1. Introduction
1. Dans le contexte actuel de crise économique et financière
persistante, la protection contre l’exclusion sociale mérite une
attention particulière des Etats membres du Conseil de l’Europe
et de leurs parlements nationaux. Les Etats membres continuent d’adopter
des restrictions budgétaires et des programmes d’austérité afin
de parvenir à l'assainissement budgétaire. Cependant, la plupart
des parties prenantes ont dans l’intervalle reconnu que la crise
et les mesures d’austérité (qu’elles en soient l’une des causes fondamentales
ou la conséquence de certains de ses symptômes) avaient eu un impact
considérable: hausse du chômage dans de nombreux pays, suppression
ou non-renouvellement de postes dans le secteur public, baisse des
prestations sociales, difficultés d’accès au logement, à l’éducation
et aux services de santé – pour ne citer que quelques-unes des conséquences
observées.
2. Outre les droits sociaux garantis par la Charte sociale européenne
(révisée) (STE n° 163), toute démocratie véritable
repose également sur l’exercice
par ses citoyens des droits civils et politiques consacrés par la
Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5). Or, l’exclusion
sociale a aussi, en pratique, un impact considérable sur la possibilité
d’exercer ces droits.
3. L’Assemblée parlementaire a pour sa part adopté ces dernières
années plusieurs textes relatifs à l’exclusion sociale, à la cohésion
sociale ou aux droits sociaux – l’un des plus pertinents à cet égard
étant certainement la
Résolution
1884 (2012) «Mesures d’austérité – un danger pour la démocratie
et les droits sociaux».
4. S’agissant des activités entreprises par le Conseil de l’Europe
au cours des dernières années, il serait intéressant d’examiner
dans quelle mesure les stratégies et actions élaborées en faveur
d’une meilleure cohésion sociale constituent une réponse efficace
à l’exclusion sociale. Le présent rapport a cependant pour objet
l’impact de l’aggravation de l’exclusion sociale sur les institutions
et la participation démocratiques. Rappelant le principe de l’indivisibilité
des droits humains, j’aimerais pour mon travail partir du postulat
suivant: le respect des droits sociaux, et en particulier la protection
contre l’exclusion sociale, est une condition nécessaire à l’exercice
plein et entier des droits civils et politiques, et notamment de
la participation démocratique. Ce point est essentiel dans la mesure
où il ne concerne pas seulement les personnes victimes d’exclusion
ou marginalisées au plan individuel, mais constitue une menace pour
la démocratie en tant que telle. Cette dernière manque clairement
de légitimité dès lors qu’un pourcentage important des populations nationales
n’est pas en mesure de participer pleinement aux processus démocratiques
et à la vie publique.
2. L’exclusion
sociale: une entrave à l’exercice de la démocratie
2.1. Définition et causes
de l’exclusion sociale
5. L’exclusion sociale est étroitement liée à la pauvreté,
mais les personnes victimes d'exclusion sociale ne sont pas toutes
pauvres et les personnes pauvres ne sont pas toutes socialement
exclues. Ainsi, les membres de certains groupes de la société –
par exemple, les minorités, les migrants ou les personnes handicapées
– peuvent, à des degrés divers, ne pas participer pleinement à la
société (ainsi qu’à ses expressions démocratiques ou à sa gouvernance)
pour des raisons non-matérielles davantage liées à la discrimination,
à la xénophobie, à l'intolérance ou au statut juridique. Dans le
même temps, certaines personnes en situation de pauvreté parviennent
à surmonter les obstacles matériels à la participation à la société
– l’éducation jouant souvent, à cet égard, un rôle essentiel. Cependant,
il est manifeste que dans la plupart des cas, plus grande est la
pauvreté, plus vaste est l’abîme qui sépare les plus démunis du
reste de la société, et plus forte est l’exclusion sociale.
6. Il existe tant de définitions de l’exclusion sociale qu’en
les mettant bout à bout, on pourrait remplir une bibliothèque entière.
Ces définitions ont cependant en commun de mettre l’accent sur le
caractère dynamique et multidimensionnel du concept d’exclusion
sociale et sur le rôle joué par l’accumulation et la permanence
des handicaps, qui créent une sorte de dissociation du reste de
la société – par opposition aux concepts plus statiques (mais parfois
plus facilement mesurables) de pauvreté et de dénuement
.
La définition la plus récente utilisée par le Conseil de l’Europe
est la suivante:
«L’exclusion sociale est un processus
par lequel certains individus sont repoussés en marge de la société.
Elle les empêche de participer pleinement à la vie sociale en raison
de leur pauvreté, d’un manque de compétences de base et de possibilités
de formation continue, ou de pratiques discriminatoires. Ce processus
les tient à l’écart des possibilités d’embauche, de revenu et d’éducation, ainsi
que des activités et des réseaux sociaux et communautaires. Ces
individus ont un accès très restreint au pouvoir et aux organismes
de décision; ils se sentent donc souvent impuissants et incapables
d’influer sur les décisions qui affectent leur vie quotidienne. »
7. Avant d’aborder les conséquences de l’exclusion sociale sur
la vie démocratique, j’estime nécessaire d’évoquer certaines des
causes ainsi que les tendances actuelles en matière d’exclusion
sociale. Premièrement, mon pays, le Royaume-Uni, débat depuis plus
de deux siècles de la question de savoir si les pauvres «méritent»
ou ne «méritent» pas leur situation. Ce débat a été engagé aux XVIIIe et
XIXe siècles avec la mise en œuvre de
la «loi sur les pauvres», repris dans la première moitié du XXe siècle
avec l’émergence du concept de «sous-prolétariat» et perdure aujourd’hui
avec l’apparition de la notion de «
welfare
junkies» («accros aux allocations sociales»). Ce qui
a peut-être changé depuis une vingtaine d'années, c’est qu’aujourd’hui,
presque plus personne ne s’estime à l’abri de la pauvreté et de
l’exclusion sociale: tout le monde peut perdre son emploi (ou d’abord,
ne pas en trouver), tomber malade, avoir un accident, ne pas pouvoir
épargner suffisamment pour s’assurer une retraite confortable, et
plus personne ne compte sur le filet de la sécurité sociale pour
faire la différence et échapper à la pauvreté et à l’exclusion
.
