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Avis de commission | Doc. 14910 | 18 juin 2019
Mettre fin à la contrainte en santé mentale: nécessité d'une approche fondée sur les droits humains
Commission sur l'égalité et la non-discrimination
A. Conclusions de la commission
(open)1. La commission sur l'égalité
et la non-discrimination félicite Mme Reina
de Bruijn-Wezeman (Pays-Bas, ADLE), rapporteure de la commission
des questions sociales, de la santé et du développement durable,
pour son rapport intitulé «Mettre fin à la contrainte en santé mentale:
nécessité d'une approche fondée sur les droits humains». Il s’agit
d’un rapport équilibré et complet qui explique clairement pourquoi
il est indispensable de mettre fin à la contrainte pour respecter
les droits fondamentaux des personnes souffrant de troubles mentaux. De
plus, il propose des alternatives fondées sur les faits.
2. La commission soutient pleinement le rapport de Mme de
Bruijn-Wezeman. Elle se félicite également que la rapporteure reconnaisse
la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées
(CDPH) – qui a déjà été ratifiée par tous les États membres du Conseil
de l'Europe, à l’exception du Liechtenstein – comme le texte de
référence du point de vue des droits fondamentaux dans ce domaine. Son
rapport souligne les effets néfastes du recours, dans le domaine
de la santé mentale, à des mesures de contrainte comme le placement
et le traitement involontaires. De même, il attire l’attention sur
les progrès réalisables grâce à des approches alternatives renforçant
les capacités des malades mentaux au lieu de les priver de leur
autonomie.
3. Comme la commission est tout à fait d’accord avec l’analyse
et les recommandations de la rapporteure pour rapport, elle s’intéresse
dans le présent avis aux autres problèmes pour les droits fondamentaux
qui pourraient survenir du point de vue de la non-discrimination.
B. Amendement proposé
(open)Amendement A (au projet de résolution)
À la fin du paragraphe 2, insérer la phrase suivante:
«Or, non seulement le recours à de telles mesures coercitives conduit à des privations de liberté arbitraires, mais, en tant que traitement différentiel non justifié, il enfreint aussi la prohibition de la discrimination.»
C. Note explicative de Mme Sahiba Gafarova, rapporteure pour avis
(open)1. Je tiens à féliciter Mme de
Bruijn-Wezeman pour son rapport équilibré et complet Mettre fin
à la contrainte en santé mentale: nécessité d'une approche fondée
sur les droits humains. Il démontre pourquoi il est indispensable
de mettre fin aux mesures de contrainte afin de respecter les droits
fondamentaux des personnes confrontées à un problème de santé mentale,
et souligne le cercle vicieux engendré par la stigmatisation et
les clichés, la privation d’autonomie et les placements et traitements
involontaires. Il insiste en outre sur le fait que des alternatives
existent, qu’elles fonctionnent et qu’il faut d’urgence les promouvoir.
2. Je suis pleinement d’accord avec le rapport et concentre par
conséquent mon avis sur quelques problèmes supplémentaires du point
de vue des droits fondamentaux qui pourraient survenir dans ce domaine, sous
l’angle de la non-discrimination. Plusieurs de ces questions ont
déjà été présentées en détail dans les commentaires de la commission
sur l'égalité et la non-discrimination sur le projet de protocole
additionnel à la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine
(STE no 164, «Convention d’Oviedo»),
relatif à la protection des droits de l’homme et de la dignité des
personnes atteintes de troubles mentaux à l’égard du placement et
du traitement involontaires, adoptés le 10 octobre 2018, et qui
figurent en annexe au présent avis.
1. Changer de paradigme
3. La Convention des Nations Unies
relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) – qui est déjà ratifiée
par tous les États membres du Conseil de l'Europe, à l’exception
du Liechtenstein – constitue aujourd’hui le texte de référence en
matière de droits fondamentaux dans le domaine du handicap. La CDPH introduit
un changement radical d’approche du handicap en ce qu’elle se fonde
sur un modèle social, plutôt que médical, du handicap. Dès lors,
un diagnostic médical (par exemple de trouble mental) n’implique
pas automatiquement qu’une personne souffre d’un handicap (psychosocial).
Ce sont plutôt les barrières sociales auxquelles se heurtent les
personnes souffrant de troubles mentaux qui peuvent les mettre en
situation de handicap. La CDPH établit clairement qu’il appartient
à la société de supprimer ces obstacles afin de préserver le droit
de chacun de participer à la vie sociale sur un pied d’égalité.
