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Rapport | Doc. 13572 | 04 juillet 2014

Vers une optimisation de la prise en charge des cancers du sein en Europe

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteure : Mme Stella KYRIAKIDES, Chypre, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12995, Renvoi 3898 du 1er octobre 2012.Ce rapport est dédié à Mme Helena de Assis, Secrétaire du Groupe pour la gauche unitaire européenne à l’Assemblée parlementaire, décédée des suites d’un cancer du sein le 25 septembre 2014. 2014 - Quatrième partie de session

Résumé

Le cancer du sein reste le cancer le plus fréquent chez les femmes européennes et présente le plus fort taux de mortalité de tous les cancers chez les femmes. Une prise en charge et des soins de qualité du cancer du sein se traduisent à moyen et long terme par une amélioration des taux de survie, des économies pour le système de santé et une meilleure qualité de vie pour les patientes.

Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient maintenir la lutte contre le cancer du sein au premier rang de leurs préoccupations de santé et veiller à ce que les femmes aient un accès effectif à des programmes de dépistage et de traitement conformes aux lignes directrices européennes, y compris à des informations précises et fondées sur des connaissances validées et la prise de décision commune entre les patient(e)s et les équipes médicales.

La commission des questions sociales, de la santé et du développement durable recommande aussi de créer et mettre à jour des registres nationaux des cancers, d’interdire la discrimination contre les patient(e)s atteint(e)s de cancer du sein fondée sur le statut de leur maladie, et d’encourager la collaboration des chercheurs en vue de diminuer les taux de mortalité et améliorer la qualité de vie des patient(e)s ainsi que les techniques de dépistage, de diagnostic et de traitement – et, à terme, de trouver un remède pour guérir le cancer du sein.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 12 mai 2014.

(open)
1. Le cancer du sein reste le cancer le plus fréquent chez les femmes européennes. Il présente le plus fort taux de mortalité de tous les cancers chez les femmes, malgré les progrès scientifiques considérables réalisés depuis 20 à 25 ans en matière de dépistage et de traitement.
2. Les progrès réalisés dans la lutte contre le cancer du sein – et la stigmatisation qui reste associée à cette maladie dans certains pays – n’ont été ni linéaires ni universels en Europe, et ce pour de nombreuses raisons. L’accès à des programmes de dépistage de qualité et à un traitement moderne n’étant pas encore perçu comme un droit dans toute l’Europe, de nombreuses femmes subissent une chirurgie mutilante et/ou un traitement agressif inutiles.
3. Une prise en charge et des soins du cancer du sein de qualité se traduisent à moyen et long terme par une amélioration des taux de survie, des économies pour le système de santé et une meilleure qualité de vie pour les patient(e)s. Ce n’est donc pas uniquement dans l’intérêt des patient(e)s que la lutte contre le cancer du sein devrait être placée au premier rang des préoccupations de santé des Etats membres.
4. L’Assemblée parlementaire recommande par conséquent aux Etats membres du Conseil de l’Europe:
4.1. de maintenir la lutte contre le cancer du sein au premier rang de leurs préoccupations de santé;
4.2. de veiller à ce que les femmes aient accès à des programmes nationaux de dépistage par mammographie organisés, soumis à un contrôle de qualité et conformes aux lignes directrices européennes, ainsi qu’à des informations précises et fondées sur des connaissances validées concernant les avantages et les risques potentiels liés à ces programmes, afin qu’elles puissent décider en connaissance de cause d’y participer;
4.3. de veiller à ce que tous les patient(e)s atteint(e)s d’un cancer du sein, quel que soit leur lieu de résidence, aient un accès effectif à un diagnostic et un traitement de qualité garantie dans des unités de sénologie multidisciplinaires en contact avec les programmes nationaux de dépistage, conformes aux lignes directrices européennes et qui encouragent la prise de décision commune entre les patient(e)s et les équipes médicales;
4.4. de créer et de tenir à jour des registres nationaux des cancers fournissant des données fiables sur la situation dans les Etats membres et de les charger, entre autres, d’informer et de sensibiliser les médias et le grand public sur la bonne interprétation de ces données;
4.5. d’interdire toute discrimination contre les patient(e)s atteint(e)s de cancer du sein fondée sur le statut de la maladie, en particulier dans les domaines de l’emploi et de l’assurance;
4.6. d’encourager les chercheurs de tous les Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe à œuvrer ensemble pour approfondir leurs connaissances de la maladie et améliorer les techniques de dépistage, de diagnostic et de traitement en vue de diminuer les taux de mortalité et améliorer la qualité de vie des patient(e)s ainsi que de réduire les cas de surdiagnostic et de surtraitement et, à terme, trouver un remède pour guérir le cancer du sein.

