1. Origine,
portée et objectifs du rapport
1. Le 27 janvier 2014, l’Assemblée
parlementaire a renvoyé pour rapport à la commission de la culture,
de la science, de l'éducation et des médias une proposition de résolution
(
Doc. 13342) que j’avais présentée avec 40 autres membres de l’Assemblée
le 21 octobre 2013. La commission m’a nommée rapporteure le 28 janvier 2014.
2. Au courant de l’année 2014, j’ai pris part à deux événements
importants – la cérémonie de remise du Prix européen du Musée de
l’année (EMYA 2014), à Tallinn (Estonie), et la Conférence de la
Fédération internationale des associations de bibliothécaires et
des bibliothèques (FIAB) à Birmingham, événements qui m’ont offert
l’occasion de discuter de sujets intéressant les professionnels
des bibliothèques et musées en Europe. Je souhaiterais également
remercier de leurs précieux conseils les professionnels des bibliothèques et
des musées du Royaume-Uni que j’ai pu directement consulter. Enfin,
je tiens tout spécialement à remercier M. Mikhail Gnedovsky
et
Mme Ilona Kish
de
m’avoir fait bénéficier de leur compétence dans les recherches nécessaires
à l’élaboration du présent rapport.
3. Conformément à la proposition de résolution, le présent rapport
souligne que «[l]es bibliothèques et les musées, principaux gestionnaires
de notre culture et de notre patrimoine, jouent traditionnellement
un rôle irremplaçable et ont une responsabilité particulière dans
les sociétés du monde entier. Mais, compte tenu des changements
sociétaux considérables apportés par les mutations économiques et
par les innovations technologiques rapides, les rôles et les responsabilités
des bibliothèques et des musées doivent être réexaminés de manière
créative et stratégique afin de leur permettre de répondre aux nouveaux
besoins sociétaux».
4. Le rapport comportera donc trois grandes parties. La première
sera consacrée à l’étude de l’acquisition et de l’expansion des
nouveaux rôles des bibliothèques et musées au début du 21e siècle;
la seconde examinera les pressions et difficultés économiques rencontrées
dans ces deux secteurs en ces temps d’austérité; et la troisième
s’attachera à envisager positivement l’avenir et à rendre les bibliothèques
et musées plus aptes à résister aux mutations actuelles.
5. Sans pour autant négliger l’importance des bibliothèques et
musées régionaux et nationaux de premier plan, je me concentrerai
sur des établissements qui, bien que plus modestes, n’en jouent
pas moins un rôle fondamental au sein de leur communauté locale
et sont l’objet de pressions visant à réduire les prestations qu’ils
fournissent au public, voire à les fermer. Ce type d’établissements
peut également manquer des ressources et compétences nécessaires
pour procéder aux changements qui leur permettraient d’améliorer leur
fonctionnement et de se moderniser. J’espère que ce rapport fournira
des idées et conseils susceptibles d’aider ce secteur. Nous reconnaissons
également l’importance que revêtent les archives dans ces deux secteurs.
Il nous manque cependant la place, dans le présent rapport, pour
aborder ce sujet dans toute son étendue.
6. Les collections d’ouvrages et d’objets significatifs existent
depuis des temps immémoriaux, mais il faudra attendre l’Europe des
Lumières, et sa croyance dans le pouvoir libérateur de la connaissance,
et l’avènement de la démocratie de masse pour voir la naissance
des bibliothèques et des musées modernes. L’ouverture des cabinets
de curiosités universitaires et des collections royales a été suivie
de la création de nouveaux musées par les gouvernements locaux et
nationaux. En plus d’éduquer les individus, de plus en plus appréhendés
comme des citoyens, ces institutions étaient censées être la vitrine
de la fierté civique ou nationale et, dans certains cas, témoigner
de modes de vie qui disparaissaient suite à des bouleversements sociaux.
Dans le même temps, la prise de conscience croissante de l’importance
de la lecture en tant que pratique fondamentale pour ce que nous
appellerions à présent le progrès humain, et pour l’économie, a débouché
sur le financement public des bibliothèques.
7. Ce rapport expose comment les bibliothèques et les musées
ont répondu aux grandes mutations économiques, sociales et technologiques
intervenues dans la société européenne, et ce qu’ils doivent faire pour
continuer à contribuer à son développement. Si leur processus d’adaptation
est continu, les bibliothèques et les musées conservent un rôle
fondamental de soutien de la société civile. Les deux sont des espaces civiques,
à l’écart des sphères privée, professionnelle et commerciale, où
les individus peuvent explorer les mondes de la culture et de la
nature par un apprentissage autodirigé. Ce sont des espaces sociaux
protégés, dont les individus, seuls, en famille ou avec des amis,
font l’expérience en présence d’étrangers. Les bibliothèques et
les musées reflètent ainsi un idéal de civisme, de communauté et
de respect mutuel qui est aujourd’hui plus que jamais nécessaire
pour une démocratie résiliente. De par leur combinaison unique de contenus
inspirants et d’espaces civiques, ils sont des vecteurs précieux
d’espoir, de sens et de lien social. Les bibliothèques et les musées
les plus dynamiques ne se contentent pas de répondre au changement
social et démographique; ils apportent une contribution positive
à la tâche sans fin qui consiste à repenser la société civile européenne.
8. Malgré les difficultés rencontrées pour collecter des données
complètes sur les 47 Etats membres du Conseil de l’Europe, je suis
parvenue à rassembler les statistiques suivantes: selon le Groupe
européen des statistiques muséales (EGMUS)
, on dénombre environ 18 700 musées
dans les 28 pays de l’Union européenne, qui accueillent chaque année
566 millions de visiteurs. Le nombre moyen de musées dans ces pays
est de cinq pour 100 000 habitants. Il y a 65 000 bibliothèques
publiques dans l’Union européenne, qui accueillent 100 millions
de visiteurs chaque année. Il est intéressant de noter que 24 millions
d’adultes participent annuellement à des activités non formelles
d’apprentissage proposées par leur bibliothèque publique et que
14 millions d’Européens utilisent des services informatiques en
accès public. Selon Eurostat
, le nombre d’employés des bibliothèques
et musées dans le secteur culturel varie de 10 % à 40 % dans 27
pays de l’Union européenne.
9. Ces dernières années, les bibliothèques et musées ont rencontré
à la fois de nombreuses difficultés et de nombreuses opportunités.
Si la fin du 20e siècle a vu des avancées
sans précédent dans le domaine de la communication, l’arrivée du
cinéma et de la télévision avait déjà menacé le monopole des musées
en termes de communication visuelle. Le papier demeurant le principal
support des mots écrits ou imprimés, les bibliothèques ont encore
pu conserver leur position quelques temps. Mais, avec l’apparition
de la technologie numérique et les progrès rapides des télécommunications
au tournant du siècle, les musées comme les bibliothèques ont dû
faire face à ce que l’on pourrait décrire comme une crise identitaire.
L’année dernière, le Gouvernement du Royaume-Uni a chargé William
Sieghart, épaulé d’un groupe éminent, d’étudier comment améliorer
le fonctionnement futur du système des bibliothèques publiques en
Angleterre, et de produire un rapport
. Une part importante de ce rapport
présente une indubitable pertinence pour les bibliothèques dans une
période de mutation; il est à recommander pour ses travaux de recherche,
ses idées et suggestions qui seront fort utiles à tout le secteur.
10. L’une des évolutions rencontrées récemment par les bibliothèques
et musées a été la découverte de l’importance de leurs publics,
qui s’est traduite par un dialogue accru avec divers groupes de
personnes, en réponse à leurs perceptions et à leurs besoins particuliers.
Connaître et comprendre les usagers et les visiteurs fait désormais
partie des exigences de la profession, au même titre que la connaissance
de leurs collections.
11. La Convention du Conseil de l’Europe sur la valeur du patrimoine
culturel pour la société (STCE no 199, «Convention
de Faro»)
insiste sur la nécessité pour les
institutions chargées du patrimoine, dont les bibliothèques et musées,
d’être au service de leur communauté et de la société dans son ensemble.
