1. Le rapport de la commission
des questions politiques et de la démocratie sur l’«Évaluation du
partenariat pour la démocratie concernant le Parlement du Maroc»
est un suivi de la
Résolution
2061 (2015) sur le même sujet. Depuis 2015, la situation a évolué
concernant plusieurs des thèmes abordés à l’époque par la commission
sur l’égalité et la non-discrimination dans son avis. Entre autres,
des amendements au Code pénal et l’adoption d’une loi sur les violences
à l’égard des femmes sont à noter. Cet avis tient compte de ces développements.
Je souhaite également identifier des aspects de la législation et
des politiques actuelles susceptibles d’évoluer vers l’objectif
de parité qui est consacré dans la Constitution marocaine de 2011.
1. Egalité de genre:
le progrès continue, des améliorations sont encore possibles
2. Ce que l’académicienne américaine
Valentine M. Moghadam écrivait il y a une dizaine d’années sur le rapport
entre démocratisation et droits des femmes est toujours pertinent:
«aujourd’hui, à travers le monde arabe et l’Iran, les femmes modernisatrices
sont des agents majeurs de la démocratisation et du changement culturel.
La démocratisation et les mouvements des droits des femmes ont fait
leur apparition plus au moins en tandem. Ces processus sont liés
strictement entre eux et en effet ils sont réciproquement dépendants»
. Pour cette raison, si les
avancées en matière d’égalité de genre au Maroc sont très positives,
il importe de continuer dans la même direction. En particulier,
compte tenu du rôle important que les organisations féminines de
la société civile ont joué dans ce processus, les autorités marocaines
devraient continuer à prendre en compte les indications provenant
de ce monde vaste et très actif.
3. Je souhaite attirer l’attention sur deux points spécifiques
qui pourraient être améliorés, concernant la représentation politique
des femmes et la législation contre la violence de genre. Au cours
de ces dernières années, la proportion des femmes s’est accrue au
sein du parlement et d’autres organes électifs nationaux et locaux,
notamment grâce à l’introduction de mesures positives. Pour la Chambre
des représentants en particulier, des listes réservées aux femmes
sont utilisées dans la circonscription nationale, ce qui permet d’élire
60 femmes parlementaires (d’autres participent aux scrutins dans
les listes ordinaires à côté des candidats hommes). Cette mesure
a fait l’objet d’un recours devant la Cour constitutionnelle, qui
s’est finalement prononcée en confirmant sa légitimité, mais également
la nature provisoire de ce système. À mon avis, tout en confirmant
que les mesures sont temporaires, il serait opportun d’augmenter
le nombre de parlementaires élues grâce aux listes spéciales. Actuellement,
il n’y a pas de consensus, mais au moins un groupe politique s’est
prononcé en faveur de porter le nombre de 60 à 90.
4. De plus, un aspect délicat du système électoral actuel est
représenté par l’inéligibilité des parlementaires élus dans la circonscription
nationale (60 femmes mais également 30 jeunes) à la fin de leur
mandat dans la même circonscription. La seule possibilité qui leur
est accordée est de participer dans les circonscriptions locales,
avec des chances plus limitées de succès. Le résultat est qu’un
bon nombre de femmes et de jeunes ont pu accéder au parlement grâce
à ce système, mais ils ont été remplacés au scrutin suivant, ce
qui prive la Chambre des représentants de l’expérience qu’ils avaient
acquise. J’estime que ce régime d’inéligibilité devrait être clairement
aboli. En même temps, il serait souhaitable que le nombre de femmes
candidates dans les listes non réservées augmente. Il s’agit essentiellement
d’une responsabilité des partis politiques.
5. Une autre remarque concerne la loi sur la violence à l’égard
des femmes, votée en février 2018. Malheureusement, le projet original
s’est affaibli progressivement au fil des travaux parlementaires,
et le résultat final a été fortement critiqué par les experts et
les activistes. La loi criminalise certaines formes de violence
faite aux femmes telles que le mariage forcé et le harcèlement.
Cependant, elle manque de dispositions importantes, telles que la
criminalisation du viol conjugal. Il serait opportun de lancer une
réflexion, qui prenne en compte en particulier les indications provenant
de la société civile et l’expérience européenne dans la mise en
œuvre de la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence
à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210,
«Convention d’Istanbul»), afin de réformer la loi marocaine et d’étendre
la protection garantie aux victimes de violence sur la base de standards
plus élevés.
