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Avis de commission | Doc. 14869 | 10 avril 2019

Évaluation du partenariat pour la démocratie concernant le Parlement du Maroc

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteure : Mme Edite ESTRELA, Portugal, SOC

Origine - Renvoi en commission: Décision du Bureau, Renvoi 4246 du 23 novembre 2018. Commission chargée du rapport: commission des questions politiques et de la démocratie. Voir Doc. 14659. Avis approuvé par la commission le 9 avril 2019. 2019 - Commission permanente de mai

A. Conclusions de la commission

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La commission sur l’égalité et la non-discrimination félicite le rapporteur de la commission des questions politiques et de la démocratie pour l’analyse approfondie qu’il a menée de la situation du Maroc du point de vue des institutions démocratiques et des libertés fondamentales. La commission soutient le projet de résolution et partage l’avis que le bilan du partenariat pour la démocratie avec le Parlement du Maroc est, globalement, très satisfaisant.

Le principe qui sous-tend le statut de partenaire pour la démocratie, à savoir une coopération ouverte et constructive afin de renforcer la démocratie, les droits humains et l’État de droit, encourage l’Assemblée à souligner les développements positifs sans pour autant négliger d’éventuels aspects plus critiques, ainsi qu’à garantir aux autorités marocaines son soutien politique aux efforts réformateurs.

Dans ce sens, il faut signaler que dans certains domaines, les avancées dans la mise en œuvre des engagements politiques que le Maroc a entrepris pourrait être plus poussées. C’est le cas du domaine de l’égalité entre les hommes et les femmes, malgré des progrès remarquables à partir de 2004, et du respect du droit à la vie privée et familiale.

La commission sur l’égalité et la non-discrimination souligne encore une fois l’excellente coopération avec la délégation parlementaire marocaine, à la fois en termes de participation active de ses membres aux travaux de la commission et d’opportunités offertes par la délégation de mener au Maroc des activités de coopération interparlementaire régionale sur les thèmes traités par la commission.

B. Amendements proposés

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Amendement A (au projet de résolution)

Dans le paragraphe 5.3, après les mots «lors des scrutins locaux.», insérer la phrase suivante:

«L’Assemblée encourage le Parlement marocain à considérer la possibilité d’augmenter le nombre de sièges de la Chambre des représentants réservés aux femmes et attribués par le biais des listes électorales nationales et d’adopter des mesures incitatives adressées aux partis politiques afin d’augmenter le nombre de femmes candidates dans les autres listes. L’Assemblée recommande d’abroger l’inéligibilité à la Chambre des représentants, dans le cadre de la circonscription électorale nationale, de toute personne ayant déjà été élue à la chambre précitée au titre de ladite circonscription électorale.»

Note explicative: Les listes réservées aux femmes dans le cadre de la circonscription nationale permettent d’élire seulement 60 membres, qui ne sont pas rééligibles à la fin de leur mandat dans une liste du même type, ce qui empêche un grand nombre des parlementaires de continuer leur activité politique et prive le Parlement de l’expérience qu’elles ont acquise.

Amendement B (au projet de résolution)

À la fin du paragraphe 6.4, ajouter les mots «ainsi que du droit d’être à l’abri de toute discrimination».

Note explicative: Cet amendement vise à renforcer le paragraphe en y incluant une référence au droit d’être à l’abri de toute forme de discrimination. La société civile représente une diversité de groupes et de catégories (les femmes, les minorités nationales et linguistiques, les migrants, les personnes en situation de handicap, les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI) et d’autres) qui sont des victimes potentielles de discrimination.

Amendement C (au projet de résolution)

Après le paragraphe 6.5, ajouter le paragraphe suivant:

«exhorte le Parlement marocain à abolir les dispositions du Code pénal criminalisant les relations sexuelles entre personnes adultes du même sexe, ou entre personnes de sexe différent qui ne sont pas unies par les liens du mariage, ainsi que l’adultère, et note qu’aucune suite n’a été donnée aux recommandations à ce sujet contenues dans la Résolution 1942 (2013) et la Résolution 2061 (2015)

Note explicative: Les articles 489, 490 et 491 du Code pénal marocain vont à l’encontre des droits humains inscrits dans la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) (droit au respect de la vie privée et familiale, article 8) et dans la Constitution marocaine de 2011 (droit à la protection de la vie privée, article 24).

