ce phénomène et, d’après le HCR,
environ 85 % des demandeurs d’asile quittent le pays avant qu’une
décision définitive soit prise concernant leur demande..

Chiffres sur la reconnaissance (statistiques pour 2010) 
			(9) 
			Informations extraites
de l’Annuaire statistique 2010 du HCR, tableau 9, p. 86.

Taux d’acceptation/Pays

Convention

Protection complémentaire

Total des demandes

Taux d’acceptation

Albanie

4

Chiffre nul ou non disponible

9

44,4 %

Bélarus

22

8

291

10,30 %

Croatie

5

8

314

4,14 %

«L’ex-République yougoslave de Macédoine»

/

/

89

0 %

Fédération de Russie

124

1 040

4 104

28,3 %

Serbie

/

1

614

0,1 %

Turquie

6 485

/

10 827

59,9 %

Ukraine

260

49

1 796

17,2 %

25. En Ukraine, divers problèmes subsistent concernant la qualité et la cohérence des décisions en matière d’asile. Le HCR a indiqué que de nombreuses personnes n’avaient pas accès à un avocat lors de leur passage devant le tribunal (en particulier lorsqu’elles sont placées en rétention) ni à une aide judiciaire gratuite, et que les audiences devant les tribunaux se déroulaient parfois sans interprète ou en présence d’un interprète parlant une langue que l’intéressé ne comprenait pas. Par ailleurs, les demandeurs d’asile ne reçoivent pas toujours une copie des décisions les concernant, de sorte qu’il leur est extrêmement difficile de faire appel de ces décisions dans le court délai prévu (cinq jours). Un autre problème noté en Ukraine vient de ce qu’après la réorganisation du Service national des migrations en 2011, il y a eu une baisse massive du nombre des demandeurs d’asile enregistrés, en raison du manque de capacité institutionnelle (890 seulement en 2011). Cela montre que le personnel nouveau et redéployé du Service national des migrations a besoin d’une formation complémentaire et d’une assistance pour garantir l’accès aux procédures d’asile.
26. En Russie, le HCR a collaboré étroitement avec le Service fédéral des migrations sur le renforcement des capacités du système d’asile. L’un des problèmes qui subsistent est cependant l’absence d’une aide judiciaire gratuite. Bien que les organisations non gouvernementales (ONG) locales et le HCR interviennent chaque fois que possible pour fournir une telle aide, le problème reste à régler. Un autre sujet préoccupant est le risque de refoulement en provenance de l’intérieur du pays mais aussi aux frontières, y compris dans les aéroports internationaux. Un certain nombre de cas supposés de refoulement ont été signalés et le HCR a dû intervenir à plusieurs occasions pour empêcher d’autres cas de se produire.
27. Le problème de la qualité et de la cohérence des décisions en matière d’asile nécessitera de nouveaux efforts de la part des pays de la région, qui devront recevoir une assistance supplémentaire de l’Union européenne et du HCR. A ce sujet, les lacunes structurelles du système d’asile devront recevoir une réponse, par le biais d’un service d’asile efficace fonctionnant en tant qu’entité indépendante dotée de son propre budget et du personnel convenablement formé.
28. Afin de répondre à ce besoin, le HCR a lancé dernièrement un projet régional biennal de renforcement des capacités d’asile, cofinancé par l’Union européenne et centré sur les procédures nationales de détermination du statut de réfugié (DSR). S’appuyant sur des méthodes éprouvées issues de projets antérieurs menés en Europe centrale et méridionale, il vise à mettre en place des mécanismes durables d’assurance qualité pour les procédures de DSR en Europe orientale (Ukraine, Bélarus, République de Moldova, Géorgie, Azerbaïdjan, Arménie et Russie en tant qu’observateur). Pour ce faire, le projet visera à améliorer la qualité de la formation, en utilisant le Curriculum européen en matière d’asile en tant qu’outil de formation standardisé, et à créer une version russe de la base de données REFWORLD du HCR pour faciliter l’accès à des informations de grande qualité sur les pays d’origine pour les personnes russophones chargées d’examiner les demandes.
29. Une autre question à examiner dans toute cette région concerne les conséquences des procédures d’asile accélérées et des délais serrés, tant pour demander l’asile que pour faire appel des décisions. En l’absence de systèmes d’asile efficaces, ces délais et ces procédures accélérées accroissent le risque de rejeter les demandes de personnes ayant véritablement besoin d’une protection.

3.3. Conclusions

30. La question initiale était celle-ci: les systèmes d’asile nationaux sont-ils prêts et ont-ils les capacités nécessaires pour faire face aux futurs défis que pose l’augmentation du nombre des demandeurs d’asile et des réfugiés? A l’évidence, ce n’est pas le cas. Si un effort considérable a été mené pour mettre la législation en conformité avec les normes internationales relatives aux réfugiés et aux droits de l’homme, il n’en va pas de même pour la pratique, comme l’attestent les taux d’acceptation des demandes d’asile.
31. Ces pays deviennent de plus en plus des pays de destination, et non plus seulement de transit, mais en l’absence de procédures d’asile équitables et pleinement opérationnelles, les personnes n’y resteront pas et choisiront ou seront contraintes d’entrer dans l’Union européenne pour y trouver une protection.

4. Rétention des migrants en situation irrégulière et des demandeurs d’asile

32. Lors de l’examen de cette question, j’aimerais rappeler la Résolution 1707 (2010) de l’Assemblée sur la rétention administrative des demandeurs d’asile et des migrants en situation irrégulière en Europe. Dans cette résolution, l’Assemblée indique clairement que les Etats membres ne devraient pas retenir un migrant en situation irrégulière ou un demandeur d’asile sauf si cela est autorisé par la loi. A cette fin, les Etats doivent respecter l’article 5.1 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»), qui dispose que les migrants en situation irrégulière ne peuvent être privés de liberté que si une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours ou pour les empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire.
33. Avec la hausse des flux migratoires mixtes à destination des pays situés aux frontières orientales de l’Union européenne et à travers eux, il y a eu un recours accru à la rétention. Il en résulte un certain nombre de problèmes et de questions, portant notamment sur le fondement juridique de la rétention, les garanties générales et les droits des personnes retenues, ainsi que les conditions générales de la rétention.