Cette évolution est intéressante, en ce que l’exclusion sociale
devient en fait un problème plus «démocratique».
8. Deuxièmement, la question de l’exclusion sociale volontaire
par
opposition à l’exclusion sociale involontaire peut se poser. En
général, seule l’exclusion sociale involontaire (qu’elle soit causée
par la pauvreté ou la discrimination) est considérée comme un problème.
Or, du point de vue de la démocratie, l’exclusion sociale volontaire
peut aussi être problématique. Ainsi, certains groupes peuvent choisir
volontairement de se tenir à l’écart du reste de la société, fragilisant
la solidarité sociale à un point tel que les politiques démocratiques
s’en trouvent menacées
. A cet égard, il convient de
garder à l’esprit qu’inclusion et exclusion peuvent constituer les
deux faces d’une même médaille. Les réseaux sociaux (y compris ethniques
ou religieux) peuvent s’avérer être un facteur de facilitation mais
aussi de restriction, notamment en termes d’emploi
.
2.2. Les conséquences
de l’exclusion sociale sur la vie démocratique
9. L’exclusion sociale n’est pas simplement un «phénomène
social»: il existe une forte corrélation entre d’une part, l’exclusion
sociale et, d’autre part, le faible niveau de participation démocratique
et la remise en cause de la légitimité des institutions démocratiques.
L’exclusion sociale peut avoir des effets non seulement sur l’accès
aux droits socio-économiques (du droit au travail à l'accès aux
prestations sociales), mais aussi sur les droits civils (comme l'accès
à la justice ou la liberté d'expression) et les droits politiques
(participation à l’exercice du pouvoir politique).
10. Selon moi, en ce qui concerne la vie démocratique, le principal
problème créé par l'exclusion sociale est qu’elle empêche les personnes
de participer de manière autodéterminée à la politique en tant que
parties prenantes du processus démocratique. Voter périodiquement
lors des élections, ou même prendre un engagement politique officiel
en s'affiliant, par exemple, à un parti politique, ne sont pas les
seules formes de participation à la vie politique. Se syndiquer,
être membre d’une organisation non gouvernementale (ONG) ou d’autres
expressions de la société civile, s’entraider entre voisins ou prendre
part à des initiatives locales peuvent aussi être des indicateurs
effectifs de participation à la vie démocratique
.
11. La Commission électorale du Royaume-Uni a publié en novembre
2005 un rapport des plus intéressants sur l’exclusion sociale et
l’engagement politique, dont les conclusions demeurent en grande
partie d’actualité. Il ressort de ce rapport, fondé sur des études
et des documents de réflexion de sources diverses, que le désengagement
politique et l’exclusion sociale se renforcent et s’entretiennent
mutuellement: l’instabilité sociale et l’insécurité créent un manque
de confiance dans la politique et le désengagement politique qui
en découle tend à distendre toujours davantage les liens sociaux
et sociétaux.
12. Plusieurs sous-problèmes ont été identifiés, dont les «ghettos»
d’exclusion sociale. Cet aspect est illustré par un autre chercheur,
Anne Power: «Etre pauvre dans un quartier où résident de nombreux
pauvres vivant dans des conditions précaires entraîne une perte
de confiance progressive dans “le système”. Dans le plus grand quartier
pauvre de Newcastle, par exemple, seule une personne sur dix vote.
»
13. Deuxièmement, le désintérêt croissant des jeunes constitue
un autre problème. Il a été constaté [lors des élections générales
de 2001] que les jeunes étaient les moins enclins à se rendre aux
urnes et étaient les plus nombreux à se déclarer impuissants face
au processus électoral
. La situation a probablement empiré depuis,
comme l’a d’ailleurs souligné l’Assemblée dans sa
Résolution 1885 (2012) «La jeune génération sacrifiée: répercussions sociales,
économiques et politiques de la crise financière».
14. Troisièmement, un manque d’engagement politique a pu être
observé au sein des communautés minoritaires, notamment d’origine
immigrée. Il ressort par exemple du premier «Bilan de l’engagement politique»
réalisé par la Commission électorale britannique que seulement un
quart (23 %) des membres de la communauté noire et de minorités
ethniques ont déclaré avoir discuté de politique ou d’actualités
politiques au cours des deux ou trois dernières années, contre presque
deux personnes sur cinq (39 %) parmi les Blancs
.
15. Quatrièmement, le sexe joue un rôle dans la participation
politique. En général, l'intérêt pour la politique est souvent plus
marqué chez les hommes que chez les femmes, ces dernières s'avérant
globalement beaucoup moins politiquement actives que les hommes,
bien qu’elles tendent à participer davantage à des actions militantes,
comme signer des pétitions et boycotter ou acheter tel ou tel produit
pour des raisons éthiques
.