C. Exposé des motifs, par Mme Edite Estrela, rapporteure pour avis

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1. Le rapport de la commission des questions politiques et de la démocratie sur l’«Évaluation du partenariat pour la démocratie concernant le Parlement du Maroc» est un suivi de la Résolution 2061 (2015) sur le même sujet. Depuis 2015, la situation a évolué concernant plusieurs des thèmes abordés à l’époque par la commission sur l’égalité et la non-discrimination dans son avis. Entre autres, des amendements au Code pénal et l’adoption d’une loi sur les violences à l’égard des femmes sont à noter. Cet avis tient compte de ces développements. Je souhaite également identifier des aspects de la législation et des politiques actuelles susceptibles d’évoluer vers l’objectif de parité qui est consacré dans la Constitution marocaine de 2011.

1. Egalité de genre: le progrès continue, des améliorations sont encore possibles

2. Ce que l’académicienne américaine Valentine M. Moghadam écrivait il y a une dizaine d’années sur le rapport entre démocratisation et droits des femmes est toujours pertinent: «aujourd’hui, à travers le monde arabe et l’Iran, les femmes modernisatrices sont des agents majeurs de la démocratisation et du changement culturel. La démocratisation et les mouvements des droits des femmes ont fait leur apparition plus au moins en tandem. Ces processus sont liés strictement entre eux et en effet ils sont réciproquement dépendants» 
			(1) 
			The Gender of Democracy:
The Link Between Women's Rights and Democratization in the Middle
East, Valentine M. Moghadam, Carnegie Endowment for International
Peace, 20 août 2008.. Pour cette raison, si les avancées en matière d’égalité de genre au Maroc sont très positives, il importe de continuer dans la même direction. En particulier, compte tenu du rôle important que les organisations féminines de la société civile ont joué dans ce processus, les autorités marocaines devraient continuer à prendre en compte les indications provenant de ce monde vaste et très actif.
3. Je souhaite attirer l’attention sur deux points spécifiques qui pourraient être améliorés, concernant la représentation politique des femmes et la législation contre la violence de genre. Au cours de ces dernières années, la proportion des femmes s’est accrue au sein du parlement et d’autres organes électifs nationaux et locaux, notamment grâce à l’introduction de mesures positives. Pour la Chambre des représentants en particulier, des listes réservées aux femmes sont utilisées dans la circonscription nationale, ce qui permet d’élire 60 femmes parlementaires (d’autres participent aux scrutins dans les listes ordinaires à côté des candidats hommes). Cette mesure a fait l’objet d’un recours devant la Cour constitutionnelle, qui s’est finalement prononcée en confirmant sa légitimité, mais également la nature provisoire de ce système. À mon avis, tout en confirmant que les mesures sont temporaires, il serait opportun d’augmenter le nombre de parlementaires élues grâce aux listes spéciales. Actuellement, il n’y a pas de consensus, mais au moins un groupe politique s’est prononcé en faveur de porter le nombre de 60 à 90.
4. De plus, un aspect délicat du système électoral actuel est représenté par l’inéligibilité des parlementaires élus dans la circonscription nationale (60 femmes mais également 30 jeunes) à la fin de leur mandat dans la même circonscription. La seule possibilité qui leur est accordée est de participer dans les circonscriptions locales, avec des chances plus limitées de succès. Le résultat est qu’un bon nombre de femmes et de jeunes ont pu accéder au parlement grâce à ce système, mais ils ont été remplacés au scrutin suivant, ce qui prive la Chambre des représentants de l’expérience qu’ils avaient acquise. J’estime que ce régime d’inéligibilité devrait être clairement aboli. En même temps, il serait souhaitable que le nombre de femmes candidates dans les listes non réservées augmente. Il s’agit essentiellement d’une responsabilité des partis politiques.
5. Une autre remarque concerne la loi sur la violence à l’égard des femmes, votée en février 2018. Malheureusement, le projet original s’est affaibli progressivement au fil des travaux parlementaires, et le résultat final a été fortement critiqué par les experts et les activistes. La loi criminalise certaines formes de violence faite aux femmes telles que le mariage forcé et le harcèlement. Cependant, elle manque de dispositions importantes, telles que la criminalisation du viol conjugal. Il serait opportun de lancer une réflexion, qui prenne en compte en particulier les indications provenant de la société civile et l’expérience européenne dans la mise en œuvre de la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210, «Convention d’Istanbul»), afin de réformer la loi marocaine et d’étendre la protection garantie aux victimes de violence sur la base de standards plus élevés.

2. Discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre: des violations de la liberté à la vie personnelle et familiale persistent

6. L’article 489 du Code pénal marocain, criminalisant les rapports consentis entre personnes de même sexe, est toujours en vigueur. La Résolution 2061 (2015) de l’Assemblée parlementaire sur l’évaluation du partenariat pour la démocratie avec le Parlement du Maroc évoquait déjà la nécessité d’abolir cette disposition. L’avis de la commission sur l’égalité et la non-discrimination à l’époque citait plusieurs cas de sanctions criminelles infligées par les tribunaux marocains. Depuis, cette pratique ne s’est pas arrêtée: plusieurs cas d’arrestations et condamnations ont été relayés par la presse marocaine et internationale et signalés par les organisations de défense des droits humains. La criminalisation des rapports sexuels consentis entre personnes du même sexe constitue une violation des droits humains tels que codifiés notamment dans la Convention européenne des droits de l’homme (article 8, droit au respect de la vie privée et familiale) et dans la Constitution marocaine de 2011, qui a introduit un droit à la protection de la vie privée qui jusque-là n’était pas considéré dans le droit constitutionnel marocain.
7. Au Maroc, comme dans de nombreux autres pays, cette criminalisation est l’héritage d’une législation d’origine européenne imposée à l’époque coloniale. Certains pays s’en sont défaits rapidement après l’indépendance. C’est le cas de la Jordanie, un autre pays de la région Proche Orient–Afrique du Nord dont la population, comme au Maroc, est à majorité musulmane, et dont le parlement a le statut de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée parlementaire. En Jordanie, la criminalisation des relations homosexuelles a été abrogée en 1951. Cela s’est reflété sur la législation en vigueur en Cisjordanie, la partie des Territoires palestiniens qui à l’époque était sous la juridiction jordanienne. D’autres pays ont procédé à la décriminalisation récemment, le cas le plus notable étant celui de l’Inde, où la décriminalisation a eu lieu en 2018. En 2015, le Mozambique a également «renoncé à ce vestige archaïque (…) de l’époque coloniale» pour citer les mots de l’organisation Human Rights Watch, en rejetant cette forme de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle.
8. Au niveau institutionnel, il n’y a pas eu de progrès visible à ce sujet. Cependant, des signaux indiquent qu’un débat sur cette réglementation et plus généralement sur la situation des personnes LGBTI s’ouvre au sein de la société civile et des médias marocains. Plusieurs associations engagées sur ce thème ont vu le jour au cours des dernières années, telles que le Collectif ASWAT, le Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI), l’association Akaliyat, et Dynamique Trans. Toutes ces organisations opèrent discrètement, souvent dans les réseaux sociaux, en raison de la difficulté à obtenir une reconnaissance légale, à laquelle fait également référence M. Klich dans son rapport. Cela a des conséquences notamment en matière de financement et de visibilité du travail. Par contre, l’association Kifkif, qui a occasionnellement mené des activités au Maroc, est basée à Madrid où elle a été fondée grâce entre autres à la diaspora marocaine.
9. Quelques voix se lèvent en faveur de l’abolition de l’article 489 du Code pénal. Le magazine d’opinion TelQuel a publié des éditoriaux demandant le respect des droits des personnes homosexuelles. Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch, souligne que cette situation endommage le bilan global de la protection des droits fondamentaux dans le pays: «Si le Maroc aspire réellement à être un leader régional dans le domaine des droits humains», a-t-elle déclaré, «il devrait montrer la voie en décriminalisant les pratiques homosexuelles».
10. Lors d’une audition avec la commission sur l’égalité et la non-discrimination, à Paris le 10 décembre 2018, Driss El Yazami, alors Président du Conseil national des droits de l’Homme, s’est prononcé en faveur de l’abolition de plusieurs articles du Code pénal marocain qui portent atteinte au droit à la vie privée, à savoir l’article 489 sur les relations homosexuelles mais également les articles 490 (relations sexuelles en dehors du mariage) et 491 (adultère). J’estime que l’Assemblée parlementaire ne peut que partager cette position à l’égard des trois dispositions et, compte tenu du fait que les appels adressés précédemment au Parlement marocain pour l’abolition n’ont pas eu de suite, l’Assemblée doit les réitérer encore une fois avec conviction.

