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Rapport | Doc. 11527 | 14 février 2008

Promouvoir l’enseignement des littératures européennes

(Ancienne) Commission de la culture, de la science et de l'éducation

Rapporteur : M. Jacques LEGENDRE, France

Résumé

L’Assemblée souhaite encourager la transmission, à tous les niveaux du système éducatif, de la création littéraire européenne, dans sa richesse et sa diversité. La connaissance d’une langue ne se réduit pas à sa maîtrise en tant qu’instrument de la communication. La connaissance des grandes œuvres de la littérature enrichit la réflexion et la vie même.

L’apprentissage de la littérature et de la langue maternelle joue un rôle majeur dans la formation à une conscience nationale. L’apprentissage d’autres langues et littératures européennes peut contribuer à la formation à la citoyenneté européenne. Une conception strictement nationale de l’enseignement de la littérature doit être dépassée, et une approche transversale du patrimoine européen devrait être proposée aux scolaires de tous niveaux, mettant en évidence le lien commun dans le respect de la diversité culturelle.

A. Projet de recommandation

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1. L’Assemblée parlementaire se préoccupe de la transmission, à tous les niveaux du système éducatif, de la littérature européenne, dans toute sa richesse et sa diversité, qu’il s’agisse du patrimoine écrit constitué depuis des siècles, ou de la création littéraire contemporaine. Cette préoccupation pédagogique a fait l’objet d’un colloque au Sénat français, à Paris, le 11 décembre 2007.
2. Elle a déjà exposé sa position dans ses Recommandations sur la liberté d’expression et le rôle de l’écrivain en Europe, 815 (1977), sur le patrimoine linguistique et littéraire en Europe, 1043 (1986), sur la traduction littéraire, 1135 (1990), sur la diversification linguistique, 1383 (1998), sur l’Année européenne des langues, 1539 (2001) et sur la place de la langue maternelle dans l’enseignement scolaire, 1740 (2006).
3. La connaissance d’une langue ne se réduit pas à sa maîtrise en tant qu’instrument de communication. La connaissance des grandes œuvres de la littérature enrichit la réflexion et la vie même.
4. L’apprentissage de la littérature et de la langue maternelle joue un rôle majeur dans la formation des scolaires à une conscience nationale. L’apprentissage d’autres langues et littératures européennes peut contribuer à la formation à la citoyenneté européenne.
5. L’Assemblée constate que des expériences transnationales positives ont été menées à bien, notamment en matière d’enseignement de l’histoire.
6. Une conception strictement nationale de l’enseignement de la littérature doit être dépassée, et une approche transversale du patrimoine européen devrait être proposée aux scolaires de tous niveaux, mettant en évidence le lien commun dans le respect de la diversité culturelle.
7. L’Assemblée reconnaît qu’internet est devenu un important moyen d’accès à la connaissance et, à cet égard, elle salue la proposition du Parlement européen de mettre en place une bibliothèque numérique européenne, sous la forme d’un point d’accès unique, direct et multilangue au patrimoine culturel européen.
8. En conséquence l’Assemblée parlementaire recommande au Comité des Ministres d’encourager les Etats membres et en particulier leurs instances éducatives:
8.1. à redonner aux jeunes l’envie de lire en promouvant l’enseignement, dans toutes les filières de l’enseignement primaire et secondaire, du patrimoine littéraire européen, et en créant des programmes adaptés à tous les niveaux;
8.2. à dispenser cet enseignement parallèlement à – et non à la place de – l’enseignement de la littérature en langue maternelle ou de l’apprentissage des langues étrangères;
8.3. à renforcer les enseignements littéraires qui sont actuellement déjà dispensés en Europe et qui privilégient la dimension européenne;
8.4. à faire apparaître l’enseignement de la littérature européenne comme partie intégrante de la formation à la citoyenneté européenne, au vu de la diversité culturelle, conformément à la Convention européenne des droits de l’homme, et du pluralisme linguistique de notre continent;
8.5. à soutenir la traduction des textes anciens et contemporains, et notamment les chefs-d’œuvre des littératures européennes, de et vers les langues en usage en Europe, avec une attention particulière aux langues de moindre diffusion;
8.6. à envisager la création d’anthologies et d’ouvrages pédagogiques de littérature européenne adaptés aux différents niveaux et aux différentes pratiques des systèmes scolaires européens;
8.7. à mettre au point des sites informatiques sur le patrimoine littéraire européen, où tous les citoyens d’Europe trouveraient textes, bibliographies, histoire littéraire, parcours pédagogiques, liens internet.

