1. Introduction
1. Le respect des principes d’égalité et de non-discrimination
est essentiel dans le contexte de la procédure d’obtention du statut
de partenaire pour la démocratie. La demande de statut doit contenir
une référence à l’engagement de respecter les valeurs du Conseil
de l’Europe. Elle doit également comprendre un engagement à encourager
la participation équilibrée des femmes et des hommes dans la vie
publique et politique
.
2. La délégation parlementaire bénéficiant du statut de partenaire
pour la démocratie doit aussi, dans la mesure où le nombre de ses
membres le permet, être composée de façon à assurer une représentation équitable
des partis ou groupes politiques existant dans ce parlement et à
comprendre un pourcentage de membres du sexe sous-représenté au
moins égal à celui que compte le parlement et, en tout état de cause, un
représentant de chaque sexe
.
3. Je tiens à féliciter M. Gross pour son rapport et avant lui M. Mevlüt
Çavuşoğlu pour ses travaux préparatoires. En ma qualité de rapporteure
de la commission sur l’égalité et la non-discrimination, je souhaite apporter
des éclairages supplémentaires sur les aspects les plus critiques
des questions d’égalité et de non-discrimination au Kirghizstan,
dont la situation des minorités, la discrimination fondée sur l’orientation
sexuelle et l’identité de genre, la violence à l’égard des femmes
et la traite des êtres humains.
4. La Commission sur l’égalité et la non-discrimination a tenu
un échange de vues avec la délégation du Parlement kirghize menée
par Mme Asia Sasykbaeva, Vice-Présidente du Parlement, en avril
2013. J’ai rencontré une nouvelle fois la délégation parlementaire
kirghize lors de la partie de session de janvier 2014.
2. La situation des minorités
5. Il est tout d’abord important d’examiner la situation
des minorités au Kirghizstan. Selon un système d’auto-déclaration
utilisé lors des recensements, la population serait composée de
71 % de Kirghizes, 14,3 % d’Ouzbeks (vivant en majorité dans le
sud du pays) et 7,8 % de Russes
.
6. Ces dernières années, le pays a connu des tensions ayant mené
au conflit entre des groupes d’origine kirghize et ouzbek à Osh
en juin 2010. Ces événements ont marqué durablement les esprits
et ébranlé l’équilibre et la coexistence des minorités.
7. Les tensions sont restées vives depuis 2010 et un manque de
confiance s’est durablement installé entre les communautés. Les
minorités sont victimes d’arrestations arbitraires, de torture et
d’extorsions par la police, souvent en toute impunité. Un climat
propice à l’intolérance, au «profilage ethnique» et aux stéréotypes
s’est répandu, exacerbé par la classe politique. Le droit à un procès
équitable n’est pas garanti et le système judiciaire est influencé
par les préjugés. Le cas de M. Azimjon Askarov, journaliste d’origine
ouzbek et défenseur des droits humains, condamné à la réclusion
à perpétuité, mériterait d’être réexaminé, son procès n’ayant pas
présenté les garanties d’un procès équitable.
8. La Constitution adoptée par référendum le 27 juin 2010 contient
des mesures de protection contre la discrimination raciale et garantit
le droit à l’éducation dans les langues des minorités. Les langues
parlées par la plus grande partie de la population sont le kirghize,
l’ouzbek et le russe. La Constitution stipule que le kirghize est
la langue d’Etat et le russe une langue officielle, et garantit
la protection des langues des minorités (article 10). Il y a de
fait une utilisation croissante du kirghize, notamment dans les
services publics, aux dépens du russe.
9. La participation des minorités à la vie politique demeure
limitée, tout comme leur représentation au sein des administrations
locales, des forces de police et du système judiciaire
. L’Assemblée des peuples du Kirghizstan,
qui permet une représentation formelle des minorités, n’a pas de
pouvoir décisionnel.
10. Le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination
raciale a, lors de sa session de mars 2013, fait part de son inquiétude
quant à l’existence continue de tensions, qui pourraient amener
à un nouveau conflit
. Le Comité a recommandé aux autorités
kirghizes de poursuivre la réforme du système judiciaire et de la
police afin d’assurer un climat de tolérance et une représentation
des minorités à tous les niveaux, de promouvoir l’instruction dans
les langues des minorités, de prendre des mesures concrètes et efficaces permettant
la participation des minorités et un accès à l’information dans
les langues des minorités. Une agence gouvernementale sur les questions
inter-ethniques a été créée en 2013.