4. Depuis bien trop longtemps, les personnes souffrant de troubles
psychosociaux sont considérées comme dangereuses, déviantes et enclines
à la violence. Comme le souligne le rapport de Mme de
Brujin-Wezeman, ce préjugé a fortement influencé la manière dont
les troubles mentaux sont traités. Les crises sont le plus souvent
gérées dans l’optique de limiter les risques immédiats de dommages
pour la personne concernée et pour autrui – fréquemment par un recours
à un placement involontaire assorti de traitements involontaires
(c’est-à-dire des mesures de contrainte). D’une manière générale,
on accorde trop peu d’attention à la prévention à long terme et
aux stratégies de gestion qui renforcent la capacité des intéressés et
réduisent fortement les risques de situations de crise. Pourtant,
le rapport de Mme de Brujin-Wezeman démontre
que ces stratégies existent et donnent de bons résultats dans de
nombreux États membres.
2. Discrimination
5. Un grand nombre de pays d’Europe
ont réalisé des avancées importantes dans l’élimination des obstacles
à la participation des handicapés physiques (en améliorant par exemple
l’accès des personnes à mobilité réduite aux bâtiments et aux transports
publics). Malheureusement, quand il s’agit de handicaps psychosociaux,
les anciennes conceptions s’imposent et les mesures de contrainte
restent largement utilisées alors même que leurs conséquences néfastes
ont été démontrées et que rien ne prouve qu’elles contribuent à
limiter le risque de violence ; les méthodes alternatives qui renforcent
les capacités des personnes et respectent leur autonomie restent
l’exception. Ces différences de traitement pour les personnes souffrant
de formes différentes de handicap subsistent en raison des stéréotypes
et des préjugés qui entourent les troubles mentaux, mais elles n’ont
aucune justification objective et constituent par conséquent de
la discrimination.
6. Comme le souligne également le rapport de Mme de
Brujin-Wezeman, la recherche scientifique n’établit pas de corrélation
directe entre les troubles mentaux et la violence. Un tel lien apparaît
uniquement en cas d’accumulation d’autres facteurs de risque – historiques
ou cliniques, prédispositions ou contexte. Pourtant, des personnes
ayant des troubles mentaux continuent d’être privés de liberté et
soumis à des traitements involontaires dans tous les États membres
du Conseil de l'Europe, sous prétexte qu’il faut limiter le risque
de préjudices. Cette situation est en contradiction avec celle d’autres
groupes, comme les jeunes hommes consommateurs d’alcool ou les auteurs
de violences domestiques, qui ne sont pas privés de leur liberté
alors même que leur propension à la violence (c’est-à-dire le risque
qu’ils causent des dommages pour eux-mêmes ou pour autrui) est empiriquement
connue . Une fois
de plus, ces différences de traitement sont injustifiées et s’apparentent
à une forme de discrimination.
7. Comme la commission l’a déjà fait remarquer, les personnes
souffrant de troubles psychosociaux sont souvent dans l’incapacité
de faire valoir leurs droits, ce dont les mesures de contrainte
sont l’illustration parfaite. Le refus de reconnaître l’aptitude
des personnes souffrant de troubles mentaux à prendre leurs propres
décisions est l’une des formes de discrimination les plus radicales
qu’elles subissent. Quand les capacités mentales d’une personne
(son aptitude à prendre des décisions) sont réduites, la solution
n’est pas de priver celle-ci de sa capacité juridique: il convient
plutôt, dans l’esprit de la CDPH, de mettre en place des mesures
spéciales (comme la prise de décision assistée, des directives anticipées,
etc.) garantissant leur jouissance de la capacité juridique sur
une base d’égalité avec les autres .
8. La commission a déjà exposé en détail les conséquences discriminatoires
sur les personnes ayant un handicap psychosocial de mesures de contrainte
comme le placement et le traitement involontaires, notamment en
matière de privation arbitraire de liberté; l’autonomie, le consentement
libre et éclairé et l’égalité dans la reconnaissance de la personnalité
juridique; et l’exposition à la violation supplémentaire des droits fondamentaux
résultant des mesures de contrainte. J’ai décidé de porter ces arguments
à l’attention de chacun en joignant, en annexe au présent avis,
les Commentaires de la commission sur le projet de protocole additionnel
à la Convention d’Oviedo, relatif à la protection des droits de
l'homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux
à l’égard du placement et du traitement involontaires.
