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Rapport | Doc. 12689 | 12 juillet 2011

La souveraineté nationale et le statut d’Etat dans le droit international contemporain: nécessité d’une clarification

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteure : Mme Marina SCHUSTER, Allemagne, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12251, Renvoi 3683 du 21 juin 2010. 2011 - Quatrième partie de session

Résumé

L’absence de définition claire des critères déterminant le statut d’Etat et la sécession licite a favorisé l’émergence de nombreux mouvements sécessionnistes, ce qui constitue une menace pour la paix, la stabilité et l’intégrité territoriale des Etats existants, y compris en Europe.

Il convient de noter que les concepts de souveraineté nationale et de statut d’Etat ont évolué ces dernières années.

Une approche multilatérale de la «responsabilité de protéger» se substitue actuellement aux interventions unilatérales arbitraires et au système des garanties bilatérales. Les garanties bilatérales telles que celles apportées dans le contexte de l’indépendance de Chypre n’ont pas empêché les conflits. L’intégration et la coopération européennes ont conduit à l’abandon volontaire de certains aspects de la souveraineté nationale.

Le droit à l’autodétermination doit être appliqué avant tout par le biais de la protection des droits des minorités, telle qu’elle est prévue dans la Convention-cadre du Conseil de l'Europe pour la protection des minorités nationales. Par conséquent, tous les Etats membres devraient être invités à s’abstenir de reconnaître ou de soutenir, de quelque façon que ce soit, les autorités de fait de territoires ayant fait sécession de manière illicite et notamment les autorités appuyées par une intervention militaire étrangère; les critères constitutifs du statut d’Etat, y compris ceux légitimant la naissance de nouveaux Etats par sécession légale, ainsi que les modalités de protection de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale des Etats devraient faire l’objet d’un examen approfondi dans le cadre d’une conférence de suivi des travaux de la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des Etats (CIISE).

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 13 avril
2011.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire observe qu’un certain nombre d’entités territoriales d’Etats membres du Conseil de l’Europe aspirent à être reconnues en tant qu’Etats indépendants.
2. Elle note que, dans le cadre du droit international contemporain, la question des critères constitutifs d’un Etat reste polémique.
3. L’absence de définition claire des critères déterminant le statut d’Etat et la sécession licite a favorisé l’émergence de nombreux mouvements sécessionnistes, ce qui constitue une menace pour la paix, la stabilité et l’intégrité territoriale des Etats existants, y compris en Europe.
4. L’Assemblée note que les concepts de souveraineté nationale et de statut d’Etat ont évolué ces dernières années. Les principales directions dans lesquelles s’est faite cette évolution ont été résumées en 2001 par une commission de haut niveau – la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des Etats (CIISE) –, sous l’égide des Nations Unies et avec le soutien du Canada. Ses conclusions ont été reprises par l’Assemblée générale des Nations Unies.
5. Une approche multilatérale de la «responsabilité de protéger», telle qu’elle est préconisée par la CIISE, se substitue actuellement aux interventions unilatérales arbitraires et au système des garanties bilatérales.
5.1. Les interventions militaires telles que celles de la Turquie à Chypre en 1974, de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) en République fédérale de Yougoslavie en 1999 et de la Fédération de Russie en Géorgie en 2008, bien que motivées – à juste titre ou non – par la nécessité d’arrêter de graves violations des droits de l’homme, ont elles-mêmes conduit à de nombreuses violations des droits de l’homme et n’ont pas permis le règlement durable des problèmes de fond.
5.2. Les garanties bilatérales telles que celles apportées dans le contexte de l’indépendance de Chypre n’ont pas empêché les conflits. Bien au contraire, dans le cas de Chypre, elles ont servi de prétexte à une intervention militaire unilatérale contrevenant à l'article 2.4 de la Charte des Nations Unies, ainsi qu’à une règle impérative du droit international qui interdit l’usage de la force.
6. L’intégration et la coopération européennes ont conduit à l’abandon volontaire de certains aspects de la souveraineté nationale, en particulier:
6.1. Les droits et libertés individuels sont protégés par le mécanisme de contrôle de la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5); les Etats parties à la Convention ont accepté l’obligation d’exécuter les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, les considérations de souveraineté nationale passant au second plan.
6.2. L’intégration européenne, et notamment la mise en place de l’euro, monnaie officielle de la zone euro, contraint la majorité des Etats membres de l’Union européenne à abandonner leur souveraineté en matière de politique budgétaire et sociale. Cette intégration économique de plus en plus poussée exerce des effets similaires même sur des pays non membres de la zone euro ou de l’Union européenne.
7. L’Assemblée considère que, même si le droit international venait à reconnaître un droit à l’autodétermination des minorités nationales ou ethniques, un tel droit n’équivaudrait pas automatiquement à un droit de sécession. Le droit à l’autodétermination doit être appliqué avant tout par le biais de la protection des droits des minorités, telle qu’elle est prévue dans la Convention-cadre du Conseil de l'Europe pour la protection des minorités nationales (STE n° 157).
8. Par conséquent, l’Assemblée:
8.1. invite de nouveau les Etats membres qui ne l’ont pas encore fait à signer et à ratifier la Convention-cadre dans les plus brefs délais;
8.2. invite tous les Etats membres à s’abstenir de reconnaître ou de soutenir, de quelque manière que ce soit, les autorités de fait de territoires ayant fait sécession de manière illicite, et notamment celles soutenues par une intervention militaire étrangère;
8.3. propose, dans le cadre d’une conférence de suivi des travaux de la CIISE, un examen approfondi des critères constitutifs du statut d’Etat, y compris ceux légitimant la naissance de nouveaux Etats par sécession légale, ainsi que des modalités de protection de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale des Etats.

B. Exposé des motifs, par Mme Schuster, rapporteur

(open)

1. Procédure suivie à ce jour

1. La proposition de résolution intitulée «La souveraineté nationale et le statut d’Etat dans le droit international contemporain: nécessité d’une clarification» a été renvoyée le 21 juin 2010 à la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, pour rapport 
			(2) 
			Doc. 12251, Renvoi 3683.. Lors de sa réunion du 5 octobre 2010, la commission a nommé M. Holger Haibach (Allemagne, PPE/DC) en tant que rapporteur.
2. Lors de sa réunion du 16 décembre 2010, la commission a tenu une audition avec les experts suivants 
			(3) 
			J’ai également bénéficié
d’un document intéressant présenté par le professeur Maria M. Kenig-Witkowska
(de l’université de Varsovie) – qui était invitée à cette audition,
mais n’a pas été en mesure d’y participer. Les interventions des experts
ont été déclassifiées et sont accessibles sur le site internet de
la commission des questions juridiques et des droits de l’homme
de l’Assemblée, <a href='http://assembly.coe.int/'>http://assembly.coe.int.</a>:
  • professeur Helen Keller (université de Zurich, Suisse);
  • professeur Vladimir Kotlyar (université d’Etat des relations internationales, Moscou, Fédération de Russie);
  • professeur Alain Pellet (université de Paris Ouest Nanterre, France);
  • professeur Matthias Herdegen (université de Bonn, Allemagne).
3. Lors de sa réunion du 26 janvier 2011, la commission a nommé Mme Marina Schuster (Allemagne, ADLE) en tant que nouveau rapporteur.