B. Exposé des motifs, par M. Jacques Legendre

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1. Introduction

1. Je tiens à remercier M. Guy Fontaine, coauteur de Lettres européennes Manuel universitaire d’histoire de la littérature européenne, pour sa contribution à l’élaboration du présent rapport.
2. «L’Europe n’a pas réussi à penser sa littérature comme une unité historique, et je ne cesserai de répéter que c’est là son irréparable échec intellectuel», écrit, en 2005, le romancier tchèque Milan Kundera dans son essai Le rideau.
3. «Que resterait-il de l’Europe, cette vieille dame au cœur fragile, si disparaissaient d’un coup les ligaments politiques et institutionnels qui l’ont tenue depuis plus d’un demi-siècle?», s’interroge la critique littéraire Raphaëlle Rérolle.
4. La promotion de l’apprentissage des littératures d’Europe apparaît comme l’un des moyens pour donner chair et verbe à ce que 800 millions d’Européens considèrent trop souvent comme une simple ossature administrative, dotée d’un langage strictement rhétorique et technocratique: les littératures européennes seront une discipline d’enseignement, au sein de la famille des sciences humaines. Elles formeront «des connaisseurs de la condition humaine», pour reprendre le mot de Tzvetan Todorov.
5. Mais de multiples hypothèques doivent être levées, avant d’avancer vers une didactique citoyenne et d’oser envisager l’apprentissage des littératures d’Europe comme une école de formation à la diversité culturelle européenne: c’est dans cette direction qu’ont convergé les débats tenus, le 11 décembre 2007, au Sénat, à Paris, par les experts rassemblés à l’initiative de la commission de la culture, de la science et de l’éducation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, que j’ai l’honneur de présider (voir AS/Cult (2007) 35).
6. La mise en place, dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe, d’une pédagogie novatrice de la littérature, tenant compte de sa dimension européenne, n’a pas pour finalité l’enseignement d’un canon supranational «eurocentrique» se substituant à un enseignement souvent ethnocentrique de la littérature/langue maternelle.
7. Promouvoir l’enseignement des littératures européennes, c’est:
a. reconnaître la perméabilité de la littérature de notre continent, parallèlement à sa contribution à la circulation mondiale des idées;
b. protéger le pluralisme des langues dans lesquelles elle est créée;
c. prendre en compte les pratiques pédagogiques existantes, dans chacun des pays concernés;
d. encourager la traduction littéraire, tant pour le patrimoine ancien que pour la création contemporaine;
e. éditer et démultiplier la création littéraire, accepter le défi vertigineux des nouvelles technologies, protéger les auteurs.

2. Reconnaître la perméabilité de la littérature de notre continent, parallèlement à sa contribution, à la circulation mondiale des idées

