1. Introduction
1. Lors de sa réunion du 3 mars 2014, la commission
des questions juridiques et des droits de l’homme m’a désigné rapporteur
sur le thème «La corruption judiciaire: nécessité de mettre en œuvre
les propositions de l’Assemblée». L’origine de cette initiative
est la proposition de résolution
du 12 novembre
2013, qui soulignait la nécessité de donner suite à la
Résolution 1703 (2010) de l’Assemblée sur la corruption judiciaire et de mettre
en lumière les cas les plus flagrants de corruption judiciaire,
en rappelant aux Etats membres du Conseil de l’Europe qu’ils se
sont engagés à garantir l’indépendance et l’efficacité de leur pouvoir
judiciaire et à rétablir la confiance de leurs citoyens à son égard.
2. Dans ma note introductive de mars 2014, je proposais d’examiner
les divers aspects de la corruption judiciaire et de réfléchir à
ses répercussions sur le respect de l’Etat de droit et de la jouissance,
par chaque citoyen, de ses droits de l’homme. Mon intention était
d’examiner les diverses formes de corruption judiciaire, son éventuelle
présence aux différents stades de la procédure judiciaire, ainsi
que les acteurs concernés. Mon analyse s’étendait également à l’étude
des liens entre la corruption judiciaire et les autres formes de
corruption, par exemple au sein des organes du pouvoir législatif
ou de l’exécutif. Le 7 avril 2014, la commission a procédé à l’examen
de ma note introductive et a décidé de tenir une audition à l’occasion
de sa réunion de mai 2014 à Helsinki.
3. Les conclusions du présent document et les recommandations
proposées reposent sur une étude comparative consacrée à «La corruption
judiciaire en Europe: étendue et impact» par la European Human Rights
Association (EHRA)
. Cette étude (c’est-à-dire le rapport
d’étude
et l’addendum
qui réunit des données sur la situation
dans les Etats membres) a été présentée à la commission à l’occasion
de l’audition qui s’est tenue à Helsinki, en présence de deux experts:
Mme Monica Macovei (membre du Parlement européen,
ancienne ministre roumaine de la Justice); et Sir Nicolas Bratza
(ancien président de la Cour européenne des droits de l’homme).
Les deux experts ont fait part des observations que leur a inspirées
leur expérience approfondie en matière judiciaire et ont procédé
à un échange de vues avec les membres de la commission sur les meilleurs
moyens de mettre un terme à la corruption judiciaire à l’échelon
national. A ce propos, Sir Nicolas Bratza a également présenté les
principales conclusions de l’étude comparée pour le compte de l’EHRA
.
En guise de conclusion de la discussion qui a suivi, j’ai pris l’engagement
de recenser les pays les plus touchés par la corruption judiciaire,
en me fondant sur les éléments présentés par l’étude comparative
et les conclusions mises à disposition par les instances internationales
institutionnelles et non gouvernementales pertinentes.
2. Définition
de la notion de corruption (judiciaire)
4. Malgré l’existence aujourd’hui d’une multitude d’instruments
internationaux relatifs à la prévention et la répression de la corruption,
il n’existe aucune définition précise et généralement admise de
ce phénomène. Cela conduit à penser que la délimitation de la corruption
passe par l’adoption d’une approche souple, surtout au vu de l’évolution
constante de ses formes et manifestations. Le terme «corruption»
englobe un large éventail d’actes et d’omissions et ne se limite
pas aux pots-de-vin. La définition généralement admise de cette notion
est celle de «l’abus d’un pouvoir à des fins de gain personnel»
, ce qui permet
d’y intégrer les nombreuses pratiques liées à la corruption.
5. La pénalisation de la corruption constitue l’un des principaux
leviers de la lutte contre de telles pratiques et le Conseil de
l’Europe a élaboré à cet effet un instrument spécifique (la
Convention
pénale sur la corruption, STE no 173), qui énonce
les normes applicables aux éléments que les Etats membres doivent
prendre en compte lorsqu’ils élaborent leur cadre juridique pertinent.
Néanmoins, l’existence de dispositions adéquates qui assurent le
cadre juridique de la lutte contre la corruption n’est qu’une condition
préalable dépourvue d’efficacité si ces dispositions ne sont pas
mises en œuvre de manière satisfaisante. Divers organismes internationaux
ont révélé les lacunes de cette mise en œuvre et, de manière générale,
le nombre limité des condamnations signalées (par exemple l’Organisation
de coopération et de développement économiques (OCDE) dans ses rapports
consacrés à la mise en œuvre de sa propre Convention contre la corruption).
Je développerai cet aspect particulier par la suite.
6. Dans le cadre précis du système judiciaire, la corruption
est un comportement qui mine l’efficacité et la confiance nécessaires
à l’action publique. Elle a été définie comme les «actes ou omissions
qui constituent un usage de l’autorité publique au bénéfice privé
du personnel judiciaire et entraînent un prononcé injuste et incorrect
des décisions judiciaires. Ces actes et omissions englobent les
pots-de-vin, l’extorsion, l’intimidation, le trafic d’influence
et l’abus des procédures judiciaires à des fins de gain personnel»
.
7. L’existence d’un système judiciaire transparent et tenu de
répondre de ses actes est un pilier essentiel de l’Etat de droit
dans un Etat démocratique et le pouvoir judiciaire doit faire preuve
de probité pour agir de manière impartiale, offrant ainsi la garantie
de son indépendance.
3. Instruments internationaux
relatifs à la corruption
8. Les principaux instruments du Conseil de l’Europe
en matière de corruption sont les suivants:
9. Le Conseil de l’Europe a adopté de nombreux autres textes
de référence qui traitent de la prévention de la corruption des
juges et forment un solide cadre de lignes directrices à suivre
par les Etats membres:
10. Enfin, d’autres instruments et rapports internationaux portent
sur le domaine qui nous intéresse et ont été pris en compte lors
de l’élaboration du présent document:
- la Convention
des Nations Unies contre la corruption (UNCAC, 2003, 2349 U.N.T.S. 41) (et notamment son article
11);
- le Code
international de conduite des agents de la fonction publique, combiné aux articles 8(1)-(3) et 2 de la Convention
des Nations Unies contre la corruption;
- le Guide
législatif pour l’application de la Convention des Nations Unies
contre la corruption (New York, 2006) (voir notamment les paragraphes 98-108);
- le Guide
technique de la Convention des Nations Unies contre la corruption (New York, 2009) (voir notamment les pages 18-27 et
46-53);
- les Principes
de Bangalore relatifs à la conduite des magistrats (2002), ainsi que la Résolution
2006/23 sur le «Renforcement des principes fondamentaux relatifs
à la conduite des magistrats» du Conseil économique et social des
Nations Unies (ECOSOC), E/RES/2006/23 (27 juillet 2006), qui appelle
les Etats à tenir compte de ces principes lorsqu’ils adoptent ou
révisent les dispositions relatives à la conduite professionnelle
et déontologie des membres de la magistrature;
- Draft implementation guidelines for the Bangalore Principles
of Judicial Conduct, contained in the report of the 6th meeting of the Judicial Group on Strengthening
Judicial Integrity (2010) (en anglais uniquement);
- Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, Commentary
on the Bangalore Principles of Judicial Conduct (2007) (en anglais uniquement);
- Convention
de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers
dans les transactions commerciales internationales (Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption,
1997);
- Transparency International – Rapport
mondial sur la corruption 2007: la corruption dans les systèmes judiciaires.
4. Contexte: les travaux
du Conseil de l’Europe en matière de corruption judiciaire
4.1. L’Assemblée parlementaire
11. L’Assemblée parlementaire a adopté une série de recommandations
et de résolutions relatives à la lutte contre la corruption, y compris
au sein de la justice. L’exemple le plus notable, que nous avons
déjà évoqué, en est l’adoption, le 27 janvier 2010, de la
Résolution 1703 et de la
Recommandation
1896 (2010) sur la corruption judiciaire, fondées sur un rapport
que j’avais établi pour la commission des questions juridiques et des
droits de l’homme
, dans lequel je soulignais la nécessité
de garantir le niveau le plus élevé de professionnalisme et d’intégrité,
ainsi que de rétablir la confiance des citoyens à l’égard du système
judiciaire. L’Assemblée invitait les Etats membres à élaborer des
mécanismes particuliers pour veiller à ce que la responsabilité
des juges, y compris leur responsabilité pénale, puisse être engagée
sans porter atteinte à leur indépendance et à leur impartialité.