16. Enfin, selon certains spécialistes d’autres domaines, l’exclusion
politique sous-entend également que l’Etat, qui concède les droits
fondamentaux et les libertés civiles, n’est pas toujours un organe
neutre et peut ainsi opérer une certaine discrimination entre différents
groupes sociaux. En tant que telle, l’exclusion politique peut inclure
le déni de droits de citoyenneté comme la participation politique
et le droit syndical, mais aussi le droit à la sécurité personnelle,
à la primauté du droit, à la liberté d’expression et à l’égalité
des chances
.
Cela illustre les liens susceptibles d’exister entre différentes
formes d’exclusion et en quoi l’appartenance à une certaine couche
sociale peut déterminer l’influence politique, d’où l’immense responsabilité
qui incombe à l’Etat. Ces phénomènes sont assurément observables
à des degrés divers dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe.
17. D’autres pays ont plus récemment fait état de problèmes similaires
à ceux identifiés au Royaume-Uni. Des experts allemands chargés
d’étudier le lien entre l’exclusion sociale et la démocratie ont
confirmé la participation moindre aux processus politiques des personnes
dont les niveaux d’éducation et de revenu sont les plus faibles
et l’accroissement du fossé ces dernières décennies entre les pauvres
et les riches
.
Le problème s’autoalimente manifestement dans la mesure où moins
les personnes socialement défavorisées expriment leurs besoins ou
se rendent aux urnes, moins nombreux seront les représentants politiques
(par exemple, au sein de nos parlements) à défendre leurs intérêts.
Sur le long terme, cette tendance est susceptible de remettre en
cause la légitimité des élus. Ceux qui ne participent pas aux processus
politiques éprouveront un sentiment de frustration de plus en plus
marqué à l’égard des décisions prises «en haut» et auront de moins
en moins confiance dans leurs représentants élus et dans les institutions
politiques
.
18. S’agissant de la manière dont l’exclusion sociale affecte
la participation démocratique, nous pouvons tirer les conclusions
intermédiaires suivantes:
- les
ghettos d’exclusion sociale peuvent accentuer le problème de baisse
de la participation civique;
- compte tenu des perspectives limitées d’insertion économique
via l’accès au marché du travail, les jeunes en particulier ont
tendance à se désengager des processus politiques;
- les minorités ethniques ou religieuses témoignent souvent
d’un manque d’engagement politique ou ont le sentiment d’être sous-représentées;
- la pauvreté et l’exclusion affectent différemment la participation
démocratique des femmes et des hommes;
- les personnes exposées à la pauvreté et à l’exclusion
sociale perdent foi à long terme dans les institutions politiques
et ont tendance à s’en éloigner davantage ou à se tourner vers des
mouvements extrémistes;
- dans un tel contexte, l’Etat a un rôle important à jouer
pour garantir la cohésion sociale et l’accès pour tous à l’ensemble
des droits civils et politiques.
3. Moyens d’action
pour lutter contre l’exclusion sociale et encourager la participation
politique
3.1. Normes juridiques
et initiatives européennes
19. Le Conseil de l’Europe a élaboré des normes juridiques
pertinentes visant à lutter contre l’exclusion sociale, au premier
rang desquelles figure la Charte sociale européenne (révisée). A
cet instrument juridique contraignant
, l’Organisation a ajouté un large
éventail d’instruments non contraignants. Il va sans dire que leur
efficacité dépend de leur mise en œuvre au niveau national, et du
suivi des engagements contractés au niveau européen. Tout récemment,
il est apparu clairement que la non-conformité régulière entre les
normes existantes au niveau du Conseil de l’Europe, en particulier
la Charte sociale européenne, et les arrêts rendus par la Cour européenne
de justice sur l’application des directives pertinentes de l’Union
européenne, constitue un obstacle supplémentaire à la mise en œuvre
effective des droits sociaux
.
20. Je juge utile de rappeler ici la disposition la plus importante
de la Charte sociale européenne (révisée)
:
«Article
30 – Droit à la protection contre la pauvreté et l'exclusion sociale
En vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection
contre la pauvreté et l'exclusion sociale, les Parties s'engagent:
a. à prendre des mesures dans le cadre d'une approche
globale et coordonnée pour promouvoir l'accès effectif notamment
à l'emploi, au logement, à la formation, à l'enseignement, à la
culture, à l'assistance sociale et médicale des personnes se trouvant
ou risquant de se trouver en situation d'exclusion sociale ou de
pauvreté, et de leur famille;
b. à réexaminer ces mesures en vue de leur adaptation
si nécessaire.»
21. Plusieurs organes du Conseil de l’Europe sont chargés de promouvoir
et d’assurer la mise en œuvre et le suivi de l’application des droits
sociaux, dont principalement le Comité européen des droits sociaux
(CEDS).
22. L’Union européenne consacre également une énergie considérable
à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. 2010 était
l’«Année européenne de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale»
et un rapport analysant ses résultats a récemment été adopté par
la Commission européenne
.
L’Union européenne a adopté une stratégie («Europe 2020») visant,
parmi ses objectifs principaux, à réduire la pauvreté («20 millions
de personnes en moins touchées ou menacées par la pauvreté»).