2. But du présent rapport

4. Comme cela est souligné dans la proposition de résolution, les concepts de souveraineté nationale et de statut d’Etat ont considérablement évolué ces dernières années. L’évolution des pratiques étatiques concrètes – y compris dans les Etats membres du Conseil de l’Europe et dans les relations entre ces Etats – montre que dans le cadre du droit international contemporain, la question des critères constitutifs d’un Etat reste polémique. Il y a un véritable flou quant au caractère légal de certaines évolutions récentes – notamment l’émergence de nouvelles entités qui souhaitent être reconnues en tant qu’Etat à part entière.
5. L’un des exemples les plus récents, à cet égard, est la sécession, par rapport à la Géorgie, des territoires d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie (Géorgie) – décrétée de manière unilatérale, avec la protection de l’armée russe. La Fédération de Russie elle-même, née de l’effondrement plutôt pacifique de l’ex-Union soviétique, est encore menacée par des mouvements irrédentistes de la région du Caucase du Nord. En Moldova, la région de Transnistrie n’est plus sous le contrôle du pouvoir central depuis de nombreuses années. L’Espagne est confrontée à un mouvement séparatiste au pays basque, et la Turquie doit faire également face à un mouvement nationaliste kurde puissant. L’ex-République fédérale socialiste de Yougoslavie a éclaté à la suite d'une guerre violente. L’un des épisodes les plus récents est la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo 
			(4) 
			Toute référence au
Kosovo mentionnée dans ce texte, que ce soit le territoire, les
institutions ou la population, doit se comprendre en pleine conformité
avec la Résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies
et sans préjuger du statut du Kosovo. par rapport à la Serbie. En revanche, il faut noter que la République tchèque et la République slovaque ont réussi à «divorcer» de manière pacifique. La Belgique est déchirée par des bouleversements politiques constants et l’on est toujours à la recherche d’un compromis entre Flamands et Wallons. L’indépendance de Chypre, liée à un accord de garantie trilatéral aujourd’hui obsolète, a été le dernier acte du processus de décolonisation européen. Chypre est divisée de fait depuis plusieurs décennies, en dépit de la quasi-unanimité de la communauté internationale pour ne pas reconnaître l’entité sécessionniste du nord de l’île, proclamée sous la protection de l’armée turque.
6. Tous ces exemples montrent, semble-t-il, que l’absence de définition claire des critères constitutifs du statut d’Etat et du concept de souveraineté nationale menace gravement la paix et la stabilité, même sur le continent européen. L’objectif très modeste du présent rapport est de rappeler quelques principes fondamentaux du droit international dans ce domaine et de mobiliser les efforts dans le sens d’un débat approfondi, au niveau des Nations Unies, sous forme d’une conférence de suivi des travaux de la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des Etats (CIISE) – commission dont les conclusions ont été publiées en 2001. En m’inspirant des résultats de l’audition menée avec des experts du droit international en décembre 2010, je rappellerai tout d’abord très brièvement les grands principes généralement reconnus en matière de critères du statut d’Etat et de la souveraineté nationale, ainsi que les conclusions de la CIISE. Je tenterai ensuite de formuler quelques conclusions sur les problèmes pratiques soulevés dans la proposition de résolution, en soulignant les points qui doivent être clarifiés.

3. Principes fondamentaux en ce qui concerne le statut d’Etat et la souveraineté nationale

3.1. Critères du statut d’Etat

7. Comme l’a souligné le professeur Keller lors de l’audition, la définition du «statut d’Etat» formulée par Georg Jellinek en 1900 
			(5) 
			Georg Jellinek, Allgemeine Staatslehre, 1900. reste communément admise: pour parler d’Etat, il faut un peuple, un territoire et une autorité nationale. L’existence de ces trois éléments est considérée comme une question purement factuelle.
8. En droit public international, la doctrine prévalente est que la reconnaissance d’un nouvel Etat par d'autres Etats a un caractère purement déclaratif. En fait, un Etat existe ou non, indépendamment de la reconnaissance des autres. La raison de la prévalence de cette doctrine est qu’aucun Etat ne peut s’autoriser à décider du statut d’un autre Etat, car cela serait en contradiction avec le principe d'égale souveraineté de tous les Etats.
9. Cela dit, la reconnaissance d’un Etat par de nombreux autres Etats – ou l’absence de reconnaissance – est un élément concret, qui a un poids considérable dans le fait de déterminer si les éléments nécessaires au «statut d’Etat» sont présents ou non 
			(6) 
			On trouvera une étude
générale faisant autorité sur ce sujet dans James Crawford, The Creation of States in International Law,
Oxford University Press, Oxford, 2006, passim. . Dans son exposé devant la commission, le professeur Herdegen a souligné que, pour évaluer le caractère «effectif» d’une autorité étatique, il convenait de procéder à une analyse complexe de l’ensemble des facteurs pertinents, y compris la capacité éventuelle du nouvel «Etat» à prévaloir, à long terme, sur l’autorité concurrente de l’Etat prédécesseur. Le résultat d'une telle analyse peut fort bien être influencé par l’attitude d’autres Etats et d'organisations internationales vis-à-vis de l’Etat nouvellement proclamé – notamment le fait que les autres Etats soient prêts ou non à coopérer avec le nouvel Etat et à le soutenir.
10. Le professeur Herdegen a également souligné qu’en droit international il n’y avait pas d’obligation de reconnaissance des nouveaux Etats. Cela permet aux autres Etats et aux organisations internationales de conditionner la reconnaissance du nouvel Etat ou son adhésion à telle ou telle organisation au respect de certains critères substantiels. Personnellement, je suis d’accord avec le professeur Herdegen pour dire que le Conseil de l’Europe devrait établir certaines normes fondamentales dont le respect soit une condition préalable à la reconnaissance d’un nouvel Etat membre et à son adhésion. En fait, dans ses avis plus récents sur l’adhésion de nouveaux Etats membres au Conseil de l’Europe, l’Assemblée a montré la voie: l’adhésion ne peut se faire qu’à la condition de respecter un certain nombre d’engagements – processus contrôlé par la commission de suivi de l’Assemblée. Les critères de l’Assemblée sont très proches de ceux définis dans les «Lignes directrices sur la reconnaissance de nouveaux Etats en Europe orientale et en Union soviétique» 
			(7) 
			International Legal
Materials 31 (1992), p. 1486., adoptées par les ministres des Affaires étrangères des pays membres de l’Union européenne:
  • le respect de la démocratie, de l’Etat de droit et des droits de l’homme;
  • des garanties pour les groupes ethniques et les minorités;
  • la reconnaissance de l’inviolabilité des frontières existantes;
  • la reconnaissance des engagements existants en matière de désarmement et de non-prolifération nucléaire;
  • l’obligation de régler les conflits de manière pacifique.
11. Lors des débats dans le cadre de l’audition, on s’est demandé si l’on pouvait «annuler» la reconnaissance d’un Etat si celui-ci ne remplissait plus les conditions ayant permis sa reconnaissance. En fait, nos experts ont considéré que la reconnaissance d’un Etat ne pouvait pas être ainsi annulée; mais ils ont précisé que les organisations internationales pouvaient réagir à certaines violations des obligations liées à l’appartenance d’un Etat à telle ou telle organisation, en lui retirant certains droits – voire l’intégralité des droits – octroyés lors de l’adhésion. Nous devons savoir que cette possibilité existe et ne pas hésiter à y recourir dans les cas appropriés.