4.1. Fondement juridique de la rétention

4.1.1. Normes internationales

34. Le droit international relatif aux droits de l’homme et le droit international des réfugiés fixent le cadre juridique contre les détentions arbitraires et illégales.
35. L’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme interdit la détention arbitraire et illégale. L’Assemblée a tenté de préciser les circonstances dans lesquelles la rétention peut être admissible légalement. Dans sa Résolution 1707 (2010), elle met en avant 10 principes directeurs. Ces principes figurent à l’annexe 1 du présent rapport.
36. Sur ces 10 principes, j’aimerais en choisir quatre qui sont particulièrement pertinents pour mon rapport, car ils se sont avérés problématiques dans plusieurs pays de la région. Ce sont les principes suivants: la rétention est une mesure exceptionnelle qui n’est applicable que lorsque l’on a examiné toutes les autres alternatives; en matière de rétention, une distinction est opérée entre les demandeurs d’asile et les migrants en situation irrégulière; la durée de la rétention est la plus brève possible; enfin, en règle générale, les personnes vulnérables (enfants, femmes enceintes, etc.) ne sont pas placées en rétention.

4.1.2. Législation nationale

37. La meilleure protection contre la rétention arbitraire est que toutes les formes de rétention doivent être inscrites de façon adéquate dans la législation nationale 
			(10) 
			Commission internationale
de juristes (CIJ), Migration and International Human Rights law,
Practitioners Guide No. 6, 2011, p. 150.. Si certaines lois prévoient la rétention des demandeurs d’asile et des migrants dans les pays concernés, elles ne prévoient pas toujours toutes les garanties nécessaires.
38. Le premier problème, qui semble être une pratique courante dans de nombreux pays 
			(11) 
			Cela
étant, en Croatie, les demandeurs d’asile ne sont pas placés en
rétention et, en Serbie, il y a un centre de rétention situé à Belgrade
qui, bien que pouvant accueillir 120 personnes, est le plus souvent
vide. , est que les pays concernés ont bien trop souvent systématiquement recours à la rétention administrative des migrants et des demandeurs d’asile. En outre, ils n’envisagent presque jamais d’alternatives à la rétention.
39. Un autre problème est qu’il n’est guère fait de distinction entre les demandeurs d’asile et les migrants. Cela est dû en partie au problème précédent, à savoir le recours pratiquement systématique à la rétention.
40. Un autre problème encore est que la rétention devrait être la plus brève possible. Dans l’Union européenne déjà, beaucoup de critiques ont été formulées à propos de la durée de la rétention autorisée par la «Directive Retour» 2008/115, qui permet effectivement la rétention pendant six mois, avec possibilité de la prolonger pour une période de 12 mois supplémentaires (18 mois au total 
			(12) 
			Il est possible de
faire une distinction avec les demandeurs d’asile, qui doivent être
libérés au bout de 12 mois car ils ont le droit d’accéder au marché
du travail.). En conséquence des très vives critiques formulées, cette période va être réduite à 12 mois, une durée de rétention qui demeure néanmoins extrêmement longue pour des personnes qui n’ont commis aucun crime.
41. Pour ce qui concerne la situation dans certains pays de la région des Balkans: en Croatie et en Serbie, la législation nationale a été mise en conformité avec la «Directive Retour» de l’Union européenne.
42. En Turquie, où un nouveau projet de loi est en cours d’examen par le parlement, les migrants sont placés en rétention sur la base d’un arrêté administratif du ministère de l’Intérieur, et ils ne peuvent pas contester la décision de leur rétention. Les personnes restent souvent en rétention pendant plus de six mois car il n’y a pas de définition claire dans la loi de la période maximale autorisée pour la rétention administrative des étrangers.
43. En Russie, le droit administratif fixe la durée maximale de rétention avant expulsion à une année.
44. En République de Moldova, où l’entrée illégale sur le territoire est considérée comme une infraction pénale et le séjour illégal comme une infraction administrative, les demandeurs d’asile sont généralement placés dans des centres de rétention administrative pendant que les procédures d’asile suivent leur cours. Les migrants, y compris ceux qui n’ont pas eu la possibilité de déposer une demande d’asile, sont aussi placés en rétention. La durée de celle-ci ne peut excéder six mois.
45. En Ukraine, les ressortissants étrangers peuvent être expulsés et/ou placés en rétention administrative pour un certain nombre d’infractions liées à l’immigration. Parmi celles-ci figurent la tentative d’entrer dans le pays sans les papiers requis, le séjour dans le pays de façon irrégulière et sans avoir accompli les formalités d’enregistrement, la commission de certaines catégories d’infractions et le fait de représenter une menace pour la sécurité, l’ordre public ou la santé. La rétention peut durer jusqu’à 12 mois et il n’existe pas de solution de substitution. Fait inquiétant, la législation actuelle permet la rétention d’une personne sans ordonnance d’un tribunal (par exemple sur décision d’un garde-frontière de l’Etat), alors que précédemment la rétention devait être autorisée par un tribunal. L’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme prévoit l’examen, dans les plus brefs délais, de la légalité de la rétention, et il est certain que l’absence d’un tel examen posera problème du point de vue de la Convention.
46. Il ressort clairement de cette brève analyse que les Etats ont de plus en plus souvent recours à la rétention pour des périodes relativement longues, sans proposer d’alternatives à la rétention. Il est urgent d’inverser cette tendance. Non seulement ces politiques coûtent cher aux Etats en termes de gestion des centres de rétention, mais les longues périodes de rétention ont des conséquences humaines non négligeables pour les personnes retenues, qui sont exacerbées lorsque les conditions de rétention sont inférieures aux normes requises.