23. Cependant, en ce qui concerne le présent rapport, c'est la
Recommandation de la Commission européenne du 3 octobre 2008 relative
à l’inclusion active des personnes exclues du marché du travail
qui propose les solutions les plus
réalistes et les plus concrètes pour lutter contre l’exclusion sociale
et encourager la participation politique: mettre en œuvre des politiques
intégrées d’inclusion active; accroître et améliorer l’investissement
dans le capital humain au moyen de politiques d’éducation et de
formation favorisant l’insertion, y compris des stratégies efficaces
d’éducation et de formation tout au long de la vie; adapter les systèmes
d’éducation et de formation aux nouvelles exigences en matière de
compétences et à la demande de compétences numériques; prendre les
mesures nécessaires pour faire en sorte que tous, y compris les moins
privilégiés, soient informés de leurs droits et de l’aide disponible,
au moyen des technologies de l’information le cas échéant.
3.2. Lutter contre l’exclusion
sociale sous différents angles
24. Certaines approches sont censées aborder le problème
de «l’exclusion sociale» par l’entremise de politiques plus larges
de «cohésion sociale». Alors que «l’exclusion sociale» est généralement
définie comme «un processus par lequel certains individus sont repoussés
en marge de la société (…)» (voir la section 2.1 ci-dessus relative
aux définitions), la «cohésion sociale» est un concept plus vaste
renvoyant au sentiment individuel et collectif d’appartenance à
une société donnée. Il prend par conséquent le problème par l’autre bout.
25. Au niveau du Conseil de l’Europe, en particulier grâce à sa
nouvelle Stratégie et à son Plan d’action pour la cohésion sociale
, cette dernière est définie comme
«la capacité d’une société à assurer le bien-être de tous ses membres,
en réduisant les disparités au minimum et en évitant la marginalisation,
à gérer les différences et les divisions, et à se donner les moyens
d’assurer la protection sociale de l’ensemble de ses membres». Bien
que cette définition paraisse à première vue relativement complète,
la commission des questions sociales, de la santé et du développement
durable a d’ores et déjà mis en évidence à plusieurs reprises quelques
notions manquantes, telles que celles de solidarité, de tolérance
et de responsabilité
.
26. Certains de ces concepts figurent cependant dans les définitions
pertinentes de l’Organisation de coopération et de développement
économiques (OCDE), également promues par les entités des Nations Unies,
et avec lesquelles je suis tout à fait d’accord. Ainsi selon ces
définitions, «une société cohésive est une société où les personnes
sont protégées contre les risques de la vie, font confiance à leurs
voisins et aux institutions de l’Etat et peuvent travailler vers
un avenir meilleur pour eux-mêmes et pour leurs familles» et «favoriser
la cohésion sociale, c’est chercher une plus grande inclusion, une
plus grande participation des citoyens et la création des opportunités
de mobilité ascendante. C’est la colle qui tient la société ensemble»
.
27. Par conséquent, la promotion d’une meilleure cohésion sociale
constitue l’une des «briques» des politiques visant à prévenir l’exclusion
sociale de certains groupes marginalisés. Par ailleurs, la définition
de l’OCDE introduit un élément dynamique dans le débat relatif à
la cohésion sociale qui est présentée comme étant construite autour
de trois valeurs clés: l’inclusion sociale, le capital social et
la mobilité sociale. Dans cette analyse, l’inclusion sociale se
réfère à la mesure dans laquelle tous les citoyens peuvent participer
sur un pied d’égalité à la vie économique, sociale et politique
(y compris le fait que les personnes sont protégées en cas de besoin);
le capital social renvoie à la confiance entre les personnes et
dans les institutions et le sentiment d’appartenance à une société;
la mobilité sociale se réfère à l’égalité des chances d’avancer.
Les experts de l’OCDE sont convaincus que les politiques peuvent
faire une différence en investissant de nouvelles ressources dans
le développement social tout en repensant les politiques sociales
et économiques afin de s’assurer que tous les citoyens ont une voix,
de favoriser la participation civique et de renforcer les institutions démocratiques
.
28. Le plan d’action préparé et mis en œuvre par les précédents
gouvernements britanniques propose également une approche intéressante
de la lutte contre l’exclusion sociale à différents niveaux. Le
plan d’action de 2006 sur l’exclusion sociale reposait sur une «approche
fondée sur le cycle de vie» très intéressante, qui prévoit la mise
en œuvre de mesures adaptées aux différentes étapes du cours de
la vie (enfance, jeunesse et adultes en âge de travailler) et propose
trois axes pour combattre l’exclusion sociale: les ressources, la participation
(notamment politique) et la qualité de vie.
La Bristol Social Exclusion Matrix
(B-SEM)
Ressources
|
Ressources matérielles/économiques
|
Accès aux services publics
et privés
|
Ressources sociales
|
Participation
|
Participation économique
|
Participation sociale
|
Culture, éducation et
compétences
|
Participation politique
et civique
|
Qualité
de vie
|
Santé et bien-être
|
Environnement de vie
|
Criminalité, préjudices
et criminalisation
|
29. Je suis d’avis que pour construire des sociétés réellement
cohésives dans lesquelles tous les citoyens peuvent exercer l’ensemble
de leurs droits sociaux et économiques mais aussi civils et politiques,
il convient de mettre en œuvre des politiques de cohésion sociale
plus vastes et des mesures plus spécifiques de lutte contre l’exclusion
sociale (de certains groupes à risque) qui se complètent mutuellement.