3.2. Evolution du concept de souveraineté nationale

12. Dès lors qu’il existe, un Etat est «souverain», sur le plan intérieur comme extérieur, et a le droit de choisir librement son système politique, social, économique et culturel, et de le développer 
			(8) 
			Voir
la Déclaration de 1970 sur les relations amicales (Résolution de
l’Assemblée générale des Nations Unies 2625 (XXV), UN GAOR, 25e session,
no 28 au 121, UN Doc. A/8028 (1971),
adopté par consensus le 24 octobre 1970)..
13. La définition traditionnelle de la «souveraineté» des Etats se réfère à leur compétence, à leur indépendance et à l’égalité en droit de tous les Etats. Ce concept recouvre généralement tous les domaines dans lesquels un Etat est autorisé, en vertu du droit international, à décider et à agir sans aucune ingérence d’autres Etats souverains 
			(9) 
			Voir
«The Responsibility to Protect: supplementary volume», partie I,
Research Essays, Essay 1: State Sovereignty, p. 6, www.iciss.ca.. Cette définition de nature positive – selon laquelle les obligations juridiques internationales sont exclusivement liées au consentement des Etats souverains – sous-tend encore le célèbre arrêt de la Cour permanente de justice internationale, en 1927, dans l’affaire du Lotus 
			(10) 
			<a href='http://www.worldcourts.com/'>www.worldcourts.com</a>..
14. Cependant, comme le déclarait M. Boutros Boutros-Ghali, ancien Secrétaire général des Nations Unies, «[l]e temps de la souveraineté absolue (…) est passé; sa théorie n’a jamais coïncidé avec la réalité» 
			(11) 
			Boutros Boutros-Ghali:
«Agenda pour la paix», Nations Unies, New York, 1992, paragraphe
17. . Le professeur Keller a très justement résumé l’acception moderne du concept de souveraineté nationale, en parlant de «souveraineté en vertu du droit» – en d’autres termes, une souveraineté inscrite dans le droit et limitée par celui-ci.
15. Depuis la reconnaissance et le renforcement des droits de l’homme et de leur protection à l’échelle internationale, on s’interroge de plus en plus: cette question du respect des droits de l’homme doit-elle rester le domaine réservé des Etats souverains? M. Kofi Annan, ancien Secrétaire général des Nations Unies, a prôné, dans un entretien accordé à l’hebdomadaire The Economist qui est resté dans les mémoires, une conception de la souveraineté nationale davantage axée sur les droits de l’homme: «Aujourd’hui, d’une manière générale, on considère que les Etats sont au service de leur peuple, plutôt que l’inverse. Parallèlement, la "souveraineté individuelle" – c’est-à-dire, à mes yeux, la liberté fondamentale de chaque individu – (…) s’est renforcée du fait d’une prise de conscience nouvelle et croissante des droits individuels. A la lecture de la Charte des Nations Unies, aujourd’hui, nous considérons plus que jamais que son objectif est de protéger l’être humain, et non pas ceux qui l’exploitent» 
			(12) 
			Kofi Annan: «Two Concepts
of Sovereignty» [Deux conceptions de la souveraineté], The Economist, 18 septembre 1999, <a href='http://www.un.org/News'>www.un.org/News</a>..
16. En ce qui concerne le Conseil de l’Europe, dont tous les Etats membres sont parties à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), les choses sont claires: toute violation des droits de l’homme garantis par la Convention ne peut être considérée comme une «affaire intérieure» des Etats concernés. Ces violations sont examinées par la Cour européenne des droits de l’homme, dont les arrêts sont mis en œuvre sous l’égide du Comité des Ministres. De toute évidence, un tel processus équivaut, pour les Etats, à un renoncement volontaire à leurs «droits souverains».
17. Ce processus d’abandon volontaire de certains aspects de la souveraineté nationale progresse – notamment dans le contexte de l’intégration européenne. L’une des conséquences de la mondialisation au niveau économique est que chaque pays européen aurait du mal à affirmer, de manière isolée, son «indépendance» dans un domaine tel que le commerce international. Des pays européens ont renoncé en partie à leur souveraineté dans des domaines tels que le commerce, les tarifs douaniers, les règles de la concurrence et autres secteurs connexes, et autorisé l’Union européenne à agir en leur nom dans ces domaines. Plus récemment encore, les Etats membres ou non de la zone euro qui ont laissé les déficits publics augmenter pendant trop longtemps ont pris conscience du fait qu’ils n’étaient plus libres de fixer librement leurs dépenses sociales et autres, ni leur politique budgétaire. Sur les marchés financiers internationaux, les primes de risque de plus en plus importantes ont effectivement réduit la souveraineté nationale – et ce processus résulte en partie d’un choix volontaire des Etats, dans la mesure où certains pays ont opté pour un endettement qui ne peut pas être durable à long terme.
18. Un autre aspect du problème – dans le sens de la réduction de la souveraineté nationale – est celui de la légalité d’une intervention visant, contre son gré, un Etat coupable de graves violations des droits de l’homme. Cette question de l’émergence d’une «responsabilité de protéger» est au cœur du rapport de la CIISE. Comme nous le savons, c’est cet argument qui a été invoqué – à tort ou à raison – pour justifier les interventions de la Turquie à Chypre, de l’OTAN en République fédérale de Yougoslavie, ou encore de la Fédération de Russie en Géorgie. Le danger existe que cette «responsabilité de protéger» peut être invoquée abusivement afin de justifier le recours à la force dans des cas où, en réalité, il ne s’agit nullement de prévenir des violations graves et massives des droits de l’homme ou d’y mettre un terme. Par conséquent, il convient d’abord de définir de manière très stricte le champ et les conditions d’une intervention humanitaire. D’autre part, à la lumière du massacre de Srebrenica et du génocide au Rwanda, on doit également défendre de manière très ferme le principe d’un droit, voire d’un devoir, d’intervention afin de prévenir des violations en masse des droits de l’homme ou d’y mettre un terme. Toutefois, la définition précise des fondements juridiques et de la portée d’un tel droit dépasse très largement le cadre du présent rapport.