8. Géographiquement, ce sont l’Asie et l’Afrique méditerranéenne, berceau de notre culture européenne à bien des égards, qui s’imposent comme essentiellement matricielles de la littérature de notre continent: d’Israël et de l’Egypte ancienne à la Chine et au Japon, de Hans Bethge, de Malraux et d’Ezra Pound, en passant par l’Inde des fables et de Kipling, et sans oublier Floire et Blanchefleur ni les poètes arabes (d’Espagne) qui auraient pu inspirer les troubadours provençaux. C’est surtout par le biais du lyrisme, du théâtre et du conte que se manifeste l’influence asiatique. Quant à l’Afrique subsaharienne, l’Europe n’a pu s’en faire qu’une idée assez superficielle avant de s’y implanter au XIXe siècle, encore que l’esclavagisme ait intéressé les philosophes au XVIIIe siècle. Plus tard, l’«art nègre» a puissamment aidé les avant-gardes littéraires et artistiques à se libérer de la «mimesis» et à se forger une vision neuve de la réalité. Plus récemment encore, le roman africain a connu chez nous une vogue enviable, comme c’est encore le cas du «réel merveilleux» de l’Amérique latine ou de la poésie de Neruda et de Paz. La réception qui leur a été réservée aux Etats-Unis mériterait à elle seule un développement, car l’impact qu’ils ont eu s’est échelonné sur un siècle et demi: de Poe et Melville à Baldwin et Roth. L’archipel malais et océanien, enfin, est présent dans l’œuvre de Diderot, de Conrad et de nombreux anglophones.
9. Une présentation chronologique révèle une ordonnance à peine plus claire. Tout dépend évidemment de l’ancienneté des contacts et des interlocuteurs en présence. S’il est vain de vouloir établir une chronologie commune, du moins peut-on distinguer dans ces processus parfois séculaires trois phases qui ne se recouvrent pas nécessairement dans le temps. Le fait est qu’elles sont fonction du double mouvement – expansion, puis recul – de l’Europe dans les territoires d’outre-mer, évolution qui est loin de s’être accomplie partout au même moment et de façon identique. La décolonisation, qui commence en 1774 (aux Etats-Unis) et s’accélère après 1945, n’est, du reste, pas encore achevée à l’heure actuelle, en particulier du point de vue économique.
10. La première phase pourrait être qualifiée de coloniale. Les débuts n’en sont guère favorables aux activités littéraires. Avant d’écrire, il s’agit de vivre, de s’implanter, de tenir bon. Une fois installés, les Blancs de la diaspora, qui s’adonnent aux belles-lettres, se règlent sur le code en vigueur dans leur pays d’origine et qui leur est familier. Dans l’ensemble, la production de l’Amérique du Nord avant l’indépendance demeure une littérature provinciale, conforme, à peu de choses près, aux modèles britanniques, et l’on constate un attachement analogue à l’exemple néerlandais en Indonésie et en Afrique du Sud. Le colon pense selon des normes importées et son attention se fixe plus sur sa propre classe que sur le monde de l’indigène. Il n’empêche que certains, plus clairvoyants, dénoncent les abus du système colonial (Max Havelaar de Multatuli). Historiquement, cette phase coïncide avec l’établissement des empires. Elle culmine – en Afrique uniquement – avec la Conférence de Berlin de 1885, qui vit triompher l’impérialisme européen; du reste, cette même époque est celle d’expéditions militaires en Chine, au Tonkin, à Cuba.
11. Vient ensuite un stade de transition, aux limites imprécises, au cours duquel la croyance à la supériorité de l’Europe est attaquée sur deux fronts, tant de l’intérieur que de l’extérieur. Le relativisme, les doutes entretenus depuis Montaigne mènent, en fin de compte, à la glorification de l’autre et d’un ailleurs jugés supérieurs à un Vieux Monde épuisé. Tandis que, parallèlement, les élites colonisées prennent conscience de leur dignité et proclament leurs droits jusque dans la langue du conquérant.
12. C’est à la troisième phase surtout, postcoloniale, que remonte l’effet en retour qu’on a signalé. Traduite en termes littéraires, l’indépendance politique finit par mettre fin à l’imitation des modèles européens imposés par l’école. Des idées-forces telles que le rêve américain, la négritude ou le «réel merveilleux» peuvent alors déployer toutes leurs richesses. Qu’elle émane de descendants d’émigrés blancs ou de ceux de leurs anciens sujets, cette littérature, très abondante, vient diversifier et revivifier le panthéon des langues européennes et lui conférer des dimensions véritablement planétaires. Ce dont témoignent depuis longtemps le roman nord-américain et, plus près de chez nous, Senghor, Naipaul, Brink, Nadine Gordimer, Patrick White, Carpentier, et Gabriel Garcia Márquez, qu’aucun lecteur cultivé ne saurait ignorer. L’Europe n’a, certes, pas été payée d’ingratitude. Bien au contraire. Les caravelles de ses navigateurs et de ses soldats lui sont revenues délestées de leurs canons, voguant au souffle de l’esprit.

