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Rapport | Doc. 15050 | 28 janvier 2020

Contestation pour des raisons substantielles des pouvoirs non encore ratifiés de la délégation parlementaire de la Fédération de Russie

Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi)

Rapporteur : M. Tiny KOX, Pays-Bas, GUE

Origine - Renvoi en commission: Décision de l’Assemblée, Renvoi 4490 du 27 janvier 2020. 2020 - Première partie de session

Résumé

Le rapporteur rappelle qu’en juin 2019, lorsque l’Assemblée parlementaire a adopté la Résolution 2287 (2019), «Renforcer le processus décisionnel de l’Assemblée parlementaire concernant les pouvoirs et le vote», qui a ouvert la voie au retour de la délégation russe au sein de l’Assemblée, son intention était de relancer un dialogue politique constructif.

Le rapporteur souligne que le dialogue a été relancé et que la commission de suivi devrait poursuivre son travail concernant la Fédération de Russie. Les corapporteurs pourraient effectuer une visite d’information et préparer un rapport substantiel dans les meilleurs délais. La commission devrait suivre attentivement les évolutions en Fédération de Russie en vue d’examiner si les nouvelles modifications constitutionnelles sont conformes aux normes démocratiques et aux engagements et obligations de la Fédération de Russie.

Il propose donc que l’Assemblée ratifie les pouvoirs de la Fédération de Russie et reprenne l’examen des progrès accomplis lors de la présentation d’un rapport de suivi dans le courant de cette année.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté le 28 janvier 2020.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution 2287 (2019) «Renforcer le processus décisionnel de l'Assemblée parlementaire concernant les pouvoirs et le vote», qui, à l’issue d’une période d’absence de coopération au niveau parlementaire, a conduit au retour de la délégation russe à l’Assemblée et a confirmé la volonté affichée par l’Assemblée de recourir au dialogue pour apporter des solutions durables aux problèmes en suspens.
2. En outre, l’Assemblée renvoie à sa Résolution 2292 (2019) «Contestation, pour des raisons substantielles, des pouvoirs non encore ratifiés de la délégation parlementaire de la Fédération de Russie», dans laquelle elle a décidé de ratifier les pouvoirs de la délégation russe et d’appeler celle-ci à coopérer avec la commission de suivi et à engager un dialogue constructif sur le respect de ses engagements et obligations. Elle a invité la commission de suivi à présenter un rapport sur le respect des obligations et engagements de la Fédération de Russie dans les meilleurs délais, mais en avril 2020 au plus tard.
3. La commission de suivi a repris ses travaux à l’égard de la Fédération de Russie et a organisé un certain nombre d’auditions, dont les corapporteurs tiendront compte dans l’élaboration en cours du rapport. La délégation russe a coopéré pleinement avec la commission de suivi.
4. L’Assemblée observe que, au cours des six derniers mois depuis le retour de la Fédération de Russie à l'Assemblée, certaines autres recommandations qui figurent dans la Résolution 2292 (2019) ont également été mises en œuvre par la Fédération de Russie. Plus précisément, les 24 marins détenus illégalement dans le détroit de Kertch ont tous étés envoyés en Ukraine dans le cadre d’un échange otages. Il s'agissait notamment d'une personne recherchée pour être interrogée en rapport avec la destruction de l'avion MH17. Certaines avancées ont été obtenues dans la mise en œuvre des accords de Minsk. La Fédération de Russie a participé aux "échanges de prisonniers" et, aux côtés de l'Ukraine, prépare d'autres échanges.
5. Pour ce qui est de ses obligations financières à l’égard du Conseil de l’Europe, la Fédération de Russie a versé l’ensemble des contributions dues au titre du budget ordinaire et des accords partiels. Les intérêts impayés font l’objet de discussions au sein du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe.
6. L’Assemblée reconnaît que l’évaluation générale de la situation du respect par la Fédération de Russie de ses engagements et obligations à l’égard du Conseil de l’Europe, et les Résolutions 1990 (2014),2034 (2015),2063 (2015) et 2292 (2019), fait l’objet du rapport de suivi en cours d’élaboration.
7. En outre, l’Assemblée invite la commission de suivi à suivre attentivement le processus législatif en cours au sujet des modifications apportées actuellement à la Constitution en Fédération de Russie et souligne explicitement l’obligation faite à chaque État membre de se conformer aux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme.
8. L’Assemblée décide d’évaluer les avancées réalisées à ce propos au cours de l’année 2020 et invite la commission de suivi à présenter le rapport de suivi complet dès que possible.
9. L’Assemblée souligne qu’elle représente la plus importante plate-forme parlementaire paneuropéenne où peut avoir lieu un dialogue politique sur les obligations nées pour la Fédération de Russie du Statut du Conseil de l’Europe auquel participent l’ensemble des parties concernées et où la Fédération de Russie peut être amenée à rendre des comptes sur la base des valeurs et des principes du Conseil de l’Europe.
10. L’Assemblée ne considère pas que les articles 8.2.a ou 8.2.b. sont applicables et décide par conséquent de ratifier les pouvoirs de la Fédération de Russie.