3. La discrimination fondée sur l’orientation sexuelle
et l’identité de genre
11. Les violences et les discriminations à l’égard des
personnes LGBT demeurent fréquentes au Kirghizstan. En 2012, les
groupes LGBT ont documenté plus de 50 cas de discrimination et de
violations des droits de personnes fondées sur leur orientation
sexuelle et/ou identité de genre. Toutefois, ceci ne reflète pas la
réalité de la situation, les victimes ayant peur de porter plainte
.
12. Lors de l’examen périodique universel des Nations Unies de
2010, le Gouvernement kirghize s’est engagé à lutter contre la discrimination
fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre en acceptant
deux recommandations, ce qui représente un signal politique encourageant.
J’ai néanmoins été récemment informée par des organisations non
gouvernementales (ONG) de la préparation d’un projet de loi sur l’interdiction
de la dite «propagande homosexuelle» et souhaite exprimer ma vive
inquiétude à ce sujet
.
13. Human Rights Watch a publié un rapport sur la violence policière
à l’égard des hommes gays et bisexuels au Kirghizstan le 29 janvier
2014
. Ce rapport présente des témoignages
de victimes de violence, de harcèlement et d’extorsions de la part
de la police en raison de leur orientation sexuelle. Le rapport
a été publié dans un climat d’intolérance et d’homophobie croissante.
A la suite de la publication de ce rapport, le Grand Mufti par intérim
Maksat Hajji Toktomushev a lancé une fatwa contre l’homosexualité.
Les activistes œuvrant à la défense des droits des personnes LGBT
font régulièrement l’objet de menaces et d’intimidations
. Le Comité des droits de l’homme
des Nations Unies a également condamné la violence à l’égard des
personnes LGBT et appelé les autorités à enquêter sur les cas de
violence, poursuivre les auteurs et protéger les victimes
.
14. Les femmes et les hommes transgenres sont également victimes
de violences et stigmatisés au sein de la société. Les hommes gays
issus de minorités ethniques sont quant à eux victimes de discriminations multiples.
15. Nous avons discuté en janvier dernier de la discrimination
à l’égard des personnes LGBT lors de ma rencontre bilatérale avec
la délégation kirghize, qui a insisté sur la nécessité d’un changement
des mentalités afin de combattre les stéréotypes. Les préjugés doivent
être combattus tant au niveau des responsables politiques que de
la société en général. J’invite par conséquent le Parlement kirghize
à faire appel à l’expertise du Conseil de l’Europe afin de lutter
contre l’homophobie et la violence homophobe.
4. L’égalité de genre
16. Le Programme des Nations Unies pour le développement
a développé un indice d’inégalité de genre, prenant en compte l’émancipation
politique, le marché de l’emploi et l’accès à la santé reproductive.
Le Kirghizstan a un indice d’inégalité de genre (0.357) légèrement
plus élevé que celui de la plupart des pays européens (celui-ci
va de 0,045 aux Pays-Bas à 0,366 en Turquie, la plupart étant entre
0,200 et 0,300)
.
17. La loi électorale prévoit un quota de 30 % sur les listes
et les femmes représentent à ce jour 23 % des membres du parlement
(28 membres sur un total de 120). Si le niveau de participation
des femmes au niveau national est plus élevé que dans plusieurs
Etats membres du Conseil de l’Europe, on ne peut estimer que ce niveau
soit satisfaisant. J’appelle les autorités à intensifier leurs efforts
afin d’accroître la participation des femmes à la vie politique
et publique, tant au niveau local que national. Les femmes devraient
également viser à obtenir des responsabilités au sein des partis
politiques.
18. La Constitution de 2010 consacre l’égalité des droits entre
les femmes et les hommes et condamne la discrimination fondée sur
le genre. La stratégie nationale sur l’égalité de genre jusqu’en
2020 prévoit des mesures concrètes afin de lutter contre les discriminations.
Je ne peux qu’encourager les autorités kirghizes à développer et
consolider une culture de l’égalité dans tous les domaines.
19. Les femmes sont actives dans le domaine politique et dans
la vie associative. Toutefois, le poids de la tradition marque les
esprits avec des stéréotypes typiques d’une société patriarcale,
où les hommes participent à la vie publique et économique et les
femmes s’occupent de leur famille et du foyer. La participation
des femmes à la vie économique est limitée et aurait même diminué
ces dernières années.
5. La violence à l’égard des femmes
20. Le Gouvernement kirghize est engagé dans la lutte
contre la violence à l’égard des femmes et a pris une série de mesures
concrètes ces dernières années. Je tiens à saluer ces actions et
plus particulièrement l’adoption d’un plan national d’action contre
la violence à l’égard des femmes et d’une loi de lutte contre la violence
à l’égard des femmes (2011). Des efforts supplémentaires doivent
être fournis et des moyens financiers mobilisés afin de garantir
leur mise en œuvre.
