1. Les «dérives sectaires» représentent de multiples
risques pour les mineurs puisqu’ils peuvent porter atteinte à leur
droit fondamental qui est la liberté de pensée, de conscience et
de religion, les limiter dans leur libre développement et, dans
certains cas, menacer aussi leur bien-être moral et physique. A
cet égard, je salue le fait que mon collègue M. Rudy Salles, au
titre de la commission des questions juridiques et des droits de
l’homme, ait porté l’attention sur ce thème important, notamment
sous l’angle de la protection des mineurs. Ce thème m’importe aussi
personnellement car j’ai été confronté à la problématique de l’influence
exercée par certaines sectes lors des divers mandats politiques
que j’ai exercés, notamment en tant que maire de ma commune de 5
000 habitants et responsable de la gestion des établissements scolaires.
A cette époque, nous avions convenu avec la direction des écoles
d’informer régulièrement les élèves, par l’intermédiaire des enseignants,
sur les risques liés aux sectes, notamment lorsqu’un jeune élève
sous l’influence d’une secte avait disparu pour ne jamais revenir.
2. Le délai à ma disposition pour préparer le présent avis ayant
été relativement court, il ne m’a pas été possible de faire des
recherches supplémentaires sur la thématique pour éventuellement
enrichir les futurs textes de l’Assemblée. C’est pourquoi les motifs
exposés ci-dessous et les amendements proposés se basent notamment
sur l’expérience riche de ma commission en matière de protection
de l’enfance. Aussi, tout élément provenant des nombreux rapports
des médias sur les dérives sectaires et des sectes spécifiques,
aurait difficilement trouvé sa place dans le projet de résolution,
qui suit une approche assez législative et théorique.
3. Dans son exposé des motifs, représentant la base pour les
projets de résolution et de recommandation, le rapporteur, M. Salles,
fait une lecture et une analyse approfondies des normes et textes
européens en la matière, pour ensuite formuler des lignes d’action
à suivre par les Etats membres (dans la résolution) et par le Comité
des Ministres (dans la recommandation). Cependant, le texte adopté
et proposé par la commission des questions juridiques et des droits
de l’homme n’établit pas de lien clair entre les normes européennes
et les textes adoptés d’une part, et l’atteinte portée aux enfants
par les dérives sectaires d’autre part, étant donné qu’il reste
largement silencieux sur la manière dont les enfants sont affectés
par ces pratiques. Il sera difficile de compléter davantage le texte
à ce stade étant donné que des recherches supplémentaires seraient nécessaires.
Cependant, de telles démarches sont proposées par le projet de recommandation
que je souhaiterais pleinement soutenir.
4. Par ailleurs, il me semble que les conflits qui peuvent exister
entre différentes normes et intérêts ne sont pas reflétés de manière
complète par le projet de résolution. Cette problématique ne se
limite pas à un conflit entre la liberté de pensée, de conscience
et de religion d’un côté, et de la protection de l’enfance de l’autre;
les sectes peuvent aussi être une menace à la liberté de pensée,
de conscience et de religion des enfants-mêmes qui doivent pouvoir
choisir librement leurs orientations religieuses (ce qui n’est pas
toujours le cas quand ils grandissent dans une secte). Une approche
plus nuancée pourrait être utile à cet égard. Pour être cohérent avec
les activités menées par l’Assemblée dans le domaine des droits
de l’enfant ces dernières années, un nouveau texte sur les mineurs
et les sectes devrait insister de manière plus claire sur l’intérêt
supérieur des enfants qui doit être une considération primordiale
dans toutes les décisions concernant les enfants, comme le stipule
l’article 3 de la Convention relative aux droits de l’enfant des
Nations Unies.
5. Enfin, je regrette surtout que la problématique des dérives
sectaires ne soit aucunement expliquée dans son contexte réel et
social dans le texte qui est proposé par la commission des questions
juridiques et des droits de l’homme, et que seul l’exposé des motifs
décrive très brièvement la manière dont les jeunes entrent en contact
avec les sectes. L’exposé des motifs n’explore pas davantage les
différents cas de mineurs qui ont été approchés par les sectes (par
exemple à l’âge de l’adolescence) ou qui naissent dans un contexte
familial où une secte joue déjà un rôle important. Cependant, pour
mieux distinguer ces catégories et le nombre d’enfants respectivement
concernés par les différentes manières d’arriver dans une secte,
ainsi que les conséquences qu’ils subissent, davantage de recherches
seraient nécessaires. Quant à la définition des «mouvements sectaires»
ou des «sectes», celle-ci est extrêmement difficile à faire, raison
pour laquelle les autorités de certains pays, telles que la «Mivilude»
(Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives
sectaires) en France à laquelle mon collègue M. Salles, député français,
fait souvent référence, définissent plutôt les limites à ne pas
franchir en termes de «dérives». D’autres pays, y compris le mien,
la Suisse, suivent des approches similaires.