B. Exposé des motifs par M. Tiny Kox, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le 27 janvier 2020, avec le soutien de plus de 30 membres de l’Assemblée parlementaire présents dans la salle des séances et appartenant à cinq délégations nationales au moins, M. Emmanuelis Zingeris (Lituanie, PPE/DC) a contesté les pouvoirs non encore ratifiés de la délégation russe pour des raisons substantielles sur le fondement de l’article 8 du Règlement de l’Assemblée parlementaire. Par la suite, Mme Marija Golubeva (Lettonie, ADLE) a contesté les pouvoirs de la délégation russe pour des raisons formelles sur le fondement de l’article 7 du Règlement, avec le soutien de plus de 10 membres présents dans la salle des séances et appartenant à cinq délégations nationales au moins.
2. Les raisons substantielles pour lesquelles les pouvoirs ont été contestés tiennent au processus législatif en cours en Fédération de Russie concernant la proposition de révision constitutionnelle et ses conséquences éventuelles sur le respect par la Fédération de Russie de ses engagements et obligations à l’égard du Conseil de l’Europe et des recommandations figurant dans la Résolution 1990 (2014), la Résolution 2034 (2015), la Résolution 2063 (2015) et la Résolution 2292 (2019) de l’Assemblée.
3. Conformément à l’article 8.3 du Règlement, la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l’Europe (commission de suivi) a été saisie pour rapport pour des raisons substantielles et la commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles a été saisie pour avis sur ce point et pour un rapport distinct pour des raisons formelles.
4. Lors de sa réunion du 27 janvier 2020, la commission de suivi m’a nommé rapporteur pour le présent rapport.