4.2. Garanties générales et droits des personnes retenues

47. L’Assemblée a indiqué clairement, dans sa Résolution 1707 (2010), ce qu’elle attend en termes de garanties et de droits pour les migrants en situation irrégulière et les demandeurs d’asile. Elle l’a fait en énonçant 15 règles qu’il s’agit d’appliquer. Ces règles figurent à l’annexe 2 du présent rapport.
48. Dans la présente partie, j’ai choisi de me concentrer sur quatre aspects et d’analyser certains des problèmes concernant l’accès à un avocat et les droits procéduraux, les contacts avec les membres de la famille, le droit à des soins médicaux et la protection des enfants en tant que groupe vulnérable. Un autre aspect majeur est celui de l’accès aux procédures d’asile en rétention, qui a déjà été évoqué plus haut.

4.2.1. Droit d’accès à un avocat et autres droits procéduraux

49. Toutes les personnes retenues doivent avoir accès à un avocat et doivent bénéficier d’un droit de recours effectif pour pouvoir contester leur maintien en rétention. Elles doivent aussi être informées des raisons de leur rétention et de leurs droits, ainsi que des règles et de la procédure de plaintes applicables pendant la rétention.
50. Si ces droits sont en théorie accordés aux personnes retenues, la situation est souvent bien différente en pratique. L’un des problèmes que j’ai constatés tient au fait que ce sont principalement des ONG spécialisées qui apportent une assistance juridique à ces personnes et que les autorités se reposent largement, voire totalement, sur cette assistance, sans prévoir la création d’un système d’aide juridique gratuite correctement financé. Parfois, comme je l’ai observé lors de mes missions d’information en Turquie et en Ukraine, des personnes sont privées de liberté sans savoir pourquoi. L’absence d’interprétation aggrave le problème et fait qu’il est plus difficile pour les personnes retenues de contester cette situation. Bien que l’Etat laisse aux ONG le soin de donner des conseils juridiques, celles-ci n’ont souvent pas la possibilité de se rendre librement dans les centres de rétention, ce qui signifie que les personnes retenues ne bénéficient pas d’un accès concret à des conseils juridiques. Ce problème semble se poser par exemple en Turquie, en Russie et en Ukraine.

4.2.2. Droit à des soins médicaux

51. Toute personne qui arrive dans un centre de rétention doit avoir droit à un examen médical, destiné à évaluer son état de santé physique et mentale. Cet examen peut permettre de constater que la personne concernée a besoin de soins médicaux particuliers et doit être hospitalisée. Les personnes retenues doivent aussi pouvoir demander à consulter un médecin, les frais de cette consultation pouvant cependant être à leur charge.
52. Bien entendu, ce droit n’est pas toujours respecté dans tous les pays concernés. La majorité d’entre eux ne disposent pas de ressources suffisantes pour garantir une assistance médicale à caractère permanent dans les centres de rétention.
53. En Serbie, par exemple, les soins médicaux ne sont pas gratuits pour les demandeurs d’asile placés en centre de rétention et le ministère de la Santé n’a pas diffusé d’instructions claires concernant les soins médicaux aux demandeurs d’asile et aux réfugiés. Les soins de première nécessité sont actuellement dispensés par le Danish Refugee Council et financés par le HCR. La même situation a été observée en Turquie et en Ukraine.

4.2.3. Droit à des contacts avec les membres de la famille

54. Il est important, pour les personnes retenues, de pouvoir informer leur famille et leurs proches de leur situation et de maintenir des contacts réguliers. C’est pourquoi elles doivent être autorisées à conserver leur téléphone portable ou y avoir accès, ou disposer d’autres moyens de communiquer avec leur famille.
55. En Ukraine et en Turquie, les personnes retenues ont la possibilité d’acheter des cartes téléphoniques internationales. Ne bénéficient cependant de cette mesure que les personnes disposant de l’argent nécessaire.

4.2.4. Les enfants non accompagnés

56. L’Assemblée s’est exprimée clairement sur la question des enfants non accompagnés. Ils ne devraient jamais être placés en rétention et ne devraient en aucun cas être retenus avec des adultes. Il peut cependant arriver que des enfants doivent être retenus avec leurs parents, mais cela devrait rester exceptionnel et ne se produire que lorsqu’il apparaît que cette rétention est dans l’intérêt supérieur de l’enfant, conformément à l’article 3 de la Convention relative aux droits de l’enfant.
57. Pourtant, force est de constater que des enfants non accompagnés sont privés de liberté et placés dans des centres de rétention pour adultes dans les pays concernés. Cela se produit, par exemple, lorsque les autorités ne tiennent pas compte des déclarations d’un jeune concernant son âge. En conséquence, et en l’absence d’une procédure adéquate d’évaluation de l’âge, le jeune est considéré comme un adulte et risque de rester en rétention longtemps, dans une situation d’extrême vulnérabilité. Cette pratique est contraire à la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies, et notamment au principe selon lequel l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.
58. Je note avec satisfaction que le Gouvernement ukrainien a pris conscience du problème et tenté d’y remédier. En coopération avec des organisations internationales, il a entrepris d’élaborer une procédure fiable d’évaluation de l’âge, qui puisse contribuer à éviter les cas de rétention d’enfants. Cependant, le problème des demandeurs d’asile d’âge incertain placés en rétention administrative se pose encore en Ukraine actuellement, de même que dans d’autres pays.