La convention présente le patrimoine aussi bien comme une ressource
servant au développement humain, à la valorisation de la diversité
culturelle et à la promotion du dialogue interculturel que comme
la composante d’un modèle de développement économique reposant sur
les principes d’utilisation durable des ressources.
2. Acquisition et expansion de nouveaux
rôles pour les bibliothèques et musées
«Si les musées devaient
échouer à s’adapter aux changements sociaux et à les refléter, le
soutien du public ne se justifierait plus.» Kenneth Hudson
«Le rythme du changement exige des bibliothèques et de
leur public qu’ils développent en permanence leurs propres compétences,
qu’il s’agisse d’accéder à des connaissances utiles aux nécessité
de la vie, à l’enrichissement ou au plaisir. Ceux qui n’ont pas
acquis ces compétences ou ont du mal à suivre le rythme sont de
plus en plus défavorisés socialement et économiquement.» Shared
Intelligence
12. Le recentrage sur le public
a fondamentalement modifié la philosophie et la méthodologie des
musées et créé une ouverture sur les besoins sociétaux. Les bibliothèques
publiques ont toujours dialogué intensivement avec leurs usagers,
en collectant des documents relatifs aux intérêts locaux et en répondant
aux demandes de titres particuliers. Ces dernières années cependant,
l’accent a été mis sur la consultation avec les usagers concernant
la conception, voire le partage de services. Cette attention accrue
portée aux besoins des usagers s’est produite à un moment où bibliothèques
et musées sont en position de relever les défis économiques, technologiques
et culturels posés par un monde en rapide évolution.
2.1. Interprétation
des collections
13. Les bibliothèques et musées
encouragent la mise au point de nouveaux modes d’interactions pour étoffer
et interpréter leurs collections. Leur ambition est d’inspirer les
usagers et les visiteurs et de leur permettre une compréhension
plus fine, créant ainsi les conditions nécessaires pour qu’ils puissent
jouer un rôle actif dans le débat sur leur patrimoine et établir
un lien entre celui-ci et les priorités actuelles. On a pu observer
un renforcement du dialogue et des échanges avec le public, ce dernier
étant encouragé à poser des questions et à s’associer à des professionnels
de la culture dans des discussions explorant divers thèmes.
14. En touchant un plus large public, les bibliothèques et musées
ont découvert l’importance de mettre en scène des récits. En effet,
en tant que supports d’une histoire générale et reflets de points
de vue particuliers, les récits combinant images, objets et textes
peuvent constituer un outil de communication et d’information divertissant.
A Moscou (Russie),
The First Library
of City Stories, ouverte en 2014 propose un programme
de conférences, débats, master classes, etc. portant sur divers
aspects de la vie dans une grande ville. Son équipe est convaincue
que l’intérêt pour les récits drainera un nouveau public vers ses
rayons. De la même façon, le Centre Juozas Urbsys, installé dans
la bibliothèque publique Panevėžys en Lituanie
, est à l’origine du projet «Nevezis»,
véritable plateforme pour la créativité des enfants. Le personnel
de la bibliothèque encourage les jeunes à écrire des histoires ou
des articles d’opinion, qui sont ensuite publiés dans le journal local
et l’almanach annuel de la bibliothèque. De nombreux musées conçoivent
désormais leurs expositions comme des histoires.
15. Le Musée Rautenstrauch – Joest des Cultures du monde (Cologne,
Allemagne), qui s’est vu décerner le Prix du Musée 2012 du Conseil
de l’Europe, a réinterprété ses riches collections ethnologiques
dans l’intention de prendre de la distance avec l’approche eurocentrée
traditionnelle. Ses nouvelles expositions racontent les échanges
entre différentes cultures et la manière dont elles se voient réciproquement
et se comprennent (ou pas). Dans une exposition organisée à part
pour les jeunes enfants, des ateliers sont consacrés à des aspects
variés des différences culturelles. Les diverses communautés ethniques
minoritaires de la ville sont associées à plusieurs projets et activités
.
16. L’exposition permanente présentée au musée d’histoire de l’Estonie
à Tallinn
a ouvert ses portes en 2011 dans
le Great Guild Hall médiéval. Intitulée «L’esprit de la survie»,
elle s’appuie sur huit questions-clés pour relater l’histoire de
l’Estonie et présenter la singularité des peuples qui y ont vécu.
Cette exposition novatrice et expérimentale est unique en Estonie.
Les visiteurs y découvrent une vision captivante de l’histoire, inspiratrice
de nouveaux récits, et apprennent, grâce à une présentation intelligente,
que le travail incessant et parfois obstiné du peuple estonien est
à l’origine d’un environnement exceptionnel que caractérise une
culture unique.
2.2. Des
lieux de rencontre vivants et dynamiques
17. Les bibliothèques et musées
sont désormais des lieux de rencontre vivants et dynamiques. De «temples»,
ils se transforment en «forums»
. Ces établissements
sont au cœur de leur communauté et deviennent des centres de la
vie locale, voire parfois des moteurs du développement social et
économique.
18. De nombreuses bibliothèques publiques sont en train de modifier
leur manière d’exploiter l’espace. Ainsi, des groupes communautaires
peuvent être invités à organiser sur place des événements et activités
et les services sont parfois conçus et gérés conjointement avec
des membres de la collectivité locale. Des partenariats s’instaurent
avec des services publics locaux (santé, emploi et enseignement
pour adultes) afin d’offrir un «service à guichet unique» qui soit
aussi un lieu de rencontre attrayant pour les membres de la communauté.
De cette manière, la bibliothèque publique joue un rôle de plaque
tournante de l’information pour l’autorité locale. Ailleurs, des
bibliothèques sont partenaires et colocataires d’organisations artistiques
locales telles que des cinémas et des théâtres, afin de proposer
une sorte de pivot culturel où les citoyens peuvent jouir d’une
offre culturelle et artistique très diversifiée et y participer.
19. Le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée
(MuCEM)
à Marseille (France), lauréat du
Prix du Musée du Conseil de l'Europe en 2015, s’affirme comme le
meilleur musée français grâce à son concept nouveau et novateur;
en plus d’être un musée hors du commun, il fonctionne à la manière
d’une agora contemporaine. Le MuCEM gère un programme impressionnant
d’activités (activités éducatives, débats avec des artistes et des
auteurs, séminaires, conférences, festivals de cinéma, représentations
théâtrales contemporaines, concerts, etc.) qui sont très populaires
et largement accessibles compte tenu d’un prix d’entrée modique,
et qui abordent un large éventail de questions contemporaines, souvent
très controversées dans le bassin méditerranéen.
20. La bibliothèque de Marpod, en Roumanie, a été créée en partenariat
avec la population locale. L’idée était de faire d’un lieu poussiéreux
un centre de connaissances moderne accueillant l’ensemble de la communauté
pour échanger et apprendre. Les visiteurs y partagent la sagesse
et des savoirs locaux, en échangeant des histoires et des expériences
personnelles. Les agriculteurs, par exemple, y trouvent des informations
diverses et un accompagnement dans leurs demandes de subventions
européennes. C’est aussi un lieu où les jeunes peuvent aider les
plus âgés à se familiariser avec l’informatique et l’internet. Les
locaux de la bibliothèque sont également utilisés par la population
pour y tenir des réunions.
21. Deptford Lounge, à Lewisham
(Royaume-Uni) en est un exemple intéressant. Conjointement géré
par des bibliothèques de Lewisham et le Théâtre Albany, cet établissement
s’intéresse à l’utilisation de l’espace des bibliothèques pour des
activités artistiques. La bibliothèque partage également ses locaux
avec une école primaire locale. Cela permet aux secteurs culturel
et éducatif de travailler ensemble au sein d’un même bâtiment.