4. Résumé des conclusions de la CIISE

19. En 1999, dans le cadre de l’Assemblée générale des Nations Unies, M. Kofi Annan, alors Secrétaire général, a appelé la communauté internationale à l’«unité» autour du principe d’intervention humanitaire: «Si l’intervention humanitaire est considérée comme une atteinte inacceptable à la souveraineté nationale, comment réagir, dès lors, à des événements tels que ceux du Rwanda ou de Srebrenica, autrement dit à des violations flagrantes, massives et systématiques des droits de l’homme, qui vont à l’encontre de toutes nos valeurs communes, sur le plan humain?» 
			(13) 
			Citation figurant dans
l’avant-propos du rapport de la Commission internationale de l’intervention
et de la souveraineté des Etats, décembre 2001 (www.iciss.ca/report2-en.asp)
(ci-après «le rapport de la CIISE»). C’est en réponse à ce défi que, en septembre 2000, dans le cadre de l’Assemblée générale des Nations Unies, a été créée la CIISE, à l’initiative du Canada et d’un groupe de fondations importantes. Le thème central du rapport de la CIISE est résumé par l’intitulé du document («La responsabilité de protéger»): l’idée est que tout Etat souverain a le devoir de protéger ses citoyens d’événements tragiques évitables, tels que les massacres, les viols ou encore la famine, et que, si tel ou tel Etat n’a pas la volonté ou la capacité de le faire, ce devoir de protection doit être pris en charge par la communauté internationale.
20. Les conclusions de la CIISE figurent dans un résumé annexé au présent rapport; il convient de noter un fait assez remarquable: ces conclusions ont été adoptées par un consensus des 12 commissaires composant la CIISE et représentant – aussi bien sur le plan géographique que politique – un éventail important d’experts, universitaires et techniques, du droit international et des relations internationales 
			(14) 
			On trouvera la liste
des commissaires et leur brève biographie sur le site internet de
la CIISE (voir la note 11 supra); la
CIISE a également mené des débats importants à Beijing, au Caire,
à Genève, à Londres, à Maputo, à New Delhi, à New York, à Ottawa,
à Paris, à Saint-Pétersbourg, à Santiago et à Washington..
21. La principale conclusion de la CIISE est que la souveraineté nationale implique la responsabilité. Si un Etat n’a pas la volonté ou la capacité de prévenir des problèmes préjudiciables à son peuple ou d’y mettre un terme, le principe de non-intervention doit céder le pas à celui du devoir de protection qui incombe à la communauté internationale. Dans le cadre de ce devoir de protection, la commission regroupe trois volets: la responsabilité de prévenir, la responsabilité de réagir et la responsabilité de reconstruire. A cet égard, priorité est donnée à la prévention.
22. La responsabilité de prévenir ou celle de réagir doit toujours impliquer les mesures les moins gênantes et les moins coercitives possibles. L’intervention militaire à but humanitaire doit rester une mesure exceptionnelle et extraordinaire. Pour décider une telle intervention, il faut qu’il y ait eu «une atteinte grave et irréparable» à la vie d’êtres humains; ou bien ces atteintes doivent être considérées comme imminentes, sur le point de provoquer des pertes de vie massives ou un nettoyage ethnique à grande échelle. La commission définit également des «principes opérationnels» pour tout type d’intervention – notamment des objectifs précis, un mandat clair et sans ambiguïté pour toute la période concernée, et des ressources appropriées.
23. L’un des points importants, sur lesquels la commission insiste tout particulièrement, est celui de la responsabilité première du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, qui doit accorder son autorisation avant toute intervention militaire. La commission demande également aux membres permanents du Conseil de sécurité de ne pas opposer leur veto à l’adoption de résolutions qui autorisent une intervention militaire à des fins humanitaires, si les résolutions en question sont très majoritairement soutenues. Cependant, la commission aborde aussi les cas où le Conseil de sécurité rejette une proposition ou ne l’examine pas dans des délais raisonnables, et ouvre ainsi la voie à des organisations régionales ou sous-régionales qui, aux termes du chapitre VIII de la Charte des Nations Unies, peuvent agir sous réserve d’une autorisation ultérieure du Conseil de sécurité. Enfin, la commission invite le Conseil de sécurité à prendre en considération, dans l’ensemble de ses délibérations, le fait que, s’il ne s’acquitte pas de sa «responsabilité de protéger» face à des situations choquantes et exigeant une intervention, les Etats concernés pourront envisager d’autres moyens de répondre à la gravité et à l’urgence des situations en question, et que, dès lors, la stature et la crédibilité des Nations Unies pourront en souffrir. En d’autres termes, la commission laisse la porte ouverte à des interventions d’urgence sans l’approbation du Conseil de sécurité – même si cela n’est envisagé que face à des «situations qui choquent les consciences et appellent une intervention d’urgence».
24. Les conclusions de la CIISE ont donné lieu à des débats lors des 59e et 60e sessions de l’Assemblée générale des Nations Unies. A sa 60e session, l’Assemblée générale a adopté une résolution 
			(15) 
			Résolution 60/1 (24
octobre 2005) de l’Assemblée générale des Nations Unies – UN Doc
A/RES/60/1. confirmant le principe de «responsabilité de protéger» de tout Etat et de la communauté internationale dans son ensemble. Elle définit quatre situations susceptibles d’engager la responsabilité de la communauté internationale: les génocides, les crimes de guerre, les «nettoyages ethniques» et les crimes contre l’humanité. Cependant – comme le souligne le professeur Kenig-Witkowska dans son document –, la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies diffère en plusieurs points des propositions du rapport de la CIISE. En particulier, la résolution ne répond pas à la question des décisions à prendre en l’absence de position commune du Conseil de sécurité des Nations Unies; en outre, la résolution rejette le droit à une intervention humanitaire unilatérale. Par conséquent, on peut affirmer clairement que ce travail est en partie «inachevé» et devra faire l’objet d’une nouvelle conférence, susceptible de prendre en considération les propositions avancées en 2001 par la CIISE.