12. Le Comité des Ministres a ensuite adopté la Recommandation
CM/Rec(2010)12 sur les juges: indépendance, efficacité et responsabilités,
qui traite notamment de l’indépendance interne et externe des juges,
de leur statut et des dispositions qui fixent leurs responsabilités.
Dans sa
réponse
à la Recommandation 1896 (2010), le Comité des Ministres a par ailleurs souligné que
la corruption judiciaire portait atteinte à l’Etat de droit, qui
est une composante incontournable de toute démocratie pluraliste
et engendre l’impunité.
13. Dans ses
Résolution
1943 (2013) et
Recommandation
2019 (2013) sur la corruption: une menace à la prééminence du droit,
l’Assemblée invitait instamment les parlements nationaux à contribuer
à la mise en œuvre des recommandations formulées par le Groupe d’Etats
contre la corruption (GRECO), en particulier celles qui émanent
de son 4e Cycle d’évaluation, consacré
à la corruption au sein de la justice. L’
Indice
de perception de la corruption (IPC) 2012 de Transparency International, qui illustre, dans le
cadre d’un classement mondial, à quel degré est perçue l’existence
de la corruption dans les Etats membres du Conseil de l’Europe,
figure en annexe de l’exposé des motifs
. Dans sa
réponse
à la Recommandation 2019 (2013), le Comité des Ministres souscrit notamment à l’accent
mis par la recommandation de l’Assemblée sur la nécessité de garantir
l’indépendance de la justice et d’ériger en infractions pénales
appropriées les faits de corruption. Divers cas de corruption ont
été mis en lumière pour illustrer cette situation dans l’exposé
des motifs de la rapporteure, à propos de l’Azerbaïdjan, la Bulgarie,
la Fédération de Russie et l’Ukraine. La résolution donne des indications
précises sur les mesures que les Etats membres devraient prendre
pour éradiquer la corruption en général; elle formule également
des recommandations spécifiques à l’égard du pouvoir judiciaire, en
soulignant tout particulièrement la nécessité de garantir son indépendance
(à propos des procédures applicables en matière de carrière et en
matière disciplinaire). Elle souligne également l’importance de l’existence
d’organes réglementaires qui ne soient soumis à aucune influence
ni ingérence, ainsi que le rôle joué par les médias et la société
civile dans l’évolution d’une tolérance zéro à l’égard des pots-de-vin
et de la corruption et dans la recherche et la dénonciation de ces
pratiques.
14. Les exposés des motifs des textes précités indiquent que les
systèmes judiciaires devraient respecter des normes rigoureuses
en matière d’indépendance, d’impartialité, d’intégrité, d’obligation
de rendre des comptes et de transparence, afin de conserver leur
réactivité et d’atténuer leur vulnérabilité face à la corruption. Les
menaces qui pèsent sur l’intégrité du système judiciaire et les
recommandations correspondantes formulées concernent le statut des
juges (en matière de recrutement, promotion et révocation, mandat, rémunération
et évaluation); les garanties d’indépendance vis-à-vis d’une ingérence
politique excessive (tout en veillant à l’obligation de rendre des
comptes); la transparence dans la gestion des affaires et l’accès
du public à l’information; l’élaboration et la mise en œuvre contrôlée
de normes professionnelles et déontologiques rigoureuses pour les
juges; la formation adéquate et les dispositions relatives aux conflits d’intérêts;
l’ouverture d’enquêtes en bonne et due forme et l’engagement de
poursuites effectives et, enfin, l’existence de sanctions administratives
et pénales adéquates pour sanctionner les faits de corruption.
15. La bonne mise en œuvre de cet ensemble complet de lignes directrices
élaborées par l’Assemblée pourrait contribuer considérablement à
la lutte contre la corruption judiciaire et améliorer les mesures
à la fois préventives et répressives des Etats membres. Dans ce
contexte, il est d’autant plus déconcertant de constater que les
suites données à ces textes par les Etats membres ont été, dans
le meilleur des cas, médiocres, comme il ressort de l’analyse faite
plus loin dans la partie 5.
16. Les membres de l’Assemblée ont pris position à de nombreuses
reprises en débattant de la question de la corruption judiciaire.
La
proposition
de résolution à l’origine de mon mandat de rapporteur soulignait que
la «corruption du pouvoir judiciaire mine la confiance des citoyens
dans le système judiciaire, les prive d’un accès à la justice, porte
atteinte à leur droit à un procès équitable et favorise l’impunité».
Elle déplorait également qu’aucune ligne directrice sur les codes
de conduite et de déontologie des juges n’ait été adoptée par le
Comité des Ministres, malgré les recommandations spécifiques faites
en ce sens par la
Recommandation
1896 (2010), et que certains Etats membres n’aient pas encore signé
ni ratifié les conventions essentielles de lutte contre la corruption.
17. Dans la même veine, notre collègue Mme Reps,
qui était alors rapporteure de l’Assemblée sur «La corruption: une
menace à la prééminence du droit», a qualifié à juste titre la corruption
de «fléau» qui doit être éradiqué, en présentant dans une
déclaration les effets de la corruption, y compris dans le domaine
judiciaire, sur l’Etat de droit et le système de protection des
droits de l’homme.
4.2. Le Groupe d’Etats
contre la corruption
18. Au cours de l’élaboration de mon rapport, j’ai pu
m’inspirer fortement des conclusions des travaux de suivi actuellement
menés par le Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO) au cours
de son Quatrième Cycle d’Evaluation, qui porte sur la prévention
de la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs dans
les Etats membres. Le GRECO a publié à ce jour 23 rapports d’évaluation
, auxquels s’ajoutent trois rapports
supplémentaires
encore
confidentiels au moment de la rédaction du présent rapport, ainsi
que sept rapports de conformité
.
19. Tout au long de ces rapports, le GRECO a mis en avant les
divers problèmes qui méritent l’attention des Etats membres, principalement
sous l’aspect du cadre juridique relatif à la prévention de la corruption
dans la justice. Il a adressé à tous les pays qui ont fait l’objet
d’un suivi des recommandations visant à renforcer certains aspects
particuliers et/ou à améliorer la législation ou la pratique pertinente,
afin qu’elle reflète les normes imposées par les mécanismes internationaux
dans ce domaine. Certains communiqués de presse publiés par le GRECO
à la suite de
la publication de ses rapports présentent sans ambiguïté les problèmes qui
requièrent l’attention de l’Etat membre concerné.
4.3. Le Commissaire
aux droits de l’homme
20. Le Commissaire aux droits de l’homme actuel ainsi
que son prédécesseur ont souvent abordé la question de la corruption
judiciaire tout au long de leurs activités de suivi, et leurs déclarations
publiques en la matière ont été mentionnées par divers documents
ultérieurs des autres organes du Conseil de l’Europe. A cet égard,
le Commissaire a évoqué des pays tels que l’Albanie, l’Arménie,
la Géorgie, la République de Moldova, la Fédération de Russie, la
Turquie et l’Ukraine
en vue d’attirer
l’attention sur le problème de la corruption judiciaire et sur l’indépendance
de la magistrature ou la bonne administration de la justice. Il
a fait part de ses préoccupations face à la corruption qui existe
en Albanie, tout en publiant plusieurs déclarations sur l’indépendance
de la justice à propos de la Géorgie (en 2011 et 2014
) et de l’Ukraine
(en 2012 et 2014
).
4.4. La Commission de
Venise
21. La Commission de Venise a activement aidé les Etats
membres à rédiger la législation relative à la prévention de la
corruption et, plus généralement, à l’indépendance de la magistrature.