4.3. Conditions de rétention

59. Ainsi que je l’ai déjà indiqué, les migrants en situation irrégulière ne sont pas des délinquants; leurs conditions de rétention devraient être humaines et respecter la dignité inhérente à la personne. Le HCR le rappelle d’ailleurs dans les principes directeurs qu’il a publiés récemment sur les critères et les normes applicables à la rétention des demandeurs d’asile 
			(13) 
			Voir en particulier
le principe directeur n° 8: Guidelines on the Applicable Criteria
and Standards relating to the Detention of Asylum-Seekers and Alternatives
to detention, HCR, 2012.. Il y souligne certains principes, notamment: la rétention est appliquée uniquement sur la base de motifs juridiques clairs et détaillés et sous réserve d’un contrôle judiciaire de sa légalité; elle se fait seulement dans des lieux officiellement reconnus et prévus à cet effet, et non pas dans des cellules de police; les hommes et les femmes sont séparés; les personnes retenues ont la possibilité de recevoir un traitement médical adéquat, de pratiquer de l’exercice physique et de pratiquer leur religion; elles ont accès aux installations de base et à l’alimentation, et la possibilité de se procurer de quoi lire; elles ont accès à l’information en temps opportun, la possibilité de suivre des études ou une formation professionnelle, la possibilité de soumettre des plaintes, etc.
60. Ces principes directeurs ressemblent beaucoup à ceux qui figurent dans la Résolution 1707 (2010) de l’Assemblée et qui sont développés dans le rapport y relatif de la commission des migrations, des réfugiés et de la population 
			(14) 
			Doc. 12105 (Rapporteure: Mme Ana Catarina
Mendonca, Portugal, SOC)..
61. Le présent rapport n’a pas pour objet d’analyser la situation des centres de rétention dans tous les pays concernés. Les rapports de visite du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines oui traitements inhumains ou dégradants (CPT), ainsi que les rapports élaborés par des organisations comme Amnesty International ou Human Rights Watch, décrivent d’ailleurs clairement une série de problèmes que j’ai pu observer moi-même en visitant des centres de rétention en Ukraine et en Turquie. J’ai eu la chance de pouvoir me rendre dans un centre qui venait d’être construit, avec un soutien financier important de l’Union européenne, et dans un centre beaucoup plus ancien, qui ne bénéficiait pas de tels fonds.
62. Les remarques que m’inspire la visite de ces centres pourraient s’appliquer à bien des établissements (neufs ou anciens) qui se trouvent dans d’autres pays situés au-delà de la frontière orientale de l’Union européenne (ainsi qu’à certains établissements qui se trouvent sur le territoire de l’Union européenne). Mes visites de centres de rétention en Ukraine et en Turquie servent donc d’études de cas pour le présent rapport.

Ukraine

63. En Ukraine, les conditions de rétention des migrants se sont améliorées ces dernières années, avec l’assistance et le soutien techniques de l’Union européenne. Il y a plusieurs types d’établissements de rétention et le Service national des gardes-frontières gère 86 centres de rétention de courte durée, d’une capacité totale de 573 places: 73 centres spécialement équipés, prévus pour des séjours de trois jours au maximum, et 13 centres de rétention temporaire, pour des durées maximales de rétention de 10 jours 
			(15) 
			Global Detention project:
Ukraine Detention Profile, novembre 2009.. De plus, le Service national des migrations gère cinq centres d’hébergement temporaire destinés à la rétention de ressortissants étrangers.
64. Lors de ma mission d’information en Ukraine, j’ai visité le centre d’hébergement temporaire pour étrangers et apatrides de la région de Tchernigov. Ce centre, qui peut héberger 208 personnes, en accueillait alors 70. Il occupait une grande superficie, était bien équipé et disposait d’installations sanitaires satisfaisantes. Les personnes retenues dans ce centre étaient correctement soignées, se voyaient proposer des activités en commun et pouvaient utiliser des téléphones portables. Le problème principal était la mauvaise santé des nouveaux arrivants, dont certains souffraient de tuberculose et de divers troubles psychologiques et avaient souvent besoin de soins médicaux spécialisés en milieu hospitalier.
65. Cet établissement était, à bien des égards, un centre modèle pour l’Ukraine; il illustre les conditions de vie qui devraient être garanties, dans les cas où une mesure de rétention est nécessaire. Malheureusement, ce centre n’est pas représentatif de la situation qui prévaut en Ukraine et de nombreux rapports crédibles font état de mauvaises conditions de rétention, mais aussi de violences de la part des surveillants. Le CPT a constaté des problèmes de surpeuplement et d’insalubrité. Les centres gérés par les gardes-frontières sont particulièrement critiqués pour les mauvais traitements qu’infligeraient les gardes. Une prise en compte insuffisante des problèmes de santé et un manque général de communication avec les personnes retenues, dû à la barrière de la langue, seraient aussi à déplorer 
			(16) 
			Rapport du CPT sur
sa visite en Ukraine, 2009.. Les rapports d’ONG respectées comme Human Rights Watch sont aussi très critiques; ils dénoncent des cas de détention arbitraire, de mauvais traitements infligés par des gardes-frontières, de corruption et de mauvais traitements de personnes vulnérables, dont des enfants 
			(17) 
			Human Rights Watch,
«Buffeted in the Borderland», décembre 2010..
66. L’Ukraine est un cas intéressant à étudier, car la situation y présente deux aspects. D’une part, l’exemple de l’Ukraine montre que des améliorations sont possibles. D’autre part, les autorités de ce pays doivent encore résoudre de nombreux problèmes et continueront à avoir besoin de l’aide de l’Union européenne et de la communauté internationale.

Turquie

67. D’après les autorités turques, le pays peut héberger 2 176 migrants en situation irrégulière. En plus des centres d’éloignement existants, un projet de l’Union européenne prévoit la construction de deux autres de ces centres. En outre, un centre d’éloignement d’une capacité de 400 personnes est en construction dans la région égéenne, et deux autres sont en construction dans la partie orientale de la Turquie, avec une capacité de 1 000 personnes.
68. Lors de ma visite en Turquie, j’ai eu l’occasion de me rendre dans le centre de rétention de Kumkapi, à Istanbul, où j’ai observé de très mauvaises conditions de vie: surpeuplement, conditions d’hébergement inadéquates (20 personnes par chambre, certaines chambres sans fenêtres), manque d’hygiène, mauvaise aération et soins médicaux insuffisants. Les personnes retenues se plaignaient aussi de l’absence d’information sur les procédures juridiques et de la manière dont elles étaient traitées par les autorités de police.
69. Contrairement au centre visité en Ukraine, celui-ci ne bénéficiait pas de crédits importants de l’Union européenne, ce qui se traduisait dans les conditions de rétention. La Turquie est actuellement confrontée à d’énormes défis, puisque le pays est l’un des principaux points d’entrée des migrations irrégulières et qu’il doit faire face à l’arrivée massive de réfugiés syriens.
70. Malgré la construction de nouveaux centres et le soutien de l’Union européenne, la Turquie a besoin d’une assistance supplémentaire, non seulement pour améliorer les conditions de vie dans ses centres de rétention, mais aussi pour trouver des alternatives à la rétention.