B. Exposé des motifs, par Mme Kyriakides, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. Le cancer du sein est une maladie qui existe depuis des siècles mais dont la perception ne cesse d’évoluer. Peu à peu, les efforts déployés par les porte-parole des patient(e)s, les scientifiques, les médias et les gouvernements ont brisé le silence autour de cette pathologie. Aujourd’hui, le cancer du sein n’est plus considéré comme un stigmate, mais comme une maladie et, dans de nombreux pays, le changement est en marche dans la manière d’aborder les soins.
2. Le vécu d’un cancer du sein est semblable pour tous les patient(e)s (majoritairement des femmes), au-delà des frontières, des races et des religions. Pourtant, il y a encore de nombreuses régions du monde où les femmes continuent à taire le diagnostic, où il n’existe pas une prise en charge optimale en termes de diagnostic et traitement, et où c’est la peur de la mort qui se profile à l’issue du processus, et non l’espoir et la guérison.
3. Il en est ainsi bien qu’il soit aujourd’hui admis qu’assurer une prise en charge de qualité des cancers du sein se traduit à moyen et long terme par une amélioration du taux de survie, des économies pour le système de santé et une meilleure qualité de vie pour les patient(e)s. Il est nécessaire d’exhorter tous les Etats membres à garantir des normes minimales et optimales de prise en charge de toutes les personnes chez qui la maladie est diagnostiquée.
4. Au cours des dernières décennies, la communauté scientifique et les associations de défense des droits ont uni leurs efforts pour améliorer la sensibilisation à des questions intéressant le cancer du sein. Des questions touchant au diagnostic, au dépistage, à une qualité optimale des soins dans les unités de sénologie, aux droits des femmes en matière d’emploi et aux assurances, ainsi qu’à l’importance des soins palliatifs et de fin de vie.
5. En attirant l’attention sur ces questions, le présent rapport cherche à faire en sorte que les Etats membres du Conseil de l’Europe axent leurs efforts sur la réduction des disparités et des inégalités dans la prise en charge du cancer du sein en Europe. Il est essentiel que les centaines de milliers de femmes, d’hommes et de familles touchés par la maladie reçoivent le niveau de soins auquel ils ont droit, tel que défini par les résolutions de 2003 et 2006 du Parlement européen sur le cancer du sein ainsi que par la Charte européenne des droits des patients.

2. Faits et chiffres sur le cancer du sein

6. Je ne suis pas moi-même spécialiste du cancer du sein, mais je suis membre de la coalition Europa Donna qui mène des actions de plaidoyer pour la lutte contre le cancer du sein – et dont la directrice exécutive, Mme Susan Knox, a participé à un échange de vues avec la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable en octobre 2013. Permettez-moi de récapituler ici les principaux faits et chiffres relatifs au cancer du sein 
			(2) 
			Sauf
indication contraire, tous les faits et chiffres suivants sont tirés
du site web d’Europa Donna (qui indique les références): <a href='http://www.europadonna.org/breast-cancer-facs/'>www.europadonna.org/breast-cancer-facs/</a>.:
  • Incidence
    • Le cancer du sein est le cancer le plus courant et a la plus forte mortalité de tous les cancers chez les femmes à travers le monde.
    • Le cancer du sein est le cancer le plus fréquent chez les femmes européennes avec une incidence estimée à 499 560 en 2012. L’incidence dans l'UE-28 en 2012 a été estimée à 367 090.
    • Il y a deux fois plus de nouveaux cas de cancer du sein chaque année que de nouveaux cas d’autres types de cancer.
    • Une femme sur 10 dans l'UE-28 développera un cancer du sein avant qu'elle atteigne 80 ans.
    • Une moyenne de 20 %-30 % des cas de cancer du sein en Europe surviennent chez des femmes quand elles sont âgées de moins de 50 ans; 33 % surviennent à 50-64 ans et les autres cas chez des femmes au-delà de cet âge. Le cancer du sein affecte donc beaucoup de femmes au cours de leurs années consacrées à travailler et élever une famille.
  • Mortalité
    • Le cancer du sein cause la mort de femmes européennes plus que tout autre cancer.
    • En Europe, on estime que 142 889 femmes sont mortes d'un cancer du sein en 2012, 91 495 d'entre elles étaient issues des Etats membres de l'UE-28.
  • Faits sur le mode de vie et le cancer du sein
    • Le nombre croissant de cas de cancer du sein peut être dû à des changements dans les habitudes de vie, l'augmentation de la sédentarité, la prise de poids et l'obésité et les changements sociologiques comme l'augmentation de l'âge à la première naissance et la diminution du nombre d'enfants.
  • L'activité physique et le poids
    • L'excès de poids et l'inactivité physique comptent pour environ 25 %-33 % des cas de cancer du sein.
    • Il existe une relation inverse entre l'indice de masse corporelle et le cancer du sein chez les femmes pré-ménopausées et une relation directe chez les femmes post-ménopausées.
    • On estime que l'inactivité physique cause de 10 %-16 % de tous les cas de cancer du sein.
    • L'effet de la perte de poids est indépendant de l'activité physique.
  • La consommation d'alcool
    • Consommer trois boissons alcoolisées ou plus par jour augmente le risque de cancer du sein de 30 %-50 %, chaque boisson représentant environ un risque accru de 7 %.