9. J’ajoute par ailleurs que d’après la jurisprudence actuelle
de la Cour européenne des droits de l’homme, la détention d’un «aliéné»
(selon les termes de l’article 5.1.e de la Convention européenne
des droits de l’homme) ne sera considérée comme «régulière» que
si elle répond à toute une série de critères stricts. Ainsi, «[t]oute
détention de personnes souffrant de maladies psychiques doit poursuivre
un but thérapeutique, et plus précisément viser à la guérison ou
l’amélioration, autant que possible, de leur trouble mental». Par
ailleurs, «quel que soit l’endroit où ces personnes se trouvent
placées, elles ont droit à un environnement médical adapté à leur
état de santé, accompagné de réelles mesures thérapeutiques, ayant
pour but de les préparer à [leur] (…) libération». Dans son arrêt,
la Cour reconnaît explicitement que la non interdiction de la détention fondée
sur l’incapacité, selon l’article 5 de la Convention tel qu’interprété
aujourd’hui, diffère de la position prise sur ce point par le Comité
des droits des personnes handicapées des Nations Unies . Je souhaite souligner que les États
Parties à la CPDH – c’est-à-dire 46 des 47 pays membres du Conseil
de l’Europe – se sont engagés à respecter les normes universelles
en matière de droits humains énoncées par cet instrument et ils ne
doivent pas se prévaloir des dispositions moins contraignantes de
l’article 5.1.e de la Convention tel qu’interprétées aujourd’hui
afin de se soustraire à leur obligation de protéger pleinement les
droits des personnes ayant un handicap psychosocial et qui relèvent
de leur juridiction. De surcroît, la jurisprudence de la Cour dans
ce domaine est en train d’évoluer, se rapprochant de plus en plus
des positions de la CPDH.
3. Remarques finales
10. Comme le démontre le rapport
de Mme de Bruijn-Wezeman, la différence
de traitement imposée aux personnes ayant un handicap psychosocial
– et plus spécifiquement le recours trop répandu à des mesures de
contrainte dans le traitement de leurs troubles mentaux – est non
seulement néfaste pour les intéressés, mais également injustifiée
et discriminatoire.
11. Il faut inverser la tendance au recours accru aux mesures
de contrainte dans le domaine de la santé mentale: c’est une question
fondamentale de garantie de l’égalité et de la dignité. Les États
doivent d’urgence s’attaquer aux clichés et aux préjugés dans la
société dont sont victimes les personnes ayant un handicap psychosocial,
qui sont à la racine des pratiques préjudiciables qui les affectent
et les piègent dans un cercle vicieux d’exclusion.
12. Je salue la contribution majeure du rapport de Mme de
Bruijn-Wezeman, qui démontre que des méthodes alternatives en matière
de traitement des troubles mentaux existent et fonctionnent, et
qu’il faut les promouvoir. Ces traitements doivent favoriser l’autonomie
et les capacités des personnes ayant un handicap psychosocial afin
de garantir leur égalité de participation au sein de la société
malgré les obstacles supplémentaires auxquels elles sont confrontées.
Annexe – Commentaires sur le projet de Protocole additionnel à la Convention d’Oviedo, relatif à la protection des droits de l’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux à l’égard du traitement et du placement involontaires
(open)1. Introduction
1. Le 18 juin 2018, le Comité
de Bioéthique du Conseil de l’Europe (DH-BIO) a envoyé à l’Assemblée parlementaire,
pour observations, le projet de Protocole additionnel à la Convention
sur les droits de l’homme et la biomédecine (STE no 164,
«Convention d’Oviedo»), relatif à la protection des droits de l’homme
et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux à l’égard
du traitement et du placement involontaires. Au sein de l’Assemblée,
conformément à leur mandat respectif, deux commissions sont compétentes
en la matière: la commission des questions sociales, de la santé
et du développement durable et la commission sur l’égalité et la
non-discrimination. Elles ont organisé une audition conjointe le
9 octobre 2018 sur le thème: «Protéger les droits des personnes
ayant un handicap psychosocial à l’égard des mesures involontaires
en psychiatrie», avec la participation de Mme Beatrice
Ioan, présidente du Comité de Bioéthique du Conseil de l’Europe;
Mme Catalina Devandas-Aguilar, rapporteuse
spéciale des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées;
Mme Dunja Mijatović, Commissaire aux
droits de l’homme du Conseil de l’Europe; M. Christos Giakoumopoulos,
directeur général, direction générale Droits de l’homme et État
de droit du Conseil de l’Europe; Mme Olga
Runciman, psychologue et propriétaire de Psycovery.