5. Problèmes concrets en matière d’évolution des critères constitutifs du statut d’Etat et de la souveraineté nationale

5.1. Le droit à la sécession?

25. La question de savoir s’il existe un droit (unilatéral) de sécession n’est pas nouvelle – et la réponse classique a toujours été qu’un tel droit n’existait pas, en principe, du fait de la prévalence de l’intégrité territoriale des Etats. Cependant, dans la pratique, les déclarations unilatérales d’indépendance ont été jugées légitimes dans le cadre du processus de décolonisation, par lequel des peuples soumis à la domination et à l’exploitation étrangères ont pu déclarer leur indépendance par rapport au pouvoir colonial, en appliquant leur droit à l’autodétermination 
			(16) 
			Voir les exemples donnés
par la Cour internationale de justice dans son Avis consultatif
du 22 juillet 2010 sur la conformité avec le droit international
de la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo (CIJ, Liste
générale no 141), paragraphe 79. .
26. Toutefois, en dehors d’un contexte de décolonisation, l’opinion générale est que le droit à l’autodétermination ne peut pas autoriser toute minorité régionale à faire sécession par rapport à un Etat existant 
			(17) 
			Voir, par exemple,
le professeur Andreas Zimmermann, interview avec Deutsche Welle,
12 août 2008 (concernant l’Ossétie du Sud), <a href='http://www.dw-world.de/'>www.dw-world.de</a>.. L'autodétermination de groupes minoritaires doit plutôt s’inscrire dans une participation au gouvernement d'Etat, et sous forme de délégation de pouvoir dans un processus d’autonomie régionale – autonomie qui doit recouvrir les secteurs de l’éducation et de la culture, entre autres, mais qui ne doit pas conduire à l’indépendance.
27. Dans le contexte de la reconnaissance du principe de «responsabilité de protéger» (voir supra), on peut se demander si une minorité régionale peut avoir un droit de «sécession corrective» si la revendication légitime, par cette minorité, de l’autonomie régionale a été entravée par les autorités centrales, et, notamment, dans les cas où ce refus d’autonomie s’accompagne de graves violations des droits de l’homme à l’égard de la minorité en question. Ce droit est largement défendu dans le cadre de la doctrine contemporaine de droit international – tout au moins du point de vue de ce que l’on appelle de lege ferenda (c’est-à-dire sur le plan d’une législation idéale) –, qui établit plusieurs conditions, à savoir, notamment, l’impossibilité de bénéficier de l’autonomie régionale dans le cadre de l'Etat existant par la négociation, ou encore dans le cas de violations généralisées des droits de l’homme par l’Etat vis-à-vis de membres de la minorité «sécessionniste» 
			(18) 
			Voir, par exemple,
l’«America’s Regional Conference on Secession and International
Law – Conclusions and recommandations», <a href='http://www.scujil.org/volumes/v3n2/4'>www.scujil.org/volumes/v3n2/4</a>; dans son avis concurrent à l’avis consultatif de la
Cour internationale de justice précité, le juge Cancado Trindade
défend très fermement l’existence d’un droit à la sécession si certaines conditions
sont réunies. .
28. Dans son Avis consultatif du 22 juillet 2010 sur la conformité avec le droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo 
			(19) 
			Texte
disponible sur le site internet de la CIJ (Liste générale no 141)., la Cour internationale de justice (CIJ) ne tranche pas clairement sur cette question 
			(20) 
			Etat
de choses que le juge Simma déplore dans une déclaration annexée
à l’avis consultatif en question. . La CIJ a opté pour une interprétation plutôt étroite de la question soulevée par l’Assemblée générale des Nations Unies, en limitant son avis à la question de savoir si la déclaration en tant que telle constituait une violation soit du droit international général, soit du cadre fixé par la Résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité des Nations Unies, ou encore du Cadre constitutionnel mis en place dans le contexte de la MINUK (la Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo). La CIJ a établi que la déclaration d’indépendance du 17 février 2008 ne constituait pas une violation du droit international général, car la CIJ considère que le droit international général ne contient pas de disposition applicable d’interdiction des déclarations d’indépendance (d’après la CIJ, la déclaration ne viole pas non plus la Résolution 1244 ou le cadre mis en place par la MINUK). La CIJ a développé cet argumentum a contrario – autrement dit, elle a fondé sa décision sur le fait que le Conseil de sécurité des Nations Unies n’a dû adopter des résolutions de condamnation de déclarations unilatérales d’indépendance que pour répondre à des cas précis 
			(21) 
			Voir
les exemples donnés par la CIJ au paragraphe 81 de l’avis consultatif:
les Résolutions 216 et 217 (1965) du Conseil de sécurité des Nations
Unies concernant la Rhodésie du Sud, la Résolution 541 (1983) concernant la partie septentrionale de Chypre, et la Résolution 787 (1992) concernant la Republika Srpska. . La CIJ note aussi que l'intégrité territoriale ne concerne que les relations entre Etats. Mais la CIJ n’est pas allée jusqu’à une analyse des conséquences juridiques de cette déclaration d'indépendance – en d’autres termes, elle ne s’est pas interrogée sur l’éventualité de la création d’un nouvel Etat, du fait de cette déclaration 
			(22) 
			Comme le souligne le
juge Skotnikov dans son avis divergent (paragraphe 18).: la CIJ a déclaré qu’elle n’estimait pas nécessaire, «pour répondre à la question posée par l’Assemblée générale, d’examiner le point de savoir si la déclaration d’indépendance a ou non conduit à la création d’un Etat, ou de se prononcer sur la valeur des actes de reconnaissance 
			(23) 
			Avis
consultatif (note 17 supra),
paragraphe 51. , du fait même que l’Assemblée générale ne lui demandait pas «si le Kosovo a ou non accédé à la qualité d’Etat» 
			(24) 
			Ibid..
29. Même si l’on devait reconnaître un droit de sécession «correctif» dans certains cas, des exemples récents tels que celui de la Géorgie et de l’Ossétie du Sud montrent bien à quel point il serait difficile d’appliquer une telle règle dans la pratique. Les positions divergentes de divers Etats – qui correspondent en partie à celles exprimées par les experts lors de l’audition du 16 décembre 2010 – montrent qu’une analyse prétendument «objective» des faits est, en fait, souvent faussée par des considérations politiques. En outre, comme l’ont souligné les experts, si, en Europe, chaque groupe minoritaire plus ou moins insatisfait devait se voir accorder un «droit à la sécession», les organisations internationales – y compris le Conseil de l’Europe – deviendraient très rapidement ingouvernables, et la stabilité politique de plus d’un Etat membre serait très sérieusement menacée. Et, comme cela a été également souligné, très souvent, la sécession ne résout pas les problèmes de la minorité en question. La plupart du temps, une telle option ne fait qu’inverser les rôles de la minorité et de la majorité: autrement dit, la nouvelle minorité risque de faire l’objet de semblables mauvais traitements de la part de la minorité d’origine – c’est le cas des Géorgiens en Ossétie du Sud (Géorgie).
30. Par ailleurs, on peut se poser la question de la durée d’applicabilité du «droit de sécession» après qu’il a été mis un terme aux mauvais traitements à grande échelle subis par la minorité considérée. Cette question s’est posée par exemple au Kosovo après l’effondrement du régime Milosevic en Serbie et la disposition du nouveau pouvoir serbe à négocier l’autonomie du Kosovo, sinon son indépendance totale. Dans son avis consultatif, la CIJ n’a pas non plus donné d’orientations sur ce point.
31. Etant donné les problèmes liés à un éventuel «droit de sécession unilatérale» sur la base du droit des groupes minoritaires à l’autodétermination, les experts ayant participé à l’audition étaient favorables au maintien d’une interprétation stricte des conditions pouvant donner lieu à une déclaration de sécession unilatérale. A mon sens, la protection des droits des minorités telle qu’elle est prévue notamment par la Convention-cadre du Conseil de l’Europe pour la protection des minorités nationales (STE no 157) est un moyen approprié pour mettre en œuvre le droit à l’autodétermination.