2.3. Ancrer
les bibliothèques et les musées dans la vie de la communauté
22. En plus de diversifier leurs
services, les bibliothèques et musées forgent des relations avec
leurs communautés. De nombreux établissements offrent à la population
locale la possibilité de participer activement à la création de
services, notamment par le biais du bénévolat et des consultations
avec les membres de la collectivité.
23. Les bibliothèques et musées sont désormais très attentifs
aux attentes de leurs publics et à la diversité culturelle de la
société européenne contemporaine. En engageant un dialogue avec
leurs visiteurs, ils sont à même de prendre en compte les différences
culturelles. Ils jouent parfois même les intermédiaires dans le débat
entre les divers groupes culturels en présence dans leurs communautés
et favorisent ainsi un rapprochement entre elles.
24. Un recueil de 30 études de cas réalisées en Italie, en Hongrie,
aux Pays-Bas et en Espagne, publié en 2009, témoigne d’une évolution
de la méthodologie contemporaine des musées en tant qu’établissements
à vocation patrimoniale
. Certaines de ces études visent
à aider les communautés d’immigrants à s’impliquer plus étroitement
et à mieux connaître l’histoire et la culture de leur nouveau pays,
et d’autres offrent des exemples de la manière dont les immigrants
et d’autres minorités peuvent employer ces mêmes ressources pour
familiariser leur communauté d’accueil avec leur culture d’origine.
25. Le musée du vieux village de Sirogojno en Serbie
est un écomusée de plein air ou un
«ethno-village». La population locale participe à la préservation
et à la présentation de son patrimoine culturel: activités de restauration
de l’habitat traditionnel et des cabanes en rondins, préservation
des artisanats locaux et des modes de vie traditionnels de la région.
Les visiteurs viennent y découvrir des produits locaux, de la cuisine faite
maison, des produits artisanaux et des costumes folkloriques.
26. Les bibliothèques publiques sont bien placées pour réagir
face à l’évolution des communautés qui constituent leur public.
Leur fonds inclut désormais des ouvrages dans de nombreuses langues
et des produits conçus pour séduire les nouvelles communautés. Avec
l’aide bénévole de membres de la collectivité, elles proposent aux
nouveaux arrivants des cours de langues formels et informels. Elles
aident aussi les enfants à se familiariser avec la langue et la
culture de leurs parents.
27. La nouvelle bibliothèque San Giorgio, à Pistoia en Italie
, a été conçue comme un espace de
rencontre pour la population locale. Elle se compose d’un grand
atrium central et d’un café. Les visiteurs peuvent s’y rencontrer
et passer du temps ensemble dans des espaces spécialement imaginés
et créés pour les adultes comme pour les enfants. La bibliothèque
fonctionne sur la base d’un petit budget opérationnel, et toutes
les activités d’apprentissage sont proposées en partenariat avec
la population locale et les établissements d’enseignement.
2.4. Activités
éducatives
28. Ces dernières années, bibliothèques
et musées ont considérablement élargi leur champ d’activité en tant
que centres éducatifs. Ils poursuivent leur collaboration avec les
écoles et les universités mais ciblent également de nouveaux publics,
dont les familles, les jeunes enfants et les personnes âgées. Certains
musées et bibliothèques travaillent également avec des patients
en milieu hospitalier, des détenus, de nouveaux immigrants, des
personnes présentant des troubles de l’apprentissage ou autres,
et des adolescents en difficulté. De cette façon, ils sont en mesure
de proposer un large éventail de services éducatifs grâce à leurs seules
ressources et deviennent ainsi pour de nombreux publics des centres
d’apprentissage tout au long de la vie. Certains musées et bibliothèques
publics ont repensé leur espace pour y intégrer de nouvelles structures
pédagogiques telles que les
makerlabs ,
des studios d’enregistrement et autres ressources didactiques offrant
la possibilité d’élargir ses connaissances et compétences.
29. Ouvert en avril 2012, le Centre culturel maritime est le département
le plus récent du Musée national de la marine de Gdansk, en Pologne
. Il informe le public de façon compréhensible
et interactive en utilisant des techniques multimédias, et propose
diverses activités éducatives, dont des ateliers de conservation
et d’archéologie sous-marines. Les visiteurs sont ainsi pleinement
impliqués dans les activités quotidiennes du musée. Le Centre s’attache
à garantir aux personnes handicapées un accès facilité à la culture.
30. MUSE, le Musée des sciences à Trente, en Italie
, joue sur le registre de l’innovation
et de la créativité dans tous les domaines. Il interprète les thèmes
de l’évolution, de l’environnement, de la biodiversité et de la recherche
au moyen de méthodes de communication modernes et d’activités interdisciplinaires.
Ses activités éducatives favorisent une rencontre amusante et informelle
avec la science et ses applications.
31. Frysklab est un laboratoire de fabrication (FabLab) mis à
disposition par la bibliothèque publique de Fryslân aux Pays-Bas
. Cette bibliothèque a imaginé un
laboratoire mobile: un camion rempli d’outils scientifiques, technologiques
et novateurs pour enseigner aux enfants de la province rurale de
Friesland les bases de la science.
32. La bibliothèque Kista à Stockholm, en Suède
, promeut l’apprentissage tout au
long de la vie en proposant un enseignement formel et informel.
Elle propose des cours sur les TIC et des cafés linguistiques pour
les seniors et prône le dialogue intergénérationnel, ainsi que le
partage d’expériences, de connaissances et de capacités.
33. Pendant les vacances d’été de l’année 2014, près de 840 000
enfants ont participé au Summer Reading Challenge organisé
au Royaume-Uni par la Reading Agency, une démarche pédagogique conçue
pour maintenir le niveau de lecture des enfants durant la longue
pause estivale.
2.5. Contribution
économique des bibliothèques et musées
34. Souvent considérés comme une
attraction pour les visiteurs d’une ville ou d’une région, les bibliothèques
et musées contribuent ainsi au développement de l’économie touristique.
De manière générale, ils sont créateurs d’emplois, attirent les
entreprises et encouragent le climat d’investissement. Les musées peuvent
influer directement et indirectement sur la consommation et l’emploi
dans une région. Aussi n’est-il pas possible de considérer le financement
public dans ce secteur comme une dépense superflue; c’est au contraire
un investissement qui peut se révéler rentable sous forme de prestations
sociales et de croissance économique.
35. Le musée Guggenheim
a contribué à faire de la ville de
Bilbao un lieu d’intérêt culturel. Grâce à ce projet artistique
et architectural, 45 000 emplois ont été créés dans la région. Un
autre grand musée national offre un exemple intéressant de l’ampleur
que peut atteindre l’impact économique. En 2014, l’Université européenne
de Saint-Pétersbourg a effectué des recherches sur l’incidence économique
et sociale du Musée d’Etat de l’Ermitage sur la ville
. L’impact économique direct et indirect
du musée sur la ville a été estimé à $US 1,1 milliard par an, soit
près de 10 fois le montant des frais d’exploitation annuels du musée.
36. Il est à noter que les bibliothèques et musées jouent le rôle
d’un catalyseur favorisant des évolutions positives pour la croissance
régionale. Dans le comté de Krapina-Zagorje, en Croatie, les cinq
musées de Hrvatsko zagorje
forment une unique entité juridique.
Ils drainent une importante activité touristique et culturelle dans
la région et ont ainsi un fort impact sur l’économie locale. Mais
ce ne sont généralement pas eux qui tirent des bénéfices de cette
coopération et de ces partenariats. Pour remédier à cette situation, l’Association
des musées indépendants du Royaume-Uni offre à ses membres une «boîte
à outils» conçue pour leur permettre d’estimer leurs retombées économiques
sur la région dans trois domaines: le tourisme, l’emploi et la consommation
de biens et de services. Les données recueillies avec l’aide de
cet instrument peuvent être exploitées par les musées pour se valoriser
aux niveaux local et régional
. Certaines bibliothèques pratiquent
également cette démarche
.