3. Les droits des personnes en situation de handicap

11. Les politiques en matière de personnes en situation de handicap au Maroc ont évolué positivement au cours des dernières années. Deux étapes importantes en ce sens ont été la ratification de la Convention relative aux droits des personnes en situation de handicap et son protocole facultatif, en 2009, et l’adoption de la Constitution de 2011, qui dans l’article 34 engage les autorités publiques à mettre en place des politiques et des programmes destinés aux personnes aux besoins spécifiques. En plus du principe de non-discrimination réaffirmé dans le texte de 2011, on peut dire qu’il y a eu une constitutionnalisation des droits politiques, sociaux, économiques et culturels des personnes en situation de handicap.
12. Le Maroc s’est engagé à mettre en œuvre les dispositions de la Convention relative aux droits des personnes en situation de handicap, qui prévoit entre autres, à l’article 33, la création d’un mécanisme gouvernemental de coordination. Une commission ministérielle chargée du suivi des stratégies et programmes relatifs à la promotion des droits des personnes en situation de handicap a été créé en 2014. Présidée par le chef du gouvernement, la commission est chargée d’assurer le suivi de l’exécution des conventions internationales pertinentes, de faire de recommandations sur les mesures législatives et réglementaires et d’émettre des avis, de renforcer la concertation entre les départements ministériels pour mettre en œuvre les programmes et mesures dans ce domaine. En même temps, une commission technique a été créée. Presque tous les ministères sont concernés par la protection des droits des personnes en situation de handicap et un effort de concertation entre toutes ces structures est indispensable.
13. Dans ce contexte, une politique publique intégrée pour la promotion des droits des personnes en situation de handicap, couvrant la période 2016-2026, a été adoptée en 2015, et un plan d’action national à ce sujet a été lancé en 2017 pour mettre en œuvre la politique publique intégrée. Le plan d’action prévoit d’importantes initiatives telles que la création d’un Centre national de monitoring, des études et de la documentation en matière du handicap, celle de Centres d’orientation et d’assistance des personnes en situation de handicap, et l’introduction de quotas d’emploi pour les personnes en situation de handicap dans le secteur public et dans le secteur privé. Le ministère de la Famille, de la Solidarité, de l’Égalité et du Développement Social joue un rôle important dans la mise en œuvre de ces mesures.
14. Tout ce qui précède montre une prise de conscience profonde et une volonté politique forte d’éradiquer la discrimination à l’encontre des personnes en situation de handicap et d’opérer pour leur inclusion dans la société.

4. Intégration des migrants et lutte contre le racisme

15. Le rapport de M. Klich illustre clairement la nature exemplaire des politiques menées au Maroc en matière de migration et d’intégration des migrants et, d’autre part, le nombre croissant d’épisodes d’intolérance, voire de violence, à l’encontre des étrangers, notamment ceux provenant d’Afrique sub-saharienne.
16. En effet, les efforts du Maroc dans ce secteur sont remarquables. Un grand nombre de mesures ont été prises, notamment depuis l’adoption de la Stratégie nationale d’immigration et d’asile, permettant non seulement de régulariser des milliers de migrants, mais également leur donnant accès à un grand nombre de services (soins, éducation, logement et d’autres) au même titre que les Marocains. La stratégie comporte 11 programmes, touchant les domaines que j’ai indiqués ainsi que d’autres tels que l’emploi, la lutte contre la traite des êtres humains, la communication et la coopération internationale.
17. Dans le cadre du programme éducation et culture de la Stratégie, par exemple, 5 545 enfants migrants ont eu accès aux écoles publiques et privées pour l’année scolaire 2017-2018. Le programme culture, jeunesse et loisirs vise à favoriser l’intégration des jeunes migrants et réfugiés en offrant des opportunités d’interaction telles qu’activités sportives et colonies de vacances (600 enfants migrants et réfugiés âgés de 7 à 14 ans ont bénéficié des colonies en 2018). D’autres activités ont concerné la formation professionnelle et l’assistance judiciaire.
18. Si le programme «Gouvernance et communication» de la Stratégie nationale prévoit déjà des mécanismes de consultation avec la société civile et le milieu académique dans le domaine de l’intégration, j’estime que le rôle de la société civile doit être davantage mis en valeur. Sa valeur ajoutée est remarquable notamment pour ce qui est des campagnes de sensibilisation. Après la première campagne nationale menée au Maroc en 2014, je souhaite signaler en tant que «bonne pratique» qu’une campagne transmaghrebine contre le racisme a eu lieu pour la première fois en 2016. Un collectif d’activistes et d’associations nationales venant d’Algérie, Maroc et Tunisie s’est regroupé pour lancer cette activité de sensibilisation sous le titre «Ni esclave, ni négro, stop, ça suffit». Il est souhaitable que la mobilisation de la société civile marocaine dans ce domaine continue et que les autorités y prêtent leur soutien.