Elle a également rendu des avis portant spécifiquement sur certains
pays au sujet de projets de loi relatifs à l’organisation du système judiciaire
soumis à son examen
. L’Arménie, la
Bosnie-Herzégovine, la Géorgie, la République de Moldova, le Monténégro,
la Serbie et l’Ukraine font partie des pays à propos desquels la
Commission de Venise a récemment adopté des avis pertinents
.
4.5. La Commission européenne
pour l’efficacité de la justice
22. Les rapports publiés par la Commission européenne
pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) fournissent de précieuses
données pour l’évaluation de l’administration de la justice dans
les Etats membres du Conseil de l’Europe. Ces rapports comportent
également des données utiles à l’évaluation des indicateurs pertinents pour
l’appréciation des risques de corruption (qui concernent surtout
les salaires des juges, leur charge de travail, l’assignation des
affaires, etc.). Le
rapport (de plus de 500 pages) le plus récent de la CEPEJ sur l’évaluation
des systèmes judiciaires européens, qui contient des données de
2012, a été publié en octobre 2014
. Il comporte des parties
spécifiquement consacrées, respectivement, aux juges et au statut
et à la carrière des juges et procureurs; il peut être une source
d’inspiration précieuse sur les moyens de préserver ou de renforcer
l’indépendance et l’impartialité des juges, de prévenir la corruption
et de conférer à ces professions davantage de reconnaissance sociale.
4.6. Le Secrétaire Général
23. Dans la note introductive que j’ai présentée à la
commission le 7 avril 2014, je me suis félicité du fait que Thorbjørn
Jagland, Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, ait fait de
la prévention et de l’éradication de la corruption l’une des activités
prioritaires de l’Organisation pour 2014-2015. Compte tenu de cette
ambition, il a publié en avril 2014 un rapport sur la «Situation
de la démocratie, des droits de l’homme et de l’Etat de droit en
Europe» (
document
SG(2014)1), dont un chapitre entier est consacré à la corruption.
De même, la deuxième édition de son rapport (
document
SG(2015)1F), publiée en avril 2015, définit l’absence d’indépendance
de la justice dans de nombreux pays comme un des principaux défis
à la sécurité démocratique. Je ne puis que féliciter le Secrétaire
Général de se préoccuper de l’existence de la corruption et de faire
remarquer expressément que «dans un certain nombre d’Etats membres,
l’émergence constante d’allégations et des scandales de corruption
ont terni la crédibilité des institutions»
. En parallèle, je suis un peu
déçu que ses deux rapports n’aient pas recensé les Etats membres
du Conseil de l’Europe dans lesquels existe une corruption (judiciaire).
J’espère que le Secrétaire Général adoptera à l’avenir une position
plus ferme encore sur cette question, en indiquant clairement les
Etats dans lesquels ces problèmes ont été recensés.
4.7. Conclusions
24. Il convient de saluer les mesures concertées prises
par l’ensemble des organes pertinents du Conseil de l’Europe en
matière de lutte contre la corruption, comme dans le cas de l’Albanie,
à propos de laquelle le GRECO et le Commissaire aux droits de l’homme
ont tous deux formulé des déclarations sans équivoque et des recommandations
précises à l’occasion de la publication de leurs rapports respectifs
sur ce pays. Cette fermeté est susceptible d’avoir des répercussions
plus solides et de renforcer la position adoptée par le Conseil de
l’Europe pour garantir son engagement à mettre en lumière les risques
de corruption.
5. Principales constatations
de l’étude comparative «La corruption judiciaire en Europe – étendue
et impact»
5.1. Objet de l’étude
25. Comme nous l’avons indiqué plus haut, j’avais chargé
la European Human Rights Association (EHRA) de réaliser une étude
comparative sur les allégations de corruption judiciaire dans les
Etats membres du Conseil de l’Europe, qui visait à donner un aperçu
général de l’étendue et de l’incidence de ce phénomène. Cette étude
présente le cadre juridique de la prévention et de la répression
de la corruption, un certain nombre d’aspects choisis de sa mise
en œuvre, ainsi que la perception de la corruption et quelques défis
à relever et recommandations.
26. Les conséquences de la corruption judiciaire ont été prises
en compte à la lumière du principe d’indépendance et d’impartialité
des juridictions nationales, en examinant ses effets directs sur
le principe du procès équitable garanti par la
Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»). L’étude
s’est appuyée dans son argumentation sur la jurisprudence pertinente
de la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour»), ainsi que
sur l’exécution des arrêts concernés de la Cour.
27. Cette étude avait pour but d’offrir à la commission une base
sur laquelle approfondir le débat, tout en lui fournissant des éléments
nécessaires pour déterminer les pays qui se heurtent à d’importantes
difficultés dans leur lutte nationale contre la corruption judiciaire.
5.2. Cadre de l’étude
28. L’étude a porté sur trois principaux aspects: la
notion générale de corruption, le cadre juridique international
applicable dans ce domaine et les conséquences de la corruption
sur le mécanisme de protection des droits de l’homme.
29. L’étude comparative a pris en compte trois éléments:
- le cadre juridique national
des 47 Etats membres;
- sa mise en œuvre;
- la perception de la corruption judiciaire, et notamment
le point de vue des médias et de la société civile.
30. L’étude a également analysé les données recueillies à la lumière
des conclusions et recommandations formulées par les organes institutionnels
internationaux concernés (comme le Conseil de l’Europe – plus particulièrement
le GRECO, le Commissaire aux droits de l’homme, le Comité d’experts
sur l’évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des
capitaux et le financement du terrorisme (MONEYVAL) et la Commission
de Venise – l’OCDE et l’Union européenne), les organisations non
gouvernementales (principalement Transparency International et Freedom
House) et les gouvernements nationaux (par exemple les rapports
pertinents en matière de droits de l’homme du Département d’Etat
américain).
31. L’étude a porté sur la corruption au sein du pouvoir judiciaire,
en s’en tenant strictement aux juges. Elle a examiné les différentes
facettes de la corruption (pots-de-vin, avantages, trafic d’influence),
en privilégiant la corruption liée aux affaires dont les juges sont
saisis et la corruption en rapport avec la carrière judiciaire.
32. S’agissant du premier de ces trois éléments, le cadre juridique
de la corruption examiné aux fins de l’étude comportait les dispositions
nationales qui règlent expressément la prévention et l’éradication
de la corruption (responsabilité pénale, mesures disciplinaires),
ainsi que les dispositions légales adjacentes pertinentes pour la
prévention de la corruption (comme la réglementation applicable
à l’attribution des affaires aux juges, leur recrutement, leur avancement
dans la carrière, la déclaration de leur patrimoine, etc.). A la
suite d’une brève vision d’ensemble des principales caractéristiques
communes et distinctes des cadres juridiques des pays examinés,
l’étude mentionne certaines particularités de chaque système qui
méritent plus ample examen, comme l’ont souligné les diverses études
et évaluations réalisées par des instances spécialisées (organisations
internationales et société civile). Enfin, l’étude recense certains
enjeux communs.
33. Pour ce qui est du deuxième élément, à savoir la mise en œuvre
de ce cadre juridique, l’évaluation a porté sur les informations
disponibles qui ont trait aux affaires ayant donné lieu à une enquête,
à des poursuites et/ou à une condamnation (typologie, statistiques,
visibilité, etc.).
34. Le troisième élément, la perception de la corruption, n’entre
pas dans le strict cadre d’une étude juridique; il a été examiné
à la lumière des conclusions présentées par un certain nombre d’études
menées par des instances spécialisées.
35. Dans le droit fil de cette étude comparative, je considère
que le meilleur moyen de procéder à une évaluation satisfaisante
de la situation de la corruption dans chaque Etat membre consiste
à examiner ces trois éléments (cadre juridique, mise en œuvre, perception)
en les mettant en relation, afin d’obtenir un tableau réaliste de
la situation de chaque Etat membre concerné.