3. Protéger la polyphonie des langues dans lesquelles la littérature européenne est créée

13. Parler de «littérature européenne», et évoquer la didactique d’une telle discipline, ne revient en aucun cas à nier les littératures nationales, à fondre chacun de leurs codes langagiers dans l’utopie meurtrière d’une langue universelle. Tous les guides des études de toutes les universités d’Europe proposent aux étudiants qui le souhaitent une approche de la «littérature latino-américaine». Et la pédagogie de cette matière prend en compte toutes les langues dans lesquelles s’écrit, aujourd’hui, la littérature d’une vingtaine de pays d’Amérique du Sud, sans ignorer qu’y prédomine la création en portugais et en espagnol. Pourquoi refuser au continent européen une taxinomie admise pour le continent américain?
14. La tentation de ne pas habiter sa langue maternelle (Conrad, Kafka, Maeterlinck, Nabokov, etc.), la tentation de se «débalkaniser» pour «s’européaniser» (Cioran) reste encore aujourd’hui repérable: en 2006, à Amsterdam, lors du colloque Writing Europe Now, l’écrivaine roumaine Simone Paupescu indiquait le conseil par elle donnée aux étudiants qui suivent son cours d’écriture créative: «Si tu veux être connu(e), écris directement en américain.»
15. Un autre langage globalisant apparaît avec la «génération internet», qui voit l’écrit proliférer – hors du livre – de façon anarchique: toute une population, au sens propre du terme illettrée, communique dans un code purement phonétique, et s’enferme ainsi dans un comportement tribal, imperméable aux référents culturels environnants.
16. Respectueux de la polyphonie des langues dans lesquelles ont été créées les œuvres, l’enseignement de la littérature européenne, parce qu’il se fondera sur le respect de la diversité linguistique, historique et culturelle, permettra d’aborder de façon transversale l’évidence du lien commun. Pour reprendre les mots du romancier espagnol José Manuel Fajardo: «L’enseignement de la littérature européenne deviendra un instrument incontournable de la consolidation d’une conscience européenne.»