3. Comprendre les statistiques

7. Comme l’a précisé le Dr Alberto Costa de l’Ecole européenne d’oncologie à l’audition tenue par la commission sur ce rapport au cours de sa réunion à Strasbourg le 9 avril 2014 
			(3) 
			Le procès-verbal de
cette réunion est disponible auprès du Secrétariat de la commission
(AS/Soc (2014) PV 3). , «le cancer du sein n’est pas une maladie, mais en recouvre plusieurs». Pendant des centaines d’années, le seul traitement standard disponible pour tous les types de cancer du sein a été la chirurgie: ablation de la tumeur ou du sein atteint. Selon le Dr Costa: «Nous savions que tout en faisant notre possible pour chaque patient(e), certains ne survivraient pas à la maladie. Etant donné que nous ne pouvions prévoir qui allait survivre, nous nous sentions obligés de donner le traitement maximum tolérable à chacun, à savoir la mastectomie.» Toutefois, même une mastectomie radicale ne peut sauver la vie – ni même la prolonger – de chaque patient(e) atteint(e) de cancer du sein.
8. Depuis 20 à 25 ans, des progrès considérables ont été réalisés dans la compréhension du cancer du sein. La découverte de la composition des tumeurs a permis de classer différents types de la maladie au-delà de la classification par taille et type de localisation (tubulaire ou lobulaire) ou selon l’implication ou non des ganglions lymphatiques sentinelles – il est aujourd’hui possible de mesurer à quelle vitesse grossit une tumeur, avec quelle rapidité elle produit des métastases, si elle envahit ou pas la circulation sanguine, si elle est hormono-réceptive, etc. A l’avenir, l’établissement du profil génétique des tumeurs permettrait une classification encore plus efficace et plus claire. Parallèlement, les progrès en matière de traitement – en particulier pour les tumeurs hormono-dépendantes – offrent aux médecins des options thérapeutiques efficaces autres que la chirurgie. Un traitement beaucoup plus personnalisé est désormais possible, il ne s’agit plus d’un «traitement unique». Toutefois, il n’existe toujours pas de «remède » efficace à 100 % pour le cancer du sein: nous sommes toujours dans l’attente de la découverte de l’équivalent des antibiotiques pour la tuberculose. Selon le Dr Nereo Segnan du service de dépistage du cancer de l’Hôpital universitaire de Turin 
			(4) 
			Avec qui j’ai eu un
déjeuner de travail le jour de l’audition., seul un(e) patient(e) sur cinq atteint(e)s d’un cancer du sein (d’un cancer invasif, et non un CCIS ou CLIS 
			(5) 
			Le CCIS (carcinome
canalaire in situ) et le CLIS (carcinome lobulaire in situ) sont
des lésions précancéreuses non invasives localisées dans certaines
cellules cancéreuses.) est sauvé par les traitements actuellement disponibles – toutefois, étant donné qu’il est aujourd’hui presque impossible de prévoir quel type de cancer va répondre à une chimiothérapie agressive, par exemple, de nombreux médecins se sentent encore obligés de «donner le traitement maximum tolérable à chacun».
9. Parallèlement, l’évolution des technologies permet aujourd’hui de détecter des cancers à un stade encore plus précoce grâce à des programmes de dépistage par mammographie (voir le chapitre suivant). Comme l’a souligné le Dr Segnan lors de l’audition susmentionnée, c’est la combinaison de programmes de dépistage organisé et d’un traitement plus efficace qui a finalement eu une incidence significative sur les taux de mortalité du cancer du sein en Europe au cours des 20 à 25 dernières années.