2. Discrimination
sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre:
des violations de la liberté à la vie personnelle et familiale persistent
6. L’article 489 du Code pénal
marocain, criminalisant les rapports consentis entre personnes de
même sexe, est toujours en vigueur. La
Résolution 2061 (2015) de l’Assemblée parlementaire sur l’évaluation du partenariat
pour la démocratie avec le Parlement du Maroc évoquait déjà la nécessité
d’abolir cette disposition. L’avis de la commission sur l’égalité
et la non-discrimination à l’époque citait plusieurs cas de sanctions criminelles
infligées par les tribunaux marocains. Depuis, cette pratique ne
s’est pas arrêtée: plusieurs cas d’arrestations et condamnations
ont été relayés par la presse marocaine et internationale et signalés
par les organisations de défense des droits humains. La criminalisation
des rapports sexuels consentis entre personnes du même sexe constitue
une violation des droits humains tels que codifiés notamment dans
la Convention européenne des droits de l’homme (article 8, droit
au respect de la vie privée et familiale) et dans la Constitution
marocaine de 2011, qui a introduit un droit à la protection de la
vie privée qui jusque-là n’était pas considéré dans le droit constitutionnel
marocain.
7. Au Maroc, comme dans de nombreux autres pays, cette criminalisation
est l’héritage d’une législation d’origine européenne imposée à
l’époque coloniale. Certains pays s’en sont défaits rapidement après l’indépendance.
C’est le cas de la Jordanie, un autre pays de la région Proche Orient–Afrique
du Nord dont la population, comme au Maroc, est à majorité musulmane,
et dont le parlement a le statut de partenaire pour la démocratie
auprès de l’Assemblée parlementaire. En Jordanie, la criminalisation
des relations homosexuelles a été abrogée en 1951. Cela s’est reflété
sur la législation en vigueur en Cisjordanie, la partie des Territoires palestiniens
qui à l’époque était sous la juridiction jordanienne. D’autres pays
ont procédé à la décriminalisation récemment, le cas le plus notable
étant celui de l’Inde, où la décriminalisation a eu lieu en 2018.
En 2015, le Mozambique a également «renoncé à ce vestige archaïque
(…) de l’époque coloniale» pour citer les mots de l’organisation
Human Rights Watch, en rejetant cette forme de discrimination fondée
sur l’orientation sexuelle.
8. Au niveau institutionnel, il n’y a pas eu de progrès visible
à ce sujet. Cependant, des signaux indiquent qu’un débat sur cette
réglementation et plus généralement sur la situation des personnes
LGBTI s’ouvre au sein de la société civile et des médias marocains.
Plusieurs associations engagées sur ce thème ont vu le jour au cours
des dernières années, telles que le Collectif ASWAT, le Mouvement
alternatif pour les libertés individuelles (MALI), l’association
Akaliyat, et Dynamique Trans. Toutes ces organisations opèrent discrètement,
souvent dans les réseaux sociaux, en raison de la difficulté à obtenir
une reconnaissance légale, à laquelle fait également référence M. Klich
dans son rapport. Cela a des conséquences notamment en matière de
financement et de visibilité du travail. Par contre, l’association
Kifkif, qui a occasionnellement mené des activités au Maroc, est
basée à Madrid où elle a été fondée grâce entre autres à la diaspora
marocaine.
9. Quelques voix se lèvent en faveur de l’abolition de l’article
489 du Code pénal. Le magazine d’opinion TelQuel a publié des éditoriaux
demandant le respect des droits des personnes homosexuelles. Sarah
Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique
du Nord à Human Rights Watch, souligne que cette situation endommage
le bilan global de la protection des droits fondamentaux dans le
pays: «Si le Maroc aspire réellement à être un leader régional dans
le domaine des droits humains», a-t-elle déclaré, «il devrait montrer la
voie en décriminalisant les pratiques homosexuelles».
10. Lors d’une audition avec la commission sur l’égalité et la
non-discrimination, à Paris le 10 décembre 2018, Driss El Yazami,
alors Président du Conseil national des droits de l’Homme, s’est
prononcé en faveur de l’abolition de plusieurs articles du Code
pénal marocain qui portent atteinte au droit à la vie privée, à
savoir l’article 489 sur les relations homosexuelles mais également
les articles 490 (relations sexuelles en dehors du mariage) et 491
(adultère). J’estime que l’Assemblée parlementaire ne peut que partager
cette position à l’égard des trois dispositions et, compte tenu
du fait que les appels adressés précédemment au Parlement marocain
pour l’abolition n’ont pas eu de suite, l’Assemblée doit les réitérer
encore une fois avec conviction.
3. Les droits des
personnes en situation de handicap
11. Les politiques en matière de
personnes en situation de handicap au Maroc ont évolué positivement
au cours des dernières années. Deux étapes importantes en ce sens
ont été la ratification de la Convention relative aux droits des
personnes en situation de handicap et son protocole facultatif,
en 2009, et l’adoption de la Constitution de 2011, qui dans l’article
34 engage les autorités publiques à mettre en place des politiques
et des programmes destinés aux personnes aux besoins spécifiques.