36. Les parties suivantes mettent uniquement en lumière les problèmes
relevés dans certains pays par les nombreux rapports publiés par
les organisations internationales ou les ONG qui consacrent leurs
activités à la lutte contre la corruption, tout en présentant brièvement
les principales conclusions de l’étude comparative. Une vue d’ensemble
détaillée de chacun de ces points, ainsi que les données et sources
qui les concernent, sont disponibles dans le
rapport de l’EHRA et son
addendum (uniquement en anglais), qui figurent sur le
site web de la commission des questions juridiques et des droits
de l’homme.
5.2.1. Le cadre juridique
de la lutte contre la corruption
37. On observera pour commencer que la plupart des pays
semblent s’être conformés aux principales normes internationales
relatives à l’incrimination de la corruption.
38. S’agissant des questions qui méritent une attention particulière,
il convient de noter que certains pays ne disposent d’aucune disposition
qui impose la confiscation d’un montant équivalent (par exemple
en Andorre) ou, lorsqu’elles existent, les dispositions pertinentes
sont rarement appliquées (comme en Autriche).
39. Les organes de suivi (GRECO) ont par ailleurs souligné qu’il
importait de ne pas laisser la décision de lever ou non l’immunité
d’un magistrat dans une affaire donnée au seul pouvoir discrétionnaire
d’une entité politique unique.
40. Quant à la protection des donneurs d’alerte qui révèlent les
faits de corruption au sein de la justice ou ailleurs, la prise
de mesures renforcées a été recommandée dans plusieurs cas (notamment
pour l’Albanie, l’Allemagne, la République de Moldova et la Suède).
Les cadres juridiques en vigueur ont été jugés à d’autres occasions
limités, fragiles ou inefficaces (Albanie, Arménie, Espagne, Estonie,
Géorgie, République de Moldova, Monténégro, République slovaque);
dans certains pays, aucune réglementation ne prévoit de mesures
de protection des donneurs d’alerte (Finlande, Hongrie, République
tchèque).
41. Pour ce qui est de la réglementation applicable aux repentis,
certains pays comme la Géorgie et la République de Moldova prévoient
l’application automatique des dispositions pertinentes, ce que divers rapports
de suivi jugent problématique. Dans certains Etats, les dispositions
en vigueur permettent de restituer aux repentis l’avantage obtenu;
des recommandations ont dans ce cas été formulées pour exclure cette possibilité
du cadre juridique.
42. Divers organes internationaux (dont le GRECO, l’OCDE et la
Convention des Nations Unies contre la corruption) ont mis en lumière
plusieurs questions soulevées par le régime de la prescription des
infractions de corruption, qui pourrait poser problème à leurs yeux,
notamment la durée de la prescription, jugée bien trop brève compte
tenu du temps qu’exigent la réalisation d’une enquête en bonne et
due forme et l’engagement de poursuites. Ils ont également critiqué
les motifs très stricts de suspension ou d’interruption du délai
légal de prescription, surtout dans les pays où les membres de la
magistrature jouissent d’une immunité, alors que le temps nécessaire
à la levée de cette immunité ne constitue pas un motif retenu.
43. L’incrimination des faits de corruption doit faire face à
la modification et à l’évolution constante des formes de corruption.
Il est donc indispensable de revoir constamment la législation et
la pratique et, le cas échéant, de les adapter pour permettre d’apprécier
convenablement jusqu’aux faits de corruption commis au sein de la
magistrature qui sont particulièrement difficiles à déceler, notamment
ceux qui concernent l’échange de faveurs, les pressions hiérarchiques
ou l’ingérence extérieure.
44. Il a parfois été jugé nécessaire d’améliorer le cadre national
de la procédure disciplinaire pour le mettre en conformité avec
les normes établies par les organes internationaux, surtout à l’égard
d’une éventuelle ingérence dans l’indépendance et l’impartialité
des instances disciplinaires, comme dans le cas de «l’ex-République
yougoslave de Macédoine»
.
45. S’agissant des dispositions légales connexes, il convient
de mettre en avant quatre points qui, selon moi, méritent une plus
grande attention.
46. Conflit d’intérêts et impartialité: la plupart des dispositions
nationales règlent les conflits d’intérêts et prévoient des codes
de déontologie applicables aux magistrats, tout en permettant aux
parties de contester le choix d’un juge lorsqu’elles estiment qu’il
manque d’impartialité. Il convient de noter que ces demandes aboutissent
rarement, voire presque jamais, par exemple en Bulgarie, au Luxembourg
et à Monaco. D’autres pays, comme la Pologne, ont été invités à
refondre leurs dispositions relatives aux conflits d’intérêts.
47. Activités annexes: les types d’activités annexes que les juges
sont autorisés à exercer varient d’un Etat membre à l’autre. Dans
les pays où l’affiliation politique est autorisée, les rapports
de suivi ont souligné que la participation des magistrats à la vie
politique (et leur soutien ultérieur) posait problème pour la lutte
contre la corruption, par exemple en Autriche.
48. Revenus, déclaration de patrimoine et réglementation applicable
aux cadeaux: les revenus des juges varient considérablement d’un
Etat membre du Conseil de l’Europe à l’autre et ne semblent pas
avoir un effet direct sur l’existence de la corruption. Dans des
pays comme la France, où le revenu des juges n’est pas considéré
comme élevé par rapport au revenu national moyen
,
la corruption judiciaire ne semble pas répandue, alors que dans
d’autres pays, par exemple en Roumanie, où les salaires des juges
sont supérieurs à la moyenne nationale, les cas de corruption sont
nombreux. Le système de déclaration du patrimoine a été considéré
comme nécessitant d’être amélioré lorsque la responsabilité des
auteurs de fausses déclarations n’est pas engagée (Arménie, Pologne)
ou sur le plan de la vérification des déclarations (Hongrie). Quant
au cadre qui règle l’acceptation des cadeaux, «l’ex-République yougoslave
de Macédoine» a été invitée à préciser la nature de ces actes.
49. Recrutement/promotion/révocation: la promotion ou l’avancement
se fait sur la base, soit du mérite, soit de l’ancienneté, l’autorité
compétente pour la prise des décisions en la matière étant, dans
la plupart des pays, l’instance judiciaire concernée. Plusieurs
rapports de suivi ont appelé certains pays, où d’autres autorités
sont chargées du recrutement, de la promotion et de la révocation
des juges ou jouent un rôle important dans cette procédure, à diminuer
l’ingérence extérieure en la matière, notamment l’Albanie pour la
nomination des juges de haut rang. La CEPEJ a constaté que les procédures
de recrutement des juges se ressemblent de plus en plus dans les
différents Etats membres, dans la mesure où elles reposent la plupart
du temps sur un concours et/ou une expérience avérée
. Bien qu’il
y ait lieu de se féliciter de cette harmonisation croissante des procédures
de recrutement, un épisode récemment survenu en Allemagne (où la
population considère généralement que les magistrats ne sont pas
corrompus) démontre à quel point le comportement répréhensible d’un
membre de la magistrature peut porter atteinte à la confiance des
citoyens dans le système judiciaire. Je veux parler de l’incident
dans lequel un juge a été reconnu coupable d’avoir vendu aux étudiants en
droit les sujets d’examen avant les épreuves. Il a été condamné
à une peine de cinq ans d’emprisonnement pour usage de la contrainte,
corruption et violation du secret au début de cette année
. En matière
de révocation des juges, il convient de noter le cas du juge de
la Cour suprême ukrainienne, M. Oleksandr Volkov, qui illustre le
risque d’ingérence politique excessive dans la magistrature et a
retenu l’attention ces dernières années. Dans son arrêt rendu à
la suite de l’introduction par ce dernier d’une requête
, la Cour européenne des droits de
l’homme a ordonné à l’Ukraine «[d’]assurer [sa] réintégration (…)
à son poste de juge de la Cour suprême», considérant que sa révocation
n’avait pas été équitable et constituait par conséquent une violation de
l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme
(qui garantit le droit à un procès équitable devant un tribunal
impartial et indépendant). Selon les termes du décret adopté le
25 décembre 2014 par le Parlement ukrainien, M. Volkov a finalement
été réintégré le 2 février 2015
.