4. Prendre en compte les pratiques pédagogiques existantes, dans chacun des pays européens

17. Sous des intitulés qui peuvent sembler comparables, se profile une réalité de l’enseignement de la littérature, bien différente d’un pays à l’autre de notre continent, probablement parce que l’objet d’étude lui-même, la «littérature», est appréhendé différemment: la notion de canon littéraire, par exemple, est remise en cause actuellement aux Pays-Bas, et une récente polémique en Pologne montre combien un corpus, même national, est difficile à établir, et combien il s’agit d’un sujet sensible et passionnel.
18. C’est donc le concept même de littérature, en amont de la finalité de l’enseignement, qu’il faut cerner. Par ailleurs, l’enjeu est également loin d’être le même dans tous les pays, car l’enseignement de la littérature a des liens très étroits avec le développement historique de chaque aire concernée. Certains Etats européens favorisent d’autant plus l’enseignement de la littérature nationale qu’ils redoutent l’assimilation dans une société supranationale qui ferait disparaître les identités. C’est le cas de l’Irlande, par exemple.
19. On pourrait schématiser ainsi, du Nord au Sud, les différences qui séparent les systèmes éducatifs des Etats européens: L’Europe scandinave, anglo-saxonne, germanique, via l’enseignement de la littérature et de la langue maternelle, vise à favoriser, aujourd’hui, le développement intellectuel de l’apprenant.
20. L’Europe méditerranéenne (France incluse) privilégie, par l’enseignement de la littérature, la transmission d’une culture.
21. Le désir d’Europe, et, donc, d’une pédagogie des cultures et des littératures européennes, est le plus manifeste dans les pays qui se trouvaient, naguère, derrière le rideau de fer: tous les auteurs «occidentaux» bannis durant la période soviétique – et même le fonds culturel gréco-latin, largement nié de 1945 à 1981 – sont considérés comme une découverte précieuse, dont un enseignement adapté doit faire profiter la jeunesse.
22. A partir de ces données, on peut envisager deux conclusions: la première est que, certes, il existe un «trésor commun» européen que l’on souhaite, dans des proportions différentes et avec des pédagogies diverses, transmettre aux élèves. Il est donc légitime d’élaborer et de diffuser un matériel pédagogique qui invite à la découverte de ce «trésor commun». (Cependant, une évolution dans l’enseignement de la littérature en Europe ne sera pas imposée par une autorité centrale, mais encouragée, étape après étape. C’est pour cela qu’un projet de promotion de l’enseignement de la littérature européenne doit mettre l’accent sur un élargissement, dans chaque pays, des possibilités à l’intérieur de l’enseignement de la littérature.)
23. La seconde est qu’il serait bon, parallèlement à cette invitation à découvrir le patrimoine littéraire européen, d’explorer les savoirs de chaque pays en matière d’enseignement de la littérature: entendons par là qu’il serait enrichissant pour tout professeur européen d’ouvrir son enseignement non seulement aux littératures étrangères, mais aussi aux pratiques pédagogiques, sans chercher à établir un palmarès quant à l’efficacité des unes et des autres.

5. Encourager la traduction littéraire au plan continental, tant pour le patrimoine ancien que pour la création contemporaine

24. Le mur de Berlin, ce n’était pas uniquement des miradors qui veillaient sur des barbelés. Idéologiquement, culturellement, linguistiquement, l’Europe a été divisée en profondeur. Il y avait une véritable coupure dont la cicatrice et les séquelles persisteront dans les esprits, les mentalités et les savoirs si l’on n’y prend garde. L’utopie serait de croire que l’élite – savants et politiciens, écrivains souvent – qui a œuvré à la reconstruction de l’Europe est parvenue à transmettre ses connaissances du phénomène européen, de sa culture, à des populations privées de l’accès libre au savoir depuis 1945. Le déficit de circulation des textes littéraires était l’un des éléments pernicieux d’une idéologie encore prégnante qui a imposé idées et livres fallacieux. (Auteurs ou courants littéraires passés sous silence, ou injustement magnifiés, corrélations forcées entre événements historiques et production littéraire.)
25. A côté de ces omissions imposées par le régime marxiste, on peut repérer des carences que seule une politique systématique de traduction dans toutes les langues européennes pourrait combler: des auteurs majeurs essentiels comme les Espagnols Lara et Espronceda ne sont pas traduits du tout en polonais. Et si Notre-Dame de Paris de Victor Hugo est facilement accessible en traduction, il n’existe pas, à ce jour, de version polonaise des Contemplations!
26. L’Europe, qui s’appelait «occidentale», témoigne elle aussi d’une méconnaissance regrettable d’écrits majeurs conçus en Europe dite de l’«Est»: la communication interculturelle est loin d’être équitable entre ces pays et des pays comme le Royaume-Uni ou la France dont la littérature est largement traduite, mais on traduit relativement peu des pays de l’Est, en anglais surtout.
27. «Y a-t-il actuellement une littérature qui s’écrit à l’est de l’Europe?» ose se demander à haute voix le journaliste néerlandais Michel Krielaars, à Amsterdam, lors du colloque Writing Europe Now en 2006, pointant clairement la ligne de partage entre «grandes» et «petites» littératures. La traduction littéraire est l’une des clés pour que cessent d’être minorées les œuvres écrites dans des langues «minoritaires».
28. Adoptant le point de vue du traductologue, le professeur Maryla Laurent va encore plus loin: «Mon expérience de la traduction littéraire me prouve tous les jours qu’un grand écrivain, même lu dans une mauvaise traduction, est troublant, précisément parce qu’il est “autre”, et donc ressemblant et différent. La littérature doit être écrite dans toutes les langues y compris celles qui n’ont pas le statut de langue “officielle” et il faut travailler aux outils pour traduire ces langues, les unes vers les autres, sans gommer les différences spécifiques.»