3.3. Les stratégies
nationales et européennes de lutte contre l’exclusion sociale et
leur contribution à une large participation démocratique
30. Les stratégies visant à combattre l’exclusion sociale
sont élaborées et mises en œuvre dans divers contextes. Au niveau
de l’Union européenne, certains outils de financement tels que le
Fonds social européen (FSE) et d’autres instruments complémentaires
contribuent à la lutte contre la pauvreté et au renforcement de la
cohésion sociale. Entre 2014 et 2020, près de 80 milliards d’euros
seront injectés dans le FSE, dans le but notamment d’atteindre l’objectif
de 75 % de la population âgée de 20 à 64 ans en activité et de réduire
de 20 millions au moins le nombre de personnes menacées par la pauvreté
et l’exclusion sociale. Dans ce contexte, une attention particulière
est portée aux groupes vulnérables dont les migrants et les Roms,
ainsi qu’à certains défis à long terme comme améliorer les qualifications
de la main-d’œuvre dans une économie de plus en plus complexe, répondre
aux défis du vieillissement de la population et aux exigences du
marché de l’emploi, garantir à toutes les femmes qui le souhaitent
la possibilité de réintégrer le marché du travail après une interruption
de carrière et soutenir les personnes handicapées
.
31. Dans le secteur intergouvernemental du Conseil de l’Europe,
un guide méthodologique intitulé «Elaboration concertée des indicateurs
de la cohésion sociale» a été développé en 2005. Il aborde une série complète
de questions et propose un nombre important d’indicateurs permettant
de comprendre et d’évaluer la cohésion sociale dans son ensemble,
par domaine de vie et par groupe vulnérable spécifique (personnes appartenant
à des minorités, migrants, enfants, personnes âgées, personnes handicapées,
femmes).
32. Les stratégies nationales définissent souvent un large éventail
de mesures de lutte contre l’exclusion sociale, prenant en compte
divers groupes vulnérables ou qui ont besoin d’une protection spéciale,
mais n’abordent pas toujours la question de la participation civique.
A cet égard, je citerais comme exemple le dernier rapport social
national élaboré par le ministère du Travail et des Pensions de
mon gouvernement en mai 2012. Ce document évoque, entre autres priorités
du Royaume-Uni pour lutter contre la pauvreté et favoriser la cohésion
sociale, le soutien aux familles, aux jeunes issus de milieux défavorisés
et aux adultes les plus défavorisés mais ne fait aucunement mention
de la participation civique. Il s’agit d’une lacune importante que
les futures politiques auront à combler.
4. Action recommandée:
principes directeurs et mesures concrètes
33. J’aimerais à présent définir certains principes directeurs
et proposer des mesures applicables par les Etats membres en vue
de combattre l’exclusion sociale en général et celle de groupes
vulnérables spécifiques en particulier, ainsi que de favoriser la
participation démocratique des personnes exclues ou menacées d’exclusion.
34. En formulant des propositions d’actions concrètes, je souhaiterais
m’appuyer sur certains des concepts et postulats examinés précédemment.
Les ressources, la participation (notamment politique) et la qualité
de vie sont trois dimensions importantes de la cohésion sociale.
Afin d’agir en faveur de l’égalité des chances dans toutes ces dimensions,
les politiques publiques devraient combiner des approches plus larges encourageant
la cohésion sociale et la mise en œuvre d’actions plus spécifiques
de lutte contre l’exclusion sociale, différentes selon les étapes
du cours de la vie (enfance, adolescence, adultes en âge de travailler, seniors)
et prenant en compte des critères de genre. Il convient d’appliquer
des mesures ciblées aux groupes particulièrement vulnérables comme
les minorités, les migrants et les personnes handicapées. Enfin,
pour revenir à l’objet principal du présent rapport, l’accès aux
processus démocratiques devrait être assuré à toutes les personnes
en situation d’exclusion sociale ou menacées de l’être afin de garantir
qu’elles puissent exprimer leurs besoins et trouver des réponses
politiques appropriées.
35. Selon l’article 30 de la Charte sociale européenne (révisée)
(«Droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale»),
l'accès effectif à l'emploi, au logement, à la formation, à l'enseignement,
à la culture, à l'assistance sociale et médicale doit être garanti
à tous. Les solutions apportées par les politiques publiques aux
problèmes d’exclusion sociale et économique devraient par conséquent
couvrir pleinement ces diverses catégories aussi bien de manière
individuelle que par le truchement, le cas échéant, d’une action
transversale. Le présent rapport n’a pas pour objet de proposer
des programmes d’action exhaustifs ou des solutions en matière de
lutte contre l’exclusion sociale mais plutôt de mettre en lumière
quelques principes généraux susceptibles d’être appliqués afin de
renforcer l’efficacité des politiques.
4.1. Mesures suivant
l’approche fondée sur le cycle de vie
36. Selon l’approche fondée sur le cycle de vie que j’aimerais
soutenir fermement, les mesures politiques ainsi que l’assistance
publique et les services publics devraient être conçus spécifiquement
pour chaque «étape de la vie» ou groupe d’âge. Il pourrait notamment
s’agir des mesures suivantes:
- Enfants: favoriser l’inclusion grâce
à l’éducation de la petite enfance, par exemple des cours d’apprentissage
de la langue destinés aux enfants de migrants;
- Jeunes: mettre en
place une formation active et des politiques de l’emploi susceptibles
d’aider les jeunes à se préparer au marché du travail et à réussir
leur intégration;
- Adultes en âge de travailler: mettre
en œuvre des mesures pour la formation des chômeurs de longue durée,
faciliter la réintégration des femmes sur le marché de l’emploi
ou augmenter le revenu familial (pour plus de détails, voir ci-dessous);
- Seniors: réformer
les régimes de retraite afin de garantir l’adéquation et la pérennité
des pensions de vieillesse.