De même, je note que la Haute commission de qualification des juges
d’Ukraine aurait licencié, en avril 2015, cinq juges dans le pays
pour suspicion de corruption, à la demande du Procureur général
.
5.2.2. Mise en œuvre/pratique
50. Aucun des rapports internationaux consultés pour
l’élaboration du
rapport de l’EHRA et publiés par les organes de suivi ou la
société civile ne fournit d’informations pertinentes et récapitulatives
sur les cas allégués et connus de corruption dans la justice. Ces
rapports mentionnent certaines affaires particulières, mais ne donnent
pas un tableau exact de l’étendue de la corruption, de sa typologie
et de la proportion dans laquelle les auteurs de faits de corruption
ont dû répondre de leurs actes.
51. De même, le Rapport anticorruption de l’UE
a mis en lumière l’absence
de statistiques consolidées qui permettent de suivre toutes les
étapes procédurales des affaires de corruption.
52. Je constate avec préoccupation le manque très net d’informations
ou d’accès à des informations qui permettent d’obtenir une vue d’ensemble
précise de la situation des enquêtes et de la répression en matière de
corruption judiciaire dans les Etats membres du Conseil de l’Europe,
malgré la recommandation expressément faite en ce sens par la
Résolution 1703 et la
Recommandation
1896 (2010).
53. Il est primordial que les Etats membres prennent des mesures
résolues pour rendre ces informations disponibles et facilement
consultables dans leurs bases de données nationales. J’aimerais
également souligner que les organes de suivi du Conseil de l’Europe
doivent demander avec insistance aux Etats membres qu’ils leur communiquent
systématiquement les informations statistiques et de fond relatives
aux affaires de corruption judiciaire (à tous les stades de la procédure).
54. Pour ce qui est des cas recensés de corruption liée à la carrière
des magistrats, le
rapport de l’EHRA donne des exemples d’affaires qui concernent,
d’une part, le recrutement et l’avancement (en Albanie, Azerbaïdjan,
République de Moldova) et, d’autre part, les concours associés à
la carrière professionnelle (en Roumanie). Les faits de corruption
liés aux affaires dont sont saisis les juges ont été recensés dans
les procédures de faillite/liquidation (Hongrie, Pologne, République
tchèque), les procédures pénales (France, Lituanie, Malte, République
de Moldova) et le contentieux en matière d’investissement (Ukraine).
55. Inutile d’ajouter que ces pratiques recensées ne reflètent
pas nécessairement toute l’étendue du phénomène. Les affaires mentionnées
par l’étude pourraient être des cas isolés sur lesquels les informations étaient
disponibles, ce qui a permis de les intégrer dans le rapport, alors
que d’autres pays – y compris ceux dans lesquels la corruption des
juges pourrait exister à une échelle beaucoup plus large – n’ont
pas pu être évoqués en raison d’un manque de transparence et d’informations
sur les affaires existantes de corruption judiciaire. Comme je l’ai
déjà fait remarquer dans mon premier
rapport sur la corruption judiciaire (au paragraphe 70):
«Il faut donc qu’il soit clair
d’emblée que ce sont justement les pays qui ont fait les plus grands
progrès en termes de transparence qui auront les statistiques les
plus “négatives”. Leur évaluation politique doit tenir compte de
cet aspect pour ne pas pénaliser justement les pays qui font les
plus grands efforts de lutte contre la corruption judiciaire.»
56. A ce propos, il convient d’accorder une attention particulière
aux pays dans lesquels la justice est largement perçue comme propice
à la corruption ou, en d’autres termes, dans lesquels la population
n’a pas confiance dans l’institution même à laquelle elle se fie
pour lutter contre la corruption. Selon le
Baromètre mondial
de la corruption 2013 de Transparency International, la justice fait partie
des trois institutions (sur 10 au total) auxquelles les citoyens
font le moins confiance en Albanie (où 81 % des personnes interrogées estiment
que les magistrats sont corrompus ou extrêmement corrompus, ce qui
en fait l’institution en laquelle les citoyens ont le moins confiance),
Arménie (69 %, institution la moins digne de confiance), Azerbaïdjan (42 %,
en deuxième position parmi les institutions les moins dignes de
confiance), Bulgarie (86 %, institution la moins digne de confiance),
Croatie (70 %, en deuxième position parmi les institutions les moins
dignes de confiance), Géorgie (51 %, institution la moins digne
de confiance), Lituanie (79 %, en deuxième position parmi les institutions
les moins dignes de confiance), République de Moldova (80 %, institution
la moins digne de confiance), Portugal (66 %, en deuxième position
parmi les institutions les moins dignes de confiance, avec le Parlement
et l’armée), Roumanie (58 %, en troisième position parmi les institutions
les moins dignes de confiance), la Fédération de Russie (84 %, en
troisième position parmi les institutions les moins dignes de confiance),
Serbie (82 %, institution la moins digne de confiance), la République
slovaque (69 %, institution la moins digne de confiance), Slovénie
(54 %, en troisième position parmi les institutions les moins dignes
de confiance), Espagne (51 %, en troisième position parmi les institutions
les moins dignes de confiance) et Ukraine (87 %, institution la
moins digne de confiance).
57. S’agissant des formes de corruption recensées, les données
disponibles signalent l’existence de cas dans lesquels les juges
proposent de favoriser une partie en échange d’argent ou d’autres
avantages ou services, bien qu’aucune information ne soit disponible
sur la traduction en justice des auteurs de tels actes. La plupart
des sources indiquent que les pots-de-vin représentent la forme
la plus courante de corruption (en Arménie, Azerbaïdjan, Estonie,
Grèce, Italie, Lettonie, Lituanie, République de Moldova, Roumanie,
Serbie, Slovénie, République tchèque, Turquie). Des cas d’accélération
d’un procès au profit de l’une des parties à la procédure ont été
signalés (Croatie), tout comme des cas de procédure retardée dans
le même but (Estonie). D’autres rapports mentionnent le prononcé
de décisions de justice partiales (Italie, Malte, République de Moldova,
Roumanie, Turquie). En Arménie, le médiateur national a critiqué
l’absence de traduction en justice des auteurs de ces actes, malgré
l’existence alléguée de pratiques de corruption très répandues
.
58. La difficulté à obtenir des informations sur les suites données
à des affaires de corruption judiciaire avérée représente une autre
source de préoccupation. Il serait notamment utile de savoir si
les autorités nationales prévoient ou non la possibilité de rouvrir
une affaire dans laquelle a statué un juge ultérieurement condamné
pour corruption; j’encourage vivement les Etats membres à prévoir
cette possibilité.
59. Il est primordial que les cas signalés ou les situations assimilables
à des faits de corruption qui sont rendus publics par les médias
ou la société civile fassent l’objet d’une enquête en bonne et due
forme et de poursuites lorsque celles-ci se justifient. Cette réactivité
permettra de rétablir la confiance des citoyens quant à l’engagement
des autorités à lutter contre la corruption, de mettre fin au climat
d’impunité et de commencer à faire évoluer le sentiment d’une corruption
judiciaire généralisée. Cela est particulièrement essentiel dans certains
cas qui suggèrent l’existence de la corruption d’une ampleur considérable.
A titre d’exemple, j’ai pris note avec préoccupation des récents
rapports sur des allégations relatives au détournement de fonds
de € 5,6 millions (300 millions de roubles) par le système des tribunaux
de Moscou. Je souhaite que les autorités compétentes veillent à
une enquête rapide et effective sur ces allégations, tout en protégeant
contre les représailles ceux qui les ont rendues publiques
. Le fait
de publier les conclusions de ces enquêtes et un registre public
des juges condamnés pour corruption contribuera à instaurer un esprit
de fermeté dans la lutte contre la corruption, tout en ayant un
effet dissuasif.
60. A propos des structures nationales spécialisées dans la lutte
contre la corruption, il convient de noter que les pays qui ont
mis en place des services de lutte contre la corruption ont enregistré
une amélioration de l’application de la législation anticorruption.