10. Dans ce contexte, il est important de bien comprendre les statistiques. Il règne une profonde confusion, même parmi les professionnels, en matière d’interprétation des statistiques. Permettez-moi de vous donner quelques exemples. De nombreuses femmes sont choquées par l’augmentation apparemment inexorable des taux d’incidence du cancer du sein au cours du siècle dernier. Toutefois, cette augmentation est due à de nombreux facteurs, dont des distorsions statistiques: alors qu’une meilleure hygiène, le développement des vaccins et la découverte des antibiotiques ont permis de réduire le nombre de femmes mourant de maladies infectieuses, elles étaient plus nombreuses à survivre pour mourir d’autres causes – dont le cancer du sein. L’augmentation de l’espérance de vie chez les femmes a également augmenté le risque de développer un cancer du sein au cours de sa vie. Cela ne signifie pas que certains changements sociaux n’ont eu aucun impact sur l’augmentation des taux de cancer du sein. Ainsi, avoir des enfants tôt, en avoir plusieurs et les allaiter peut protéger contre le cancer du sein, alors qu’avoir ses premières menstruations à un âge précoce et la ménopause à un âge tardif augmente la probabilité de développer un cancer du sein.
11. Un autre exemple est l’accent mis sur les «taux de survie ». Bien entendu, c’est l’une des premières questions que de nombreuses femmes posent à leur médecin à l’annonce du diagnostic de cancer du sein – «combien de temps me reste-t-il?» Toutefois, il n’est pas facile de répondre à cette question, même aujourd’hui, en raison des nombreuses sous-catégories de cette maladie. Certaines tumeurs sont si agressives qu’elles vont tuer la patiente rapidement, quel que soit le stade où le cancer est dépisté ou quel que soit le traitement administré. Certains cancers ne sont pas invasifs (par exemple le CCIS et le CLIS, qui ne devraient peut-être pas être appelés «cancers» du tout) ou se développent ou produisent des métastases si lentement que la patiente aura survécu (ou sera décédée d’autres causes) quel que soit le stade auquel le cancer est dépisté et quel que soit le traitement administré (y compris en cas d’absence de traitement). Le passage du niveau de l’individu au niveau statistique suscite d’innombrables malentendus. Par exemple, prenons le cas d’une femme atteinte d’une tumeur agressive qui va la tuer à l’âge de 45 ans. Si elle consulte un médecin à l’âge de 43 ans avec des symptômes, elle est comptabilisée comme ayant survécu deux ans après le diagnostic. En revanche, si la tumeur de cette même femme avait été découverte lors d’un dépistage par mammographie à l’âge de 40 ans, elle aurait été comptabilisée comme ayant survécu cinq ans après le diagnostic. Les faits sont identiques, l’issue est la même, mais statistiquement parlant, la femme a gagné trois ans de vie, et le taux de survie a augmenté «grâce au dépistage précoce». Autre exemple, celui d’une femme souffrant d’un CCIS découvert lors d’un dépistage par mammographie à l’âge de 40 ans. On lui administre un traitement agressif et elle meurt d’autres causes (non liées au cancer du sein) à l’âge de 80 ans. Est-ce que, comme certains l’interpréteront, le dépistage et le traitement agressif ont permis de lui sauver la vie, en ayant une incidence positive sur le taux de survie du cancer du sein? La réponse est non: le CCIS est par définition non invasif (le IS signifie «in situ») et donc ne tue pas. C’est la raison pour laquelle il est si important d’apprendre au grand public et aux patient(e)s à bien interpréter les statistiques et à ne pas tirer de conclusions trop hâtives.