Il a été tenu compte de leur contribution dans les présentes observations.
2. La commission sur l’égalité et la non-discrimination remercie
le Comité de Bioéthique de lui offrir, avec cette consultation informelle,
la possibilité de formuler des observations sur le projet de protocole.
Elle rappelle que dans la Recommandation 2091
(2016) «Arguments contre un instrument juridique du Conseil
de l’Europe sur les mesures involontaires en psychiatrie», l’Assemblée
avait «recommand[é] que le Comité des Ministres charge le Comité
de bioéthique: de retirer la proposition visant à élaborer un protocole
additionnel relatif à la protection des droits humains et à la dignité
des personnes atteintes de troubles mentaux à l’égard du placement
et du traitement involontaires; de concentrer plutôt son travail
sur la promotion d’alternatives aux mesures involontaires en psychiatrie,
y compris en élaborant des mesures visant à accroître la participation des
personnes ayant un handicap psychosocial aux décisions qui concernent
leur santé» et indiqué que «[s]’il est néanmoins décidé de poursuivre
l’élaboration du protocole additionnel, l’Assemblée recommande au Comité
des Ministres d’encourager le Comité de bioéthique à assurer une
participation directe des organisations de défense des droits des
personnes handicapées au processus de rédaction, tel que recommandé
par la CDPH et la Résolution
2039 (2015) de l’Assemblée «Égalité et insertion des personnes handicapées».
3. La contribution de la commission est principalement axée sur
les questions d’égalité et de non-discrimination. Elle s’appuie
sur un instrument international fondamental en matière de protection
des droits des personnes handicapées: la Convention des Nations
Unies relative aux droits des personnes handicapées (ci-après, CDPH).
Ce texte, qui accorde une place centrale aux personnes handicapées
et applique le principe selon lequel «Rien ne se fera pour nous
sans nous», a été ratifié par 46 des 47 États membres du Conseil
de l’Europe . La commission souligne qu’il
serait particulièrement préoccupant, et dangereux pour les droits
des personnes handicapées, qu’en adoptant des normes internationales
moins exigeantes que celles qui sont reconnues au titre de la CDPH,
le Conseil de l’Europe – organisation phare de la défense des droits
humains en Europe – compromette les travaux menés à l’échelon international
dans ce domaine. En effet, les 46 États membres qui sont Parties
à la CDPH se sont non seulement engagés à respecter la lettre de
cette convention, mais aussi, sur le plan politique, à opérer le
changement radical d’orientation qu’induit ce texte.
4. Les principes d’insertion et de protection des droits des
personnes handicapées que défend la CDPH occupent une place primordiale
dans les travaux relatifs au handicap menés par la commission sur
l’égalité et la non-discrimination et sa sous-commission sur le
handicap et la discrimination multiple et intersectionnelle. Dans
sa Résolution 2039 (2015) sur l’égalité et l’insertion des personnes handicapées,
fondée sur un projet de résolution adopté à l’unanimité par la commission
sur l’égalité et la non-discrimination, l’Assemblée appelle les
États membres à «rompre avec la culture de l’institutionnalisation,
(…) et (…) engager la réflexion sur les alternatives au placement
en institution, en tenant compte des choix des personnes handicapées».
2. Considérations générales
«De toutes les tyrannies, celle qui vise au bien de ses victimes est sans doute la plus oppressive. (…) [C]eux qui nous tourmentent pour notre propre bien n'auront jamais de cesse de le faire, puisqu’ils ont la bénédiction de leur conscience». C.S. Lewis, Dieu au banc des accusés; essai de théologie (Making of Modern Theology), cité par Mme Runciman à l’audition du 9 octobre 2018.
1. Comme précisé à l’audition
du 9 octobre 2018, il est généralement admis que les personnes soumises à
des mesures involontaires en psychiatrie sont exposées à des violations
graves de leurs droits humains et que les pouvoirs publics doivent
remédier à cette situation. Les arrêts de la Cour européenne des
droits de l’homme et les rapports du Comité européen pour la prévention
de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
(CPT) n’en témoignent que trop clairement. Pourtant, la législation
de nombreux États membres du Conseil de l’Europe prévoit des mesures
involontaires, qui restent d’application à ce jour.