37. Il existe de nombreux exemples d’étroite coopération mutuellement
bénéfique entre les bibliothèques et les autorités locales. Lorsqu’Umeå
a été sélectionnée pour devenir Capitale européenne de la culture
en 2014, la municipalité a décidé de créer le Centre culturel Väven
. La bibliothèque de la ville, qui
est au cœur de ce projet, est entourée de deux hôtels, de restaurants
et de cafés; elle est devenue une véritable plate-forme touristique
et culturelle.
38. Un autre exemple est celui des bibliothèques du comté de Warwick
, qui assurent divers services aux quelque
5,5 millions d’habitants de communes et villages situés sur un territoire
d’environ 2 000 km2. Labellisées «Warwickshire
Direct» dans le cadre de la politique de «guichet unique» du conseil
municipal, elles proposent sous un seul et même toit des services
locaux intégrés. Ce partenariat a permis le partage des locaux,
des frais généraux et même du personnel au bénéfice d’une fourniture
de services plus efficace et d’un confort accru pour les usagers.
Les bibliothèques assurent divers services à la demande d’un large
éventail de partenaires, dont la police, les services de santé,
les services éducatifs et d’autres instances. A Warwick, les habitants
peuvent emprunter ou retourner un ouvrage, faire enregistrer une
naissance, faire une demande de prestations sociales ou de transport
à tarif réduit, envoyer un colis par la poste ou encore réserver
un mariage – le tout en un unique lieu.
2.6. Rôles
traditionnels
39. Tout en explorant de nouvelles
possibilités, les bibliothèques et les musées doivent aussi continuer d’assumer
leur rôle traditionnel. La conservation et l’enrichissement de leur
fonds demeure l’une de leurs tâches essentielles, bien que ce domaine
ait lui aussi fortement changé. D’une part, les nouvelles technologies offrent
désormais de nouveaux outils extrêmement efficaces pour stocker
et rechercher des informations, équiper les réserves et conserver
objets et livres. L’environnement en rapide évolution rend difficile l’application
de nombreuses méthodes traditionnelles de collection. Les bibliothèques
réorganisent leurs collections pour y inclure des ressources numériques
et les musées sont aujourd’hui confrontés à la difficulté de gérer
l’acquisition d’œuvres d’art contemporain, dont il faut décider
celles qu’il convient de préserver pour la postérité et selon quels
critères. Un nouvel élargissement de la notion de patrimoine culturel,
qui inclut aujourd’hui le patrimoine immatériel
et le patrimoine numérique, ouvre
de nouvelles perspectives pour les bibliothèques et les musées mais
exige également de revisiter radicalement la méthodologie d’acquisition
et de documentation. Les bibliothèques et les musées devront établir
une planification rigoureuse à l’aide des technologies modernes
pour traiter le nombre croissants d’articles numérisés dans leurs
collections.
40. En règle générale, seule une petite partie des collections
d’un musée est exposée; le restant demeure dans les réserves. Ceci
explique pourquoi de nombreux musées européens ont adopté une démarche «d’entreposage
ouvert», offrant ainsi au public un accès à des espaces muséaux
autrefois fermés. Certains musées installent des écrans plasma ou
des fenêtres offrant au visiteur une vue sur les réserves et les laboratoires
de conservation. D’autres organisent des visites guidées de zones
où les visiteurs peuvent voir le travail que les conservateurs effectuent
«en coulisses». Au Musée de Madinat-al-Zahra de Cordoue (Espagne),
bâti sur les vestiges de la cité médiévale musulmane du Xe siècle,
en cours de fouille, les visiteurs peuvent voir à travers un mur
vitré un vaste espace d’entreposage dans lequel les archéologues
nettoient et conservent leurs trouvailles récentes.
41. Un autre exemple est le Musée de la baleine à Madère (Portugal)
qui dispose de sa propre équipe scientifique
pour faire de la recherche biologique. Le processus continu de recherche,
de collecte et de catalogage permet au musée de présenter à ses
visiteurs une vaste collection d’objets et de les sensibiliser aux
problèmes écologiques posés par la chasse baleinière.
3. Pressions
et défis économiques pour les bibliothèques et les musées
42. Depuis quelques années, l’ensemble
du secteur culturel, dont les bibliothèques et musées, a durement souffert
des politiques d’austérité menées en Europe. De nombreux établissements
ont vu chuter leurs financements publics, ce qui les a contraints
à revoir leurs effectifs à la baisse et limiter les heures d’ouverture. De
plus, les sites ont été réduits ou fermés.
43. Les bibliothèques et les musées sont l’une des premières cibles
visées par ces mesures d’austérité. Les décideurs de tous niveaux
peuvent avancer que les institutions culturelles ne sont pas une
priorité. Récemment, Europa Nostra a créé une alliance européenne
pour le patrimoine qui réunit de nombreuses organisations dont le
but est de prouver la valeur du patrimoine pour le développement
futur de l’Europe. Le projet «Un patrimoine culturel pour l’Europe»,
financé par l’Union européenne, présente des arguments convaincants
pour persuader les décideurs et responsables politiques de l’impact
et des avantages multiples d’une politique d’investissement dans
le patrimoine culturel européen.
3.1. Réduction
des services publics
44. Les petits établissements municipaux
au service des populations de régions reculées et économiquement
faibles peuvent grandement pâtir des restrictions budgétaires. La
fermeture de ces lieux de rencontre de la population locale est
non seulement préjudiciable au patrimoine et à l’éducation, mais
aussi au climat social et au sentiment de fierté locale et d’appartenance
à la communauté. Il est particulièrement important de les conserver
comme autant d’espaces où les gens peuvent se retrouver et échanger
en toute sécurité en une époque d’instabilité politique ou économique.
3.2. Fragilité
des collections
45. L’impératif de préserver, conserver,
rechercher, élargir et interpréter des collections qui illustrent
les connaissances et la mémoire de la société représente une énorme
charge de travail pour les bibliothèques et les musées. Certains
établissements ont tendance à consacrer leurs maigres ressources
à l’entretien, à la conservation et au stockage de leurs collections.
D’autres sont à ce point impécunieux qu’ils sont incapables de maintenir
des normes, mêmes minimales, nécessaires à la préservation de leur
leurs fonds. On sait également que des pièces de collection de valeur
ont été vendues, privant ainsi la communauté du legs des générations
passées et d’un atout important pour la promotion de la ville ou
de la région.
46. Certains pays ont des législations compliquées et difficiles
à mettre en œuvre sur les normes techniques régissant les collections.
En Croatie, par exemple, il y a, outre la Loi sur les musées au
niveau national, toute une série de règlements concernant l’entretien
et la gestion des collections
.
3.3. Entretien
des locaux
47. De nombreuses institutions
doivent consacrer une grande partie de leurs recettes à l’entretien
de leurs bâtiments, dont certains sont même inutiles, ce qui ne
laisse que peu de ressources pour le développement d’activités.
Une exploitation judicieuse de l’espace, la création de secteurs
multifonctionnels, la mise au point de projets collaboratifs et
l’aménagement des horaires d’ouverture pourraient permettre de parvenir
à un juste équilibre entre les frais d’entretien et les coûts d’exploitation.
3.4. Incidence
sur le personnel
48. Les réductions de personnel
et les compressions salariales pratiquées dans les bibliothèques
et les musées sont l’une des conséquences de la politique d’austérité
économique appliquée en Europe. De nombreux professionnels ont dû
démissionner ou passer à des emplois à temps partiel. Comme dans
bien d’autres domaines, les jeunes diplômés et professionnels peinent
à y trouver un emploi et le bénévolat est le seul choix qui leur
est donné pour acquérir une expérience professionnelle.
49. Une augmentation du nombre de bénévoles travaillant dans ce
secteur a été constatée. Si ce phénomène peut permettre d’économiser
sur le salaire du personnel, le recrutement, la formation et l’encadrement
des bénévoles n’en ont pas moins un coût. De plus, les bénévoles
ne peuvent pas remplacer le savoir-faire des professionnels, qui
est si essentiel pour garantir tout l’éventail des services que
fournit le secteur. Le personnel de certaines bibliothèques publiques
se réduit aujourd’hui uniquement à des bénévoles, ce qui se solde
parfois par un service beaucoup plus restreint se limitant à l’échange
et à l’emprunt de livres.