21. L’enlèvement forcé de filles se pratique toujours, même s’il
a été criminalisé (peine de 7 ans, 10 ans si la fille a moins de
17 ans) et les viols à cette occasion seraient fréquents
. Les enlèvements forcés aboutissent
le plus souvent à des mariages forcés. Les forces de police ne traitent
pas ce problème comme une priorité et auraient tendance à fermer
les yeux. Il conviendrait de donner des formations spécifiques sur
la lutte contre la violence à l’égard des femmes, dont les enlèvements
forcés, aux policiers et aux juges et d’organiser des campagnes
de sensibilisation sur cette question à l’échelle nationale.
22. La polygamie, punie par le Code pénal, serait encore pratiquée.
La violence domestique demeure relativement tabou et ne fait pas
systématiquement l’objet d’une plainte. En raison de difficultés
économiques, de nombreuses femmes restent dans un environnement
violent, ou accepteraient de devenir la seconde ou la troisième
épouse.
23. L’assistance aux victimes de violence domestique est assurée
par des centres d’accueil et d’aide gérés par des ONG. Il n’y a
à ce jour que 12 centres d’accueil dans le pays, rencontrant de
grandes difficultés financières. Les capacités d’accueil de ces
centres sont insuffisantes par rapport aux besoins des victimes.
6. La lutte contre la traite des êtres humains
24. Le Kirghizstan est un pays d’origine et de transit
pour les victimes de la traite des êtres humains. Des femmes et
des hommes kirghizes sont victimes de traite à des fins de travail
forcé et envoyés principalement en Fédération de Russie, au Kazakhstan
et en Turquie. Les femmes kirghizes sont aussi victimes de traite
à des fins d’exploitation sexuelle à destination des Emirats arabes
unis, de la Fédération de Russie, du Kazakhstan et de la Turquie.
Des victimes de traite venues d’Ouzbékistan, du Tadjikistan et du
Turkménistan transitent par le Kirghizstan.
25. Le Gouvernement kirghize reconnaît ce problème et s’est engagé
à le combattre. La loi sur la prévention et la lutte contre la traite
des êtres humains de 2005, amendée en 2011, a érigé en infraction
la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle et
de travail forcé et prévoit une peine allant de 5 à 20 ans d’emprisonnement.
Le Gouvernement kirghize a adopté un plan national de lutte contre
la traite des êtres humains en janvier 2013 pour 2013-2016.
26. Des efforts et des moyens supplémentaires sont nécessaires
afin de détecter et d’enquêter sur les cas de traite et de poursuivre
les trafiquants. A cette fin, il conviendrait d’organiser des formations
sur la lutte contre la traite pour les policiers et les juges.
7. Conclusions de la rapporteure
27. L’obtention du statut de partenaire pour la démocratie
n’est que le début d’un processus de dialogue et de coopération.
Je soutiens la position de la commission des questions politiques
et de la démocratie d’accorder le statut de partenaire pour la démocratie
au Parlement kirghize. Nous proposons d’accorder ce statut afin
d’encourager l’établissement d’un lien plus étroit de coopération
avec le Conseil de l’Europe, notamment dans les domaines développés
dans le présent avis.
28. En accordant ce statut, l’Assemblée encourage le Parlement
kirghize à continuer son développement démocratique et à renforcer
le système de protection des droits humains et sa mise en œuvre.
29. La commission sur l’égalité et la non-discrimination suivra
de près les développements concernant la discrimination et la violence
fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, le respect
des droits et la représentation politique des minorités et les questions
de la violence à l’égard des femmes et de la traite des êtres humains.
A terme, une adhésion à la Convention du Conseil de l’Europe sur
la lutte et la prévention de la violence à l’égard des femmes et
de la violence domestique (STE n° 210) pourrait être encouragée.
J’invite aussi dès à présent la délégation du Parlement kirghize
à suivre les travaux du Réseau parlementaire pour «Le droit de vivre
sans violence».
30. Je ne peux conclure sans ajouter quelques mots sur les défenseurs
des droits humains qui jouent un rôle clé pour la protection et
la promotion des droits humains. Des représentants d’organisations
non gouvernementales travaillant à la protection des droits des
minorités ont été harcelés, intimidés et menacés. Afin de démontrer
son engagement et son attachement aux valeurs du Conseil de l’Europe,
le Parlement kirghize devrait s’engager à protéger les défenseurs
des droits humains et à leur permettre de travailler sans être harcelé
ou craindre des représailles.