2. Il est en outre généralement admis que sauver des vies et
venir en aide aux personnes ayant un handicap psychosocial, notamment
en cas de crise profonde ou de grande détresse, est un objectif
commun et que les États membres ont besoin d’orientations pour élaborer
et mettre en œuvre des alternatives efficaces, respectueuses de
la dignité et des droits de ces personnes.
3. Il existe toutefois différentes façons de s’y prendre pour
atteindre cet objectif. Comme l’a expliqué sa présidente à l’audition
du 9 octobre 2018, le Comité de Bioéthique estime que tant que des
lois prévoyant des mesures involontaires seront en vigueur et appliquées,
il faudra de solides garde-fous pour s’assurer que ces mesures ne
sont utilisées qu’en dernier ressort et pour permettre aux personnes
ayant un handicap psychosocial d’exercer leurs droits. La rapporteuse
spéciale des Nations Unies a néanmoins souligné que bien que les
mesures involontaires aient été élaborées en partant du principe
qu’elles devaient être d’application exceptionnelle et assorties
de garanties, c’est pourtant précisément dans les États où ces garanties
existent que les mesures involontaires sont le plus souvent employées.
En substance, de telles garanties sont de nature à créer des obstacles
supplémentaires, plutôt qu’à remédier à la situation actuelle, alors
même que cela est urgent. Par ailleurs, rien n’indique, a-t-elle
souligné à l’instar d’autres orateurs, que les mesures coercitives réduisent
l’automutilation. Au contraire, comme l’ont fait observer aussi
bien Mme Runciman qu’un orateur s’exprimant
au nom du Réseau européen des (ex-)usagers et survivants de la psychiatrie
(ENUSP), les mesures coercitives brisent la confiance des personnes
qui les subissent en l’aptitude de la psychiatrie à les aider, et
les poussent à éviter tout contact avec le système de santé. Comme
l’a fait remarquer l’un des orateurs, c’est l’une des raisons pour
lesquelles «la coercition n’est pas une forme de soin».
4. Des solutions autres que la coercition sont déjà proposées,
par exemple des stratégies d’intervention à domicile, des services
de gestion de crise ou services de répit, des initiatives entre
pairs et la planification en amont. Il existe encore peu de publications
dans ce domaine mais une analyse documentaire publiée en octobre
2018 montre que de telles alternatives peuvent donner d’excellents
résultats et méritent que les États s’y intéressent de beaucoup
plus près .
5. Il est important de souligner que les personnes ayant un handicap
psychosocial sont fréquemment dans l’incapacité de faire valoir
leurs droits, ce dont les mesures coercitives sont l’illustration
parfaite. Ne pas reconnaître la capacité des personnes ayant un
handicap psychosocial à prendre leurs propres décisions est l’une
des formes de discrimination les plus radicales qu’elles subissent,
comme indiqué plus bas. Par ailleurs, en raison des stéréotypes
et de la stigmatisation qui les entourent, ces personnes sont largement
perçues comme étant dangereuses, à la fois pour elles-mêmes et pour
les autres, ce qui se solde bien trop souvent par leur exclusion
de la société. Tous ces facteurs accentuent la discrimination dont
elles sont victimes. Comme l’a clairement montré Mme Runciman,
il est indispensable d’écouter ce que ces personnes ont à raconter
pour comprendre ce qu’elles vivent et la raison pour laquelle elles
insistent sur le fait que ce qu’il faut, ce n’est pas multiplier
les mesures similaires mais changer radicalement d’orientation.
6. L’un de ces changements radicaux consiste à cesser de parler
de «personnes atteintes de troubles mentaux», terminologie employée
dans le titre et le corps du projet de protocole, pour adopter la
terminologie du Comité CDPH, à savoir «personnes ayant un handicap
psychosocial». En effet, ce choix terminologique n’est pas neutre.
Il reflète une approche différente de la question, ou met l'accent
sur des aspects et préoccupations différents. Alors que «personnes
atteintes de troubles mentaux» correspond à une approche traditionnelle
en psychiatrie, «personnes ayant un handicap psychosocial» est la
terminologie acceptée dans le domaine des droits humains.