4.4. Conclusions

71. Outre les questions soulevées dans les deux études de cas ci-dessus, je tiens à évoquer un aspect qui me semble important. Certains des phénomènes les plus graves de traitements inhumains et dégradants se produisent au début de la privation de liberté, pendant que les personnes appréhendées attendent dans des locaux de police d’être transférées dans des centres de rétention des migrants. C’est le cas non seulement en Ukraine et en Turquie, mais aussi dans des pays comme la République de Moldova et la Russie.
72. Le problème tient en partie au fait que ces locaux de police sont très dispersés, difficiles à inspecter et peu adaptés à la prise en charge de migrants en situation irrégulière et de demandeurs d’asile, et que les policiers ne sont pas formés pour s’occuper de ces catégories de personnes. C’est certainement un aspect auquel il faudra accorder beaucoup plus d’attention à l’avenir.
73. Ma première conclusion est que la privation de liberté doit être évitée autant que possible; il ne faudrait y recourir qu’en dernier ressort, en l’absence d’autre solution. De plus, la durée de rétention devrait être réduite au minimum. De manière générale, ces principes ne semblent guère appliqués dans les pays concernés. Par ailleurs, si une mesure de rétention s’impose, elle doit être mise en œuvre dans une structure conçue à cette fin. Malgré la construction de plusieurs nouveaux établissements, de nombreux centres de rétention ne sont manifestement pas aux normes et ne devraient plus être utilisés, à moins d’être entièrement rénovés.
74. Parmi les autres problèmes qui semblent largement répandus figurent les difficultés d’accès des personnes retenues à un avocat, à un interprète, aux membres de leurs familles ainsi qu’aux procédures d’asile et autres procédures juridiques. Je m’inquiète aussi du peu d’attention accordé aux besoins des personnes vulnérables, et notamment des enfants, qui ne devraient pas en principe être placées en rétention.
75. Mes entretiens avec les responsables des centres de rétention m’amènent à conclure qu’il serait dans l’intérêt des personnes retenues et des Etats membres que ces centres ne soient pas gérés par la police, mais par le personnel d’institutions non répressives, formé pour s’occuper de non-délinquants. Si des policiers continuent à participer à la mise en œuvre de mesures de rétention, ils doivent recevoir la formation nécessaire pour exercer des fonctions qui vont bien au-delà de la simple surveillance de personnes.
76. Vu le nombre de problèmes qui se posent, il est essentiel que les organisations ou institutions qui se consacrent au suivi des centres de rétention, comme le CPT et les structures d’inspection nationales, puissent véritablement faire leur travail. D’autres acteurs ont aussi un rôle à jouer, notamment les ONG et les parlementaires nationaux, qui devraient être autorisés et encouragés à se rendre dans ces lieux de privation de liberté.