3.5. Politique
gouvernementale en période d’austérité
50. Certains pays européens pratiquent
depuis toujours une politique de centralisation. Ces dernières années
cependant, cette politique visant à réaliser des économies s’est
propagée à d’autres pays. La fusion d’établissements distincts qui
en résulte dans certains cas, si elle permet de réaliser des économies
au niveau de l’administration, peut se traduire par une structure
de gestion complètement rigide. En conséquence, les bibliothèques
et les musées peuvent se retrouver dans l’incapacité de gérer directement
leur personnel et leur budget, de développer des projets de partenariat,
de recueillir directement les dons des mécènes, de fixer les prix
des billets d’entrée et de décider de réductions tarifaires.
3.6. Signes
encourageants
51. Les bibliothèques et musées
européens sont aujourd’hui mieux préparés à affronter la crise provoquée par
le manque de fonds qu’ils l’auraient été il y a 20 ou 30 ans. Dans
les années 1980-1990, lorsque des événements de même ordre se sont
produits dans le secteur culturel de certains pays d’Europe de l’Ouest comme
d’Europe de l’Est, les financements publics étaient l’unique source
d’aide pour la plupart des bibliothèques et musées. Aussi les restrictions
budgétaires leur ont-elles causé beaucoup de tort. Pourtant, cette
crise a renforcé les institutions culturelles: en tentant de la
surmonter, elles ont amélioré leur gestion, recherché de nouveaux
publics et surtout, appris à diversifier leurs sources de financement.
52. Dans une étude récente, l’Association des musées du Royaume-Uni
indique que nombre de ses sondés
sont convaincus que la qualité du service fourni par leurs musées
va aller croissant au cours de l’année à venir. Voici qui témoigne
d’un niveau de confiance plus élevé que celui constaté dans l’ensemble
des études précédentes. Les musées vont aussi améliorer la qualité
de leurs services en privilégiant de nouvelles méthodes de travail.
4. Rendre
bibliothèques et musées plus pérennes et résistants pour l’avenir
«Il y a vingt ans, les
musées ont souffert de la dernière grande série de réductions budgétaires. Aujourd’hui,
ils sont mieux dirigés, mieux gérés et déterminés à rester ouverts.
Il leur faut lever davantage de fonds et il se pourrait que certains
d’entre eux doivent leur survie à l’apprentissage de la diversification
de leurs sources de revenus.» Mark Taylor, ancien directeur de l’Association
des musées, Royaume-Uni
53. L’insécurité financière peut
effectivement avoir des effets stimulants et se solder par un regain d’efficacité
et un surcroît d’économies dans la gestion des ressources et l’aptitude
à générer des recettes supplémentaires, accroissant ainsi la capacité
de résistance de ces établissements face à l’acquisition et à l’expansion
de nouveaux rôles.
54. Il est important que ces institutions, tout en restant comptables
de l’utilisation de fonds publics, puissent conserver leur droit
d’obtenir et d’allouer des ressources financières et donc de développer
une certaine autonomie en matière de prise de décision. Ce sont
elles les mieux placées pour concevoir leur propre stratégie et
gérer les moyens financiers disponibles. Elles sont à même de rechercher
de meilleures solutions pour gérer les ressources humaines et financières,
nouer de nouveaux partenariats, bénéficier de l’appui de mécènes
– y compris sous forme de contributions en nature –, toucher de
nouveaux publics, offrir de nouveaux services, travailler avec des
bénévoles et mettre au point des projets communautaires et de sensibilisation.
4.1. Leadership,
vision et compétences
55. Les bibliothèques et les musées
ont absolument besoin d’un leadership et d’une vision à long terme
pour pouvoir s’adapter et évoluer dans une période marquée par les
changements. Ils doivent être à même de laisser libre cours à l’innovation,
à l’imagination et à l’esprit d’entreprise.
56. Tout ceci nécessite un nouveau style de leadership. Auparavant,
les directeurs d’établissements étaient généralement spécialisés
dans un domaine universitaire donné. Aujourd’hui, ils doivent cumuler
d’autres qualités pour être en mesure de concevoir la mission de
leur établissement, d’élaborer et de mettre en œuvre sa stratégie
et de gérer les ressources disponibles. Bien plus que leurs prédécesseurs,
ils ont besoin d’une vision d’ensemble. Il leur faut également tenir
compte des dimensions politiques, économiques, sociales et culturelles
du fonctionnement de leur établissement, tout en étant capables
de traiter avec leurs divers intervenants, de les inspirer par leur
vision et de s’assurer de leur appui.
57. En conséquence, les professionnels des bibliothèques et des
équipes muséales se trouvent face à plusieurs défis qui, pour être
relevés, nécessitent – outre les compétences traditionnelles – un
éventail d’aptitudes nouvelles. S’adjoindre les services de jeunes
professionnels et leur confier des rôles clés facilitera le changement.
Au fait des méthodes contemporaines de gestion et de communication,
ces jeunes spécialistes peuvent par leurs compétences compléter
celles des membres du personnel plus anciens. Ce travail d’équipe, combiné
à une formation professionnelle avancée, peut améliorer le rendement
de l’établissement tout en le modernisant.
58. Tower Hamlets (l’un des quartiers de Londres les plus défavorisés)
a développé une stratégie pour améliorer la qualité des services
offerts par les bibliothèques locales, en réponse à la chute considérable
du nombre de leurs visiteurs en 1998. Après deux ans d’une étroite
collaboration avec les autorités locales et la participation du
public, un nouveau concept, la «boutique aux idées» (
the Idea Store)
a vu le jour. Le concept repose sur
un renforcement de la participation aux services des bibliothèques
et à l’apprentissage tout au long de la vie, ainsi que l’accès à
l’information. Cinq bibliothèques locales ont ainsi été repensées,
en y intégrant un large éventail de nouveaux services, dont des
services de la municipalité. Une offre de plus de 800 cours pour
les adultes et les familles a été développée. Les bibliothèques
ont été réinstallées dans des centres commerciaux, fonctionnant
à la manière de magasins avec des heures d’ouverture étendues (71
heures hebdomadaires, environ 357 jours par an). Le recrutement
du personnel a fait l’objet d’une attention toute particulière;
les descriptions de postes ont été redéfinies et une structure hiérarchique
«plate» a été introduite. A présent, les membres du personnel interagissent
avec le public et font office d’animateurs plutôt que de gardiens
de collections d’ouvrages. Le personnel est polyvalent et créatif,
fortement motivé et son profil reflète largement la diversité de
la communauté locale. La politique de recrutement du personnel et
de formation en interne est la clé de ce succès; le nombre de visites
annuelles, de 550 000 en 1998, a atteint plus de 2,1 millions aujourd’hui.
59. La bibliothèque d’Aarhus au Danemark
a quant à elle bénéficié de l’initiative
d’innovation des services publics au plan local. Le personnel est
encouragé à proposer de nouvelles idées de services à la direction.
Les idées retenues se voient allouer une petite subvention, et il
incombe au personnel de trouver des sources de financement complémentaires.
L’une des idées était de mettre au point un programme d’initiation
au numérique, en partenariat avec des bibliothèques et des écoles
danoises, pour améliorer les connaissances numériques des jeunes
et les sensibiliser aux questions de sécurité en ligne.
60. Les réseaux nationaux et européens de bibliothèques et de
musées ont un rôle important à jouer pour soutenir les professionnels
dans le processus de changement.
61. L’Association des musées finlandais propose par exemple une
large gamme de formations aux employés de ses 385 musées membres.
Ces dernières années, elle a axé ses programmes autour de la formation
du personnel aux compétences requises dans la nouvelle société de
l’information. Elle organise régulièrement des cours en ligne, avec
une vingtaine de sessions par an
.