5.2. Conséquences d’une sécession illégale

32. Quelles conséquences peut avoir une sécession qui constitue une violation du droit international? En tout premier lieu, les autres Etats ont l’obligation de ne pas reconnaître l’entité sécessionniste. Cela peut se faire dans le cadre d’une résolution expresse du Conseil de sécurité des Nations Unies – comme dans les cas cités dans la note de bas de page 22; mais cela peut également être tout simplement lié à l’obligation des Etats de respecter l’intégrité territoriale de l’Etat où a eu lieu la sécession 
			(25) 
			Voir l’article 2, paragraphe
4, de la Charte des Nations Unies: «Les membres de l’organisation
s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir
à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale
ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière
incompatible avec les buts des Nations Unies.» . Dans ses «Articles sur la responsabilité des Etats» 
			(26) 
			Voir l’ouvrage de James
Crawford, The International Law Commission’s
Articles on State Responsibility, Introduction, Text and Commentaries,
Cambridge, 2002, publié en français par les Editions Pedone, en
2003, sous le titre «Les Articles de la Commission du droit international
– Introduction, texte et commentaires», 
			(26) 
			<a href='http://assets.cambridge.org/97805218/13532/sample/9780521813532ws.pdf'>http://assets.cambridge.org/97805218/13532/sample/9780521813532ws.pdf</a>., la Commission du droit international établit l’obligation des Etats de refuser de reconnaître et de promouvoir de quelque manière que ce soit une situation résultant d’une grave violation du droit international, au sens de l’article 40:
«Aucun Etat ne doit reconnaître comme licite une situation créée par une violation grave au sens de l’article 40, ni prêter aide ou assistance au maintien de cette situation» (article 41, paragraphe 2).
33. L’obligation de ne pas reconnaître des Etats dont l’existence repose sur une violation de l’interdiction de recourir à la force est explicitement formulée dans les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies concernant le nord de Chypre 
			(27) 
			Résolutions du Conseil
de sécurité des Nations Unies nos 541/1983
et 550/1984. ; en revanche, pour des raisons évidentes, il n’a pas été adopté de résolution du même type dans les cas de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud (Géorgie). Toutefois, comme l’a souligné le professeur Keller lors de l’audition de décembre 2010, l’Assemblée a condamné la reconnaissance, par la Russie, de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, en considérant que cela constituait une violation du droit international 
			(28) 
			Résolution 1633 (2008) de l'Assemblée. .
34. En outre, comme l’ont fait observer nos experts, l’Etat qui a vu l’un de ses territoires tenter de faire sécession continue à jouir de tous les droits et prérogatives relatifs à l’ensemble du territoire national – du moins dans la mesure où un contrôle territorial effectif n’est pas nécessaire. Ainsi, le Gouvernement de la République de Chypre représente, pour la communauté internationale, l’ensemble du territoire chypriote – ce qui explique que, le 1er mai 2004, l’adhésion de Chypre à l’Union européenne se soit appliquée à l’ensemble du territoire de l’île. Cependant, les habitants de la zone géographique qui ne relève pas de fait du Gouvernement chypriote ne peuvent pas bénéficier de tous les avantages liés à l’adhésion. A cet égard, le Protocole no 10 du Traité d’adhésion suspend l’application de la législation de l’Union européenne à la zone territoriale en question. Cela ne pourra changer qu’après l’entrée en vigueur d’un éventuel règlement de la question chypriote: en l’occurrence, les réglementations adoptées par l’Union européenne pourront s’appliquer à l’ensemble de Chypre 
			(29) 
			<a href='http://ec.europa.eu/enlargement/'>http://ec.europa.eu/enlargement/</a>.. Parallèlement, le refus de la Turquie de reconnaître la République de Chypre (et le fait que la Turquie soit le seul Etat à reconnaître la «République turque de Chypre du Nord») constitue un obstacle majeur à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne 
			(30) 
			En
décembre 2006, 8 des 35 chapitres de négociation de l’entrée de
la Turquie dans l’Union européenne ont été suspendus à la suite
du refus de la Turquie d’ouvrir ses ports aux navires chypriotes
(voir BBC News du 11 décembre 2006, <a href='http://news.bbc.co.uk/2/hi/4107919.stm'>http://news.bbc.co.uk/2/hi/4107919.stm</a>)..
35. Afin de garantir la protection des droits de l’homme dans les cas de sécession illégale, la Cour européenne des droits de l’homme a établi une jurisprudence par laquelle la puissance occupante est considérée comme responsable des violations commises sur le territoire qu’elle contrôle de fait. La Cour a établi cette jurisprudence en traitant le dossier de la disparition forcée des ressortissants chypriotes grecs à la suite de l’intervention militaire turque de 1974 
			(31) 
			Voir Chypre c. Turquie, Requête no 25781/94,
arrêt du 10 mai 2001. et ceux des droits de propriété 
			(32) 
			Voir Loizidou c. Turquie, Requête no 15318/89,
arrêt du 18 décembre 1996. de Chypriotes grecs déplacés du fait de la prise de pouvoir effective des autorités turques dans la partie septentrionale de Chypre et de la présence, sur cette partie du territoire chypriote, d’importantes forces militaires turques. Cette jurisprudence s’est également appliquée à l’affaire Ilascu 
			(33) 
			Ilascu c. Moldova et Fédération de Russie,
2004., dans laquelle la Fédération de Russie et la République de Moldova ont été jugées responsables de la détention illégale d’un opposant politique aux autorités implantées de fait en Transnistrie à la suite du contrôle territorial, par l’armée russe, de cette région sécessionniste de la Moldova. Cette jurisprudence de la Cour est totalement conforme à une conception de la souveraineté nationale davantage axée sur les droits de l’homme, évoquée plus haut 
			(34) 
			Paragraphe 15 (Kofi
Annan)..