5. Accords de réadmission

77. Pour atteindre ses objectifs, toute stratégie migratoire doit s’accompagner d’un système de retour effectif des migrants en situation irrégulière et des demandeurs d’asile déboutés, qui respecte les droits de ces personnes et garantisse le principe de non-refoulement.
78. Parmi les mécanismes destinés à promouvoir ces retours figurent les accords de réadmission. A l’origine, ils étaient conclus entre pays, sur une base bilatérale, mais l’Union européenne a ensuite négocié au nom de ses Etats membres toute une série d’accords de ce type, également avec des pays situés au-delà de sa frontière orientale.
79. L’Union européenne a ainsi signé des accords de réadmission avec la République de Moldova, la Fédération de Russie, la Serbie, le Monténégro, la Bosnie-Herzégovine, «l’ex-République yougoslave de Macédoine» et l’Ukraine 
			(18) 
			Ces
accords de réadmission sont entrés en vigueur en 2008 pour tous
les pays susmentionnés, à l’exception de la Fédération de Russie,
dont l’accord est devenu juridiquement contraignant dès juin 2007.
Les accords avec la Fédération de Russie et l’Ukraine ont commencé
à être appliqués en janvier 2010., ainsi qu’avec d’autres pays non européens. La Croatie, qui n’est liée à l’Union européenne par aucun accord de ce type, a cependant conclu 25 accords bilatéraux en matière de retour, dont un bon nombre avec des Etats membres de l’Union européenne. S’agissant de l’accord de réadmission avec la Turquie, il a été paraphé en juin 2012 mais la signature n’a pas encore eu lieu.
80. La négociation et l’application de ces accords de réadmission ont suscité de vives inquiétudes, qui ont notamment été exprimées par l’Assemblée dans sa Résolution 1741 (2010) «Les accords de réadmission, un mécanisme de renvoi des migrants en situation irrégulière» 
			(19) 
			Voir aussi Doc. 12168, rapport portant le même titre, de la commission des
migrations, des réfugiés et de la population, (Rapporteure: Mme Tineke
Strik, Pays-Bas, SOC)..
81. Le problème n’est pas tant le retour de migrants dans leur pays d’origine que la réadmission de ressortissants de pays tiers. La Commission européenne l’a d’ailleurs reconnu elle-même dans une communication récente: «L’ensemble des pays tiers ont une profonde aversion pour la clause relative aux ressortissants de pays tiers, arguant qu’ils ne sauraient assumer une responsabilité à l’égard de citoyens de pays tiers et qu’ils n’ont dès lors pas l’obligation de réadmettre ces personnes.» 
			(20) 
			COM(2011)76
final. Communication de la Commission au Parlement européen et au
Conseil. Evaluation des accords de réadmission conclus par l’Union
européenne. Pour paraphraser une ONG, l’Union européenne demande à des Etats de s’occuper des étrangers dont elle ne veut pas 
			(21) 
			Migreurop:
Evaluation de la Commission européenne sur les accords communautaires
de réadmission. Quelques réactions et interrogations..
82. Il importe de comprendre cette aversion car les ressortissants de pays tiers renvoyés sont ceux qui se retrouvent repoussés à la frontière et qui sont ensuite souvent placés en rétention, avant d’être finalement renvoyés ou libérés si le retour n’est pas possible. Il est donc essentiel de mettre en place des protections et des garanties en matière de droits de l’homme pour ces personnes et de respecter le principe de non-refoulement.
83. J’ai principalement cinq réserves 
			(22) 
			Ces réserves sont en
grande partie évoquées par la Commission dans sa communication.
COM(2011)76 final, op. cit. sur ces accords de réadmission, réserves qui sont liées à d’autres questions soulevées dans le présent rapport.
84. La première concerne l’absence, dans ces accords, de clause de suspension en cas de violations persistantes des droits de l’homme dans les pays tiers. Bien entendu, s’il y a des problèmes majeurs dans un pays tiers, l’accord ne doit pas être appliqué.
85. Deuxièmement, tout accord devrait comporter une clause imposant au pays de réadmission de respecter le droit international en matière de droits de l’homme et de réfugiés. Ce point est particulièrement important, par exemple, pour ce qui concerne le non-refoulement et la rétention. En outre, des mesures pratiques doivent avoir été mises en place pour permettre leur application concrète.
86. La troisième réserve concerne la manière dont les accords de réadmission sont appliqués aux frontières. Certains accords de réadmission prévoient des processus de réadmission «accélérés», sans obligation d’accorder l’accès aux procédures d’asile si une personne est appréhendée dans un laps de temps donné ou à une certaine distance de la frontière. De telles dispositions ou pratiques sont contraires au droit international des réfugiés. Il y a clairement un danger que l’application de la procédure accélérée prévue dans l’accord de réadmission devienne automatique ou semi-automatique et ne soit pas précédée d’un examen approfondi de la situation et des besoins de protection de chaque personne.
87. La quatrième réserve tient à l’absence de suivi portant sur la mise en œuvre de ces accords et sur la situation des personnes après leur retour. Certes, des comités conjoints examinent le fonctionnement des accords, mais ils ne sont pas transparents. Des ONG et des organisations internationales (notamment le HCR) devraient participer aux travaux de ces comités dans l’avenir. De plus, il est nécessaire d’instaurer ce qu’on a appelé des mécanismes de suivi de «l’après-retour», pour savoir ce que deviennent, après leur retour, les personnes réadmises dans le cadre d’accords de réadmission.
88. Enfin, la cinquième réserve concerne l’absence de référence explicite aux obligations des Etats signataires en matière d’asile dans certains cas (on parle parfois de «clause de non-incidence»), ou l’inclusion de telles clauses sans suivi de leur respect.
89. Si les aspects décrits ci-dessus sont traités dans la Résolution 1741 (2010) de l’Assemblée et dans la communication de la Commission européenne elle-même (mentionnée plus haut), la situation a cependant peu évolué et les Conclusions du Conseil de l’Union européenne définissant la stratégie de l’UE en matière de réadmission, datées de juin 2011, n’apportent guère de solution aux problèmes soulevés 
			(23) 
			Conclusions du Conseil
définissant la stratégie de l’Union européenne en matière de réadmission
(8 juin 2011), document 11260/11..
90. En guise de conclusion de cette partie consacrée à l’application des accords de réadmission, il est reconnu qu’ils sont nécessaires et, par ailleurs, qu’ils pourraient, à condition d’inclure des garanties suffisantes, faciliter les retours en toute sécurité et l’accès à la procédure d’asile. Ils recouvrent cependant aussi une confrontation entre les intérêts des Etats qui veulent se débarrasser d’un problème et les intérêts des Etats qui sont réticents à s’en charger. Or, au centre de cette confrontation se trouvent des personnes, considérées comme étant le problème, à savoir des migrants et parfois des demandeurs d’asile. Le risque que les intérêts nationaux l’emportent sur les droits de l’homme est bien réel, d’où la nécessité d’intégrer dans ces accords des dispositions protégeant les droits de l’homme et de suivre la mise en œuvre des accords et la situation des personnes réadmises.