37. Ce type d’approches fondées sur le cycle de vie permet d’établir
une distinction entre les mesures destinées aux différents groupes
d’âge et celles mises en œuvre à l’attention des groupes vulnérables,
en évitant les stéréotypes et l’amalgame systématique entre les
enfants ou les personnes âgées en général et d’autres catégories
sociales. Les interactions sont fréquentes, par exemple chez les
enfants de migrants, les mères célibataires ou les personnes âgées
pauvres mais tous les enfants, toutes les femmes ou toutes les personnes
âgées ne sont pas obligatoirement vulnérables. Les problèmes auxquels
les femmes sont confrontées devraient également être abordés d’une
manière qui intègre une dimension transversale de la perspective
de genre, en différenciant les mesures requises pour les femmes
et les hommes, ou en les replaçant dans leur contexte socio-économique
respectif.
38. Les politiques publiques visant à lutter contre l’exclusion
sociale et ses conséquences se heurtent entre autres difficultés
au fait qu’une part importante des ressources est consacrée à la
gestion ou à l’atténuation des symptômes de l’exclusion. Les politiques
devraient au contraire privilégier bien davantage les mesures préventives
visant à briser le «cercle vicieux des inégalités», accompagnées
d’actions adaptées à chaque catégorie spécifique de la population.
A cet égard, les interventions précoces présentent une importance
toute particulière, comme l’a déjà souligné l’Assemblée dans sa
Résolution 1995 (2014) «Eradiquer la pauvreté des enfants en Europe».
39. D’autres mesures spécifiques visant à combattre la pauvreté
et l’exclusion sociale de différents groupes d’âge ont été mises
en avant par l’Assemblée dans ses
Résolutions 1800 (2011) «Combattre la pauvreté»,
1828 (2011) «La forte baisse du taux d’emploi des jeunes: inverser
la tendance»,
1882 (2012) «Des pensions de retraite décentes pour tous», ou
1885 (2012) «La jeune génération sacrifiée: répercussions sociales, économiques
et politiques de la crise financière». Je ne peux qu’encourager
tous les gouvernements à consulter une nouvelle fois ces textes
afin de compléter leurs politiques de lutte contre l’exclusion sociale
(des jeunes et des personnes âgées tout particulièrement).
4.2. Mesures liées au
revenu
40. Certains spécialistes présentent les régimes de revenu
minimum garanti comme la «panacée» pour combattre l’exclusion sociale.
Très souvent toutefois, différentes notions sont abordées de manière
confuse dans le discours politique et «passent» de ce fait plus
ou moins bien auprès du grand public. Vous trouverez en annexe une
définition des différentes catégories de revenu minimum et de systèmes
de sécurité.
41. Les revenus minimum visant à prévenir la pauvreté peuvent
être assurés de diverses manières. Bien que des lois sur le salaire
minimum soient en vigueur dans de nombreux pays, les avis sont partagés
quant à leurs avantages et inconvénients (pour les taux d’emploi,
les niveaux de vie ou les attitudes envers le travail). Quelle que
soit l’approche adoptée, je suis convaincu que chaque Etat devrait
trouver un moyen de garantir un niveau minimum de revenu familial
en instaurant un salaire minimal légal global, ou en facilitant
la conclusion d’accords sectoriels grâce au dialogue social (considéré
comme un élément clé du modèle social européen)
.
Les régimes de revenu minimum garanti ou les concepts de
living wage (salaire minimum vital) peuvent
constituer des approches complémentaires, comme en témoignent les
premières expériences. Les systèmes garantissant un revenu de base
ou un revenu de citoyenneté sont jugés par beaucoup trop utopiques.
Dans le débat public, ces concepts sont moins populaires que dans
les années 1980 ou 1990; les électeurs suisses ont explicitement
rejeté cette idée à l’occasion d’un référendum organisé en 2013
.
42. Cependant, le niveau de revenu n’est pas le seul déterminant
de l’inclusion sociale; la redistribution du travail au sein de
la population active grâce à la formation et à l’éducation est un
autre élément essentiel des politiques du marché du travail inclusif.
Dans un contexte de processus de travail de plus en plus complexes et
orientés vers les technologies, il est essentiel d’améliorer les
compétences de la main d’œuvre. Il s’avère également indispensable
d’élaborer des stratégies de croissance qui ne se contentent pas
de réduire les taux de chômage mais aussi de créer des emplois de
qualité favorisant la participation aux systèmes de sécurité sociale.
Les personnes contraintes de travailler à temps partiel pendant
de longues années et d’enchaîner des contrats précaires souvent
entrecoupés de périodes de chômage auront du mal à trouver une certaine
stabilité économique à long terme. L’inclusion doit par conséquent
être comprise comme un concept garantissant les droits sociaux et
la sécurité sociale aux personnes actuellement en âge de travailler
mais doit également mettre en œuvre des approches transgénérationnelles
et à long terme, c’est-à-dire poursuivre des stratégies de développement
durable.
4.3. Mesures en faveur
de groupes nécessitant un soutien spécial
43. Dans la pratique et dans le but de prévenir l’exclusion
sociale et d’intervenir à un stade précoce, des approches générales
fondées sur le cycle de vie doivent être étroitement liées à certains
groupes vulnérables, comme le montrent quelques-uns des exemples
précédents (par exemple les enfants de migrants). En cette période
de crise économique et financière, divers groupes ont régulièrement
été identifiés comme nécessitant un soutien spécial.
