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Rapport | Doc. 14499 | 15 février 2018

Égalité entre les femmes et les hommes et pension alimentaire des enfants

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteure : Mme Gisela WURM, Autriche, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13892, Renvoi 4162 du 27 novembre 2015. 2018 - Commission permanente de mars

Résumé

Les modèles familiaux ont évolué en Europe au cours des dernières décennies. Si les mariages ont diminué, les séparations et les divorces sont en hausse. Par conséquent, un nombre croissant d’enfants vivent dans des familles recomposées ou monoparentales, le parent non résident ayant pour obligation de contribuer financièrement à leur éducation.

Puisque dans l’immense majorité des cas, les familles monoparentales ont une femme à leur tête, la pension alimentaire n’est pas neutre du point de vue du genre. Au contraire, elle est strictement liée à l’égalité entre les femmes et les hommes. Le non-respect de l’obligation de versement d’une pension alimentaire par le parent non résident affecte les femmes de façon disproportionnée et vient s’ajouter aux inégalités auxquelles les femmes font face dans le monde du travail, telles que l’écart de rémunération et les difficultés dans la progression de carrière. Les familles monoparentales sont particulièrement exposées au risque de pauvreté et de pauvreté des enfants.

Toutes les familles monoparentales devraient avoir accès aux pensions alimentaires des enfants. Une «culture du paiement» devrait être promue dans les États membres. En cas de non-paiement, ou de paiements partiels ou retardés, les pouvoirs publics devraient se substituer au parent payeur (et, par la suite, exiger le remboursement de sa part des sommes versées). En outre, le non paiement intentionnel devrait faire l’objet d’une enquête adéquate, car il pourrait s’agir d’une forme de violence psychologique.

Enfin, compte tenu du nombre considérable de relations et mariages binationaux, la coopération judiciaire internationale devrait être renforcée pour garantir le recouvrement et le paiement de la pension alimentaire des enfants.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 7 décembre
2017.

(open)
1. Les modèles familiaux évoluent en Europe, où l’on assiste à une diminution des mariages et une augmentation des séparations et des divorces. Un nombre croissant d’enfants vivent dans des familles recomposées ou avec un seul de leurs parents, le parent non résident ayant pour obligation de contribuer financièrement au coût de leur éducation. Dans l’immense majorité des cas en Europe, les familles monoparentales ont une femme à leur tête. C’est pourquoi la pension alimentaire, particulièrement importante pour les familles monoparentales, n’est pas neutre du point de vue du genre. Les modalités de détermination du montant à verser et les conséquences d’un éventuel défaut de paiement par les débiteurs affectent les femmes de façon disproportionnée. Par conséquent, la réglementation en matière de pensions alimentaires et le fonctionnement du dispositif ne devraient pas être considérés comme des questions relevant simplement des domaines de la vie familiale en général et du bien-être des enfants, mais aussi spécifiquement comme liées à l’égalité entre les femmes et les hommes.
2. L’Assemblée parlementaire est préoccupée par le fait que le non-respect de l’obligation de versement d’une pension alimentaire a un impact financier important pour la mère résidente et vient s’ajouter aux inégalités auxquelles les femmes font face dans le monde du travail: écart de rémunérations persistant, ségrégation des genres par secteur économique et difficultés dans la progression de carrière. L’absence d’aménagements des conditions de travail et de structures complètes et abordables pour l’accueil des enfants rend encore plus difficile l’obtention d’un équilibre entre vie professionnelle et vie de famille. La législation et les politiques en matière de pension alimentaire des enfants et leur mise en œuvre effective sont l’une des multiples façons de lutter contre l’inégalité entre les femmes et les hommes.
3. L’Assemblée rappelle les recommandations formulées dans la Résolution 1921 (2013) «Égalité des sexes, conciliation vie privée-vie professionnelle et coresponsabilité», la Résolution 1939 (2013) «Le congé parental, moyen d'encourager l’égalité des sexes» et la Résolution 2079 (2015) «Égalité et coresponsabilité parentale: le rôle des pères».
4. Les familles monoparentales sont particulièrement exposées au risque de pauvreté et de pauvreté des enfants, qui entraîne ségrégation sociale et discrimination et met en péril leur dignité humaine. L’Assemblée considère que toutes les familles monoparentales et leurs enfants devraient avoir accès aux pensions alimentaires des enfants afin d’être en mesure de satisfaire leurs besoins élémentaires.
5. Le non-respect intentionnel de l’obligation alimentaire (le fait de se soustraire intentionnellement, en totalité ou en partie, à l’obligation de verser une pension alimentaire pour l’enfant) peut être utilisé afin d’exercer une pression psychologique sur le parent résident, ce qui peut avoir des conséquences sérieuses sur les enfants également. Ce comportement devrait alors être considéré comme une forme de violence psychologique, et devrait être traité comme tel.
6. Étant donné qu’une proportion considérable de mariages et de relations sont binationaux, l’obligation alimentaire relève aussi du droit international privé, pour ce qui est de la nécessité de garantir un recouvrement international effectif des pensions. Tel est le but principal de la Convention de La Haye de 2007 sur le recouvrement international des aliments destinés aux enfants et à d'autres membres de la famille, qui a été ratifiée par la plupart, mais pas la totalité, des États membres du Conseil de l’Europe.
7. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée demande aux États membres et observateurs du Conseil de l’Europe et aux États dont le parlement bénéficie du statut d’observateur auprès de l’Assemblée:
7.1. à signer et ratifier, s’ils ne l’ont pas déjà fait, la Convention de La Haye de 2007 sur le recouvrement international des aliments destinés aux enfants et à d'autres membres de la famille et son Protocole sur la loi applicable aux obligations alimentaires, et à garantir leur pleine mise en œuvre;
7.2. en ce qui concerne le non-respect de l’obligation alimentaire:
7.2.1. à mettre en place des mécanismes de remplacement efficaces de la pension alimentaire, reposant sur le paiement anticipé par l’État en cas de non-versement, ou versement partiel ou versement irrégulier de la pension alimentaire, que le non-respect de l’obligation soit intentionnel ou non. Le paiement anticipé devrait intervenir à la demande et être accordé dans un délai raisonnable;
7.2.2. à assurer un financement approprié et pérenne pour le versement des pensions de remplacement et un investissement adéquat dans les structures s’occupant de la gestion des dossiers, notamment du recouvrement auprès du débiteur des sommes avancées par l’État;
7.2.3. à mettre en place des sanctions effectives pour le non-respect de l’obligation alimentaire (non-versement, ou versement partiel ou irrégulier, de manière intentionnelle ou non, de la pension alimentaire), y compris des sanctions pénales lorsque ce non-respect constitue une forme de violence psychologique, conformément aux dispositions de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210, «Convention d’Istanbul»).
7.2.4. à prévenir le non-respect intentionnel de l’obligation alimentaire en travaillant en collaboration étroite avec les services fiscaux et les services chargés des enquêtes financières;
7.2.5. à promouvoir une «culture du paiement», en menant des actions d’information et de sensibilisation sur les conséquences néfastes qu’ont pour l’enfant et le parent résident le non-versement, le versement partiel ou le versement différé de la pension; il s’agit également de prévenir l’accumulation des dettes;
7.3. en ce qui concerne la pauvreté des femmes et la pauvreté des enfants:
7.3.1. à adopter et mettre en œuvre des stratégies sexospécifiques de lutte contre la pauvreté des femmes;
7.3.2. à mettre en place des avantages visant spécifiquement les familles monoparentales, par exemple des tarifs réduits sur les produits et services typiquement destinés aux enfants;
7.4. promouvoir les possibilités de contact entre parents seuls, à des fins de conseil et soutien mutuels;
7.5. renforcer la coopération internationale dans le domaine de l’obligation alimentaire à l’égard des enfants en vue de faciliter le recouvrement des pensions alimentaires et d’échanger les bonnes pratiques dans ce domaine.