6. Editer et démultiplier la création littéraire, accepter le défi vertigineux des nouvelles technologies, protéger les auteurs

29. La création d’un outil pédagogique est, certes, une avancée vers la connaissance et «le partage, par les habitants de l’Europe, du patrimoine littéraire inestimable qui est le leur», pour reprendre les termes du professeur Peter Schnyder, mais elle nous renvoie à une interrogation troublante:
30. Pourquoi si peu d’ouvrages de référence existent proposant à 800 millions de citoyens européens de connaître les racines, l’histoire et l’actualité de la production littéraire de l’Europe où ils habitent?
31. L’enseignement des littératures européennes passe par la démultiplication, sur tous supports, de la production littéraire, et par le renforcement de la chaîne d’intermédiation du livre et de la littérature européenne (auteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires et professeurs).
32. Le travail accompli, depuis la Suisse et la Pologne, par les Editions Noir sur Blanc va dans ce sens: favoriser, par des ouvrages traduits et diffusés en français et en polonais, le dialogue interculturel, en publiant les œuvres littéraires d’écrivains contemporains de vingt aires linguistiques européennes différentes.
33. Les livres d’aujourd’hui parlent aux élèves d’Europe de leur propre vie. Les livres d’hier aussi; c’est le sens du travail que mène, entre autres, le réseau Les Classiques du Monde en éditant les ouvrages considérés, dans leur pays d’origine, comme des classiques.
34. Rassembler ces classiques dans une grande bibliothèque numérique – et l’on songe à la dynamique européenne insufflée par la Bibliothèque nationale de France avec Europeana – permet de mettre en commun et d’accéder aux grandes références culturelles et littéraires.
35. Profitant de l’effet démultiplicateur des nouvelles technologies, les initiatives pédagogiques nationales et internationales éclosent (comme le projet de création, sous l’autorité d’un comité d’experts européens, d’un guide en ligne intitulé Théâtre ciment de l’Europe, de la mise en réseau, à destination des élèves européens, des festivals internationaux de théâtre) à l’attention des professeurs de disciplines artistiques, par le ministère français de l’Education nationale: mise en réseau, à destination des élèves européens, des expériences théâtrales menées par le Festival international de Cluj-Napoca, en Roumanie, et le Festival Schülletheater des Länder en Allemagne.
36. L’Europe qui accepte, enfin, de réfléchir à une pédagogie systématique des littératures européennes, en relevant le défi vertigineux des nouvelles technologies, sera respectueuse du droit moral incessible qui protège l’essence de l’œuvre et la personnalité propre de son auteur, qu’elle soit éditée sur support matérialisé ou non.
37. La coexistence des éditions papier et numérique apportera une plus-value à l’enseignement de notre littérature: promouvoir l’enseignement des littératures européennes, c’est envisager un projet global porté par une volonté politique paneuropéenne, où s’inscrivent auteurs, éditeurs, traducteurs, bibliothèques, établissements scolaires, professeurs de multiples disciplines et élèves.
38. C’est à ce prix que s’estompera l’image de la Vieille Dame au cœur fragile. Et que s’incarnera une figure mythologique, chère à tout connaisseur de notre Antiquité classique: celle de la princesse Europe, cette jeune fille désirable.