44. Dans son récent document thématique intitulé «Protéger les
droits de l'homme en temps de crise économique», le Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe estime que les travailleurs migrants,
les minorités ethniques (par exemple les Roms), les femmes actives,
les enfants et les jeunes, ainsi que les personnes handicapées notamment
sont touchés de manière disproportionnée par la crise
.
45. Bien évidemment, ces groupes peuvent varier au fil du temps
et en fonction des contextes nationaux spécifiques. Il est par conséquent
nécessaire d’élaborer à l’échelon national des plans d’action visant
à combattre l’exclusion sociale et la marginalisation et à améliorer
la situation des plus vulnérables et de les mettre très régulièrement
à jour, en se fondant sur un suivi étroit de l’évolution de la situation
dans le pays. Ces plans devraient également couvrir les domaines
clés jugés déterminants pour le statut social et l’inclusion de toute
personne, en l’occurrence l’éducation et la formation, la création
d’emplois de qualité et l’égalité d’accès aux droits sociaux et
aux systèmes de sécurité sociale.
46. Concernant les minorités en particulier, les phénomènes de
«ghettoïsation» sont à prévenir dans toute la mesure du possible,
même si les réseaux sociaux de quelque nature que ce soit (y compris
les réseaux ethniques ou religieux) peuvent avoir des conséquences
positives ou négatives, comme évoqué précédemment. Le regroupement
géographique de certaines communautés dans des zones urbaines spécifiques
peut permettre de les atteindre plus facilement et de manière proactive
par le biais d’actions inclusives (tels le travail social, l’éducation,
l’emploi ou d’autres mesures). Les organisations de la société civile ont
certainement à endosser une responsabilité particulière dans ce
domaine, comme l’a déjà souligné l’Assemblée dans sa
Résolution 1778 (2010) «Promouvoir le volontariat et le bénévolat en Europe».
4.4. Mesures destinées
à garantir et promouvoir la participation démocratique des personnes menacées
d’exclusion
47. La promotion de la participation démocratique des
personnes marginalisées ou menacées d’exclusion (pour diverses raisons)
est un défi complexe qui appelle des réponses multidimensionnelles
– des actions doivent être entreprises simultanément à divers niveaux
et par différents acteurs, d’une manière aussi cohérente que possible.
L’élaboration de plans d’action nationaux traitant spécifiquement
de cette question pourrait constituer un point de départ. Parmi
les exemples de formats envisageables pour de telles actions, citons
le programme en faveur des personnes handicapées, élaboré en 2007
par la Commission pour les droits des personnes handicapées du Royaume-Uni,
qui détaille les mesures à prendre par les diverses parties prenantes
(gouvernement, services sociaux et de santé, collectivités locales,
ONG, etc.) pour renforcer la participation démocratique et la citoyenneté
active des personnes handicapées
.
48. Bien qu’ayant mis en lumière dans ce texte certaines des difficultés
liées à la participation démocratique des personnes socialement
exclues, je ne suis pas en mesure, compte tenu de la grande complexité
du sujet, de détailler la voie exacte à suivre pour concevoir des
structures et des processus démocratiques inclusifs. Ces processus
doivent être discutés de manière plus approfondie et développés
dans chaque contexte national. Parallèlement aux mesures visant
à combattre la pauvreté et l’exclusion sociale sur un plan général, et
à améliorer ainsi la situation socio-économique des personnes (y
compris leur niveau d’éducation et leurs opportunités ultérieures
de trouver un emploi durable), certains experts recommandent d’autres
mesures structurelles et des interventions précoces.
49. Pour améliorer quelque peu la participation démocratique des
groupes de population défavorisés ou en quelque manière exclus,
citons notamment: 1) l’introduction d’éléments de démocratie directe,
permettant ainsi aux organisations de la société civile en contact
avec les groupes défavorisés de la population d’approcher leurs
«clients» et de défendre leurs intérêts; 2) le démarrage précoce
de l’éducation civique; 3) la promotion d’une communication «facilement
compréhensible» quant aux décisions et processus politiques; 4)
et, comme mesure la plus «extrême», l’introduction du vote obligatoire
. Pour trouver les mesures les plus
appropriées dans leur contexte national, les gouvernements devraient
consacrer du temps à l’échange de bonnes pratiques dans ce domaine
et s’inspirer des approches innovantes déjà testées ailleurs, qui
ont fait la preuve de leur efficacité.
50. Comme l’a déclaré le Commissaire aux droits de l’homme dans
son document thématique
, les
droits civils et politiques, tels que le droit de participer aux
affaires publiques et le droit à la transparence nécessitant d’avoir
accès en temps utile à des informations pertinentes, ont pâti de
la crise. Il a par ailleurs noté que la fréquente absence de consultation
du peuple, au sujet par exemple des mesures d’austérité, a provoqué
des manifestations massives, notamment en Espagne, au Portugal et
en Grèce, et que les réactions virulentes aux troubles sociaux risquent
d’entraîner une méfiance à l’égard du système démocratique en tant
que tel.
51. En effet, il apparaît capital de maintenir les normes les
plus élevées de démocratie et de bonne gouvernance même, ou tout
particulièrement, en situation de crise. Un instrument élaboré par
le Conseil de l’Europe pour le niveau local et promu par l’Assemblée
à plusieurs occasions fournit certaines orientations à cet égard:
les douze principes établis par la «Stratégie pour l’innovation
et la bonne gouvernance au niveau local», telle qu’adoptée par le
Comité des Ministres en mars 2008
.