B. Exposé des motifs, par Mme Gisela Wurm, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. La pension alimentaire, qui peut être définie comme «une contribution régulière d'un parent non résident au coût financier de l'éducation d'un enfant, généralement versée au parent avec qui l'enfant vit la plupart du temps» 
			(2) 
			Hakovirta M., «Child
Maintenance and Child Poverty: A Comparative Analysis», Journal of Poverty and Social Justice,
volume 19, numéro 3, octobre 2011., est de plus en plus de mise dans nos sociétés. En raison des changements intervenus ces dernières décennies dans les modèles familiaux, un nombre croissant d’enfants vivent avec un seul de leurs parents, le parent non résident ayant pour obligation de contribuer financièrement au coût de leur éducation.
2. L’émergence de nouveaux modèles familiaux et le pourcentage accru de familles monoparentales ont une incidence sur divers domaines. À titre d’exemple, ces familles ont tendance à être confrontées à une situation socio-économique plus difficile, qui se traduit par des risques plus élevés de pauvreté, et en particulier de pauvreté des enfants. Ce problème n’est pas au cœur du présent rapport, eu égard entre autres au mandat de la commission sur l’égalité et la non-discrimination, mais il doit être pris en compte lors de la conception et de l’application des dispositions législatives et politiques pertinentes. J’ai choisi d’examiner la question de la pension alimentaire sous l’angle principalement de l’égalité entre les femmes et les hommes. Elle n’est en effet pas neutre sur le plan du genre. La grande majorité des familles monoparentales en Europe sont dirigées par la mère. Cela signifie que la pension alimentaire, dans ses divers aspects (en particulier les modalités de détermination du montant à verser et les conséquences d’un éventuel défaut de paiement par les débiteurs) affectent les femmes de manière disproportionnée.
3. L’Assemblée parlementaire a systématiquement pris en compte la dimension de genre de la vie de famille, tout comme la nécessité d’encourager les pères à y participer pleinement. La Résolution 1921 (2013) «Égalité des sexes, conciliation vie privée-vie professionnelle et coresponsabilité» met l’accent sur le partage des responsabilités parentales entre les partenaires, mais aborde aussi le cas de la séparation ou du divorce. Elle appelait les autorités des États membres du Conseil de l’Europe à assurer que dans ce cas «le droit de la famille prévoit, (…) la possibilité d’une garde conjointe des enfants, dans le meilleur intérêt de ceux-ci, sur la base d’un accord commun entre les parents» (sachant que cette garde ne doit jamais être imposée). Plus tard, dans sa Résolution 2079 (2015) «Égalité et coresponsabilité parentale: le rôle des pères», l’Assemblée a réaffirmé son attachement à un partage plus équilibré des responsabilités entre les parents, en particulier après une séparation ou un divorce, en tant que moyen aussi de dépasser les stéréotypes de genre sur les rôles prétendument assignés à la femme et à l’homme au sein de la famille.
4. Ma conviction est qu’une séparation ou un divorce ne devrait pas automatiquement conduire à la disparition des pères de la vie de leurs enfants, mais que les pères devraient continuer à jouer un rôle majeur dans l’éducation des enfants. C’est à la fois un droit et une obligation qui ne prend pas fin en cas de séparation ou de divorce. La réalité veut que dans les États membres du Conseil de l’Europe, les enfants vivent dans la majorité des cas avec leur mère après un divorce ou une séparation, et que le père, non résident, verse la pension alimentaire. À la lumière de cette situation, je souhaiterais recenser et promouvoir les moyens de garantir que la pension alimentaire pour enfant, d’un point de vue aussi bien administratif que financier, soit raisonnablement et facilement accessible aux parents qui exercent la garde. Compte tenu du déséquilibre actuel entre les mères et les pères résidents, dès lors que le montant de la pension alimentaire est insuffisant, non garanti ou que son recouvrement est difficile, nous pouvons considérer que l’égalité entre les femmes et les hommes est mise en péril.
5. J’entends exposer dans le présent rapport les nouveaux modèles de vie familiale apparus en Europe au cours des dernières décennies, et expliquer en quoi le divorce et la résidence exclusive se caractérisent par de profondes disparités entre les femmes et les hommes. J’ai également analysé la manière dont cette pension alimentaire est réglementée et la façon dont elle fonctionne en pratique. J’ai identifié à partir de là les mesures à mettre en place par les États membres pour obtenir le versement des pensions alimentaires, afin de lutter contre la pauvreté des enfants et faire en sorte qu’une séparation ou un divorce n’affecte pas de manière disproportionnée le bien-être social et économique des femmes, ainsi que leur droit à l’égalité.

2. Mariages et divorces: les nouveaux modèles familiaux

6. La tendance générale en Europe reflète une diminution du nombre des mariages, accompagnée d’une augmentation de celui des divorces. Bien que 71,2 % de l’ensemble des familles des 28 États de l’Union européenne 
			(3) 
			«People in the EU –
statistics on household and family structures», Eurostat Statistics
explained, 2015. soient composées de couples mariés 
			(4) 
			Les 28,8 %
restant englobent les partenariats enregistrés, les unions consensuelles
et les familles monoparentales., le nombre de mariages a baissé, passant de 3,4 millions en 1964 à 2,1 millions en 2011. Parallèlement, le nombre de divorces a augmenté de 150 % par rapport à 1965 
			(5) 
			«People
in the EU – statistics on household and family structures», op. cit.. En dehors de l’Union européenne, en nous penchant sur l’Ukraine et l’Albanie, nous constatons que la première enregistrait en 2014 l’un des taux de divortialité les plus élevés au monde, contrairement à la seconde, qui affichait un taux moyen.
7. Cette situation engendre inévitablement la création de nouveaux schémas et modèles familiaux, comme par exemple les enfants vivant de manière permanente avec un seul de leurs parents (lorsqu’à la suite d’une séparation ou d’un divorce, la résidence exclusive est décidée par un tribunal ou convenue entre les parents) ou les familles recomposées. Cela signifie également que les enfants d’aujourd’hui sont davantage susceptibles d’avoir des parents divorcés, même si d’après les chiffres, le taux de divortialité diminue lorsque le nombre d’enfants que compte le ménage augmente (sauf dans les pays nordiques où le nombre d’enfants n’influe en rien sur la décision de divorcer) 
			(6) 
			«Assurer
le bien-être des familles», OCDE, 2011. . En 2011, au sein de l’Union européenne, 16 % des familles étaient monoparentales 
			(7) 
			«People in the EU –
statistics on household and family structures», op. cit.. Ce pourcentage est plus élevé dans les pays nordiques et les États baltes, ainsi qu’au Royaume-Uni et en Irlande, mais inférieur dans le sud et l’est de l’Europe. Cette différence régionale peut être imputable aussi bien à des facteurs culturels, notamment à l’influence de l’Église catholique et de l’Église orthodoxe, que structurels, comme les modèles d’États providence conservateurs et la situation économique.
8. Parallèlement à la situation des parents séparés et divorcés, il conviendrait de prendre en compte celle des parents qui ne se sont jamais mariés ou n’ont jamais entretenu de relation de couple. Même dans ce cas, l’intérêt de l’enfant et les droits de la mère devraient être protégés.

3. Disparités hommes-femmes en termes de divorce et de résidence exclusive

9. En ce qui concerne la résidence exclusive, l’écart entre les femmes et les hommes est considérable dans l’ensemble des États membres de l’Union européenne, avec en moyenne 13,4 % de mères seules et 2,6 % de pères seuls. Les disparités les plus marquées sont observées dans les États baltes, en Pologne et en République slovaque et les moins fortes en Allemagne, au Danemark, en Suède, aux Pays-Bas et à Chypre (en Norvège, 13 % des parents seuls sont des pères 
			(8) 
			«Assurer
le bien-être des familles», OCDE, 2011.). La forte proportion de mères obtenant la garde des enfants après un divorce fait intervenir des questions de genre: le plus souvent, c’est au père qu’incombe l’obligation de verser une pension alimentaire à son ex-conjointe, à charge ensuite pour la mère de prendre soin au quotidien de l’enfant, de son éducation et de sa santé, tout en exerçant dans la plupart des cas une activité professionnelle en parallèle. Le père, en qualité de parent non résident, est quant à lui tenu de prendre soin de l’enfant sur une base régulière mais non quotidienne, et doit contribuer financièrement à son éducation et son bien-être. Cette obligation perdure généralement au moins jusqu’à la majorité de l’enfant. Par conséquent, en cas de défaut de paiement du père, c’est la mère qui engage les procédures de recouvrement nécessaires, selon les dispositions juridiques en vigueur dans le pays.
10. En Europe, au cours des dernières décennies, les femmes ont de plus en plus poursuivi des études dans l’enseignement supérieur, ce qui leur permet d’accéder à des emplois de meilleure qualité ou plus exigeants. Elles ont de ce fait tendance à changer leur vision de la maternité, qui n’est plus nécessairement leur priorité première, et accordent une importance accrue à leur évolution de carrière et à leurs réalisations professionnelles. Des mesures visant à concilier vie privée et vie professionnelle devraient être adoptées: à défaut, les femmes sont trop souvent obligées de faire un choix entre une carrière professionnelle de haut niveau et la maternité. C’est la raison pour laquelle les femmes se marient plus tard et ont moins d’enfants qu’il y a quelques dizaines d’années, ou se marient mais restent sans enfant lorsqu’elles occupent un emploi à hautes responsabilités.
11. Il y a encore quelques dizaines d’années, les pères étaient avant tout considérés comme des soutiens de famille, exerçant seulement de manière occasionnelle des activités parentales. Avec l’augmentation de la participation des femmes au marché de l’emploi et le renforcement de l’équilibre hommes-femmes dans les rôles de parents, le père a la possibilité de tisser des liens plus étroits avec ses enfants. Beaucoup de pays ont introduit un système de congé de paternité et le rôle de père au foyer devient de plus en plus populaire au sein des pays développés. Par ailleurs, la politique publique accorde une importance accrue au partage des tâches ainsi qu’à la conciliation travail-vie privée, pour les deux sexes.
12. En dépit de ces changements sociétaux qui reflètent une plus grande implication des pères dans l’éducation de leurs enfants, la garde de ces derniers est, dans 85 % des cas, confiée à la mère après un divorce. Cette situation peut également être imputable au fait que les pères privilégient souvent leur carrière et sont ainsi contraints de passer une partie de leur temps de travail loin de leur domicile. Cependant, les conflits au sujet de la garde des enfants sont de plus en plus nombreux dans la mesure où les pères ont à cœur de s’impliquer davantage dans la vie quotidienne de leurs enfants.