4. «Pour ou contre le dépistage»: données probantes et lignes directrices dans le contexte d’un débat persistant

12. Le dépistage par mammographie est actuellement au cœur d’un vif débat. Un grand nombre d’experts, aux Etats-Unis et en Europe, ont établi des rapports évaluant l’efficacité du dépistage par mammographie moyennant une analyse de l’ensemble des éléments probants (fournis par le Réseau européen de dépistage du cancer du sein, le Centre international de recherche sur le cancer et l’Organisation mondiale de la santé (OMS)). Europa Donna, la coalition européenne contre le cancer du sein qui représente des groupes constitués dans 46 pays européens et étudie constamment toutes les données, soutient les programmes de dépistage par mammographie en population générale lorsqu’ils sont réalisés conformément aux lignes directrices européennes pour l’assurance de la qualité dans le dépistage et le diagnostic du cancer du sein – à savoir une mammographie tous les deux ans après un certain âge, généralement fixé à 50 ans.
13. Malheureusement, la façon dont les médias présentent les données liées aux programmes de dépistage par mammographie prête souvent à confusion. Le Dr Segnan a très bien expliqué les faits lors de l’audition tenue par la commission: les programmes de dépistage organisé du cancer du sein, à grande échelle, conformes aux lignes directrices européennes sauvent des vies lorsqu’ils sont associés à des traitements modernes. Ce n’est ni le dépistage ni le traitement en tant que tel qui ont une incidence sur les taux de mortalité, mais bien la combinaison des deux. Les différentes études à grande échelle sont arrivées à des conclusions différentes concernant l’ampleur des avantages pouvant être attribués aux programmes de dépistage 
			(6) 
			Pour de plus amples
détails, veuillez consulter la présentation du Dr Segnan, disponible
auprès du Secrétariat., mais les données indiquent qu’ils sont significatifs. Le Dr Segnan recommande donc de poursuivre les programmes de dépistage conformes aux lignes directrices, tout en mettant en garde contre le dépistage individuel, ponctuel et non organisé qui peut faire plus de mal que de bien.
14. Le Dr Segnan a également souligné les inconvénients du dépistage, qui – tout en étant moins nombreux que les avantages – doivent également être clairement présentés aux femmes afin qu’elles puissent prendre une décision éclairée quant à leur participation à un programme de dépistage du cancer du sein: les «faux positifs», le surdiagnostic et le surtraitement. Les études qu’il a citées révélaient que 20 % des femmes avaient été rappelées après un dépistage par mammographie pour des contrôles plus approfondis (avec parfois des interventions invasives) au cours des 20 dernières années, la plupart étant des «faux positifs», c’est-à-dire que les lésions détectées n’étaient pas cancéreuses. Si l’anxiété, le stress et (dans les cas d’interventions invasives pour exclure le cancer) la gêne occasionnés aux femmes dans cette situation ne doivent pas être sous-estimés, le préjudice est faible comparé aux cas de surdiagnostic entraînant un surtraitement.
15. Le Dr Segnan a défini le «surdiagnostic» comme un cancer ou des lésions précancéreuses telles que le CCIS ou le CLIS qui n’auraient pas été détectés sans dépistage par mammographie, car ils n’étaient pas palpables ou n’entraînaient aucun symptôme. La variabilité du diagnostic est élevée – ainsi le CCIS constitue entre 4 % et 23 % de tous les «cancers» détectés à l’occasion d’un dépistage 
			(7) 
			Le Dr Segnan préconise
d’éliminer le terme «cancer» dans la description du CCIS et du CLIS,
car le cancer est par définition invasif et non localisé dans les
cellules.. On sait désormais que le CCIS et le CLIS n’entraînent que rarement un cancer invasif et que le «traitement» pour ces lésions précancéreuses devrait donc être limité à une surveillance lors de dépistages par mammographie à intervalles réguliers. Malheureusement, les médecins n’ont pas tous connaissance de ces recommandations, et de nombreuses femmes subissent encore une chirurgie mutilante inutile pour ces lésions – qui, dans la plupart des cas, ne se seraient jamais transformées en cancer. Le meilleur moyen d’éviter ce type de surtraitement est de suivre à la lettre les lignes directrices et d’établir une alliance entre les unités de sénologie et les unités de dépistage organisé (voir chapitre suivant).
16. D’un point de vue de santé publique, plus les femmes âgées de 50 à 69 ans seront nombreuses à participer au dépistage organisé, meilleurs seront les résultats (les données pour le groupe d’âge de 40 à 49 ans sont moins claires: si les avantages sont les mêmes en ce qui concerne le nombre de cancers détectés, les préjudices pour ce groupe d’âge sont plus importants avec davantage de «faux positifs » et de cas de surdiagnostic dus à une plus grande densité des seins chez les femmes appartenant à ce groupe). La documentation fournie aux femmes ne dresse pas toujours un tableau précis des avantages et des risques liés à la participation aux programmes de dépistage. Il faut que cela change. Les femmes doivent être traitées comme des adultes et pouvoir prendre une décision éclairée quant à leur participation aux programmes de dépistage; en outre, cette décision doit être respectée et ne pas se retourner contre elles ultérieurement. Depuis l’introduction du dépistage par mammographie, les femmes ont été nombreuses à y participer. Faisons- leur confiance pour prendre la bonne décision – celle qui est bonne pour elles.
17. En résumé: le dépistage, réalisé conformément aux lignes directrices européennes, apporte un avantage significatif aux femmes au sens où il améliore les taux de la mortalité liée à cette maladie lorsqu’il est associé à des traitements modernes. Il est donc important que les femmes aient accès à des programmes de dépistage conformes aux lignes directrices et à des informations exactes et fiables, fondées sur des données probantes. En l’état actuel des connaissances, le dépistage par mammographie est la meilleure méthode de détection précoce du cancer du sein disponible aujourd’hui et il est avéré que cela améliore les taux de mortalité 
			(8) 
			Les résolutions de
2003 et 2006 du Parlement européen indiquent que le dépistage par
mammographie est susceptible de réduire de 35 % chez les femmes
âgées de 50 à 69 ans la mortalité liée au cancer du sein, et que
cela peut également réduire la mortalité chez les femmes âgées de
40 à 49 ans. La Déclaration de 2009 du Parlement européen sur la
lutte contre le cancer du sein dans l’Union européenne demande aux
Etats membres de mettre en place un programme national de dépistage
par mammographie, conformément aux lignes directrices fixées par
l’Union européenne..