Le
Rapport
anticorruption de l’UE fait état d’exemples positifs constatés en Croatie,
Lettonie, Roumanie, Slovénie et Espagne. En Roumanie, bien que ce
pays soit toujours considéré comme l’un des Etats membres de l’Union
européenne les plus corrompus, l’action de la Direction de la lutte
contre la corruption a été saluée dans les rapports internationaux
comme une initiative importante, conforme à l’engagement pris par
le pays d’éradiquer ce phénomène
.
61. Enfin, certains rapports s’inquiètent du manque de résolution
et de capacité des juges à s’attaquer aux cas de corruption difficiles
ou sensibles, ainsi que du caractère trop peu dissuasif des sanctions,
qui sont trop rarement infligées par les tribunaux, trop souvent
assorties du sursis ou généralement trop légères
. Si l’on y ajoute le nombre global limité
des cas de corruption qui aboutissent à des poursuites judiciaires,
cette tendance est particulièrement préoccupante.
5.2.3. La perception de
la corruption judiciaire
62. La perception de la corruption qui règne au sein
de la justice a fait l’objet de recherches et de suivi de la part
des organismes internationaux spécialisés, comme Transparency International,
qui publie régulièrement des indices de perception fondés sur des
enquêtes complexes, menées dans les différents pays. Les tendances
ainsi recensées dans des pays précis servent d’indicateurs de l’efficacité
des mesures prises par les autorités compétentes pour lutter contre
ce problème.
63. Selon Transparency International, la perception de la corruption
qui règne au sein de la magistrature varie d’un Etat à l’autre:
cette institution est considérée comme la plus corrompue dans certains
Etats (Albanie, Bulgarie, Croatie, Géorgie, République slovaque,
«l’ex-République yougoslave de Macédoine», Ukraine) et comme la
moins corrompue dans d’autres (Danemark, Norvège). La perception
de la corruption n’a pas évolué dans certains pays, alors que des
éléments indiquent clairement l’amélioration du système (République tchèque,
Géorgie). Cette situation témoigne de la nécessité de rétablir la
confiance de la population dans la magistrature.
64. Il ressort du
Rapport
anticorruption de l’UE que le sentiment d’une corruption largement répandue perdure
dans de nombreux pays de l’Union européenne. En Bulgarie, Croatie,
Grèce, Lituanie, Roumanie et République tchèque, 84 % à 99 % des
personnes interrogées ont estimé que la corruption était largement répandue
dans leur pays. De même, un Européen sur 12 (soit une moyenne de
8 %) déclare avoir fait l’objet ou avoir été témoin d’un cas de
corruption au cours des 12 derniers mois (mais pas nécessairement
au sein de la justice)
.
65. Point positif, les enquêtes réalisées par Transparency International
sur la perception de la corruption révèlent que la préoccupation
croissante de la population à l’égard de la corruption a conduit
les responsables politiques à inscrire la lutte contre la corruption
(judiciaire) dans leur action et à la traduire sous forme de politiques
concrètes, comme en Roumanie et en Ukraine
.
66. A cet égard, il importe également de noter que le sentiment
que la magistrature représente l’un des domaines les plus corrompus
est parfois parfaitement conforme à certaines conclusions formulées
par les organes de suivi du Conseil de l’Europe dans leurs rapports
ou à la suite de leur visite (comme c’est le cas pour l’Albanie
et l’Ukraine).
67. Les médias sont généralement considérés comme l’un des acteurs
clés de la révélation des cas de corruption, même si la population
de certains pays estime qu’ils sont influencés (Belgique, Bosnie-Herzégovine,
Chypre, Roumanie), qu’ils s’autocensurent (Bulgarie, Grèce, République
de Moldova, Serbie, «l’ex-République yougoslave de Macédoine», Turquie,
Ukraine), qu’ils ne sont pas libres de publier tout ce qui concerne
cette question (Albanie, Azerbaïdjan) ou qu’ils risquent d’être
poursuivis pour diffamation (Autriche, Pologne). Dans certains pays,
comme en République tchèque, le climat qui régnait autrefois s’est
amélioré et les médias font désormais moins l’objet des restrictions
auxquelles étaient soumises les révélations sur des affaires précises.
Là encore, les rapports indiquent que, pour la population, les médias
ont parfois exercé une trop forte pression sur les juges en procédant
à un traitement excessif des affaires en cours, ce qui a peut-être eu
une influence sur leur issue (comme en Roumanie).
68. Le problème de la corruption judiciaire a été traité à diverses
occasions par les médias des 47 Etats membres, qui ont mis en lumière,
soit des affaires particulières, soit des questions générales en
rapport avec le système national en vigueur de lutte contre la corruption
judiciaire. De nombreux articles critiques
ont été publiés,
surtout en France, Turquie et Ukraine, sur les questions relatives
à la corruption judiciaire. Dans certains pays (par exemple en Roumanie),
les médias suivent attentivement toute enquête en cours sur des faits
allégués de corruption judiciaire et les nombreuses condamnations
prononcées font les gros titres de la plupart des journaux et chaînes
de télévision nationaux. Malgré la persistance de la corruption,
cette transparence a permis de faire disparaître progressivement
le climat d’impunité qui régnait autrefois. Elle a également contribué
à la sensibilisation des citoyens et, ce faisant, à leur mobilisation
.
69. La société civile agit principalement dans les domaines de
la sensibilisation et de la définition des politiques à suivre.
Dans certains pays, des particuliers ont mis en place des plates-formes
destinées à révéler les faits de corruption (comme en Géorgie).
Les ONG suivent les enquêtes ouvertes au sujet d’actes de corruption
et publient des rapports, qui comportent bien souvent des informations
sur le cadre de la prévention et de la répression de la corruption
judiciaire.
70. Pour conclure sur ce point, ajoutons que la perception d’une
corruption judiciaire généralisée témoigne directement du peu de
confiance des citoyens envers leur système judiciaire national;
elle est donc en soi très préoccupante. Il importe que les Etats
membres prennent toutes les mesures qui s’imposent pour rétablir
cette confiance dans le système judiciaire des Etats concernés,
suivent attentivement et systématiquement l’évolution des indicateurs
de perception et élaborent une stratégie viable pour remédier au
manque de confiance des citoyens dans les magistrats, y compris
et surtout en s’appliquant à renforcer la transparence. Le signalement
indépendant de faits allégués de corruption revêt également une
très grande importance et pourrait avoir un effet dissuasif. Je
ne peux qu’inviter instamment les Etats membres à (continuer à)
appliquer une politique propice à la création d’un environnement
favorable à la promotion de la liberté des médias. Par ailleurs,
j’invite les Etats membres à réexaminer et réviser, si besoin est,
leur législation et leur pratique relatives à la protection des
donneurs d’alerte, conformément à la
Résolution 1729 (2010) et à la
Recommandation
1916 (2010) sur la protection des «donneurs d’alerte», ainsi qu’aux
recommandations formulées dans le rapport de notre commission sur
«Améliorer la protection des donneurs d’alerte»
,
qui sera débattu par l’Assemblée lors de sa partie de session de
juin 2015.
5.3. Constat général
et conclusions déduits de l’étude comparative
71. L’un des principaux freins à la lutte contre la corruption
constatés dans un nombre considérable de pays est celui de l’influence
ou des pressions politiques exercées sur la procédure judiciaire,
soit sur le plan de l’organisation de la profession (c’est-à-dire
au moyen d’une nomination, promotion, révocation), soit sous forme
d’ingérence dans l’issue d’une affaire. Divers rapports jugent cette
situation préoccupante en Albanie, Allemagne, Arménie, Azerbaïdjan,
Belgique, Bulgarie, Croatie, Espagne, France, Géorgie, Hongrie,
Irlande, Italie, Lettonie, Lituanie, République de Moldova, Monténégro,
Roumanie, Fédération de Russie, Serbie, République slovaque, Slovénie,
«l’ex-République yougoslave de Macédoine», Turquie et Ukraine.