En plus du principe de non-discrimination réaffirmé dans le texte
de 2011, on peut dire qu’il y a eu une constitutionnalisation des
droits politiques, sociaux, économiques et culturels des personnes
en situation de handicap.
12. Le Maroc s’est engagé à mettre en œuvre les dispositions de
la Convention relative aux droits des personnes en situation de
handicap, qui prévoit entre autres, à l’article 33, la création
d’un mécanisme gouvernemental de coordination. Une commission ministérielle
chargée du suivi des stratégies et programmes relatifs à la promotion
des droits des personnes en situation de handicap a été créé en
2014. Présidée par le chef du gouvernement, la commission est chargée
d’assurer le suivi de l’exécution des conventions internationales
pertinentes, de faire de recommandations sur les mesures législatives
et réglementaires et d’émettre des avis, de renforcer la concertation
entre les départements ministériels pour mettre en œuvre les programmes
et mesures dans ce domaine. En même temps, une commission technique
a été créée. Presque tous les ministères sont concernés par la protection
des droits des personnes en situation de handicap et un effort de
concertation entre toutes ces structures est indispensable.
13. Dans ce contexte, une politique publique intégrée pour la
promotion des droits des personnes en situation de handicap, couvrant
la période 2016-2026, a été adoptée en 2015, et un plan d’action
national à ce sujet a été lancé en 2017 pour mettre en œuvre la
politique publique intégrée. Le plan d’action prévoit d’importantes
initiatives telles que la création d’un Centre national de monitoring,
des études et de la documentation en matière du handicap, celle
de Centres d’orientation et d’assistance des personnes en situation
de handicap, et l’introduction de quotas d’emploi pour les personnes
en situation de handicap dans le secteur public et dans le secteur
privé. Le ministère de la Famille, de la Solidarité, de l’Égalité
et du Développement Social joue un rôle important dans la mise en
œuvre de ces mesures.
14. Tout ce qui précède montre une prise de conscience profonde
et une volonté politique forte d’éradiquer la discrimination à l’encontre
des personnes en situation de handicap et d’opérer pour leur inclusion
dans la société.
4. Intégration des
migrants et lutte contre le racisme
15. Le rapport de M. Klich illustre
clairement la nature exemplaire des politiques menées au Maroc en matière
de migration et d’intégration des migrants et, d’autre part, le
nombre croissant d’épisodes d’intolérance, voire de violence, à
l’encontre des étrangers, notamment ceux provenant d’Afrique sub-saharienne.
16. En effet, les efforts du Maroc dans ce secteur sont remarquables.
Un grand nombre de mesures ont été prises, notamment depuis l’adoption
de la Stratégie nationale d’immigration et d’asile, permettant non seulement
de régulariser des milliers de migrants, mais également leur donnant
accès à un grand nombre de services (soins, éducation, logement
et d’autres) au même titre que les Marocains. La stratégie comporte 11 programmes,
touchant les domaines que j’ai indiqués ainsi que d’autres tels
que l’emploi, la lutte contre la traite des êtres humains, la communication
et la coopération internationale.
17. Dans le cadre du programme éducation et culture de la Stratégie,
par exemple, 5 545 enfants migrants ont eu accès aux écoles publiques
et privées pour l’année scolaire 2017-2018. Le programme culture, jeunesse
et loisirs vise à favoriser l’intégration des jeunes migrants et
réfugiés en offrant des opportunités d’interaction telles qu’activités
sportives et colonies de vacances (600 enfants migrants et réfugiés
âgés de 7 à 14 ans ont bénéficié des colonies en 2018). D’autres
activités ont concerné la formation professionnelle et l’assistance
judiciaire.
18. Si le programme «Gouvernance et communication» de la Stratégie
nationale prévoit déjà des mécanismes de consultation avec la société
civile et le milieu académique dans le domaine de l’intégration, j’estime
que le rôle de la société civile doit être davantage mis en valeur.
Sa valeur ajoutée est remarquable notamment pour ce qui est des
campagnes de sensibilisation. Après la première campagne nationale
menée au Maroc en 2014, je souhaite signaler en tant que «bonne
pratique» qu’une campagne transmaghrebine contre le racisme a eu
lieu pour la première fois en 2016. Un collectif d’activistes et
d’associations nationales venant d’Algérie, Maroc et Tunisie s’est
regroupé pour lancer cette activité de sensibilisation sous le titre
«Ni esclave, ni négro, stop, ça suffit». Il est souhaitable que
la mobilisation de la société civile marocaine dans ce domaine continue
et que les autorités y prêtent leur soutien.