5. Unités spécialisées en sénologie: accroître la qualité de vie et les chances de survie des femmes

18. Au vu des données disponibles, il est prouvé que le traitement du cancer du sein dans une unité multidisciplinaire spécialisée en sénologie améliore les chances de survie et la qualité de vie. Dans ses résolutions de 2003 et 2006, le Parlement européen invite les Etats membres de l’Union européenne à faire en sorte, d’ici à 2016, d’établir de telles unités sur l’ensemble du territoire national, conformément aux lignes directrices européennes.
19. Toutes les femmes, dans les Etats membres du Conseil de l’Europe et dans le monde entier, devraient avoir accès à des unités spécialisées en sénologie entièrement équipées, offrant une garantie de qualité et une prise en charge globale et compétente. Le traitement des lésions mammaires requiert une équipe multidisciplinaire. EUSOMA (Société européenne de mastologie) a défini les exigences auxquelles doivent satisfaire les unités spécialisées en sénologie. Ces lignes directrices (mises à jour en 2013) ont été élaborées en s’appuyant sur les données fournies par une équipe multidisciplinaire d’experts européens.
20. Les lignes directrices précisent qu’une unité de sénologie intégrée doit traiter un nombre suffisant de cas, afin de garantir une activité effective et de maintenir l’expertise 
			(9) 
			Il est important qu’une
unité de sénologie ait une capacité suffisante pour traiter au moins
150 nouveaux cas de cancer du sein primaire par an. Un nombre minimum
est recommandé pour la simple raison que la prise en charge d’un minimum
de cas est indispensable pour maintenir l’expertise., et disposer d’une équipe de spécialistes travaillant selon une approche multidisciplinaire 
			(10) 
			L’équipe
d’une unité de sénologie se compose de chirurgiens spécialisés,
d’oncologues spécialisés, de radiologues spécialisés et de data
managers. Les autres services offerts en complément au sein de ces
unités sont le soutien psychologique, la reconstruction mammaire,
les soins palliatifs, des services de prothèses mammaires ou de
traitement du lymphœdème, et du personnel infirmier spécialisé.. Les lignes directrices soulignent la nécessité d’assurer une continuité des soins pour les patient(e)s présentant une maladie métastatique et des services de soins palliatifs de grande qualité. Une unité de sénologie traite également les nodules bénins.
21. Comme l’ont souligné les Dr Costa et Segnan lors de l’audition, deux autres aspects importants vont au-delà des lignes directrices sous leur forme actuelle: en premier lieu, il doit y avoir une alliance entre les programmes de dépistage organisé du cancer du sein et les unités de sénologie, afin de réduire les cas de surdiagnostic et de surtraitement. En second lieu, il est important que les unités de sénologie disposent d’infirmières spécialisées qui peuvent accompagner les patient(e)s tout au long du diagnostic et du traitement. Cela ne signifie pas que les médecins doivent consacrer moins de temps à leurs patient(e)s – au contraire, une communication de qualité entre médecin et patient(e) est essentielle pour la prise de décision commune. Toutefois, la présence d’une infirmière spécialisée en sénologie pendant les discussions importantes (pour l’annonce du diagnostic, ou lors de la prise d’une décision relative à une option de traitement) peut être d’une grande aide pour les patient(e)s.
22. Finalement, quelques mots sur la question du genre. Le cancer du sein est principalement une maladie féminine, et il touche une partie du corps de la femme importante pour l’estime de soi (et considérée comme importante pour le «sex appeal» voire la «féminité» dans la société). Ce n’est pas la même chose pour une femme d’être atteinte d’un cancer du sein ou d’un cancer du côlon par exemple. En même temps, le sein n’est pas un «organe vital» dans la définition classique. Cela a de tout temps entraîné le renforcement d’une certaine attitude paternaliste chez les médecins qui a encore plus déséquilibré la relation de pouvoir entre les médecins et leurs patient(e)s. Les femmes qui ont le sentiment d’être associées à la prise de décision quant à leur traitement ont manifestement de meilleurs résultats de santé – elles souffrent moins d’anxiété, de dépression et de fatigue liées à la maladie et au traitement. On peut espérer que les unités de sénologie, en mettant l’accent sur la prise de décision commune, peuvent contribuer à inverser la tendance historique.