72. Il est clair que pour être exempt de corruption, un système
judiciaire doit reposer sur les principes fondamentaux de l’indépendance
de la justice et de l’impartialité des juges, qui constituent les
piliers de tout Etat régi par l’Etat de droit. De fait, le danger
d’une influence et d’une ingérence politique excessives dans le fonctionnement
indépendant de la justice ne peut guère être surestimé, car il fausse
le mécanisme des freins et contrepoids institutionnel et rend le
système judiciaire propice au favoritisme politique et à la corruption. Cette
influence semble croissante dans certains Etats membres. Je constate
avec préoccupation par exemple que l’ancien président de la Cour
constitutionnelle de Turquie, M. Haşim Kılıç, a affirmé que les
membres de cette juridiction subissaient d’intenses pressions de
la part du gouvernement
. En outre, le
Haut Conseil des juges et procureurs (HSYK) de la Turquie a semble-t-il
muté des centaines de juges et procureurs depuis janvier 2014, dans
le cadre de ce qui serait une mesure de représailles contre une
vaste enquête sur la corruption de responsables politiques de haut
rang lancée en décembre 2013
. Le «changement
de fonctions» de ces magistrats est, au mieux, susceptible d’être
considéré comme une tentative, de la part des autorités, d’exercer
une influence sur la justice, qui pourrait avoir des effets préjudiciables
sur la confiance de l’opinion publique dans l’indépendance de cette
institution et risque de démontrer que le cadre institutionnel permet
l’ingérence arbitraire et l’ingérence politique excessive du pouvoir
dans l’administration de la justice.
73. Ce point a également été soulevé pendant l’examen de mon avant-projet
de rapport par la commission en mars 2015. Un membre de la commission
a estimé que les pays où les magistrats étaient placés sous l’autorité
directe du ministère de la Justice présentaient un risque de conflit
d’intérêts et de mauvaise administration de la justice en cas de
contestation des actes de l’exécutif par les citoyens. Il redoutait également
que les nominations politiques des juges ne fassent douter de leur
indépendance et de leur impartialité. Bien que je sois personnellement
favorable au renforcement d’une autonomie de la justice fondée sur
les mérites de ses membres, notamment parce qu’elle est préférable
à la nomination politique des juges (de la Cour suprême), je suis
réticent à recommander la mise en place dans l’ensemble des Etats
membres d’un conseil supérieur de la magistrature indépendant, et
ce pour deux raisons principales. Premièrement, un certain nombre
d’exemples conduisent à penser que la notion d’«indépendance» fait
l’objet de conceptions divergentes sur la question de la composition
des conseils supérieurs de la magistrature: quelle devrait en être la
composition (des juges, des procureurs, d’autres professionnels
du droit?)? Laquelle de ces catégories devrait y être majoritaire?
Et, peut-être surtout, par qui ces membres devraient-ils être nommés
(par leurs pairs, par le parlement ou par le gouvernement?)? Il
me semble que ces questions, qui ont été traitées de manière assez
détaillée dans un certain nombre d’avis rendus par la Commission
de Venise, vont au-delà du champ du présent rapport. A ce propos,
j’ai cru comprendre que mon collègue, M. Bernd Fabritius (Allemagne,
PPE/DC) examinera les questions relatives au cadre institutionnel
de la justice (en privilégiant tout particulièrement les procureurs),
ainsi que le risque d’«ingérence verticale» dans l’indépendance
des juges, dans son prochain rapport, «Renforcer l’Etat de droit
dans les pays d’Europe du Sud-Est grâce à des réformes ciblées du
système judiciaire»
. Deuxièmement,
et en corrélation avec ce premier argument, je ne suis pas convaincu
que la participation du ministère de la Justice à l’administration
de la justice pose en soi problème. Le cas de l’Allemagne en est
un bon exemple. Le fait que le recrutement et la promotion des juges
relève de la compétence des ministères de la Justice des
Länder et de l’Etat fédéral ne semble
pas créer une situation dans laquelle l’exécutif exerce un contrôle
politique impropre sur la justice. J’aimerais cependant souligner
que chaque fois que la nomination des juges incombe à l’exécutif,
cette décision devrait être précédée par une procédure de sélection
transparente et objective à laquelle participaient un certain nombre
d’acteurs, dont des juges de haut rang et d’autres membres de la
magistrature.
74. Cela m’amène à évoquer une autre source de préoccupation étroitement
liée à la nomination des juges: leur promotion. Là encore, il convient
de prendre davantage de mesures pour renforcer l’indépendance de
la justice et la confiance des citoyens, en mettant en place une
procédure solide de promotion fondée sur le mérite.
75. Lors de la discussion de mon avant-projet de rapport par la
commission, l’accent avait également été mis sur le fait qu’il importait
de garantir la pleine application à la justice de règles de transparence.
Bien que je partage ce point de vue, surtout au vu des recommandations
correspondantes du GRECO (voir plus haut, paragraphe 48), j’aimerais
ajouter que l’existence de dispositions légales adéquates sur la
déclaration de patrimoine (et sur les activités accessoires) est
une condition indispensable, mais non suffisante, à la réduction des
risques de corruption; un contrôle effectif du respect de ces règles
s’impose également.
76. L’étendue de la corruption judiciaire pose également problème:
du point de vue juridique, l’existence de la corruption peut uniquement
être établie lorsque ses auteurs sont effectivement poursuivis et
condamnés. Dans un système judiciaire généralement crédité d’un
bon fonctionnement, seuls les faits de corruption démontrés et condamnés
peuvent servir de base à la détermination du niveau réel de corruption
dans un pays donné.
77. Accessoirement, l’évaluation du cadre général de la corruption
peut uniquement servir d’indicateur des causes, revers ou lacunes
éventuels du système, qui pourraient être autant d’éléments sur
lesquels s’appuient les cas de corruption. Combinée à la perception
de la corruption au sein du système, elle peut cependant donner
une indication très nette du caractère crédible des allégations
de corruption.
78. En raison de l’inaccessibilité ou de l’absence des informations
relatives à la mise en œuvre des dispositions applicables à la lutte
contre la corruption, il est difficile de déterminer l’efficacité
du système; l’appréciation de la viabilité des dispositions peut
rester hypothétique, car leur évaluation est uniquement possible
de manière abstraite. Il est utile que les Etats membres fassent
preuve de transparence sur les cas de corruption judiciaire, en
mettant à disposition les informations relatives aux enquêtes et
aux condamnations, car cette attitude contribue à renforcer la confiance
des citoyens dans le système judiciaire. Le fait que les recherches
sur la base desquelles j’ai élaboré le présent rapport aient été
fortement entravées par un manque d’informations est particulièrement
regrettable, car j’avais déjà souligné il y a cinq ans, dans mon
premier rapport consacré à la corruption judiciaire, sur le fondement
duquel l’Assemblée avait adopté sa
Résolution 1703 (2010) , qu’il était indispensable de recueillir
des informations et des statistiques fiables, surtout sur les poursuites
engagées et les condamnations prononcées. Compte tenu de ces éléments,
j’ai choisi d’insérer dans le projet de résolution une recommandation
correspondante.
6. Les conséquences
de la corruption sur le système de protection des droits de l’homme
79. Le préambule de la
Convention
pénale sur la corruption souligne que «la corruption constitue une menace pour
la prééminence du droit, la démocratie et les droits de l’homme,
sape les principes de bonne administration, d’équité et de justice
sociale, fausse la concurrence, entrave le développement économique
et met en danger la stabilité des institutions démocratiques et
les fondements moraux de la société».
80. La corruption peut compromettre de diverses manières la garantie
d’un procès équitable, en entravant l’administration de la justice
(par exemple lorsqu’elle sévit sur le plan de la promotion professionnelle),
les droits des parties à la procédure (par exemple lorsqu’elle déséquilibre
l’égalité des armes) et l’efficacité de la procédure (lorsque les
juges corrompus retardent la procédure, par exemple pour assurer
l’impunité de l’auteur d’une infraction grâce à l’extinction du
délai de prescription).