4. Pauvreté des enfants et pension alimentaire

13. Après une séparation ou un divorce, le parent résident est exposé à un risque de pauvreté accru. Les chiffres montrent qu’en dépit de la hausse générale des revenus en Europe, la pauvreté des enfants a augmenté ces dernières années, car les ménages avec enfants gagnent moins que ceux sans enfant dont les deux membres du couple travaillent à plein temps. Les chiffres reflètent également l’effet positif considérable des pensions alimentaires sur le niveau de pauvreté infantile: dans les pays comme le Danemark, l’Allemagne, la Suisse et la Suède, par exemple, le système de pension alimentaire a permis d’enregistrer une baisse de l’ordre de 2,5 % de la pauvreté des enfants 
			(9) 
			Ibid..
14. Selon une étude commandée par la Commission européenne en 2014 
			(10) 
			Single parents
and employment in Europe, Short statistical report No. 3, Rand Europe,
2014., les jeunes mères seules sont moins susceptibles d’avoir un emploi à plein temps. En outre, celles qui travaillent à temps partiel ont, par rapport à tous les autres groupes de mères, beaucoup moins de chances d’être cadres et beaucoup plus d’occuper un emploi non qualifié, ou un emploi dans les services ou la vente.
15. Le risque de pauvreté auquel les familles monoparentales sont exposées a mené à l’adoption de politiques visant à encourager la coparentalité (par exemple en France, en Allemagne et en Belgique), augmenter le soutien aux enfants accordé par l’État, fixer des règles concernant le versement d’une pension alimentaire par le parent non résident, et établir des systèmes de recouvrement des pensions en cas de non-paiement. Beaucoup de pays ont en effet mis en œuvre des règles selon lesquelles le versement de la pension alimentaire pour enfant a caractère obligatoire aux termes de la décision de justice rendue par un tribunal après un divorce, son défaut d’acquittement étant puni par la loi.
16. Il existe dans un certain nombre d’États membres du Conseil de l’Europe des groupes d’appui et des associations de parents seuls. Les échanges et le soutien réciproque contribuent à alléger les problèmes auxquels sont confrontées les familles monoparentales, en particulier grâce à la mise à disposition d’informations fiables sur des sujets tels que les prestations financières de l’État, la violence domestique, l’accès à la santé, les structures d’accueil des enfants et l’éducation. L’emploi et l’équilibre entre travail et vie privée sont d’autres secteurs d’intervention des réseaux de ce type, qui peuvent avoir ainsi un impact positif sur le risque de pauvreté.

5. Nécessité de mettre en place des systèmes de pension alimentaire pour enfant

17. La plupart des États membres du Conseil de l’Europe ont mis en place des systèmes de recouvrement de la pension alimentaire, garantis par l’État, les autorités locales ou des organismes dédiés, en cas de non-respect par le parent débiteur de l’obligation qui lui incombe. Dans la plupart des cas, le recours à ces procédures n’est possible qu’après épuisement de toutes les options judiciaires. Dans mon pays, l’Autriche, et dans plusieurs autres, dont la France (voir l’étude de cas dans le présent rapport) et l’Allemagne, le système de pension alimentaire pour enfant permet de procéder au versement de la pension à la demande du parent résident sans qu’il soit nécessaire d’engager au préalable une procédure judiciaire. C’est la manière la plus efficace de protéger les droits du parent résident, financièrement et du point de vue de la charge d’entamer une procédure judiciaire. L’intérêt de l’enfant est en outre protégé plus efficacement grâce à l’intervention précoce de l’État. Les versements effectués seront ensuite recouvrés auprès du débiteur.
18. La pension alimentaire n’est pas seulement indispensable pour prévenir la pauvreté des enfants, mais aussi pour encourager le parent qui n’en a pas la garde à assumer ses responsabilités en matière d’éducation ainsi que pour protéger l’égalité des revenus familiaux entre les femmes et les hommes. Dans la majorité des systèmes juridiques, il est laissé aux parents le soin de s’entendre sur le montant de la pension alimentaire. En cas de désaccord entre les parties, le montant est fixé par une décision de justice. Le versement obligatoire de la pension alimentaire prend fin lorsque l'enfant atteint l'âge de 18 ans, à l’exception de certains pays comme l’Irlande, la Pologne ou le Royaume-Uni, où il prend fin lorsque l'enfant devient financièrement indépendant ou après l'obtention de son diplôme de l'enseignement supérieur 
			(11) 
			«Assurer le bien-être
des familles», OCDE, 2011..
19. Il convient de souligner que la pension alimentaire pour enfant diffère de la prestation compensatoire, versée par un membre du couple divorcé à l’autre, après décision judiciaire. De plus, dans la plupart des systèmes, la pension alimentaire est à verser au parent résident, que les parents soient mariés ou non. Notons à ce titre que dans l’Union européenne, 40 % des enfants naissent hors mariage, comparativement à 27,3 % en 2000, avec des écarts très importants entre les pays. En Bulgarie, en Estonie, en Slovénie, en France, en Suède, en Belgique, au Danemark et en Islande, une majorité d’enfants naissent hors mariage, alors que dans d’autres pays comme la Grèce, la Croatie, Chypre, l’Italie, Malte, la Pologne et la Lituanie, 70 % des enfants sont issus d’un mariage (97 % en Turquie) 
			(12) 
			«Statistiques
sur les mariages et les divorces», Eurostat Statistics explained,
2015..
20. On constate qu’il y a en Europe un nombre croissant de relations et de mariages binationaux: environ 14 % des mariages en Allemagne par exemple (soit un sur sept), le conjoint ou la conjointe venant de pays tels que la Turquie, l’Italie, les États-Unis, la Pologne, ou de pays asiatiques. Il devient par conséquent de plus en plus nécessaire de mettre en place des mécanismes permettant de recouvrer les pensions alimentaires même lorsque le parent payeur vit dans un autre pays. La Convention de La Haye de 2007 sur le recouvrement international des aliments destinés aux enfants et à d'autres membres de la famille et son Protocole sur la loi applicable aux obligations alimentaires, qui ont été ratifiés par la plupart – mais pas la totalité – des États membres du Conseil de l’Europe, visent à instaurer de tels mécanismes grâce à la coopération judiciaire internationale.

6. Études de cas

6.1. Albanie

Fiche pays 
			(13) 
			Sources:
«Indicateurs internationaux de développement humain», Rapport 2016
du PNUD sur le développement humain; «Taux de fertilité, total (naissances
par femme), La Banque mondiale, données 2015; «Indice d’inégalité
de genre», tableau du Rapport 2015 du Programme des Nations Unies
pour le développement (PNUD) sur le développement humain; Site web
du bureau de l’UNICEF en Albanie, «Child poverty in Albania»; «Employment
by full-time and part-time status, sex, 2013», Knoema; «Chômage,
total (% de la population)», La Banque mondiale, 2014; Miluka, J.,
«Gender Wage Gap in Albania», ONU Femmes, 2013; «Crude Divorce rate
table», Division de la statistique de l’ONU; «Crude marriage rate
table», Division de la statistique des Nations Unies.

– Indice de développement humain: 0,764; place: 75

– Modèle d’État providence: post-communiste

– Taux de fécondité: 1,7

– Taux de mortalité maternelle (nombre de décès pour 100 000 naissances vivantes, 2015): 29

– Pauvreté des enfants: 17,4 %

– Indice d’inégalité de genre (2015): 0,267; place: 51

– Population ayant suivi un enseignement secondaire ou supérieur (% des personnes de 25 ans ou plus): hommes: 90,5 %; femmes: 90,2 %

– Taux d’activité (% des personnes de 15 ans ou plus): hommes: 65,5 %; femmes: 44,9 %

– Femmes et hommes travaillant à temps partiel en pourcentage de l’emploi total (chiffres de 2012): hommes: 19,2 %; femmes: 28,4 %

– Taux de chômage (2016): 16,3 %

– Écart de rémunération entre les femmes et les hommes: 17,63 %

– Taux brut de divortialité (nombre de divorces intervenus durant l’année pour 1 000 habitants): 1,7 en 2011

– Taux brut de nuptialité (nombre de mariages conclus durant l’année pour 1 000 habitants): 8,2 en 2013