6. Parmi les appels aux gouvernements dans la partie «opérationnelle»,
le projet de résolution cite certaines mesures qui avaient déjà
été préconisées par les premiers textes de l’Assemblée dans les
années 1990, tels que l’appel à la création de centres nationaux
ou régionaux d’information, la formation aux grands courants de
pensée et des religions dans le cadre de l’éducation générale ou
l’application de l’obligation de scolarité, tous présentés dans
le cadre de la
Recommandation
1412 (1999) sur les activités illégales des sectes. Etant
donné que ce type de mesures est déjà connu depuis bien longtemps,
un nouveau texte de l’Assemblée devrait compléter la liste sur la
base des expériences plus récentes en matière de protection de l’enfance.
Par exemple, les acteurs dans tous les Etats membres savent aujourd’hui
que des mesures telles que la sensibilisation du grand public et
des professionnels en contact avec les enfants (notamment les enseignants
qui ne sont pas encore mentionnés par la commission juridique),
ainsi que des procédures de signalement et des dispositifs d’aide
accessibles à tous, jouent un rôle important dans la protection
de l’enfance dans nos sociétés et doivent figurer dans les cahiers
de charges des autorités publiques. En ce qui concerne les enfants
menacés par les dérives sectaires (dans leurs familles ou par des
tiers), ce sont souvent les personnes de leur entourage (voisins,
enseignants, médecins, etc.) qui peuvent constater des anormalités dans
leur comportement ou leur bien-être et avertir les instances compétentes
si besoin.
7. Pour faire suite à ces commentaires, quelques amendements
au projet de résolution sont proposés.
8. L’amendement A met
l’accent sur le fait que les normes du Conseil de l’Europe se réfèrent généralement
à la notion de l’enfant telle qu’utilisée par la Convention des
Nations Unies relative aux droits de l’enfant stipulant dans son
paragraphe 1 qu’«un enfant s'entend de tout être humain âgé de moins
de dix-huit ans». Au Conseil de l’Europe ceci s’exprime également
par le titre de sa Stratégie pertinente qui est la «Stratégie 2012-2015
du Conseil de l’Europe sur les droits de l’enfant».
9. L’amendement B, quant
à lui, précise que les normes du Conseil de l’Europe peuvent être
pertinentes pour les dérives sectaires: leur champ d’application
est beaucoup plus large, et toutes les dérives sectaires ne mènent
pas à l’exploitation ou l’abus sexuel, au trafic d’enfant ou au
non-respect de leurs droits dans le cadre de procédures judiciaires;
certaines conséquences de l’influence sectaire peuvent avoir l’apparence
de faits beaucoup moins nuisibles ou apparaître comme bien intentionnées
pour les enfants, mais avoir tout de même un impact néfaste pour
leur développement et épanouissement.
10. L’amendement C, puise
dans l’exposé des motifs qui décrit, au paragraphe 6, de quelle
manière les mineurs peuvent entrer en contact avec les mouvements
sectaires et quelle est la responsabilité des parents et des familles.
11. L’amendement E tente
de surmonter la contradiction aux paragraphes 1 et 4 du projet de
résolution selon laquelle le Conseil de l’Europe et l’Assemblée
se préoccupent de la protection de l’enfance d’un côté et de la
liberté de pensée, de conscience et de religion de l’autre, alors
que ces deux catégories de droits peuvent se rejoindre là où les
enfants ont le droit d’être libres de toute idée imposée pouvant
avoir un impact considérable sur leurs vies.
12. Les amendements F, G et H complètent
la liste des mesures à prendre pour créer des systèmes performants
de protection de l’enfance, et contre les dérives sectaires, en
puisant dans l’expérience de l’Assemblée parlementaire acquise dans
ce domaine ces dernières années, par exemple avec la Campagne UN
sur CINQ contre la violence sexuelle à l’égard des enfants et de
nombreux rapports pertinents. Enfin, parmi les mesures de protection
de l’enfance, il convient d’encourager les enfants à se défendre
eux-mêmes quand ils en ont les moyens, de sensibiliser et former
toutes les catégories de professionnels en contact avec eux et de
mettre en place des procédures de signalement et des dispositifs
d’aide aux victimes.