Ces principes font également référence à des concepts importants
tels que l’ouverture et la transparence ou les droits humains, la
diversité culturelle et la cohésion sociale, et méritent à ce titre
d’être promus au niveau européen.
52. Les normes relatives à la participation des citoyens à la
vie publique locale sont également énoncées dans la Rec(2001)19
du Comité des Ministres sur la participation des citoyens à la vie
publique au niveau local, ainsi que dans certains des textes les
plus récents adoptés par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du
Conseil de l’Europe, dont la Résolution 326 (2011) «La participation
des citoyens aux niveaux local et régional en Europe», la Résolution
332 (2011) «Les outils des villes pour l’éducation à la citoyenneté démocratique»
ou, très récemment, la Résolution 366 (2014) «Donner aux jeunes
Roms les moyens d’agir par la participation: concevoir des politiques
efficaces aux niveaux local et régional». Bien entendu, l’échelon
local joue un rôle particulier lorsqu’il s’agit d’améliorer la participation
démocratique des groupes défavorisés ou marginalisés de la population,
car ce sont les décideurs locaux qui les connaissent le mieux et
les services sociaux sont susceptibles de toucher les groupes et
les zones «problématiques» de la façon la plus efficace possible.
S’agissant de l’Assemblée parlementaire, les textes les plus pertinents
dans ce domaine sont les
Résolutions
1618 (2008) «Situation de la démocratie en Europe: Mesures visant
à améliorer la participation démocratique des migrants» et
1964 (2013) «La bonne gouvernance des grandes métropoles».
5. Conclusions
53. Concernant la lutte contre l’exclusion sociale, les
dispositions de la Charte sociale européenne (révisée), l’instrument
juridique contraignant dont s’est doté le Conseil de l’Europe pour
protéger les droits économiques et sociaux, sont essentiels. Afin
de créer un espace commun de protection des droits économiques et
sociaux en Europe, il convient de promouvoir davantage la signature,
la ratification et la mise en œuvre par les Etats membres de cette
Charte, du Protocole de 1991 portant amendement à la Charte sociale
européenne (STE n° 142, «Protocole de Turin») et du Protocole additionnel
de 1995 prévoyant un système de réclamations collectives (STE n° 158).
Tous les Etats membres devraient notamment accepter les dispositions
de l’article 30 de la Charte sociale européenne (révisée) sur le
droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale, et
appliquer concrètement ses dispositions.
54. Cependant, pour lutter contre l’exclusion sociale, il ne suffit
pas de promouvoir les droits sociaux: il faut également, d'une manière
plus large, promouvoir les droits civils et politiques, sur lesquels
repose toute démocratie. Il n’existe pas de «recette» standard pour
parvenir à la cohésion sociale et lutter contre l’exclusion sociale
ou garantir la participation démocratique des personnes menacées
d’exclusion. Une fois que toutes les parties prenantes auront reconnu
le défi pour l’Europe décrit dans ce rapport, en l’occurrence la
mise en péril de la démocratie en tant que telle en l’absence de
garantie des droits sociaux, il incombera aux décideurs d’élaborer
à l’échelon national des politiques appropriées en se fondant sur
une «combinaison de politiques» qui permettra de garantir l’inclusion
des groupes marginalisés et de les atteindre.
55. A la lumière des liens entre l’exclusion sociale et la démocratie
mis en avant par le présent rapport et des quelques mesures concrètes
suggérées précédemment, je souhaiterais proposer à l’Assemblée de soumettre
un catalogue d’actions aux gouvernements des Etats membres. Ces
actions devraient être classées selon les trois grandes catégories
développées ci-dessus: mesures générales contre l’exclusion sociale; mesures
spécifiques en faveur des groupes marginalisés ou menacés d’exclusion
sociale (involontairement ou volontairement); et mesures spécifiques
visant à renforcer la participation démocratique, en particulier
des personnes exclues.
56. Beaucoup d’idées intéressantes d’actions législatives et politiques
sont tirées de textes déjà adoptés par l’Assemblée parlementaire,
dans lesquels la situation de groupes d’âge spécifiques, de groupes
ayant besoin d’une protection ou d’un soutien spécial ou d’autres
aspects de la cohésion sociale ont déjà été explorés. Un important
travail a d’ores et déjà été réalisé par le secteur intergouvernemental
du Conseil de l’Europe, dans le cadre de la préparation de la nouvelle
Stratégie et du Plan d’action pour la cohésion sociale de 2010 et
des outils méthodologiques connexes. Cependant, certains de ces
outils se sont avérés d’une (trop) grande complexité, et la mise
au point d’outils plus facilement gérables, selon un agenda politique
traitant des questions les plus urgentes, pourrait s’avérer utile.
57. Nous devrions tous reconnaître que la protection contre l’exclusion
sociale et la création dans toute la mesure du possible d’une véritable
cohésion sociale sont des fondements essentiels de la démocratie.
La pauvreté et l’exclusion sociale ne menacent pas seulement les
droits humains individuels, qu’ils soient sociaux, économiques,
civils ou politiques, mais la démocratie proprement dite. Par ailleurs,
une démocratie qui n’est pas inclusive et ne prend pas en compte
les préoccupations et les besoins de l’ensemble de la population
aura tendance à discriminer davantage certains groupes sociaux,
car ils seront systématiquement moins représentés que d’autres dans
les processus démocratiques, notamment ceux consacrés à l’allocation
de ressources.