5.3. Renforcement du multilatéralisme et garanties bilatérales

36. Un autre aspect de l’évolution du concept de souveraineté nationale est le renforcement du multilatéralisme – par opposition aux actions unilatérales.
37. Concernant la «responsabilité de protéger», nous avons déjà souligné qu’un mandat multilatéral – fondé, de préférence, sur une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies – était nécessaire pour justifier une intervention humanitaire. Les exceptions très réservées invoquées par la CIISE en cas de blocage du Conseil de sécurité, exigent au minimum le soutien d’une organisation régionale. Par conséquent, on peut affirmer très légitimement que les interventions unilatérales, ou celles fondées sur des accords de garanties bilatéraux ou plurilatéraux ne correspondent plus à l’esprit actuel du droit international public.
38. Le cas de Chypre illustre bien ce point. Comme le faisait observer le professeur Herdegen lors de l’audition de décembre 2010, on peut douter de la validité actuelle du «Traité de garantie» de 1960 concernant Chypre, dans la mesure où ce traité n’est peut-être plus applicable en vertu du principe du Wegfall der Geschäftsgrundlage (c’est-à-dire la disparition des circonstances fondamentales sur lesquelles ce traité était basé) ou du fait de la violation de l’accord par l’une des deux parties (à savoir l’intervention unilatérale de l’armée turque en 1974).
39. En fait, le «Traité de garantie» concernant Chypre pourrait être considéré comme nul selon l’argument ci-dessus évoqué par le professeur Herdegen, dans la mesure aussi où ce traité semble être contraire aux articles 2.4 et 103 de la Charte des Nations Unies, ainsi qu’à une norme impérative du droit international qui interdit le recours à la force. L’article 2.4 de la Charte des Nations Unies limite de manière importante les conditions dans lesquelles un Etat pourrait recourir légalement à la force sur le territoire d’un autre Etat. Cet article 2.4 dispose spécifiquement que «les membres de l’Organisation [des Nations Unies] s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies». Il est assez probable qu’un traité autorisant, en termes généraux, une action militaire sur le territoire de l’une des parties au traité – et ce, indépendamment de tout consentement de la Partie en question, au moment précis concerné – serait contraire à une norme impérative du droit international (jus cogens), dans la mesure où l’interdiction du recours à la force, établie à l’article 2.4 de la Charte des Nations Unies est généralement considérée comme le fondement même de cette norme impérative. Dans le même esprit, le traité en question serait également nul en vertu du principe établi à l’article 53 de la Convention de Vienne sur le droit des traités 
			(35) 
			Convention de Vienne
sur le droit des traités (1969), article 53: traités en conflit
avec une norme impérative du droit international général (jus cogens). «Est nul tout traité
qui, au moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme impérative
du droit international général. Aux fins de la présente convention,
une norme impérative du droit international général est une norme
acceptée et reconnue par la communauté internationale des Etats
dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation
n'est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle
norme du droit international général ayant le même caractère.» . Enfin, le traité en question serait rendu inopérant par l’article 103 de la Charte des Nations Unies, qui dit ceci: «En cas de conflit entre les obligations des Etats membres des Nations Unies en vertu de la présente Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront.»
40. De toute manière, tout traité ou instrument tel que le «Traité de garantie» relatif à Chypre est considéré comme inadéquat par décision du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies aux termes des dispositions du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. L’obsolescence de ce traité de garantie peut également remettre en question la légitimité actuelle des «Sovereign Base Areas» (bases souveraines britanniques) d’Akrotiri et de Dhekelia 
			(36) 
			Voir la Résolution 1555 (2007) de l’Assemblée sur la situation des habitants des zones
d’Akrotiri et de Dhekelia, placées sous souveraineté britannique;
dans son exposé des motifs, le rapporteur (Andreas Gross, Suisse,
SOC) présente les points de vue divergents des gouvernements britannique
et chypriote sans prendre position sur les aspects juridiques (Doc. 11232, paragraphes 3 à 9). – fondées sur un autre élément de l’ensemble des traités de décolonisation ayant conduit à l’indépendance de Chypre, intitulé «Traité relatif à l’établissement de la République de Chypre». On peut douter du fait qu’un «traité injuste», que Chypre a été contrainte de signer pour pouvoir s’émanciper du pouvoir colonial, en 1960, puisse encore justifier que des territoires aussi importants que les «bases souveraines» échappent au contrôle de l’Etat chypriote souverain.

6. Conclusion

41. Nous avons pu constater l’évolution des concepts de «statut d’Etat» et de «souveraineté nationale». Les critères constitutifs du statut d’Etat englobent désormais des éléments aussi fondamentaux que le respect de la démocratie, de l’Etat de droit et des droits de l’homme, ainsi que des garanties en faveur des groupes ethniques et des minorités, ou encore l’obligation de règlement pacifique des conflits. La notion de souveraineté nationale a évolué pour devenir aujourd’hui une «souveraineté dans le cadre du droit» – autrement dit une souveraineté inscrite dans le droit et limitée par celui-ci (y compris par les normes internationales en matière de droits de l’homme). A la lumière de ces évolutions, la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des Etats a établi le concept de «responsabilité de protéger» collective, et qui, dans certaines circonstances, peut empiéter sur le concept traditionnel de souveraineté nationale; cette «responsabilité de protéger» se substitue aux «garanties» bilatérales ou plurilatérales, qui deviennent progressivement obsolètes.
42. La conclusion majeure consiste à dire que ces évolutions récentes sont loin d’être achevées et ont encore un caractère polémique, à la fois sur le plan juridique et en termes d’évaluation des situations concrètes sur le terrain. A mon sens, la contribution importante de la CIISE au développement et à la clarification du concept de «responsabilité de protéger» indique la voie à suivre: une conférence de suivi des travaux de la CIISE, qui réunirait, sous l’égide des Nations Unies, d’éminents praticiens et universitaires représentant toutes les régions du monde et les traditions en matière de droit international, devrait aborder les questions juridiques internationales encore conflictuelles – y compris celles soulevées dans le présent rapport, mais sans s’y limiter.

Annexe – La responsabilité de protéger – Résumé du rapport de la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats (CIISE) (décembre 2001)

(open)

La responsabilité de protéger: principes de base

1. Principes fondamentaux

a. La souveraineté des Etats implique une responsabilité, et c'est à l'Etat lui-même qu'incombe, au premier chef, la responsabilité de protéger son peuple.
b. Quand une population souffre gravement des conséquences d'une guerre civile, d'une insurrection, de la répression exercée par l'Etat ou de l'échec de ses politiques, et lorsque l'Etat en question n'est pas disposé ou apte à mettre un terme à ces souffrances ou à les éviter, la responsabilité internationale de protéger prend le pas sur le principe de non-intervention.

2. Fondements

Les fondements de la responsabilité de protéger en tant que principe directeur pour la communauté internationale des Etats reposent sur:

a. Les obligations inhérentes à la notion de souveraineté.
b. L’article 24 de la Charte de l'ONU, qui confère au Conseil de sécurité la responsabilité du maintien de la paix et de la sécurité internationales.
c. Les impératifs juridiques particuliers énoncés dans les déclarations, pactes et traités relatifs aux droits de l'homme et à la protection des populations, le droit international humanitaire et la législation nationale.
d. La pratique croissante des Etats et des organisations régionales, ainsi que du Conseil de sécurité lui-même.