21. Après 1991 et la fin du régime communiste en Albanie, le pays a entamé une série de réformes structurelles pour mettre en place la démocratie et une économie de marché. Comme dans la plupart des pays post-communistes, ces bouleversements ont eu des répercussions considérables dans le domaine social. La protection sociale figure au nombre des éléments de la vie socio-économique relégués au second plan par les décideurs politiques, et aucune structure institutionnelle n’a été mise en place dans ces domaines, où les carences sont par conséquent nombreuses. Les groupes les plus vulnérables, parmi lesquels les femmes et les enfants, ont été les premiers touchés.
22. Le contexte difficile et la complexité des différentes composantes de la vie familiale – socio-économiques, culturelles et personnelles, sur fond de persistance de valeurs de la société patriarcale traditionnelle – placent les femmes dans une situation fragile. Par ailleurs, le niveau de violence domestique et de discrimination fondée sur le genre est élevé. Des cas de mariage d’enfant et de mariage forcé sont également signalés. La combinaison de ces éléments explique le rang médiocre occupé par l’Albanie dans le domaine de l’égalité entre les femmes et les hommes. Une Stratégie nationale sur l’égalité entre les femmes et les hommes a été mise en œuvre durant la période 2011-2015 pour progresser sur ces questions. Elle visait à renforcer l’égalité entre les sexes en développant l’autonomie des femmes ainsi que leur participation à la prise de décision politique et économique 
			(14) 
			 «Child
Rights – Situation Analysis 2012-2015», Save The Children, Tirana,
2015 .
23. L’Albanie est l’un des plus jeunes pays d’Europe, affichant une proportion de 46 % d’enfants et de jeunes adultes dans la population. Le taux de divortialité est extrêmement faible et 0,2 % des enfants seulement vivent dans un foyer divorcé 
			(15) 
			Hamilton,
C., et al., «Analysis of the
Child Protection System in Albania», The Children’s Legal Centre
et UNICEF, 2008. , tandis que les familles monoparentales représentent 5,4 % de l’ensemble des familles albanaises 
			(16) 
			«Analyse de situation
des enfants en Albanie», UNICEF, 2015.. Le divorce reste l’exception en Albanie, pour des raisons culturelles et économiques. Les femmes divorcées, en particulier dans les zones rurales, font l’objet d’une stigmatisation. Celles qui sont sans emploi au moment du divorce ne se voient pas confier la garde de l’enfant au motif qu’elles n’ont pas les ressources financières suffisantes, en dépit de l’aide financière accordée par l’État 
			(17) 
			«Rapport de mission
en République d’Albanie», OFPRA, 2014.. Cette situation entraîne une destructuration familiale car de nombreux enfants sont séparés de leur mère et confiés à la garde de leur père ou de leurs grands-parents paternels. Cet aspect de la situation des mères seules est extrêmement préoccupant et devrait retenir l’attention des décideurs politiques.
24. Selon le Code de la famille albanais, les conditions d’un divorce peuvent être fixées par les parents et soumises à un tribunal (qui les approuve ou les rejette), ou bien être établies par le tribunal si le couple ne parvient pas à se mettre d’accord. Le parent non résident doit alors verser une pension alimentaire pour l’enfant ainsi qu’une prestation compensatoire pour le conjoint, afin que les conditions de vie des parents respectifs ne présentent pas un écart trop important. Le montant de la pension alimentaire est déterminé en tenant compte de la situation financière actuelle et future des deux parents, ce qui implique l’obligation pour les deux parents d’une transparence à cet égard.
25. Le refus de verser l’aide nécessaire pour l’enfant, les parents ou le conjoint de la part de la personne qui y est contrainte par décision de justice constitue une infraction pénale punissable d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an. Le Code de la famille ne prévoit toutefois aucune procédure de mise en œuvre pour le versement de la pension alimentaire. Il n’existe donc pas de contrôle, ni de mécanisme garantissant la participation financière du parent non résident à l’entretien de l’enfant, ce qui a bien souvent des répercussions sur les conditions de vie de celui-ci et du partenaire résident.
26. Le divorce a des conséquences particulièrement lourdes pour les enfants en Albanie: ils risquent en effet de plonger dans la pauvreté en raison des faibles revenus des mères seules et de l’insuffisance du soutien du gouvernement. Cette situation est porteuse d’incidences négatives telles que le travail des enfants et un niveau élevé de maladie et de handicap dû aux mauvaises conditions de vie. Certains chiffres montrent que la proportion d’enfants en situation de pauvreté absolue (avec un revenu mensuel inférieur à € 110) est de 17,4 % et que presque 2 % des enfants vivent dans une famille ne disposant d’aucun revenu 
			(18) 
			«Child
Poverty in Albania», UNICEF, 2015..
27. Pour l’essentiel, deux prestations d’assistance sociale en espèces sont versées au niveau local par les municipalités et font l’objet d’un suivi et d’une évaluation par les services sociaux de l’État: un complément de ressources, qui vise à garantir un niveau de vie minimum aux personnes sans emploi, et une allocation d’invalidité. Il n’existe pas en Albanie de prestations familiales ni de dispositif spécifique pour la protection de l’enfance 
			(19) 
			«Social inclusion and
social protection in Albania», Commission européenne, 2008.. La Constitution albanaise prévoit cependant que tout citoyen a le droit de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier d’une prise en charge en tant que personne âgée ou mineure ainsi que de l’éducation spécialisée et des mesures d’intégration prévues pour les personnes handicapées. L’Albanie a réinstauré en 2010 la profession d’huissier privé, qui avait été supprimée à l’époque communiste. Son rôle est de garantir l’exécution des décisions de justice, parmi lesquelles l’obligation alimentaire à l’égard des enfants 
			(20) 
			Site web de la Chambre
nationale des huissiers privés.. Il reste que ce service est nouveau, qu’il n’est pas gratuit et que son accessibilité dans les régions rurales est problématique.
28. Malgré les séquelles du passé, l’Albanie a déployé des efforts soutenus pour édifier des institutions qui garantissent l’État de droit et le respect des droits de l’homme. Le recouvrement des pensions alimentaires est garanti par la loi et l’égalité entre les femmes et les hommes fait l’objet d’un suivi de la part d’entités indépendantes. De nombreux progrès sont ainsi intervenus sur la base du modèle offert par les pays d’Europe de l’Ouest en matière de protection des droits sociaux. Des changements importants restent toutefois nécessaires pour que le pays parvienne à un niveau de protection comparable à celui observé en Europe occidentale dans le domaine de la pension alimentaire à l’égard des enfants.

6.2. France

Fiche pays 
			(21) 
			Sources:
Indicateurs internationaux de développement humain, Rapport 2015
du PNUD sur le développement humain; Bilan démographique 2016 de
l’INSEE, 2017; «Indice d’inégalité de genre», tableau du Rapport
2016 du PNUD sur le développement humain; «Children at risk of poverty
or social exclusion, 2010 et 2014 ( %)», tableau Eurostat Statistics
Explained, 2014; Base de données Eurostat; «Écart de rémunération
entre les hommes et les femmes, non corrigé», graphique, Eurostat,
2014; «Taux brut de divortialité», tableau Eurostat 2015; «Taux
brut de nuptialité», tableau Eurostat 2015.

– Indice de développement humain (2015): 0,897, place: 21

– Modèle d’État providence: continental

– Taux de fécondité (2016): 1,9

– Taux de mortalité maternelle (nombre de décès pour 100 000 naissances vivantes, 2013): 12

– Pauvreté des enfants: 21 %

– Place dans le classement de l’Indice d’inégalité de genre (2015): 19

– Population ayant suivi un enseignement secondaire ou supérieur (% des personnes de 25 ans ou plus): hommes: 83,2; femmes: 78,0

– Taux d’activité (% des personnes de 15 ans ou plus): hommes: 61,6; femmes: 50,7

– Femmes et hommes travaillant à temps partiel en pourcentage de l’emploi total: hommes: 7,4; femmes: 30,0

– Taux de chômage: hommes: 10,8%; femmes: 9,9 %

– Écart de rémunération entre les femmes et les hommes: 16 %

– Taux brut de divortialité (nombre de divorces intervenus durant l’année pour 1 000 habitants): 2,0 en 2011

– Taux brut de nuptialité (nombre de mariages conclus durant l’année pour 1 000 habitants): 3,6 en 2012