6. Le rose  n’est pas une couleur, c’est une attitude! Le pouvoir du plaidoyer

23. Défendre une cause est ancré dans le comportement humain depuis des siècles. S’engager dans des activités de plaidoyer, c’est dépasser le champ de son expérience personnelle pour militer en faveur d’une cause beaucoup plus large. L’important est de mettre cette expérience au service du politique afin d’opérer des changements. Les activités de plaidoyer peuvent aussi favoriser un changement d’attitude et faire évoluer les croyances de la société, ainsi que les normes.
24. Les militants doivent être bien informés et bien formés. Le plaidoyer est un art en soi, l’art de changer les opinions politiques. Les activités de sensibilisation au cancer peuvent briser des tabous et la stigmatisation. Le cancer du sein est l’un des domaines les plus dynamiques où la défense des patient(e)s a permis de changer le visage de la maladie.
25. Beaucoup reste à faire et plaider en faveur du changement est fondamental. Aujourd’hui encore, de grandes disparités existent en termes de diagnostic, de dépistage et de prise en charge du cancer du sein, tant à l’intérieur des pays qu’entre ceux-ci. Ceci étant, la nécessité de promouvoir le changement ne se limite pas au dépistage et aux traitements: il faut également protéger les droits des femmes en matière d’emploi et d’assurances, ainsi que le droit d’avoir accès aux essais cliniques. De récentes études font apparaître qu’un cinquième des patient(e)s ne reprennent pas leur travail même si elles sont jugées aptes à le faire. En outre, en cas de retour à l’emploi, les femmes concernées subissent très fréquemment diverses formes de discrimination.
26. Les sites de sensibilisation sur le cancer du sein et les forums de soutien regorgent de cas de discrimination contre les patient(e)s atteint(e)s de cancer du sein dans toutes sortes de domaines, mais il est difficile d’obtenir des preuves concrètes. De nombreuses patientes sont victimes de discrimination au travail: renvoi (illégal) ou harcèlement jusqu’à ce qu’elles partent de leur propre initiative, rétrogradation, proposition de poste «plus facile» (et moins rémunéré), impossibilité d’obtenir une promotion, proposition de contrats à durée déterminée ou à temps partiel – la liste est presque sans fin. De même, lorsqu’elles souhaitent souscrire une assurance-vie ou une assurance-santé, elles peuvent se heurter à un refus, voire (souvent illégalement) être exclues des polices d’assurance existantes, ou être contraintes de payer des primes de risques plus élevées – même si elles étaient en bonne santé depuis 10 ans ou plus après le diagnostic du cancer. Si les patient(e)s atteint(e)s de cancer du sein ont le droit à la non-discrimination, ce genre de discrimination est souvent difficile à prouver, comme c’est souvent le cas avec tous les types de discrimination – de ce fait, de nombreuses victimes ne tentent même pas de déposer un recours auprès de la justice. Le mouvement de défense des droits a encore beaucoup à faire pour sensibiliser l’opinion publique à ce genre de discrimination afin de la dénoncer, et espérons-le, d’y mettre un terme.
27. Les patient(e)s atteint(e)s d’un cancer du sein font face à des problèmes complexes – il faut consacrer des fonds à la recherche en matière de prévention et sur les facteurs génétiques et environnementaux, à la création de registres des cancers à l’échelon national, ainsi qu’à la recherche d’un éventuel remède. Il faut accorder une attention particulière aux femmes jeunes atteintes d’un cancer du sein qui sont confrontées à des problématiques particulières et nécessitent des services et des informations adaptés à leurs besoins, ainsi qu’aux femmes présentant une maladie métastatique 
			(11) 
			Dans cette phase (finale)
du cancer du sein, le traitement vise à prolonger la vie autant
que possible avec la meilleure qualité de vie possible en soulageant
les symptômes et en tentant de passer en phase de rémission avec
un minimum d’effets secondaires..
28. Le rose n’est pas juste une couleur – les campagnes qui se déclinent en rose peuvent parfois sembler presque trop optimistes et les tentatives de «récupération» de certaines entreprises commerciales font l’objet d’un certain nombre de critiques. Etant donné les disparités existantes, elles peuvent même sembler frivoles, car le cancer du sein est une maladie grave. Mais il faut voir le rose comme une façon de créer une attitude positive pour enclencher une dynamique de changement. Les rubans roses doivent être interprétés loin du rose commercial infantilisant commercialisé pour les fillettes: comme un rose adulte, énergique et stimulant.