3. Eléments

La responsabilité de protéger comprend trois obligations particulières:

a. La responsabilité de prévenir: éliminer à la fois les causes profondes et les causes directes des conflits internes et des autres crises produites par l'homme qui mettent en danger les populations.
b. La responsabilité de réagir: réagir devant des situations où la protection des êtres humains est une impérieuse nécessité, en utilisant des mesures appropriées pouvant prendre la forme de mesures coercitives telles que des sanctions et des poursuites internationales et, dans les cas extrêmes, en ayant recours à l'intervention militaire.
c. La responsabilité de reconstruire: fournir, surtout après une intervention militaire, une assistance à tous les niveaux afin de faciliter la reprise des activités, la reconstruction et la réconciliation, en agissant sur les causes des exactions auxquelles l'intervention devait mettre un terme ou avait pour objet d'éviter.

4. Priorités

a. La prévention est la principale dimension de la responsabilité de protéger: il faut toujours épuiser toutes les possibilités de prévention avant d'envisager une intervention, et il faut lui consacrer plus de détermination et de ressources.
b. Lorsque l'on doit assumer les responsabilités de prévenir et de réagir, il faut toujours envisager les mesures les moins intrusives et les moins contraignantes avant de passer à des interventions plus contraignantes et intrusives.

La responsabilité de protéger: principes pour l'intervention militaire

1. Le seuil de la cause juste

L'intervention militaire à des fins de protection humaine doit être considérée comme une mesure exceptionnelle et extraordinaire. Pour qu'elle soit justifiée, il faut qu'un dommage grave et irréparable touchant des êtres humains soit en train – ou risque à tout moment – de se produire, tel que:

a. Des pertes considérables en vies humaines, effectives ou présumées, qu'il y ait ou non intention génocidaire, attribuables soit à l'action délibérée de l'Etat, soit à la négligence de l'Etat ou à son incapacité à agir, soit encore à la défaillance de l'Etat. Ou
b. Un «nettoyage ethnique» à grande échelle, effectif ou présumé, qu'il soit accompli par l'assassinat, l'expulsion forcée, la terreur ou le viol.

2. Les principes de précaution

a. Bonne intention: le but primordial de l'intervention, peu importe les autres motivations qui animent les Etats intervenants, doit être de faire cesser ou d'éviter des souffrances humaines. Pour satisfaire au mieux le principe de bonne intention, les opérations doivent avoir un caractère multilatéral et bénéficier du soutien manifeste de l'opinion publique de la région et des victimes concernées.
b. Dernier recours: une intervention militaire ne saurait être justifiée que lorsque chaque option non militaire de prévention ou de règlement pacifique de la crise a été explorée, étant entendu que l'on a des motifs raisonnables de penser que des mesures moins radicales n'auraient pas produit le résultat escompté.
c. Proportionnalité des moyens: par son ampleur, sa durée et son intensité, l'intervention militaire envisagée doit correspondre au minimum nécessaire pour atteindre l'objectif de protection humaine défini.
d. Perspectives raisonnables: l'intervention ne peut être justifiée que si elle a des chances raisonnables de faire cesser ou d'éviter les souffrances qui l'ont motivée, les conséquences de l'action ne devant pas être pires que celles de l'inaction.

3. Autorité appropriée

a. Il n'y a pas de meilleur organe, ni de mieux placé, que le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies pour autoriser une intervention militaire à des fins de protection humaine. Il ne s'agit donc pas de trouver des substituts au Conseil de sécurité en tant que source de l'autorité, mais de veiller à ce qu'il fonctionne mieux qu'il ne l'a fait jusqu'à présent.
b. L'autorisation du Conseil de sécurité doit être, dans tous les cas, sollicitée avant d'entreprendre toute action d'intervention militaire. Ceux qui préconisent une intervention doivent demander officiellement l'autorisation de l'entreprendre, ou obtenir du Conseil qu'il soulève cette question de son propre chef, ou encore obtenir du Secrétaire général qu'il la soulève en vertu de l'article 99 de la Charte des Nations Unies.
c. Le Conseil de sécurité doit statuer sans retard sur toute demande d'autorisation d'intervenir en cas d'allégations de pertes en vies humaines ou de nettoyage ethnique à grande échelle. Il doit alors procéder à une vérification suffisamment approfondie des faits ou de la situation sur le terrain susceptibles de justifier une intervention militaire.
d. Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité devraient s'entendre pour renoncer à exercer leur droit de veto, dans les décisions où leurs intérêts vitaux ne sont pas en jeu, afin de ne pas faire obstacle à l'adoption de résolutions autorisant des interventions militaires qui, destinées à assurer la protection humaine, recueillent par ailleurs la majorité des voix.
e. Si le Conseil de sécurité rejette une proposition d'intervention ou s'il ne donne pas suite à cette proposition dans un délai raisonnable, les autres options possibles sont les suivantes:
i. l'Assemblée générale réunie en session extraordinaire d'urgence dans le cadre de la procédure officielle de «l'union pour le maintien de la paix» peut étudier le problème; et
ii. des organisations régionales ou sous-régionales, sous réserve de l' autorisation préalable du Conseil de sécurité, peuvent agir dans le cadre de leur compétence en vertu du chapitre VIII de la Charte.
f. Le Conseil de sécurité devrait, dans toutes ses délibérations, tenir compte du fait que s'il n'assume pas sa responsabilité de protéger face à une situation qui choque les consciences et appelle une intervention d'urgence, il serait irréaliste de s'attendre à ce que les Etats concernés renoncent à tout autre moyen de faire face à la gravité et à l'urgence de ladite situation, et que le prestige et la crédibilité de l'Organisation des Nations Unies pourraient s'en trouver affectés.

4. Principes opérationnels

a. Des objectifs clairs; un mandat toujours clair et sans ambiguïté; et des ressources appropriées.
b. L'adoption d'une démarche militaire commune par les différents partenaires en cause; l'homogénéité de la structure de commandement; une chaîne de commandement et des communications claires et sans ambiguïté.
c. L'acceptation de certaines limites, l'augmentation progressive des pressions exercées et le gradualisme dans l'emploi de la force, le but étant de protéger une population, et non pas de parvenir à la défaite d'un Etat.
d. Des règles d'engagement qui correspondent au concept opérationnel sont clairement énoncées; reflètent le principe de la proportionnalité; et impliquent la stricte observance du droit humanitaire international.
e. L'acceptation du fait que la protection par la force ne doit pas devenir l'objectif principal poursuivi.
f. Une coordination aussi étroite que possible avec les organisations humanitaires.