62. Au niveau européen, l’un des projets de réseaux de professionnels
du domaine muséal les plus réussis est le LEM (Learning Museum Network),
lancé en 2010. Son objectif est d’analyser comment les musées tirent profit
du savoir de la communauté, du public, de leurs parties prenantes
et d’autres organismes auxquels ils se sont alliés, afin d’atteindre
les objectifs ambitieux fixés par les politiques aux niveaux national
et européen et de relever les défis des prochaines décennies
.
63. Par ailleurs, les programmes de volontariat dirigés par des
professionnels constituent aujourd’hui un soutien important et précieux
pour les bibliothèques et musées. Tout en permettant de réduire
les coûts d’exploitation, le recours à des bénévoles aide l’établissement
à s’ancrer dans la vie communautaire. En effet, les bénévoles tiennent
à l’établissement et souhaitent le soutenir et le promouvoir parmi
les membres de la communauté. Cependant, les traditions et la législation
relatives à la participation de bénévoles aux travaux des institutions
culturelles varient énormément d’un pays d’Europe à l’autre
.
64. L’exemple du Musée Saurer en Suisse
est assez inhabituel, puisqu’il
occupe les locaux d’une usine automobile qui avait fermé ses portes
en 1987. Un groupe d’anciens ouvriers ayant perdu leur emploi ont souhaité
préserver ce patrimoine et ont décidé d’en faire un musée. La campagne
de collecte de fonds a permis de lever plus de € 400 000, permettant
l’ouverture du nouveau musée en 2010. Le musée est entièrement géré
bénévolement par des anciens ouvriers de l’usine.
4.2. Multiplier
les sources de financement
65. Les bibliothèques et les musées
sont des organismes financés par des fonds publics et tenus de rendre des
comptes à leurs bailleurs. Aussi sont-ils doublement comptables,
devant l’Etat et devant toutes les autres sources de revenus non
publiques. Dans de nombreux pays européens, les bibliothèques et
musées publics dépendent entièrement des aides d’Etat, mais depuis
quelques temps, la tendance est à réduire la dépendance vis-à-vis
de ces fonds en trouvant d’autres sources de revenus. Certains établissements craignent
toutefois que l’augmentation des recettes qu'ils génèrent ne se
solde par une réduction des financements publics.
66. Il existe plusieurs moyens – qu’ils soient traditionnels et
éprouvés ou nouveaux – de générer des revenus pour compléter les
financements publics. Certains sont déjà reconnus, d’autres bénéficient
de technologies de pointe et de la contribution d’entrepreneurs
enthousiastes. L’avènement de la technologie numérique a ouvert
de nombreuses possibilités de revenus et d’économies. Les progrès
du numérique ont permis aux musées de toucher leurs publics de multiples
façons, et les dons en ligne sont aujourd’hui une part importante
de leur financement. Par exemple, le financement participatif se
sert des médias sociaux et d’autres outils de communication numériques
pour des campagnes de collecte de fonds destinées au financement
de projets créatifs. Dans ce contexte, parvenir à rassembler une
foule nombreuse de supporters est tout aussi important que la collecte
de fonds en elle-même.
67. Au Royaume-Uni, le Musée Bowes a lancé une campagne de financement
participatif qui a permis de lever £ 21 000 en 61 jours
. Le musée a ainsi pu restaurer et
réinstaller dans ses galeries un retable flamand du 15e siècle.
Plus tôt en 2014, le musée avait mené une campagne de financement
participatif sur le site Kickstarter qui lui a permis d’orner sa
façade d’une installation de néons signée de l’artiste Gavin Turk
.
68. La collecte de fonds au profit du trésor du Staffordshire
est un exemple intéressant de financement institutionnel et participatif
. Après que la prestigieuse découverte
a été déclarée trésor national et estimée à quelque £ 3 millions,
une campagne de souscription internationale destinée à sa préservation
a été organisée par l’Art Fund au nom de partenaires locaux, régionaux
et nationaux. Lancée avec un apport initial de l’Art Fund de £ 300 000,
la campagne a permis de lever des fonds pour l’acquisition, la présentation
et la conservation du trésor, et des travaux de recherche, mais
aussi pour des programmes novateurs de sensibilisation et d’éducation.
Le trésor du Staffordshire a ainsi pu être restauré et maintenu
sur le site de sa découverte.
69. En 2012, les fonds alloués aux bibliothèques par le conseil
du comté de Suffolk
ont été restreints. Pour empêcher
la fermeture des bibliothèques, une société de mutualité (
Industrial
and Provident Society) a été créée en août 2015. Cette structure indépendante,
qui est une sorte de coopérative, fonctionne avec une gouvernance
locale et une gestion professionnelle. Cette société a conclu un
contrat par lequel le conseil du comté de Suffolk lui délègue ses
obligations légales de services bibliothécaires. Cette société s’en
acquitte avec un budget moindre, mais avec une plus grande liberté
et la possibilité de faire preuve de créativité et d’innovation.
70. Il est de plus en plus aisé d’exploiter le potentiel commercial
des bibliothèques et des musées pour générer des recettes. Mêmes
des pratiques courantes, telles que les droits d’entrée, les frais
d’abonnement pour certains services et les visites guidées, peuvent
être développées. Les cafés et les boutiques peuvent devenir plus
attrayants par une offre plus imaginative de nourriture et de boissons,
mais aussi de produits et d’articles inspirés des collections. Il
existe bien d’autres manières de tirer parti de leurs atouts. Par
exemple, en offrant des services éducatifs et informatifs – certaines
institutions perçoivent des recettes pour des formations conçues
pour le profane intéressé – ou encore en louant des espaces, en
proposant des abonnements à des studios d’enregistrement, etc.
71. Le mécénat représente une source importante de revenus. Approcher
le secteur des entreprises, le secteur privé ou les organismes de
bienfaisance requiert du personnel des qualités de négociateurs
et d’entrepreneurs. Il doit y avoir compatibilité entre les intérêts
des établissements culturels et les attentes de leurs partenaires.
Il convient toutefois de garder à l’esprit qu’une institution culturelle
ne doit ni s’écarter de sa mission, ni sacrifier son intégrité ou
la qualité de ses produits et services au nom d’une collaboration
de ce type.
72. En réaction à des financements publics divisés par deux en
six ans, les bibliothèques du Devon ont élaboré un nouveau concept
de services bibliothécaires inspiré des entreprises, pour toucher
de nouveaux publics, nouer des partenariats plus forts et accéder
à des sources de revenus plus diversifiées. Un partenariat étroit
a ainsi été établi avec le service «économie et entreprise» du conseil
municipal de Devon, avec pour mission l’inclusion numérique, des
plate-formes de travail (l’accompagnement à la création d’entreprise), l’information
et le conseil aux entreprises. Des partenariats ont également été
développés avec le secteur privé. Par exemple, le premier laboratoire
de fabrication (
Fab Lab) a
été créé à la bibliothèque d’Exeter pour soutenir et aider les citoyens
à explorer leur potentiel en matière de création d’entreprise et
d’emplois
.
73. Le mécénat et les contributions en nature peuvent constituer
un précieux appui financier et rendre possibles des expositions
et d’autres projets plus pérennes. Cependant, la presse et la publicité
s’intéressant moins à leur travail, l’attrait exercé par les bibliothèques
sur les mécènes est généralement moindre. Certaines bibliothèques
concluent des contrats avec les autorités locales qu’elles déchargent
de services qui relèvent du domaine d’activité des bibliothèques.
Le mécénat peut aussi être motivé par une responsabilisation sociale
qui amène les entreprises à contribuer à la création dans leur secteur
d’activité d’un environnement culturel pour leurs employés et la
collectivité locale où elles se situent.