29. On dénombrait en 2008 1,6 million de familles monoparentales (soit 2,5 fois plus qu’en 1968 
			(22) 
			En France, la monoparentalité
englobe les veuves et les veufs, ainsi que les personnes divorcées,
séparées et isolées qui assument seules la charge d’enfants de moins
de 20 ans.). En 1968, 8 % des enfants vivaient avec un seul de leurs parents. En 2005, le pourcentage s’élevait à 18 %, soit 2,84 millions d’enfants 
			(23) 
			Les familles monoparentales, op. cit.. Sur un plan général, les chiffres montrent que seuls 10,3 % des enfants dans cette situation ont trois ans ou moins et qu’ils sont moins nombreux que ceux vivant au sein d’un couple. Par ailleurs, les régions de l’ouest et du centre de la France sont celles qui comptent le moins de ménages monoparentaux.
30. 85 % des parents seuls sont des femmes et 15 % des hommes. Rares sont les pères célibataires à élever seuls leurs enfants en France, dans la mesure où la garde de ces derniers est plus fréquemment confiée à la mère. D’autre part, les pères ne sont souvent pas prêts à renoncer à leur emploi ou à changer de mode de vie pour s’occuper de leurs enfants au quotidien. Les pères divorcés se remarient plus rapidement que les mères divorcées, du fait notamment qu’ils sont moins souvent le parent résident et sont par conséquent plus indépendants. Il convient de noter que le pourcentage de jeunes enfants qui vivent avec leur père est inférieur à celui des adolescents ou plus âgés: 10 % des enfants de 0 à 6 ans et 18 % des 17 à 24 ans vivent avec leur père. De plus, dans 63 % des cas, le père seul n’a qu’un enfant sous sa garde 
			(24) 
			Ibid..
31. Les raisons de la monoparentalité ont changé au fil des ans: en 1962, 55 % des parents à la tête d’une famille monoparentale étaient veufs; en 2005, ils étaient moins de 10 %, la principale raison de la monoparentalité étant la séparation ou le divorce 
			(25) 
			Ibid..
32. 30 % des familles monoparentales sont exposées au risque de pauvreté contre 13 % des autres ménages, et il en va de même de 21 % des enfants 
			(26) 
			«Children
at risk of poverty or social exclusion, 2010 and 2014 (%)», Eurostat
Statistics Explained, 2015.. La monoparentalité est la première cause de pauvreté en France. Par ailleurs, les parents isolés rencontrent plus de difficultés d’accès au logement comparativement aux autres familles 
			(27) 
			Les
familles monoparentales, op. cit.. 33 % des mères célibataires de moins de 35 ans n’ont aucun bagage universitaire, contre 19 % de celles vivant en couple (compte tenu probablement de la difficulté pour une mère isolée de poursuivre ses études). 30 % des mères seules gagnent moins de € 1 000 par mois. 59 % d’entre elles ont un emploi, 23,8 % travaillent à temps partiel et 17,3 % travaillent sous contrat temporaire.
33. En France, c’est le tribunal qui fixe la pension alimentaire pour enfant. Pendant longtemps, sa détermination a relevé d’un processus discrétionnaire dépourvu de règles spécifiques. En 2010, le ministère de la Justice a pour la première fois introduit un barème, régulièrement mis à jour depuis lors, afin d’aider les tribunaux à déterminer le montant. Le tribunal et l’organisme de prestations sociales garantissent le paiement de la pension alimentaire au parent résident. Ce dernier peut bénéficier d’avances sur pension alimentaire de la part de l’organisme de prestations familiales, sans condition liée à son niveau de revenu. En France, le versement de la pension alimentaire prend fin aux 18 ans de l’enfant.
34. En France, l’obligation alimentaire est l’expression de la solidarité familiale et vise à assurer à l’enfant les conditions nécessaires à son développement et à son éducation. Cela signifie que même après la majorité de l’enfant, le parent résident est en mesure de réclamer une pension alimentaire pour assurer son éducation. Dans ce cas, le parent résident doit fournir des éléments attestant des besoins de l’enfant (fiches de salaire, attestation de chômage, certificat de longue maladie, ainsi que le détail des coûts d’entretien et d’éducation).
35. Le montant de la pension alimentaire s’élève en moyenne à € 170 par mois et par enfant en cas de garde alternée (15 % des cas), € 172 par enfant lorsque la résidence principale de l’enfant est fixée chez la mère, et € 118 par enfant lorsque la résidence principale de l’enfant est fixée chez le père 
			(28) 
			Pension alimentaire
en France: des données statistiques, Jurifiable, 2011..
36. Lorsque la mère dispose de la garde exclusive des enfants, le père est tenu de verser une pension alimentaire dans 83 % des cas. Lorsque la garde revient au père, la mère doit verser une pension alimentaire dans 36 % des cas de divorce 
			(29) 
			Ibid.. Il est cependant intéressant de noter que les chiffres diffèrent dans la pratique: pour 68 % d’enfants, une contribution est versée par le père, pour 3 % d’entre eux par la mère et 29 % des mineurs n’en ont aucune. Cela signifie que 40 % des pensions alimentaires dues sont impayées en France, ce qui concernerait trois millions d’enfants dans le pays 
			(30) 
			D. de
Mallevoüe, «Pension alimentaire : les mauvais payeurs ciblés», Le Figaro en ligne, 24 juin 2013..
37. D’après les chiffres, dans les deux tiers des divorces, les parents s’entendent sur les modalités et le montant de la pension alimentaire. Cependant, en cas de désaccord, les parties peuvent recourir à la médiation ou à la conciliation. Les deux procédures supposent l’intervention d’une tierce personne à la fois qualifiée, impartiale et indépendante, dont la mission consiste à aider le couple en instance de divorce à fixer un système de pension alimentaire. Le médiateur familial ou le conciliateur encourage la communication entre les parents qui divorcent; son intervention est guidée par le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant 
			(31) 
			«Modes alternatifs
de résolution des conflits – France», Réseau judiciaire européen,
Commission européenne, 2005..
38. Les politiques publiques relatives à la pension alimentaire s’emploient essentiellement à maintenir des liens entre l’enfant et ses parents, tant économiques (obligation de contribuer financièrement au bien-être matériel, à l’entretien et à l’éducation de l’enfant) que socio-affectifs (partage de l’autorité parentale, garde partagée et implication dans la vie de l’enfant). Elles cherchent par conséquent à encourager la garde alternée de l’enfant après un divorce. Tout en visant à garantir le bien-être financier des mères seules, le système français accorde la priorité au bien-être de l’enfant.
39. En 2013, la ministre des Droits des femmes a annoncé l’adoption de mesures spécifiques à l’égard des parents non-résidents qui ne verseraient pas à l’autre parent la pension alimentaire due. Chaque année, 4 500 personnes sont condamnées pour «abandon de famille». Après condamnation, la première mesure consiste à opérer une saisie sur salaire, mais le gouvernement a étendu le dispositif à la saisie des prestations sociales, grâce à la coopération établie avec la Caisse d’allocations familiales. Cette dernière sera habilitée à engager des poursuites contre le parent débiteur afin de compenser les pertes subies. En effet, en 2011, la Caisse d’allocations familiales n’a recouvré que 15 millions d’euros sur les 75 millions dépensés pour compenser les arriérés, d’où la nécessité d’un cadre strict régissant l’exécution des pensions alimentaires. Ce nouveau cadre témoigne de l’investissement du gouvernement pour renforcer les garanties contre les impayés de pensions alimentaires.
40. La loi no 873 du 4 août 2014 
			(32) 
			Loi n° 2014-873 du
4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. a introduit de nouvelles mesures visant à garantir que les parents seuls bénéficiaires d’une pension alimentaire perçoivent bien les sommes dues. La CAF (Caisse d’allocations familiales) est l’organisme chargé de compenser les impayés de pensions alimentaires. Le parent résident peut s’adresser à la CAF en cas de retard de paiement de plus d’un mois de la part du parent débiteur.
41. Ce nouveau système a été mis à l’essai pendant plus d’un an dans 20 départements français et s’est avéré opportun et pertinent. Eu égard à la réussite de cette phase expérimentale, le système a été étendu à l’ensemble du territoire à compter d’avril 2016.
42. Ces dispositions sont un exemple positif du transfert de responsabilité du recouvrement des créances dues de l’individu concerné aux pouvoirs publics.

6.3. Espagne

Fiche pays 
			(33) 
			Sources:
Indicateurs internationaux de développement humain, Rapport 2016
du PNUD sur le développement humain; «Fertility rate, total (births
per woman)»; Banque mondiale, données 2015; «Indice d’inégalité
de genre», tableau du Rapport 2015 du PNUD sur le développement
humain; base de données de l’OCDE sur la famille; données OCDE;
Eurostat; «Crude Divorce rate», statistiques ONU, 2011; «Crude marriage
rate», statistiques ONU, 2011.