81. Alors que la corruption pratiquée dans une affaire dont est
saisi un juge peut faire figure de cas isolé et n’avoir aucune incidence
sur la conduite du magistrat concerné pendant le reste de son parcours professionnel,
le recours à la corruption à des fins de carrière professionnelle
peut avoir des conséquences beaucoup plus importantes: il y a lieu
de croire que les juges qui sont entrés en fonction ou ont été promus grâce
à des pratiques corrompues seront enclins à se montrer partiaux
(surtout à l’égard des personnes qui les ont aidés) et vulnérables
au chantage et aux pressions. On peut également s’interroger sur
leurs compétences professionnelles et la qualité de leur travail,
même s’ils font preuve d’impartialité et d’indépendance.
82. Dans les affaires où la Cour européenne des droits de l’homme
a conclu à la violation de l’article 6 de la Convention au regard
de l’indépendance et de l’impartialité des juridictions nationales,
certaines défaillances ont été expressément identifiées
, donnant ainsi aux Etats défendeurs
concernés et aux autres Parties contractantes susceptibles d’être
confrontées aux mêmes problèmes la possibilité d’y remédier dans
le cadre de l’exécution de ces arrêts, notamment en adoptant des
mesures générales destinées à améliorer le système et à prévenir
la survenance de violations similaires ultérieures. Le processus
d’exécution de ces arrêts est souvent complexe et long, non seulement
parce qu’il nécessite parfois de procéder, à l’échelon national,
à des réformes élaborées
, mais également en raison de l’important
arriéré d’affaires pendantes devant le Comité des Ministres.
83. J’aimerais cependant souligner une fois encore, dans le droit
fil des nombreux autres rapports et points de vue adoptés par les
divers organes du Conseil de l’Europe, l’importance cruciale de
l’exécution effective et en temps utile des arrêts de la Cour. Il
est extrêmement préoccupant qu’aucune suite ne soit donnée pendant des
années à des arrêts qui ont abouti à une décision définitive de
la Cour, surtout à l’égard des mesures générales identifiées au
stade de l’exécution. Comme nous l’avons souligné plus haut, cette
situation a des répercussions directes sur la lutte contre la corruption
et sur le respect du principe de l’indépendance et de l’impartialité
de la magistrature, qui est une exigence fondamentale du bon fonctionnement
d’une société démocratique et du respect de l’Etat de droit.
84. Le combat mené pour améliorer le cadre général de la prévention
de la corruption et du respect du principe de l’indépendance et
de l’impartialité des juridictions nationales, qui garantissent
la tenue d’un procès équitable, doit faire l’objet de mesures concertées.
Les organes normatifs et de suivi doivent coopérer étroitement avec
les autorités nationales pour recenser les éventuels problèmes et
y remédier, tout en recourant mutuellement à leurs constatations
et mesures réciproques, en créant des synergies dans leur approche
de ce fléau.
7. Les mesures à prendre
85. Le pouvoir judiciaire, qui forme avec les pouvoirs
législatif et exécutif l’un des trois piliers de la puissance publique,
est l’organe de régulation de tout système démocratique. Il applique
et interprète le droit, en rendant la justice pour le compte des
citoyens. Sans bon fonctionnement ni efficacité de la magistrature,
le cadre juridique qui définit les droits et libertés individuels
ne peut atteindre l’objectif qui lui est assigné. Il ne fait aucun doute,
au vu des conclusions tirées de l’étude comparative entreprise à
la demande de la commission, que les Etats membres doivent poursuivre
et intensifier les initiatives qu’ils ont prises pour élaborer un
cadre juridique et institutionnel complet en vue de prévenir et
d’éradiquer la corruption des juges, afin de garantir, d’une part, que
les normes légales en vigueur soient soigneusement respectées (ce
qui passe par leur bonne compréhension) et, d’autre part, que la
justice soit rendue et que les citoyens soient à même de le constater.
86. L’indépendance de la justice n’est pas seulement essentielle
à la préservation de l’intégrité du système judiciaire et pour garantir
aux individus l’entier bénéfice de leurs droits humains, elle est
également un facteur crucial de la lutte contre la corruption dans
les autres secteurs, ainsi que dans la lutte contre le crime organisé
. C’est aux magistrats
qu’il incombe d’examiner les affaires de corruption alléguée, puisque
la justice est la seule autorité capable d’établir l’existence des
actes de corruption et de les sanctionner. Par conséquent, il est
d’autant plus important que l’entité même qui est chargée de statuer
sur les allégations de corruption ne succombe pas à de telles pratiques.
87. En outre, pour pouvoir fonctionner dans le respect des normes
internationales, un système judiciaire digne de confiance doit échapper
à toute ingérence et pressions extérieures excessives. Ce rouage
d’une structure institutionnelle complexe ne peut fonctionner convenablement
s’il se trouve entravé; de la même manière, s’il fonctionne mal,
il entrave le bon fonctionnement d’autres rouages. Il est donc primordial
que le combat mené pour améliorer l’ensemble du système prenne la
forme d’initiatives concertées, menées de façon constructive.
88. La justice doit poursuivre et intensifier les initiatives
qui visent à remédier au manque de confiance des citoyens, en accordant
une attention particulière à l’éducation et à la formation des magistrats,
de manière à améliorer la rédaction des décisions de justice, ainsi
qu’à prévoir des débats institutionnels sur les questions de déontologie,
dont le besoin se fait fréquemment sentir. Les procédures de nomination,
de promotion et de révocation des juges représentent une autre source
de préoccupation, à laquelle il convient de remédier pour renforcer
l’indépendance de la justice et restaurer la confiance des citoyens
dans cette institution.
89. Un autre aspect revêt une importance particulière: la lutte
contre la corruption (y compris la corruption judiciaire) doit être
transparente et il convient de veiller à ce que la société civile
et les médias soient libres de suivre ces affaires et d’en rendre
compte, pour contribuer ainsi à mettre un terme à l’impunité. Cet
engagement et ce soutien actifs en faveur de la lutte contre la
corruption ont eu des résultats positifs dans d’autres secteurs, comme
celui des marchés publics; il convient donc de promouvoir ces bonnes
pratiques
.
90. J’aimerais également souligner l’aide dispensée à la société
civile pour qu’elle participe au processus de suivi de la prévention
de la corruption dans les Etats membres. Seule la consultation de
toutes les parties prenantes impliquées dans cette prévention permet
aux organes de suivi du Conseil de l’Europe d’obtenir une vue d’ensemble
précise de la situation. A l’heure actuelle, les seuls éléments
d’information provenant des représentants de la société civile qui
soient pris en compte par les organes de suivi sont certains de
leurs rapports et études sur la perception de la corruption. Des
consultations informelles ont bien entendu lieu, mais il pourrait
être utile de demander à la société civile une participation plus
systématique, par exemple au moyen de demandes officielles d’information.
91. J’aimerais par conséquent rappeler la
Résolution 1943 (2013) et la
Recommandation
2019 (2013) «La corruption: une menace à la prééminence du droit»
et inviter instamment les Etats membres à donner la priorité à l’appel
de l’Assemblée pour qu’ils reconnaissent le rôle des ONG et des
médias dans la lutte contre la corruption et renforcent l’aide qu’ils
leur accordent et leur collaboration avec eux. La lutte contre la
corruption judiciaire passe par l’union du plus grand nombre d’alliés
possible; le fait d’exclure des partenaires précieux ne peut être
que préjudiciable aux résultats escomptés.
92. En guise de conclusion générale sur la méthode à adopter,
j’aimerais souligner qu’il est indispensable de centraliser les
données sur les cas décelés de corruption au sein de la magistrature,
à partir desquelles il convient de procéder à une évaluation complète
des risques. Ce n’est qu’à cette condition qu’il deviendra possible
et souhaitable de prendre des mesures ciblées et de mettre en œuvre
des politiques adéquates pour remédier aux irrégularités les plus
récurrentes du système. Il n’existe pas de solution unique applicable
à l’ensemble des Etats membres, car les problèmes recensés comme
autant de facteurs de risque varient considérablement d’un pays
à l’autre. Les stratégies de lutte contre la corruption doivent
par conséquent être élaborées en tenant dûment compte des spécificités
de chaque système et des domaines particuliers de problèmes identifiés.