6. Le rôle de l’Union européenne

91. L’une des priorités de l’Union européenne est de s’occuper de la pression migratoire qui s’exerce sur elle, et notamment des migrations irrégulières.
92. En 2005, l’Union européenne a commencé à définir une approche globale sur la question des migrations (GAM). En 2007, cette approche a été étendue aux pays d’Europe orientale et d’Asie centrale. Le programme de Stockholm de 2009, qui définissait les priorités politiques de l’Union européenne dans le domaine des migrations et de l’asile pour la période 2010-2014, soulignait aussi l’importance de lancer et de mettre en œuvre de nouveaux programmes de protection régionaux, ainsi que d’établir un partenariat stratégique avec le HCR. Renouvelée dernièrement, l’approche globale sur la question des migrations et de la mobilité (GAMM) présentée en 2011 remplace la GAM et fournit le cadre transversal de la politique extérieure de l’Union européenne en matière de migration.
93. De plus, une coopération a été établie entre les Etats membres de l’Union européenne et les pays d’Europe orientale par le biais de différentes plates-formes de coopération, telles que le Groupe du partenariat oriental de l’UE sur les migrations et l’asile 
			(24) 
			Le processus de Söderköping
s’est traduit par la création d’un forum de discussion sur des questions
communes en matière d’asile, de migrations et de gestion des frontières,
entre les gouvernements et entre les gouvernements et la société
civile ; c’est aussi un instrument de coopération bilatérale et
multilatérale dans des domaines de préoccupation communs. Il a permis
aux services des gardes-frontières, aux ministères de l’Intérieur
et aux services des migrations d’interagir, de partager des informations,
des données et de bonnes pratiques, mais aussi d’engager un dialogue., le processus de Budapest 
			(25) 
			En
1991, l’Allemagne a mis en place un forum consultatif qui avait
pour vocation l’élaboration de mesures conjointes face aux pressions
toujours plus fortes exercées par les migrations irrégulières en
Europe. Cinquante gouvernements et 10 organisations internationales
ont maintenant rejoint ce processus, afin d’échanger des informations
et de bonnes pratiques pour aborder des questions comme les migrations
régulières et irrégulières, l’asile, les visas, la gestion des frontières,
la traite des êtres humains et le trafic illicite de migrants, la
réadmission ou le retour. Par ce dialogue, le processus de Budapest
favorise une bonne gouvernance dans le domaine des migrations, une
approche harmonisée face aux enjeux des migrations irrégulières,
le transfert de notions et de politiques en matière de migrations
et une conception commune de ces sujets. et le processus de Prague 
			(26) 
			Ce
processus encourage des partenariats dans le domaine des migrations
entre l’Union européenne, l’espace Schengen, l’Europe du Sud-Est,
l’Europe orientale et l’Asie centrale, ainsi qu’avec la Turquie.
La déclaration définissait cinq grandes priorités: 1) lutte contre
les migrations irrégulières; 2) réadmission, retour volontaire et
réintégration; 3) immigration légale; 4) intégration; et 5) migrations
et développement. Le Plan d’action du Processus de Prague pour les années
2012-2016 énumère 22 actions prioritaires destinées à stimuler la
coopération. Il prévoit des activités de prévention des migrations
irrégulières et de lutte contre ce phénomène, ainsi que des activités
visant à encourager la réadmission, le retour volontaire et une
réintégration durable. Y figurent aussi des activités de promotion
des migrations régulières et de la mobilité (notamment de la migration
de main-d’œuvre) et des activités en faveur de l’intégration; l’accent
est également mis sur la possibilité de faire des migrations et
de la mobilité une force de développement positive et sur le renforcement
des capacités des pays d’accueil dans le domaine du droit d’asile
et de la protection internationale..
94. Par ailleurs, depuis 2007, la Commission européenne incorpore les questions relatives aux migrations et à l’asile dans son programme thématique de coopération avec les pays tiers dans le domaine des migrations et de l’asile. Prochainement, un nouveau Cadre financier pluriannuel – budget de l’Union européenne pour la période 2014-2020 prévoira les programmes succédant au Programme thématique (lequel prendra fin en 2013).
95. C’est par le biais de ces programmes thématiques que sont mis en œuvre les objectifs du Groupe sur les migrations et l’asile et des processus de Budapest et de Prague. En 2011-2013, les priorités suivantes dans les pays d’Europe orientale ont été identifiées:
  • soutenir la mise en œuvre et la négociation d’accords de réadmission;
  • soutenir les activités liées à la protection internationale, notamment dans le cadre des programmes de protection régionaux, en mettant plus particulièrement l’accent sur les conditions d’enregistrement, d’accueil et de réinstallation, ainsi que sur les mesures destinées à protéger les réfugiés contre l’exploitation et les mauvais traitements, le racisme et la xénophobie;
  • assurer la prévention et le contrôle des migrations irrégulières;
  • accorder une attention particulière à la protection internationale des demandeurs d’asile et des réfugiés et soutenir la mise en œuvre de programmes de protection régionaux.
96. A titre d’exemple concret, en 2005, la Commission européenne a désigné l’Ukraine, la République de Moldova et le Bélarus comme pays cibles pour le premier programme de protection régional pilote. Ce programme a fourni des financements pour renforcer la protection internationale des demandeurs d’asile et des réfugiés, ainsi que pour mettre en œuvre des solutions durables, c’est-à-dire le rapatriement, l’intégration locale ou la réinstallation 
			(27) 
			COM(2005)388 final,
1 septembre 2005..
97. En outre, a été lancé un programme «d’assistance frontalière de l’Union européenne en faveur de la Moldova et de l’Ukraine» (EUBAM) 
			(28) 
			<a href='http://www.eubam.org/en/about/what_we_do'>www.eubam.org/en/about/what_we_do</a> 25 avril 2011.. Ce programme apporte une assistance technique et des conseils aux gardes-frontières moldoves et ukrainiens. Par ailleurs, dans le cadre d’un projet de jumelage qui vise à renforcer les capacités de la Turquie en matière de lutte contre les migrations irrégulières et de mise en place de centres d’éloignement pour les migrants en situation irrégulière, l’Union européenne a apporté une aide d’environ 15 millions d’euros aux fins de la création de deux centres d’éloignement et de l’élaboration de normes relatives à leur fonctionnement opérationnel jusqu’en 2012 
			(29) 
			<a href='http://www.globaldetentionproject.org/countries/europe/turkey/introduction.html'>www.globaldetentionproject.org/countries/europe/turkey/introduction.html.</a>.
98. Il est indéniable que ces différents programmes ont encouragé les pays concernés à rendre leurs systèmes d’asile plus conformes aux règles et normes internationales. Ils ont certainement aussi contribué à améliorer les conditions de rétention dans certains centres, comme j’ai pu le constater en Ukraine.
99. Compte tenu de l’ampleur du problème, la tâche à accomplir reste cependant immense, surtout si l’on considère les pressions en matière de migrations et d’asile qui s’exercent sur les pays situés au-delà des frontières orientales externes de l’Union européenne. A l’évidence, ces pays auront besoin d’une aide bien plus conséquente s’ils doivent servir de zone tampon, destinée à protéger l’Union européenne contre les migrations irrégulières.