– Indice de développement humain: 0,884; place: 27

– Modèle d’État providence: continental

– Taux de fécondité: 1,3

– Taux de mortalité maternelle (nombre de décès pour 100 000 naissances vivantes, 2015): 5

– Pauvreté des enfants: environ 24 %

– Place dans le classement de l’Indice d’inégalité de genre (2015): 15

– Population ayant suivi un enseignement secondaire ou supérieur (% des personnes de 25 ans ou plus): hommes: 70,9 %; femmes: 76,7 %

– Taux d’activité (% des personnes de 15 ans ou plus): hommes: 64,8 %; femmes: 52,3 %

– Taux de chômage (2017): 19,6 %

– Écart de rémunération entre les femmes et les hommes (2014): 14,9 %

– Taux brut de divortialité (nombre de divorces intervenus durant l’année pour 1 000 habitants): 2,2 en 2010

– Taux brut de nuptialité (nombre de mariages conclus durant l’année pour 1 000 habitants): 3,4 en 2011

43. L’Espagne a accompli des progrès significatifs en matière d’égalité de genre ces dernières décennies, grâce à un important ensemble de législations et de politiques. La loi-cadre de 2007 sur l’égalité de genre, par exemple, affirme l’intégration de la perspective de genre comme principe fondamental d’action pour toutes les administrations publiques, à prendre en compte dans l’ensemble des normes et des budgets. Cette loi prévoit également une formation aux aspects de genre pour l’ensemble du personnel de l’administration publique et la présence des questions de genre à l’examen d’entrée dans la fonction publique, ainsi que l’utilisation de statistiques ventilées par genre et une évaluation de l’impact selon le genre pour toute nouvelle loi.
44. Les parents ont la responsabilité commune de leurs enfants. En cas de séparation ou de divorce, le parent non résident verse une pension alimentaire au parent résident. En cas de garde partagée, il est habituellement mis en place un compte commun alimenté par les deux parents et dans lequel chacun puise lorsque l’enfant se trouve sous sa garde.
45. La loi ne précise ni le montant de la pension alimentaire ni ses critères de calcul. Ce sont généralement les parents qui conviennent de la somme due, sur la base des besoins de l’enfant et compte tenu de leurs revenus et de leurs dépenses. Un tribunal peut examiner cet accord pour s’assurer qu’il est proportionné aux éléments indiqués. Le Consejo General del Poder Judicial, organe constitutionnel régissant le système judiciaire espagnol, a publié en 2013 des tableaux indicatifs sur le montant des pensions alimentaires pour enfants. Ces tableaux n’ont pas valeur contraignante et reposent sur la pratique des tribunaux espagnols. Les montants peuvent être adaptés en fonction des modifications du coût de la vie et de la situation financière des parents.
46. Lors de l’audition tenue le 12 octobre 2017, Mme Amalia Fernández Doyague a présenté la situation en matière de pension alimentaire et les difficultés rencontrées par les familles monoparentales en Espagne. Avocate basée à Madrid, Mme Fernández est présidente de l’association de femmes juristes Themis, qui fournit des conseils juridiques sur des thèmes d’une importance particulière pour l’égalité de genre, comme le droit de la famille et la violence familiale et fondée sur le genre.
47. Il est souvent difficile de faire appliquer les décisions des tribunaux ou les accords entre parents sur la pension alimentaire. L’Espagne compte environ 2 millions de familles monoparentales ayant droit à une pension alimentaire; dans 80 % de ces cas, le parent seul est une femme. En cas de non-respect des accords, une procédure civile peut être ouverte, mais elle est longue et il arrive souvent qu’elle n’aboutisse pas. Les débiteurs trouvent souvent des moyens de dissimuler leurs avoirs; l’exécution des jugements devient alors ardue, voire impossible. Le non-respect entraîne également des sanctions pénales, mais aucune mesure n’existe pour faire appliquer les obligations de paiement pendant la procédure pénale. Il faut noter que le non-versement d’une pension alimentaire peut être dû à diverses causes, dont des difficultés financières, mais qu’il est parfois délibéré et donc à considérer comme une violence économique (forme de violence psychologique dans laquelle l’auteur contrôle et barre l’accès de la victime à des revenus).
48. Dans le système espagnol, les pouvoirs publics peuvent offrir une avance sur paiement à deux conditions: qu’un tribunal ait reconnu l’obligation de payer du parent non résident et que le parent résident ne dispose pas de moyens financiers suffisants. La situation est si difficile pour les mères (qui, comme évoqué, représentent l’écrasante majorité des parents résidents) et les recours prévus par la loi si clairement insuffisants que, d’après Mme Fernández, il faudrait instaurer des sanctions d’un type entièrement nouveau. Priver le parent non résident de son droit de visite serait, selon elle, une façon plus efficace de répondre aux situations de non-versement délibéré. Malgré l’intérêt de cette proposition, il peut s’avérer délicat en pratique de distinguer les non-versements délibérés de ceux liés à de réelles difficultés économiques. En outre, une telle sanction serait au détriment des enfants. Toutefois, les éléments mis en avant par Mme Fernández, et notamment les répercussions psychologiques du système de pension alimentaire (qui, sous certains aspects, reproduit et renforce paradoxalement une vision patriarcale de la famille) devraient être pris en compte au moment de concevoir et d’appliquer la législation dans ce domaine. Une réforme de la garde des enfants est actuellement débattue en Espagne.
49. Le cas de l’Espagne, comme celui du Royaume-Uni, montre à quel point il peut être ardu pour les parents résidents de recouvrer les sommes qui leur sont dues. Le fait que des pays dont le système de protection sociale fonctionne correctement laissent les familles monoparentales dans une situation aussi fragile confirme la nécessité d’adopter des mesures plus efficaces dans ce domaine. Il convient de prendre pour modèles les législations et politiques les plus avancées au niveau européen, qui prévoient une intervention de l’État à un stade très précoce.

6.4. Ukraine

Fiche pays 
			(34) 
			Sources:
Indicateurs internationaux de développement humain, Rapport 2015
du PNUD sur le développement humain; «Fertility rate, total (births
per woman)», Banque mondiale, données 2015; «Indice d’inégalité
de genre», tableau du Rapport 2015 du PNUD sur le développement
humain; «Taux de chômage (personnes de 15 à 74 ans), 2004-14 (%
de la population active) ENPE15», tableau Eurostat, 2014; «Écart
d’emploi entre les hommes et les femmes» (personnes de 20 à 64 ans),
2004 et 2014 (différence en points de pourcentage entre les taux
d’emplois respectifs des hommes et des femmes) ENPE15», Eurostat,
2014; «Taux brut de divortialité», statistiques Nations Unies, 2011;
«Taux brut de nuptialité», statistiques Nations Unies, 2011.

– Indice de développement humain: 0,743; place: 84

– Modèle d’État providence: post-communiste

– Taux de fécondité: 1,5

– Taux de mortalité maternelle (nombre de décès pour 100 000 naissances vivantes, 2013): 23

– Pauvreté des enfants: n.a.

– Place dans le classement de l’Indice d’inégalité de genre (2014): 57

– Population ayant suivi un enseignement secondaire ou supérieur (% des personnes de 25 ans ou plus): hommes: 95,9 %; femmes: 91,7 %

– Taux d’activité (% des personnes de 15 ans ou plus): hommes: 66,9 %; femmes: 53,2 %