2. Contexte

5. En juin 2019, l’Assemblée a adopté la Résolution 2292 (2019) sur la contestation, pour des raisons substantielles, des pouvoirs non encore ratifiés de la délégation parlementaire de la Fédération de Russie, par laquelle elle décidait de ratifier les pouvoirs de la délégation russe. Elle s’y déclarait favorable à un dialogue politique sérieux et y exprimait l’espoir que son offre sans équivoque de dialogue serait réciproque et aboutirait à des résultats concrets. Elle invitait la commission de suivi à présenter un rapport sur le respect des engagements et obligations de la Fédération de Russie dans les meilleurs délais et en tout état de cause avant avril 2020.
6. La commission de suivi a immédiatement repris ses travaux concernant la Fédération de Russie. Lors de sa réunion du 10 septembre 2019, qui s’est déroulée après les élections locales à la Douma municipale de Moscou, elle a tenu un échange de vues avec M. Jakob Wienen, corapporteur de la commission de suivi du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe sur la démocratie locale et régionale en Fédération de Russie. Le 1er octobre 2019, elle a organisé une audition sur la société civile et la participation démocratique en Fédération de Russie, avec la participation de M. Vladimir Kara-Murza, Président de la Fondation Boris Nemtsov pour la liberté, Mme Emiliya Slabunova, Présidente du Parti Yabloko, M. Leonid Volkov, chef de Campagne de M. Alexei Navalny et Mme Tatiana Glushkova, représentante de Mémorial. Elle a également tenu un échange de vues avec M. Fredrik Sundberg, chef du Service de l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, au sujet de l’application des décisions de la Cour par la Fédération de Russie.
7. En l’absence de membres de la délégation russe au sein de la commission de suivi en 2019 et conformément au Règlement, des représentants de la majorité et de l’opposition au Parlement russe ont été invités aux discussions sur tous les événements susmentionnés et y ont participé activement.
8. Malheureusement, aucune visite de suivi n’a pu être organisée car les corapporteurs de l’époque n’étaient pas disponibles. Il convient toutefois de préciser que le président de la délégation russe avait indiqué clairement, au cours de l’une des réunions que les corapporteurs seraient bien accueillis s’ils exprimaient le souhait d’effectuer une visite. Il faut espérer que les nouveaux corapporteurs arrêteront les dates de leur visite le plus tôt possible.
9. La commission a suivi avec une attention particulière l’évolution de la situation en ce qui concerne la mise en œuvre des recommandations adressées à la Fédération de Russie dans la Résolution 2292 (2019) et il faut reconnaître que certains progrès peuvent être constatés.
10. Le 7 septembre 2019, les 24 marins capturés illégalement par la Fédération de Russie dans le détroit de Kertch, en Crimée, ont été remis à l’Ukraine dans le cadre d’un échange de prisonniers plus vaste, qui portait sur 35 prisonniers de part et d’autre. Le 18 novembre 2019, les navires capturés ont été rendus à l’Ukraine.
11. Plus généralement, des progrès ont été réalisés dans la mise en œuvre des accords de Minsk avec la Russie à la suite de l’élection du Président Volodymyr Zelensky en Ukraine.
12. L’échange de prisonniers mentionné ci-dessus, dans lequel était également inclus le réalisateur ukrainien Boris Sentsov, a été largement perçu comme une faveur dans la perspective du sommet du groupe dit «de Normandie» (France, Allemagne, Ukraine et Fédération de Russie), qui a eu lieu le 9 décembre 2019 à Paris.
13. Lors du sommet du Groupe de Minsk, les dirigeants ont convenu de stabiliser la situation dans la zone de conflit et de prendre des mesures pour mettre en œuvre les accords de Minsk. Dans le cadre de cet accord, le président Zelensky s’est entendu avec la Russie et avec les rebelles soutenus par la Russie sur l’organisation d’élections locales dans la région du Donbass, à condition notamment que ces élections soient organisées en vertu de la législation ukrainienne, avec la participation de tous les partis politiques ukrainiens, et après que l’Ukraine aura repris le contrôle total de ses frontières avec la Russie.
14. Lors de la préparation des élections, les autorités ukrainiennes et les forces rebelles soutenues par la Russie ont convenu d’un désengagement initial dans les deux régions de Louhansk et de Donetsk avant fin 2019, processus qui a été suivi par l’OSCE. Il avait également été convenu que le désengagement serait mené à terme d’ici mars 2020 dans trois régions supplémentaires. Bien que ces désengagements aient atténué les tensions aux abords des territoires concernés, les organes de suivi de l’OSCE recensent encore de part et d’autre des violations fréquentes et quotidiennes du cessez-le-feu.
15. Par ailleurs, lors du sommet du groupe de Normandie, le président Poutine et le président Zelensky ont convenu d’un échange total de prisonniers entre les autorités ukrainiennes et les autorités de fait soutenues par la Russie dans les régions de Louhansk et de Donetsk qui ne sont pas sous le contrôle de Kiev. Cet échange, qui a eu lieu le 29 décembre, a concerné 200 prisonniers, soit 74 libérés par les forces rebelles pro-russes et 124 libérés par les autorités de Kiev.
16. Pour ce qui est des obligations financières à l’égard du Conseil de l’Europe, la Fédération de Russie a versé toutes les contributions dues au titre du budget ordinaire et des accords partiels pour le second semestre de 2017, pour 2018 et pour 2019. À l’heure actuelle, le seul paiement encore dû concerne les intérêts impayés, qui s’élèvent à 8,8 millions d’euros. La Fédération de Russie a bloqué leur remboursement à la suite d’un contentieux au sein du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur leur statut et leur affectation.
17. S’agissant des autres recommandations, les corapporteurs de la commission de suivi pour la Russie travaillent actuellement à l’élaboration de leur rapport, dont les observations et les conclusions devraient être soumises à l’Assemblée dans le courant de l’année.