7. Conclusions générales

100. Les flux migratoires mixtes se déplacent vers l’est. En témoignent les mouvements de population à destination de la Turquie et à travers ce pays. Ils sont destinés à s’amplifier et à se déplacer vers le nord, le long de la frontière orientale de l’Union européenne, en augmentant encore la pression exercée sur les Balkans, l’Ukraine et la Russie.
101. L’Union européenne et ses Etats membres, conscients des pressions auxquelles sont soumis leurs voisins d’Europe orientale, leur apportent un soutien pour les aider à contrôler ces flux mixtes de migrants en situation irrégulière, de demandeurs d’asile et de réfugiés.
102. D’après ce que j’ai vu et appris, cette assistance est loin d’être suffisante; ces pays ne sont pas à même de faire face aux difficultés actuelles, et encore moins à celles qui se présenteront dans l’avenir. L’Union européenne et ses Etats membres doivent apporter une aide plus importante à ces pays. Il ne faut pas oublier que l’Union européenne est le principal facteur d’attraction de ces flux migratoires mixtes. Il appartient aussi aux pays ayant une frontière avec l’Union européenne de redoubler d’efforts; ils ne devraient pas se reposer entièrement sur l’assistance dans les domaines qui relèvent de leur responsabilité.
103. L’histoire récente montre combien l’Europe est peu préparée à faire face à des mouvements de population de grande ampleur. Elle n’était pas prête lors de la première arrivée massive de réfugiés sur les côtes méditerranéennes, au milieu des années 1990. Elle n’était pas prête lors des importants déplacements de population causés par la crise libyenne. Elle n’était pas prête lors de l’afflux de Syriens, même s’il convient de saluer l’action de la Turquie, qui a accueilli plus de 258 000 Syriens. Par ailleurs, l’Europe n’a pas été capable de soulager la Grèce, qui cumule les problèmes liés à la dette, à l’austérité, aux flux migratoires mixtes et à la xénophobie.
104. Il s’agit donc de s’employer bien plus activement à aider les pays situés au-delà de la frontière orientale de l’Union européenne.

Annexe 1 – Dix Principes directeurs définissant les circonstances dans lesquelles la rétention des demandeurs d’asile et des migrants en situation irrégulière est légalement admissible

(open)

(Extrait de la Résolution 1707 (2010) de l’Assemblée parlementaire sur la rétention administrative des demandeurs d’asile et des migrants en situation irrégulière en Europe)

«9.1. ... Ces principes sont les suivants:
9.1.1. la rétention des demandeurs d’asile et des migrants en situation irrégulière est une mesure exceptionnelle qui n’est applicable que lorsque l’on a examiné toutes les autres alternatives et qu’aucune ne s’est avérée probante;
9.1.2. une distinction est opérée entre les demandeurs d’asile et les migrants en situation irrégulière; les demandeurs d’asile doivent être protégés de sanctions liées à leur entrée ou à leur présence non autorisée;
9.1.3. la rétention est mise en œuvre selon une procédure définie par la loi, elle est autorisée par une instance judiciaire et fait l’objet d’un contrôle judiciaire périodique;
9.1.4. la rétention n’est ordonnée que dans le but spécifique d’empêcher une entrée irrégulière sur le territoire d’un Etat ou en vue d’une expulsion ou d’une extradition;
9.1.5. la rétention n’est pas arbitraire;
9.1.6. la rétention est appliquée uniquement quand elle est nécessaire;
9.1.7. la rétention est proportionnée à l’objectif visé;
9.1.8. le lieu, les conditions et le régime de la rétention sont appropriés;
9.1.9. en règle générale, les personnes vulnérables ne sont pas placées en rétention, et en particulier les mineurs non accompagnés ne sont jamais retenus;
9.1.10. la durée de la rétention est la plus brève possible;»

Annexe 2 – Quinze Règles européennes définissant les normes minimales applicables aux conditions de rétention des migrants et des demandeurs d’asile

(open)

(Extrait de la Résolution 1707 (2010) de l’Assemblée parlementaire sur la rétention administrative des demandeurs d’asile et des migrants en situation irrégulière en Europe)

«9.2.1. que les personnes privées de liberté sont traitées avec dignité et dans le respect de leurs droits;
9.2.2. que les personnes retenues sont hébergées dans des centres spécialement conçus pour la rétention liée à l’immigration et non dans des prisons;
9.2.3. que toutes les personnes retenues sont informées rapidement, dans un langage simple et accessible pour elles, des principales raisons juridiques et factuelles de leur rétention, de leurs droits, des règles et de la procédure de plaintes applicables pendant la rétention; durant la rétention, les personnes retenues ont la possibilité de déposer une demande d’asile ou de protection complémentaire ou subsidiaire, et un accès effectif à une procédure d’asile équitable et satisfaisante offrant toutes les garanties procédurales;
9.2.4. que les critères d’admission juridiques et factuels sont respectés, ce qui suppose l’organisation de contrôles de dépistage et de visites médicales permettant de repérer les besoins spécifiques. Des archives pertinentes concernant les admissions, les séjours et les départs doivent être conservées;
9.2.5. que les conditions matérielles de rétention sont adaptées à la situation juridique et factuelle de l’intéressé;
9.2.6. que le régime de rétention est adapté à la situation juridique et factuelle de l’intéressé;
9.2.7. que les autorités responsables préservent la santé et le bien-être de toutes les personnes retenues dont elles ont la charge;
9.2.8. que les personnes retenues ont un accès concret garanti au monde extérieur (y compris des contacts avec des avocats, la famille, des amis, le Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), la société civile, des représentants du monde spirituel et religieux) et ont le droit de recevoir des visites fréquentes du monde extérieur;
9.2.9. que les personnes retenues ont un accès concret garanti à des conseils, à une assistance et à une représentation juridiques d’une qualité suffisante, ainsi qu’à une aide juridique gratuite;
9.2.10. que les personnes retenues peuvent déposer périodiquement un recours effectif contre leur mise en rétention devant un tribunal et que les décisions concernant la rétention sont examinées automatiquement à intervalles réguliers;
9.2.11. que la sécurité, la protection et la discipline des personnes retenues sont prises en compte de façon à garantir le bon fonctionnement des centres de rétention;
9.2.12. que le personnel des centres de rétention et des services de l’immigration ne recourt pas à la force contre les personnes retenues, sauf en situation de légitime défense ou en cas de tentative d’évasion ou de résistance physique active à un ordre légal, toujours en dernier recours et d’une manière proportionnée à la situation;
9.2.13. que la direction et le personnel des centres de rétention sont recrutés avec soin, bénéficient d’une formation adaptée et œuvrent conformément aux normes professionnelles, éthiques et personnelles les plus élevées;
9.2.14. que les personnes retenues ont tout loisir de formuler des demandes ou des plaintes auprès d’autorités compétentes, et que des garanties de confidentialité leur sont données à cet égard;
9.2.15. que les centres de rétention et les conditions de rétention font l’objet d’inspections et de contrôles indépendants;»