– Taux de chômage global: 9,3 %

– Écart de rémunération entre les femmes et les hommes: environ 11 %

– Taux brut de divortialité: 2,8 en 2010

– Taux brut de nuptialité: 6,7 en 2010, 7,8 en 2011

50. Malgré les notables améliorations apportées depuis 1991, notamment concernant la santé des enfants, leurs droits et leur bien-être, les enfants ukrainiens sont encore fortement touchés par de nombreux problèmes, dont l’abandon et le VIH/sida. Comme en Albanie, la transition d’une économie planifiée et centralisée vers le libre marché a entraîné une aggravation du chômage, des inégalités sociales et des lacunes du système de protection sociale. Ces facteurs pèsent particulièrement sur les enfants vivant au sein de familles monoparentales et de familles de deux parents ayant plus d’un enfant 
			(35) 
			Children
in Ukraine, UNICEF, 2014..
51. L’Ukraine a mis en place à partir de 2001 un large éventail de régimes d’aide sociale à l’attention des personnes vulnérables et des familles à faibles revenus: prestations de maternité, somme versée à la naissance d’un enfant, allocation pour enfant de moins de trois ans, soutien financier aux mères seules (en deux tranches: l’une pour les mères d’enfants de 0 à 6 ans, l’autre pour les mères d’enfants de 6 à 18 ans) et aide aux enfants sous tutelle ou placés en institution.
52. Le taux de divorce en Ukraine est élevé, et les procédures de divorce sont simples. Obtenir un divorce peut ne prendre que six semaines. Les pensions alimentaires imposées aux parents non-résidents sont de faible montant (de 300 à 450 hryvnias, soit € 10 à € 15 par mois).
53. L’article 141 du Code de la famille ukrainien garantit aux parents l’égalité des droits et des responsabilités concernant les enfants. La procédure de divorce est décrite aux chapitres II à IV du Code de la famille, fondés sur la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, qui prévoit que le couple peut s’entendre sur le montant et sur le bénéficiaire de la pension alimentaire et sur les conditions d’exercice des droits parentaux. L’accord doit être certifié par un notaire, qui peut émettre une injonction de payer en cas de non-versement 
			(36) 
			Loi ukrainienne sur
la famille, «Procédure de divorce»..
54. Les parents décident de la garde de l’enfant, dont les besoins financiers continuent d’être pris en charge par les parents jusqu’à ses 18 ans. Les deux parents sont tenus de contribuer au bien-être financier et psychologique de l’enfant. Le parent non résident participe à l’entretien de l’enfant, en espèces ou en nature. En cas de désaccord entre les parents, le montant de la pension alimentaire est déterminé par un tribunal, sous forme d’une partie du salaire du parent non résident ou d’une somme mensuelle fixe. Cette dernière ne peut être inférieure à 30 % du coût minimum de la vie pour un enfant d’un âge donné.
55. La résidence d’un enfant de moins de 10 ans est déterminée par les parents. Passé l’âge de 10 ans, la résidence est déterminée par les parents et l’enfant. Après 14 ans, l’enfant peut choisir seul son lieu de résidence.
56. Les parents décident ensemble des modalités de l’éducation de leurs enfants; le parent résident n’est pas autorisé à empêcher l’autre parent de communiquer avec l’enfant, sauf si c’est contraire au bien-être de ce dernier. Les modalités de l’éducation de l’enfant peuvent être définies par écrit et enregistrées devant notaire. La non-application des mesures décrites dans ce document est sanctionnée par des amendes 
			(37) 
			«Laws
and Useful Information», Divorce in Ukraine..
57. Le parent résident a la possibilité d’obtenir une pension alimentaire de l’État si le parent non résident ne verse pas les sommes dues. Le tribunal peut réduire ou augmenter le montant de la pension alimentaire au vu d’éventuels changements dans les conditions de vie et de santé ainsi que dans la situation de l’enfant et du parent non résident. Si le parent non résident s’abstient volontairement de verser la pension alimentaire, le tribunal fait exécuter le versement en imposant des saisies sur les biens, le salaire, les pensions ou les allocations du parent non résident 
			(38) 
			J. Steward (éd.), op. cit.; le tribunal peut aussi appliquer des sanctions.
58. Il existe des allocations pour les mères seules. Pour les percevoir, il faut en faire la demande auprès des organismes de protection sociale. Or, beaucoup de mères seules ignorent que leur situation leur donne droit à des allocations et à d’autres mesures de protection inscrites dans la loi (par exemple, une mère seule ne peut être licenciée si elle a la charge d’un enfant de moins de 14 ans). Cette ignorance et ce manque d’information placent les femmes concernées dans une situation de vulnérabilité. En 2008, près de 25 000 foyers monoparentaux et 54 000 enfants bénéficiaient de ce type d’allocation. Le nombre de foyers monoparentaux est en fait plus élevé, mais le manque d’accès à l’information empêche les parents seuls d’intégrer le système et de bénéficier de la protection nécessaire. Ce phénomène fait obstacle à la localisation des familles vulnérables et à la définition de leur profil social 
			(39) 
			Child poverty and disparities
in Ukraine, UNICEF, 2010..
59. En mai 2017, le Commissaire ukrainien aux droits de l’enfant a annoncé la préparation d’un projet de loi visant à modifier la législation sur la pension alimentaire 
			(40) 
			«New draft law on child
support collection to reinforce liability for non-payment to better
protect children», Ukraine crisis media centre, 26 mai 2017. Le Commissaire explique qu’un tiers des réclamations reçues par ses services concerne le recouvrement des pensions alimentaires pour enfant. Cela représente près de sept millions de réclamations. Une nouvelle loi est donc nécessaire pour mieux protéger les intérêts de l’enfant et encourager une parentalité plus responsable. Le nouveau projet de loi part du principe que le droit à une pension alimentaire est détenu par l’enfant et non par le parent résident, ce dernier ne faisant que gérer ce droit. En outre, il est prévu d’instaurer une nouvelle procédure judiciaire, plus simple, avec un délai de seulement trois jours entre le lancement de la procédure et la décision du tribunal sur la pension alimentaire. Le montant minimal de la pension alimentaire devrait par ailleurs passer de 30 % à 50 % du coût minimum de la vie par enfant. La personne déposant la réclamation n’aurait d’ailleurs pas l’obligation d’être présente à l’audience et pourrait déposer la réclamation depuis son lieu de résidence.
60. En vertu des dispositions du projet de loi, le tribunal vérifierait de quels fonds et biens meubles et immeubles dispose la personne qui verse la pension. L’objectif est de mieux protéger les intérêts de l’enfant lorsque le parent débiteur dissimule ses véritables revenus de manière à payer le montant minimum. Comme l’a dit Oleh Prostybozhenko, avocat et président du Centre d’études en droit de la famille, lors de la présentation du projet de loi: «Si l’un des parents possède des biens et des véhicules coûteux, vit dans une maison luxueuse, fait souvent des voyages à l’étranger… et prétend toucher le salaire minimum, le parent qui touche la pension alimentaire pourra demander une augmentation de son montant, sur présentation de preuves au tribunal».
61. Les nouveautés prévues par le projet de loi mentionné vont dans le bon sens. Comme je l’ai souligné, les avances de paiements par l’État constituent la façon la plus efficace de protéger les intérêts de l’enfant et les droits du parent résident. La réforme proposée n’envisage pas la mise en place d’un tel système. Toutefois, elle a le mérite de simplifier les procédures juridiques permettant aux parents résidents d’obtenir la pension alimentaire en cas de non-versement ou de versements irréguliers. Cet aspect de la réforme est positif. Les efforts visant à estimer les revenus réels des débiteurs et à adapter le montant de la pension alimentaire à leur véritable niveau de vie sont également à saluer. Il faut souligner que si cette réforme est adoptée, il sera crucial de la mettre effectivement en œuvre.
62. Des efforts supplémentaires sont nécessaires pour améliorer le système des pensions alimentaires en Ukraine et son fonctionnement dans la pratique. Il convient de porter une attention particulière au suivi du non-respect des décisions de divorce et des obligations de pension alimentaire. Le phénomène généralisé de non-versement des pensions alimentaires représente actuellement un véritable problème d’inégalité hommes-femmes dans le pays. En outre, il convient d’informer dûment le public des allocations existantes. Comme nous l’avons vu, le chiffre des familles monoparentales demandant ces allocations est excessivement faible.

6.5. Royaume-Uni

Fiche pays


			(41) 
			Sources:
Indicateurs internationaux de développement humain, Banque mondiale,
2017; «Indice d’inégalité de genre»; «Children at risk of poverty
or social exclusion, 2010 et 2014 ( %)»; «Indice d’inégalité de
genre», base de données Eurostat; «Écart de rémunération entre les
hommes et les femmes, non corrigé»; «Taux brut de divortialité»;
«Taux brut de nuptialité».

– Indice de développement humain (2015): 0,909, place: 16

– Modèle d’État providence: anglo-saxon (principales caractéristiques: niveau relativement faible des dépenses publiques totales, faible niveau de dépenses consacrées à la protection sociale)

– Taux de fécondité (2016): 1,81

– Taux de mortalité maternelle (nombre de décès pour 100 000 naissances vivantes, 2013): 8

– Pauvreté des enfants: 30,3 % des enfants sont exposés au risque de pauvreté

– Place dans le classement de l’Indice d’inégalité de genre (2015): 28

– Population ayant suivi un enseignement secondaire ou supérieur (% des personnes de 25 ans ou plus): hommes: 99,9; femmes: 99,8

– Taux d’activité (% des personnes de 15 ans ou plus): hommes: 68,7; femmes: 55,7

– Femmes et hommes travaillant à temps partiel en pourcentage de l’emploi total: hommes: 11,2; femmes: 40,9

– Taux de chômage: hommes: 5,5; femmes: 5,1

– Écart de rémunération entre les femmes et les hommes: 18 %

– Taux brut de divortialité (nombre de divorces intervenus durant l’année pour 1 000 habitants): 2,1 en 2011

– Taux brut de nuptialité (nombre de mariages conclus durant l’année pour 1 000 habitants): 4,5 en 2011