3. Questions précises en matière d’égalité et de non-discrimination
1. Les États Parties à la CDPH se
sont engagées à «s’abstenir de tout acte et de toute pratique incompatible
avec la (…) Convention et veiller à ce que les pouvoirs publics
et les institutions agissent conformément à la (…) Convention» (article 4.d)
de la CDPH) et à «prendre toutes mesures appropriées pour éliminer
la discrimination fondée sur le handicap pratiquée par toute personne,
organisation ou entreprise privée» (article 4.e) de la CDPH). «Les
États Parties interdisent toutes les discriminations fondées sur
le handicap et garantissent aux personnes handicapées une égale
et effective protection juridique contre toute discrimination, quel
qu’en soit le fondement» (article 5.2 de la CDPH). C’est l’éventuel
conflit entre le projet de protocole additionnel et ces engagements,
tout particulièrement en ce qui concerne le respect du droit à l’égalité,
qui est au cœur des observations de la commission ci-après.
2. Reconnaissance de la personnalité
juridique dans des conditions d’égalité (article 12 de la CDPH): Les droits
de toutes les personnes handicapées, y compris celles qui souffrent
d’un handicap psychosocial, à la reconnaissance en tous lieux de
leur personnalité juridique, et à jouir de la capacité juridique
dans tous les domaines, sur la base de l’égalité avec les autres,
sont inscrits dans l’article 12 de la CDPH. Le Comité CDPH a rappelé
qu’il fallait distinguer la capacité juridique d’une personne (statut
juridique et capacité d’agir en droit) et sa capacité mentale (aptitude
à prendre des décisions) . Lorsque la capacité mentale d’une
personne se détériore, il peut être nécessaire de prendre des mesures
spécifiques afin de garantir son droit à jouir de sa capacité juridique
sur la base de l’égalité avec les autres, conformément à l’article 12
de la CDPH. Mais la priver de sa capacité juridique va à l’encontre
de son droit à la reconnaissance de la personnalité juridique dans des
conditions d’égalité, aux termes de la CDPH.
3. Le droit à la liberté et à la reconnaissance
de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité (articles 14
et 12 de la CDPH): La CDPH prévoit qu’«en aucun cas l’existence
d’un handicap ne justifie une privation de liberté» (article 14.b)).
Le Comité CDPH a par ailleurs bien établi que le «déni de la capacité juridique
des personnes handicapées et leur détention dans des établissements
contre leur volonté, sans leur consentement ou avec celui d’une
personne habilitée à se substituer à elles pour prendre les décisions
les concernant, constituent une privation arbitraire de liberté
et violent les articles 12 et 14 de la [CDPH]» . Le placement involontaire est discriminatoire
en ce sens qu’il fait tout simplement abstraction de la capacité juridique
de la personne concernée. Il faudrait plutôt prendre des mesures
propres à garantir le droit à l’égalité et le respect du principe
de non-discrimination, par exemple en prévoyant un soutien à la
prise de décision sur les questions de santé ou d’autres modèles
de service, qui respectent la volonté et les préférences de la personne . De
telles mesures éliminent la «nécessité» du recours à un placement
involontaire.
4. Autonomie, consentement libre et
éclairé et reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions
d’égalité (articles 25 et 12 de la CDPH): Au titre de
la reconnaissance par les pouvoirs publics du droit des personnes
handicapées à jouir du meilleur état de santé possible sans discrimination
fondée sur le handicap, l’article 25.d) de la CDPH exige des professionnels
de la santé qu’ils ne dispensent des soins aux personnes handicapées
que s’ils obtiennent leur consentement libre et éclairé. Comme l’ont
reconnu les Nations Unies, le consentement libre et éclairé à un
traitement n’a de sens que si la personne concernée a le droit de
refuser celui-ci . Rien ne justifie
de traiter les personnes ayant un handicap psychosocial différemment
des autres à cet égard: là encore, ignorer leur capacité juridique
n’est pas compatible avec leur droit à la reconnaissance de la personnalité
juridique dans des conditions d’égalité, et il faudrait plutôt prendre lorsqu’il
y a lieu des mesures propres à garantir l’accès à des processus
d’accompagnement dans la prise de décision.