74. Les musées ont la possibilité d’utiliser leurs collections
avec intelligence et d’améliorer la qualité du management. Elles
possèdent des collections inaliénables dont beaucoup, qui présentent
un intérêt historique pour les populations locales, attireront toujours
les visiteurs. Les musées devront cependant rationaliser leurs collections
et décider de ce qu’il faut faire des objets qu’ils ne souhaiteront
peut-être pas garder dans leurs réserves. La politique d’aliénation
peut les aider à améliorer la qualité et l’intérêt de leurs collections.
Lorsqu’un objet a été aliéné, il peut être vendu, échangé, donné
ou cédé par toute autre méthode décidée par le musée. Il convient
de veiller à ce que des bailleurs de fonds publics peu scrupuleux
ne dépouillent pas les réserves des musées des actifs qui y sont
stockés.
75. Les partenariats peuvent porter sur des économies d’échelle,
le partage d’expériences, etc. En Finlande, par exemple, il est
très courant que plusieurs musées se partagent un bâtiment, réduisant
ainsi les frais d’entretien et économisant sur les frais d’infrastructure
et de personnel. Le centre culturel WeeGee de Tapiola, à Espoo (Finlande),
installé dans une ancienne imprimerie reconvertie qui abrite cinq
musées, en est un exemple récent. C’est l’administration centrale
qui entretient le bâtiment, ce qui permet aux musées de fonctionner
avec un personnel réduit et de se partager la gestion d’une boutique
ou d’une cafétéria, mais ils conservent par ailleurs une entière
indépendance. Il est également possible de créer des consortiums
pour négocier des accords dans des domaines tels que l’énergie,
le transport et le stockage.
4.3. Développement
de partenariats et de réseaux
76. Tant à l’intérieur qu’à l’extérieur
de leur domaine, les partenariats permettent aux bibliothèques et
aux musées d’atteindre des objectifs qu’ils seraient incapables
de réaliser seuls. Dans de nombreuses villes et régions d’Europe,
les musées mettent non seulement en place des projets conjoints
(expositions temporaires, etc.), mais s’associent également dans
le domaine du marketing ou de la construction d’installations d’entreposage.
Ainsi, 10 musées de la ville d’Utrecht (Pays-Bas) ont mis au point
un programme de marketing commun
.
77. Au niveau local, les bibliothèques et musées peuvent non seulement
collaborer entre eux et avec d’autres établissements culturels –
théâtres et cinémas – mais également avec les médias, des institutions pédagogiques
et des entreprises. Les partenaires de milieux extérieurs apportent
d’autres connaissances et compétences qui améliorent la qualité
des projets et en augmentent la portée.
78. Ainsi, le Musée Tchekhov, situé dans le domaine de Melikhovo,
près de Moscou (Russie), où l’écrivain a vécu et travaillé, est
devenu un lieu de rencontre pour les gens de théâtre et accueille
aujourd’hui le festival international de théâtre Tchekhov. En collaboration
avec le service régional de santé, le musée a recréé une salle de
consultation à l’image de celle où Tchekhov, qui était également
docteur en médecine, recevait ses patients venus des villages voisins.
Aujourd’hui encore, un médecin y exerce.
79. Au Portugal, le Musée Portimao
, musée local et lauréat du Prix du
musée du Conseil de l’Europe en 2010, a mis en place en 2014 un
partenariat gagnant-gagnant assez inhabituel avec le ministère de
la Défense du Portugal. En organisant dans le musée, plutôt que
dans une caserne, des opérations de sensibilisation et de prise
de contact avec des jeunes en vue de leur recrutement, le ministère
crée un lien entre l’armée et l’identité de la région, son patrimoine
culturel et son futur développement.
80. En coopération avec le ministère de la Santé, le Musée de
Liverpool a conçu un programme novateur, qui a été primé, à destination
des personnes atteintes de démence. La maison des souvenirs (
House of Memories)
propose une interprétation vivante
des objets fantastiques, des archives et des histoires. Parmi les
activités figurent l’emprunt de «valises de mémoire», des «marches
pour la mémoire» et le partage de souvenirs entre les générations.
Le programme montre comment un musée (ou toute autre institution culturelle,
que ce soit les bibliothèques, les centres artistiques ou les théâtres)
peut apporter au secteur d’aide sociale des compétences pratiques
et des connaissances avec lesquelles accompagner les personnes vulnérables
et leur permettre d’accéder à des ressources culturelles inexploitées.
81. En guise d’alternative aux fusions juridiques entre institutions
culturelles, le BiMus
à Roskilde, au Danemark, illustre
une nouvelle forme de coopération entre archives, bibliothèques
et musées, qui se partagent un conseil d’administration, leur personnel
et leurs finances. Le partenariat a débuté au niveau des directions
par un examen des objectifs communs, des ressources cumulées et
des forces de chaque institution. Le moment venu, le personnel a
été pleinement associé au projet et continue de jouer un rôle de force
de proposition. Les services chargés de la communication ont décidé
de publier un bulletin d’information mensuel destiné à l’ensemble
du personnel afin de créer des synergies entre les institutions.
Il était essentiel de permettre à tout le personnel de donner régulièrement
son avis sur le partenariat, et d’instaurer ainsi une dynamique
positive. Il en résulte une qualité améliorée des services, des
expériences et des événements culturels proposés aux visiteurs.
82. Une collaboration entre bibliothèques et musées locaux, régionaux
et nationaux peut se révéler avantageuse pour les établissements
les plus modestes. Elle peut consister en un partage des collections, grâce
à la technologie numérique, et en un échange d’informations – par
exemple en matière de médiation et de formation professionnelle.
En coopération avec l’Association des musées nationaux, l’Association
des musées néerlandais a publié un rapport intitulé Tried-and-tested
partnerships (Partenariats éprouvés) (2013), sur les leçons tirées
de la coopération entre musées aux Pays-Bas
.
83. Les musées et les bibliothèques ont également accès à des
réseaux européens et plus largement internationaux, dont quelques
exemples sont fournis dans la note de bas de page
.
4.4. Comment
tirer le meilleur parti des technologies numériques et de moyens
de communication créatifs
84. Les technologies numériques
influent profondément sur la façon dont les bibliothèques et les
musées entretiennent leurs collections et offrent leurs services.
Le world wide web donne accès via internet à tous ceux qui savent
l’utiliser. Les bibliothèques proposent des formations pour apprendre
aux membres de leur communauté comment accéder à l’information sur
internet.
85. Le secteur muséal a adopté les technologies numériques pour
l’enregistrement et la conservation des collections. Ces technologies
sont également employées pour présenter et interpréter les collections.
De nombreux musées et bibliothèques participent au projet Europeana
en numérisant leurs collections et en les mettant à la disposition
des chercheurs via le portail Europeana
. Toutefois, seulement 10 % du patrimoine culturel
européen est actuellement numérisé, dont des objets présentant une
valeur immatérielle. Etant donné qu’un grand nombre d’objets d’art
doivent être numérisés selon une méthode correspondant aux normes définies
au niveau national et international, ce processus nécessite des
financements et des ressources humaines supplémentaires. En réponse,
beaucoup de pays se sont doté d’agences nationales dont la mission première
est de planifier et mener les projets de numérisation dans les musées
et de gérer les enregistrements électroniques.
86. Dans le cadre de la stratégie pour la numérisation du patrimoine
culturel lituanien, le conseil des musées du ministère de la Culture
a recommandé l’établissement du Centre pour l’information et la
numérisation des musées lituaniens et la mise en œuvre du système
global d’information des musées (LIMIS)
. Le Centre a été créé en 2009 comme
branche du Musée des arts lituaniens, qui a déjà procédé à la numérisation
des objets muséaux. Le Centre gère le principal portail «Musées
de Lituanie» et organise la numérisation des collections des musées.
Il s’occupe aussi de coordonner les programmes de formation des
experts en charge de la numérisation.
87. Par conséquent, les technologies de l’information et des communications
sont de plus en plus utilisées pour permettre l’interaction avec
les usagers et les visiteurs, par exemple pour créer une réalité
virtuelle destinée à des applications scientifiques, éducatives
et ludiques, pour concevoir des jeux interactifs basés sur les collections,
assurer la traduction dans un grand nombre de langues, créer des
contes numériques ou pour la recherche interdisciplinaire et bien
d’autres choses encore. Il ne faut pas oublier que bibliothèques
et musées fournissent toute une série de prestations à un public
varié, aux attentes très diverses.