63. Le Royaume-Uni compte 2,5 millions de foyers séparés et environ 3,7 millions d’enfants vivant dans ce type de famille, ce qui place le pays parmi ceux affichant le taux le plus élevé dans la zone géographique du Conseil de l’Europe. Par comparaison, 9,3 millions d’enfants vivent avec un couple et 320 000 dans un autre type de foyer; 48 % des couples qui ont divorcé en 2012 en Angleterre et au Pays de Galles avaient au moins un enfant de moins de 16 ans.
64. Le Royaume-Uni figure également parmi les pays qui enregistrent le taux le plus élevé de grossesses précoces, d’où la tendance à une augmentation du nombre de mères célibataires non diplômées de l’enseignement supérieur. Les couples ont en moyenne leur premier enfant à l’âge de 30 ans et les parents seuls à l’âge de 20 ans. L’âge moyen des personnes qui divorcent est de 45 ans pour les hommes et 42 pour les femmes 
			(42) 
			Family
Life in the UK, op. cit.. Les chiffres témoignent d’une croissance du taux d’emploi des ménages au Royaume-Uni. Une hausse du taux d’emploi a également été observée auprès des parents seuls (plus de 20 points de pourcentage depuis 1996), imputable aux initiatives politiques mises en œuvre par le gouvernement en faveur de l’emploi de cette catégorie de personnes (le New Deal for Lone Parents (nouveau programme pour parents seuls), mené de 1998 à 2011, et les modifications apportées à compter de 2008 à la Lone Parent Obligation (incitation au travail pour parents seuls 
			(43) 
			«Working
and Workless Households: 2015», Office des statistiques nationales
du Royaume-Uni, 2015.)). Néanmoins, sur les quelque 1,4 million d’enfants vivant dans des ménages sans emploi, près de 70 % vivaient avec un seul de leurs parents 
			(44) 
			Ibid..
65. En 2004, 21,9 % des parents bénéficiaient d’un soutien alimentaire pour enfant et 2,8 % des familles en versaient, mais une majorité de parents seuls ne percevait aucune pension alimentaire. D’après les chiffres, environ la moitié des familles monoparentales vit en dessous du seuil de pauvreté, les bas salaires et l’insécurité de l’emploi étant les principales raisons de ce phénomène, ajoutés à l’absence de soutien et de pensions alimentaires 
			(45) 
			«Households below average
income (HBAI) statistics», Gouvernement britannique, 2013.. Pour faire face, beaucoup de parents seuls cumulent plusieurs emplois ou augmentent leur temps de travail.
66. Sur le plan historique, l’Act for the Relief of the Poor de 1601 (loi visant à venir en aide aux pauvres) est le premier texte juridique à faire mention d’une pension alimentaire pour enfant. Au XIXe siècle, la loi stipulait que la paroisse avait le pouvoir de recouvrer les pensions alimentaires auprès des pères d’enfants nés hors mariage. De 1993 à 2012, la Child Support Agency (CSA) était l’organisme chargé du calcul et de l’exécution des pensions alimentaires.
67. À compter de 2012, le système des pensions alimentaires a été progressivement réformé en Angleterre, au Pays de Galles et en Écosse, pour améliorer la situation d’ensemble en matière de retards de paiement. En effet, «deux tiers (64 %) des parents résidents touchant des indemnités de chômage ne perçoivent aucune pension alimentaire de la part de l’autre parent de leur enfant 
			(46) 
			Bryson et al., «Kids aren’t free – The
child maintenance arrangements of single parents on benefit in 2012»,
The Nuttfield Foundation, 2012.». Au Royaume-Uni, la pension alimentaire est versée jusqu’à ce que l’enfant ait atteint l’âge de 18 ans, mais peut être accordée après cet âge dès lors que les enfants suivent une formation professionnelle spécifique.
68. Aujourd’hui, le système comprend une nouvelle entité nommée Child Maintenance Service (CMS) et la Child Maintenance Options (CMO), préexistante, qui est devenue un «service guichet»: les parents doivent désormais s’adresser d’abord à la CMO avant de pouvoir prétendre au CMS. Au départ, la pension alimentaire consiste en une entente conclue entre les deux parents. En effet, la CMO met en avant les «arrangements familiaux» et encourage les parents en instance de séparation à collaborer et à trouver des modalités d’entente. La CSA est progressivement fermée et remplacée par le CMS (phase qui devait s’achever fin 2017, mais a été prolongée récemment).
69. Le CMS calcule le montant de la pension alimentaire en cas de désaccord entre les parents 
			(47) 
			«Maintenance claims
– England and Wales», portail E-Justice, 2016.. Il a également pour mission de localiser le parent non résident dont on aurait perdu la trace. Il résout les conflits de filiation et procède à la révision annuelle de la pension alimentaire et à l’exécution de ses paiements 
			(48) 
			«Use
the Child Maintenance Service or Child Support Agency (CSA)», gouvernement
britannique, 2016.. Sauf dans des circonstances très spécifiques, les parents relèvent du service «Direct Pay»: les versements se font directement entre parents (par exemple par virement permanent). Si un parent bénéficiaire signale un non-versement au CMS, ce dernier prend des mesures pour s’assurer du versement ou transfère le cas au service «Collect and Pay».
70. Créé en 2014, le service Collect and Pay est utilisé lorsque le CMS doit intervenir pour recouvrer la pension alimentaire car un versement n’a pas été effectué, ou pas dans sa totalité. À travers ce service, le CMS peut agir pour recouvrer les arriérés et veiller à ce que les sommes soient versées (par exemple en prononçant une injonction de payer, qui ouvre la voie à d’autres mesures comme une saisie sur salaire). Les frais facturés pour le service Collect and Pay sont élevés 
			(49) 
			«New
child maintenance system fit for the 21st century starts today»,
communiqué de presse du Gouvernement britannique, 11 août 2014..
71. Le système britannique de pension alimentaire confère aux parents la possibilité et la liberté de déterminer le montant de la pension, ce qui offre un meilleur respect de la vie privée et encourage les compromis. Le but de la réforme était de rendre la procédure moins stressante pour les parents et les enfants et de réduire les coûts et les frais. Le fait que les parents soient encouragés à trouver une solution pacifique peut également contribuer à rendre moins conflictuelles leurs relations en tant que couple divorcé bénéficiant de la garde conjointe de leur enfant. Il est encore trop tôt pour dire si les résultats visés par cette réforme ont été atteints.
72. Le système actuel témoigne d’une volonté de rompre avec l’inefficacité du système précédent. Il présente cependant plusieurs difficultés. En particulier, les frais élevés dont doivent s’acquitter les parents auprès du CMS pour que celui-ci règle leur différend, ou lorsque le parent auteur des versements est absent ou impossible à localiser ou refuse simplement de payer, peuvent se révéler particulièrement lourds pour les parents ayant de faibles revenus. Ces frais peuvent également être jugés discriminatoires dans la mesure où ils touchent les mères de manière disproportionnée, compte tenu de leurs revenus généralement inférieurs à ceux des pères. Il faudra dans quelques années évaluer le système, pour l’améliorer si nécessaire.

7. Conclusions

73. Comme le montrent clairement la recherche effectuée et les auditions d’experts en prise directe avec les questions de pension alimentaire, les familles monoparentales – le plus souvent dirigées par une mère seule – rencontrent de multiples difficultés au quotidien. Leur situation financière est souvent délicate, avec un risque de pauvreté plus élevé que pour la population générale. Cela résulte d’une combinaison d’inégalités toujours rencontrées par les femmes, en particulier au travail, malgré les progrès accomplis en matière d’égalité de genre ces dernières décennies.
74. Il existe toujours un écart de rémunération entre les femmes et les hommes, qui se traduit à la fin de la carrière par un large écart entre les pensions de retraite; une ségrégation par secteur économique, avec plus de femmes dans les secteurs où les emplois sont moins bien rémunérés; un «plafond de verre», c’est-à-dire la difficulté pour les femmes d’accéder à des postes de haut niveau. Ces formes de discrimination, associées au manque de mesures souples d’organisation du travail (télétravail, horaires adaptables …) et à l’insuffisance des modes de garde des enfants, rendent extrêmement difficile pour les mères seules de travailler et de soutenir correctement leur famille.
75. Les parents seuls ont généralement droit au versement d’une pension alimentaire par le parent non résident, le plus souvent le père. Lorsque, pour diverses raisons, les sommes ne sont pas versées ou versées avec retard, l’intérêt de l’enfant et le droit du parent résident doivent être dûment protégés. Pour cela, le meilleur moyen est que des versements de l’État interviennent à la demande du parent résident, sans obligation d’entamer une procédure judiciaire. On protège ainsi les droits financiers des parents résidents tout en les libérant de la charge que représente une procédure en justice. Une intervention précoce de l’État protège également mieux les intérêts de l’enfant. Les paiements de substitution sont ensuite recouvrés auprès du débiteur.
76. Il n’est pas acceptable, dans des pays prospères dotés de véritables systèmes de sécurité sociale, comme les États membres du Conseil de l’Europe, que des enfants grandissent dans la pauvreté et que les parents qui vivent avec eux soient exposés au risque d’exclusion sociale.
77. Les progrès dans ce domaine appellent une approche très large, passant par une législation et des politiques visant non seulement à améliorer la situation des femmes au travail, mais aussi à encourager le partage des responsabilités d’éducation des enfants entre les parents, que ce soit pendant une relation ou un mariage ou en cas de séparation ou de divorce.
78. Par conséquent, de nombreuses mesures déjà préconisées par l’Assemblée parlementaire en matière de droits des parents et de conciliation entre travail et vie de famille sont pertinentes pour la situation des familles monoparentales, et j’estime nécessaire de mentionner les textes suivants: Résolution 1921 (2013) «Égalité des sexes, conciliation vie privée-vie professionnelle et coresponsabilité»; Résolution 1939 (2013) «Le congé parental, moyen d’encourager l’égalité des sexes»; Résolution 2079 (2015) «Égalité et coresponsabilité parentale: le rôle des pères».
79. Compte tenu de la répartition par genre des familles monoparentales aujourd’hui en Europe, protéger les droits des parents résidents à la pension alimentaire constitue une mesure importante vers la réalisation de l’égalité entre les femmes et les hommes. Beaucoup d’autres mesures sont nécessaires: les différentes formes d’inégalité que j’ai mentionnées étant étroitement liées entre elles, des efforts devraient être engagés pour y remédier dans tous les domaines.