3. Autres évènements survenus depuis l’adoption de la Résolution 2292 (2019)

18. Le 15 janvier 2020, il y a eu un nouvel événement: le président Vladimir Poutine a annoncé dans son discours annuel sur l’état de la nation son intention de proposer des modifications à la Constitution. Dès le 20 janvier 2020, il a soumis un projet de révision à la Douma d’État.
19. Ce projet de révision porte sur 14 articles de la Constitution et inclut, entre autres, des dispositions sur la prééminence de la Constitution russe sur le droit international, les pouvoirs accrus de la Douma d’État dans la procédure de nomination du Premier ministre, des vice-premiers ministres et des ministres fédéraux, l’incompatibilité d’une nationalité étrangère ou d’un permis de séjour avec la possibilité d’être candidat à des hautes fonctions de l’État (président, ministres, juges, gouverneurs de région), le rôle accru du Conseil de la Fédération dans la procédure de révocation et de renvoi des juges et dans la nomination des directeurs des services de maintien de l’ordre, la consolidation du statut et du rôle du Conseil d’État (à l’heure actuelle, ce n’est qu’un organe consultatif qui n’est pas mentionné dans la Constitution), la suppression de la clause de «mandats consécutifs» de l’article réglementant le nombre maximal de mandats présidentiels, le salaire minimum, l’indexation régulière des pensions de retraite.
20. Comme la révision de la Constitution ne nécessite pas de référendum, le président a annoncé que l’ensemble des modifications serait soumis à un «vote consultatif de tous les Russes», prévu par la loi constitutionnelle fédérale sur le référendum, afin de bénéficier d’une plus grande légitimité. Contrairement à ce qui se passerait avec un référendum, les électeurs devront répondre à la question de savoir s’ils approuvent la constitution révisée dans son ensemble, au lieu d’approuver chaque modification séparément. La date exacte du vote n’a pas encore été annoncée, mais on sait qu’il aura lieu avant le 1er mai.
21. La Douma d’État a examiné les modifications proposées en première lecture et les a approuvées à l’unanimité le 23 janvier, soit moins de dix jours après la première annonce du projet de révision constitutionnelle. Tout le système étatique russe subit des transformations à une vitesse sans précédent sans qu’aucune consultation ni aucun débat public et sérieux n’ait eu lieu jusqu’à présent.
22. Il serait certainement prématuré et inapproprié que j’évalue les conséquences des changements constitutionnels en termes de normes pour le fonctionnement des institutions démocratiques, mais je peux assurément exprimer ma préoccupation à propos de la modification relative à la primauté de la Constitution russe sur le droit international, qui remet potentiellement en cause l’obligation de chaque État membre du Conseil de l’Europe de se conformer aux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme.
23. Pour cette raison, la commission de suivi devrait assurément suivre de près toute nouvelle évolution et envisager de saisir la Commission de Venise pour avis à propos de cette révision constitutionnelle.

4. Conclusions

24. En juin 2019, lorsque l’Assemblée a adopté la Résolution 2287 (2019), «Renforcer le processus décisionnel de l’Assemblée parlementaire concernant les pouvoirs et le vote», qui a ouvert la voie au retour de la délégation russe au sein de l’Assemblée, son intention était claire. La raison pour laquelle la majorité des membres ont voté en faveur de ce texte puis, après la contestation des pouvoirs de la délégation russe, en faveur de la Résolution 2292 (2019), était de relancer un dialogue politique constructif.
25. Le dialogue a été relancé; nous pouvons le constater à tous les niveaux de l’Assemblée, et bien sûr à la commission de suivi, où les représentants russes sont très actifs. Il est à mon avis trop tôt pour évaluer dans quelle mesure ce dialogue sera constructif et s’il aboutira à des progrès dans le respect des obligations et des engagements.
26. Je pense que la commission de suivi devrait poursuivre son travail concernant la Fédération de Russie. Les corapporteurs pourraient effectuer une visite d’information et préparer un rapport substantiel dans les meilleurs délais. Nous devrions suivre attentivement les évolutions en Fédération de Russie en vue d’examiner si les nouvelles modifications constitutionnelles sont conformes aux normes démocratiques et aux engagements et obligations de la Fédération de Russie.
27. Je propose donc que l’Assemblée ratifie les pouvoirs de la Fédération de Russie et reprenne l’examen des progrès accomplis lors de la présentation du rapport de suivi dans le courant de cette année.