88. Le Musée Riverside
, par exemple, bénéficie de la mise
en place du Département des nouveaux médias numériques qui a développé
un navigateur commun pour les collections numériques des musées
de Glasgow
. Le musée possède 90 grands écrans
tactiles qui diffusent des photos et des films pour raconter les
histoires des objets, et présente plus de 20 moniteurs interactifs.
89. Depuis plusieurs années, les bibliothèques offrent, à côté
de leurs collections d’ouvrages papier, un accès aux livres électroniques
et ressources en ligne. Pour les personnes «nées à l’ère numérique»
(soit après l’an 2000), la distinction entre les activités «en ligne»
et «hors-ligne» est ténue et elles combinent aisément les deux.
Il est devenu très important pour les usagers de tous âges de développer
et améliorer leurs compétences numériques. La numérisation permet
aujourd’hui le développement de modes d’apprentissage novateurs
dans les bibliothèques et musées. La mise à disposition gratuite
du wifi et de l’accès à internet fait aujourd’hui partie des services
de base d’une bibliothèque moderne. C’est devenu un élément essentiel
des prestations d’une bibliothèque, non seulement pour la bibliothèque
elle-même, mais aussi pour les usagers, qui doivent pouvoir se connecter
avec leurs propres appareils. Il est important que les bibliothèques
publiques tirent parti des technologies modernes et mettent en commun
leurs collections et activités numériques, comme par exemple le
prêt interbibliothèques. Cependant, il est fréquent que des obstacles
techniques, juridiques et institutionnels limitent ce type de coopération
numérique.
90. Pour être à la pointe de l’offre de services numériques à
la population locale, les bibliothèques et les musées doivent s’assurer
que ces services correspondent aux besoins et qu’ils soient de grande
qualité. Ces établissements ont besoin d’un soutien et d’un accompagnement
pour trouver le moyen le plus économique de se doter de l’infrastructure
technique nécessaire, y compris des réseaux, de l’équipement et
des licences pour les contenus et les logiciels. La formation et
le développement du personnel seront d’une importance capitale.
Comme le projet eCultValue
le démontre, la tendance est de
se détourner de plus en plus des solutions sur mesure onéreuses
au profit de plateformes et d’applications génériques, qui peuvent
être partagées par plusieurs institutions au niveau régional et
national, chacune de ces institutions pouvant accéder facilement
à ses propres contenus et les gérer. A l’avenir, des systèmes harmonisés
seront nécessaires au niveau européen.
91. Le coût élevé des projets de grande envergure est un problème
majeur qui pèsera sur l’avenir du patrimoine numérique européen.
Des études montrent que les volumes de données augmentent de 60 %
par an et le stockage de données de 25 %, tandis que les budgets
correspondants n’augmentent que de 2 %.
92. Ainsi, il est intéressant de noter les progrès réalisés par
le secteur hors des frontières européennes. Par exemple, la BiblioTech,
dans le comté de Bexar
, est la première bibliothèque publique
entièrement numérique, et donc sans support papier, aux Etats-Unis.
Le juge Nerlson Wolff du comté de Bexar, le créateur visionnaire
de la BiblioTech, souhaitait réaliser deux objectifs majeurs: faire
tomber les barrières à la lecture et fournir des services de bibliothèque
aux personnes défavorisées. La bibliothèque, qui a ouvert en 2013,
met à disposition 600 lecteurs électroniques, 200 lecteurs adaptés
pré-chargés pour enfants, des équipements de lecture électroniques
pour personnes malvoyantes, 48 postes informatiques de bureau, 9
ordinateurs portables, 40 tablettes et 4 écrans tactiles interactifs.
La BiblioTech a reçu 83 000 visites physiques dans les dix premiers
mois de son ouverture. Au programme des formations proposées: robotique,
encodage pour enfants, musique et technologie numérique, lecture
électronique pour les petits, stimulation intellectuelle des enfants
en été, et cours sur les nouvelles technologies en anglais et en
espagnol. La bibliothèque a aussi conçu un programme de lecture
pour les mères en prison.
93. A Delft, aux Pays-Bas, l’approche adoptée par la Doklab
pour la prestation de services de
bibliothèque consiste à «établir un lien entre les personnes et
les histoires». Elle a recours à un éventail de technologies nouvelles
ou existantes pour permettre au public de partager, de lire et d’imaginer
ses propres histoires et celles d’autrui.
5. Conclusions
94. Les bibliothèques et musées
font appel à l’imagination du public auquel ils inspirent réflexions
et idées. Ils sont en effet les gardiens de la mémoire collective
et jettent des ponts entre les générations; ils relient le passé
au présent et font s’interroger sur l’avenir. Bibliothèques et musées
attirent aussi bien des autochtones que des visiteurs étrangers.
Ces établissements remplissent non seulement une importante mission
de service public, mais améliorent aussi la qualité de la vie de
la population, attirent l’attention sur une ville ou une région méconnue
dont l’identité s’en trouve renforcée et que l’on peut désormais
situer sur un atlas culturel. Ces institutions sont des éléments
essentiels de notre environnement culturel – qui est indispensable
à toute ambition de développement économique que pourrait nourrir
un territoire (qu’il s’agisse de croissance ou de reprise).
95. C’est pourquoi je tiens à souligner que les bibliothèques
et les musées doivent être envisagés dans une perspective à long
terme. Ils représentent la somme des connaissances accumulées par
l’humanité et constituent une ressource précieuse pour les générations
à venir. En revanche, l’austérité économique et les décisions visant
à réduire les financements publics alloués aux établissements culturels
portent sur le court terme. Même en des temps difficiles, les bibliothèques
et musées restent des lieux où il est possible d’élargir ses connaissances
et d’acquérir une plus grande expérience, de se rencontrer et d’échanger.
Ils attirent également les investissements étrangers et favorisent
le tourisme. C’est la raison pour laquelle les médias et le discours
politique doivent leur reconnaître davantage d’importance.
96. Je suis persuadée que l’insécurité financière aura, à l’avenir,
pour effet de conforter ces établissements et leur capacité à générer
des recettes supplémentaires tout en les poussant à faire preuve
de plus de créativité et d’esprit d’ouverture vis-à-vis des besoins
de la société contemporaine. Par ailleurs, l’avènement spectaculaire
de la technologie numérique est en train de transformer les modes
de communication et le traitement des collections. Pourtant, cette
transition ne se fera pas du jour au lendemain. Les bibliothèques
et musées ont absolument besoin d’un leadership et d’une vision
à long terme pour pouvoir s’adapter et évoluer dans une période
marquée par les changements. Il leur faut également gagner en indépendance
dans la prise de décisions pour trouver de meilleures solutions
en matière de gestion financière et de ressources, établir de nouveaux
partenariats et faire appel au mécénat individuel, caritatif et
d’entreprise. Bibliothèques et musées devront diversifier leurs
sources de financement de manière à pouvoir étendre leurs activités,
par exemple pour toucher de nouveaux publics, offrir des services
innovants, travailler avec des bénévoles et concevoir des projets
communautaires et de sensibilisation.
97. Cette transition nécessitera des changements dans les pratiques
de gestion et professionnelles. Aussi les gouvernements et autres
parties prenantes ont-ils un rôle important à jouer pour contribuer
à ce processus avec les réformes et aides qui s’imposent. Même dans
une situation économique difficile, les relations entre gouvernements
et établissements culturels doivent reposer sur un socle de compréhension
et de confiance mutuelles. L’un des principes sous-tendant cette
confiance consiste à octroyer aux établissements la liberté de prendre
des décisions stratégiques, de définir des priorités et de choisir
un mode opératoire, tout en restant comptables de l’utilisation
des financements publics.