5. Exposition à de nouvelles violations
des droits humains après placement et/ou traitement involontaires (article 15
et 17 de la CDPH et articles 3 et 13 de la Convention européenne
des droits de l’homme): Il est généralement admis que
«les centres de santé mentale sont le théâtre d’un nombre inacceptable
d’atteintes aux droits de l’homme» et que les choses doivent immédiatement
changer . Outre les
atteintes au droit de reconnaissance de la personnalité juridique
dans des conditions d’égalité (voir plus haut), les personnes ayant un
handicap psychosocial sont exposées à d’autres violations de leurs
droits humains lorsqu’elles sont placées involontairement dans des
établissements de santé mentale. Elles peuvent en particulier subir
des atteintes disproportionnées à leur droit à l’intégrité physique,
notamment pour cause d’emploi de la force, de contention (physique
ou chimique, sédation comprise) ou d’isolement, ce qui va à l’encontre
de l’article 17 de la CDPH et (surtout si le recours à ces mesures
se prolonge) de l’interdiction de la torture et des traitements
inhumains ou dégradants au sens de l’article 15 de la CDPH et de
l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme . L’Organisation
mondiale de la santé reconnaît elle-même que les établissements
psychiatriques sont associés à des violations graves des droits
humains, notamment des conditions de vie et des traitements inhumains
et dégradants, et que ces violations ont souvent lieu à huis clos
et ne sont pas signalées , ce qui signifie qu’aucune enquête
n’a lieu et qu’il ne peut donc y avoir réparation. Les personnes
ayant un handicap psychosocial sont donc confrontées à certaines
violations graves, sur le fond et sur la forme, de leurs droits énoncés
aux articles 3 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme
et aux articles 15 et 17 de la CDPH. En somme, le placement et/ou
le traitement involontaires des personnes ayant un handicap psychosocial
uniquement en raison de leur handicap est également discriminatoire
en ce sens qu’ils les exposent à une série de violations graves
de leurs droits humains auxquelles d’autres personnes ne sont pas exposées.
6. Le Comité de Bioéthique a fait valoir que les garanties prévues
dans le projet de protocole additionnel sont destinées à aider les
États à aligner leur législation sur la jurisprudence de la Cour
au sujet des mesures involontaires. Toutefois, il a également été
soutenu à l’audition du 9 octobre 2018 que la jurisprudence de la Cour
évolue et se rapproche de plus en plus des normes de la CDPH. Le
protocole additionnel risque donc de cristalliser des normes qui
sont non seulement aujourd’hui en conflit avec la CDPH mais qui
s’avéreront rapidement moins exigeantes que celles de la Convention
européenne des droits de l’homme telles qu’interprétées par la jurisprudence
de la Cour. Les États membres restent bien entendu tenus d'exécuter rapidement
et intégralement les arrêts de la Cour européenne des droits de
l'homme.
4. Conclusions
1. Pour toutes les raisons mentionnées
ci-dessus, la commission sur l’égalité et la non-discrimination considère
que le placement et le traitement involontaires constituent une
atteinte au droit des personnes ayant un handicap psychosocial à
l’égalité et à la non-discrimination, et elle réaffirme l’opinion
déjà exprimée par l’Assemblée parlementaire, à savoir que le Conseil
de l’Europe doit cesser ses travaux de rédaction d’un projet de
protocole additionnel à la Convention d’Oviedo. Ceux-ci ne pourront
en effet que servir à perfectionner des mécanismes qui de par leur
nature perpétueront la discrimination et autres violations des droits
humains. Ni la formulation la plus prudente ni le fait de mettre
fermement l’accent sur la nécessité de privilégier l’autonomie des
personnes ayant un handicap psychosocial ne pourraient éliminer
ce défaut, qui est inhérent à l’idée même du projet de protocole
additionnel.
2. Pour garantir le droit des personnes ayant un handicap psychosocial
à l’égalité et la non-discrimination, tous les secteurs du Conseil
de l’Europe doivent veiller de concert à ce qu’elles ne soient pas
soumises à un placement ou un traitement involontaires, et à ce
que les normes en matière de droits humains qui sont établies à
l’heure actuelle soient prospectives et protègent ces droits au
plus haut point. Les pouvoirs publics devraient faire le nécessaire
pour favoriser un changement radical d’orientation afin que des
alternatives aux mesures coercitives soient adoptées et que d’autres
traitements puissent être disponibles et accessibles. Le Conseil
de l’Europe devrait concentrer ses efforts et ressources au soutien
dont ses États membres ont besoin à cet effet.