Commission chargée du rapport: commission de la culture, de la science et de l’éducation.

Renvoi en commission: Doc. 10667 et Renvoi no 3194 du30 mars 2006.

Projet de recommandation adopté à l’unanimité par la commission le 22 janvier 2008.

Membres de la commission: Mme Anne Brasseur (Présidente), Baroness Hooper, M. Detlef Dzembritzki, M. Mehmet Tekelioğlu (Vice-Présidents), M. Remigijus Ačas, M. Kornél Almássy, Mme Aneliya Atanasova, M. Lokman Ayva, Mme Donka Banović, M. Rony Bargetze, M. Walter Bartoš, M. Radu Mircea Berceanu, M. Levan Berdzenishvili, Mme Oksana Bilozir (remplaçante: Mme Olha Herasym’yuk), Mme Guðfinna Bjarnadóttir, Mme Ana Blatnik, Mme Maria Luisa Boccia, Mme Margherita Boniver, M. Ivan Brajović, M. Vlad Cubreacov, Mme Lena Dabkowska-Cichocka, M. Ivica Dačić, M. Joseph Debono Grech, M. Ferdinand Devínsky, M. Daniel Ducarme (remplaçant: M. Hendrik Daems), Mme Åse Gunhild Woie Duesund, Mme Anke Eymer, M. Relu Fenechiu, Mme Blanca Fernández-Capel, Mme Maria Emelina Fernández-Soriano (remplaçant: M. Iñaki Txueka), M. Axel Fischer, M. José Freire Antunes (remplaçant: M. José Luis Arnaut), Mme Ruth Genner (remplaçante: Mme Doris Fiala), M. Ioannis Giannellis-Theodosiadis, M. Stefan Glǎvan, M. Vladimir Grachev (remplaçant: M. Igor Chernyshenko), M. Raffi Hovannisian, M. Rafael Huseynov, M. Fazail Ibrahimli, M. Mogens Jensen, M. Morgan Johansson, Mme Liana Kanelli (remplaçante: Mme Roudoula Zissi), M. Jan Kaźmierczak (remplaçant: M. Dariusz Lipiński), Mme Cecilia Keaveney, M. Ali Rashid Khalil (remplaçant: M. Donato Mosella), M. Serhii Kivalov, M. József Kozma, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Ertuğrul Kumcuoğlu, M. Markku Laukkanen, M. Jacques Legendre (remplaçant: M. Philippe Nachbar), M. Yves Leterme, M. van der Linden, Mme Jagoda Majska-Martinčević, Mme Milica Marković, Mme Muriel Marland-Militello (remplaçant: M. Alain Cousin), M. Andrew McIntosh (remplaçante: Baroness Knight of Collingtree), M. Ivan Melnikov, Mme Maria Manuela de Melo, Mme Assunta Meloni, M. Paskal Milo, Mme Christine Muttonen (remplaçant: M. Albrecht Konečný), Mme Miroslava Nĕmcová, M. Edward O’Hara, M. Kent Olsson, M. Andrey Pantev, Mme Antigoni Papadopoulos, M. Azis Pollozhani, Mme Majda Potrata, Mme Anta Rugāte, M. Indrek Saar, Lord Russell-Johnston (remplaçant: M. Robert Walter), M. André Schneider (remplaçant: M. Frédéric Reiss), Mme Albertina Soliani, M. Yury Solonin (remplaçant: M. Anatoliy Korobeynikov), M. Christophe Spiliotis-Saquet, Mme Doris Stump, M. Valeriy Sudarenkov, M. Petro Symonenko, M. Klaas de Vries, M. Piotr Wach, M. Wolfgang Wodarg, N. (remplaçante: Mme Rosario Velasco Garcia).

NB. Les noms des membres qui ont pris part à la réunion sont indiqués en gras.

Voir 17e séance, 17 avril 2008 (adoption du projet de recommandation); et Recommandation 1833.