7. Conclusions et recommandations

29. Nous avons parcouru un long chemin depuis l’époque où les femmes diagnostiquées avec un cancer du sein subissaient systématiquement une chirurgie mutilante et des traitements agressifs sans aucune considération pour l’incidence que cela aurait sur leur personne et leur qualité de vie. Grâce au mouvement de défense des patient(e)s, la stigmatisation du cancer du sein a également disparu.
30. Toutefois, malgré tous les progrès accomplis ces 20 à 25 dernières années en matière de détection et de traitement du cancer du sein, les taux de mortalité ne diminuent que très lentement. La plupart des cas de cancer du sein invasif restent, malheureusement, incurables, même si les patient(e)s survivent plus longtemps et ont une meilleure qualité de vie qu’au siècle dernier. Le cancer du sein reste le cancer le plus courant et présente le plus fort taux de mortalité de tous les cancers chez les femmes dans le monde – et de ce fait continue à être redouté par les femmes.
31. Les taux d’incidence et de mortalité varient d’un pays à l’autre du Conseil de l’Europe. Certaines variations sont dues à des différences dans les modes de vie, la prédisposition génétique et la pyramide des âges, mais nombre d’entre elles reflètent l’absence de services de sénologie optimaux, notamment en matière de programmes de dépistage organisé conformes aux lignes directrices et de traitements modernes dans des unités multidisciplinaires spécialisées en sénologie. L’accent étant mis aujourd’hui sur la prévention axée sur le mode de vie, et donc déplacé dans le domaine de la responsabilité individuelle, le cancer du sein ne fait plus partie des priorités sanitaires dans de nombreux pays 
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fait que la majeure partie des patients atteints de cancer du sein
soient des femmes, la plupart proches de l’âge de la retraite, a
peut-être contribué subtilement à ce glissement de priorités en
raison d’inégalités persistantes entre les sexes. .
32. La lutte contre le cancer du sein doit retrouver sa place au premier rang des préoccupations sanitaires des pays. Toutes les femmes (et les hommes présentant une prédisposition génétique) des Etats membres doivent avoir le droit d’accéder à des programmes de dépistage de qualité, un diagnostic correct et un traitement moderne offrant une garantie de qualité dans des unités multidisciplinaires spécialisées en sénologie. Ce droit ne doit pas exister uniquement sur le papier, il doit être appliqué dans la pratique. Chaque Etat membre doit disposer d’un registre national des cancers pouvant fournir des données fiables sur la situation.
33. Enfin, les chercheurs de tous les Etats membres et observateurs doivent travailler ensemble pour mieux comprendre la maladie et améliorer les techniques de dépistage, de diagnostic et de traitement en vue de réduire le surdiagnostic et le surtraitement et d’améliorer les taux de mortalité et la qualité de vie des patient(e)s. Et, bien entendu, de découvrir enfin un remède permettant de guérir le cancer du sein.