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Proposition de résolution | Doc. 11755 | 14 octobre 2008

La crise du déplacement d’Irakiens: une catastrophe humanitaire

Signataires : M. Mevlüt ÇAVUŞOĞLU, Turquie, GDE ; Mme Tina ACKETOFT, Suède ; M. Pedro AGRAMUNT, Espagne, PPE/DC ; Mme Oksana BILOZIR, Ukraine, PPE/DC ; M. Christopher CHOPE, Royaume-Uni, GDE ; M. Boriss CILEVIČS, Lettonie, SOC ; M. Renato FARINA, Italie, PPE/DC ; M. John GREENWAY, Royaume-Uni ; M. Michael HAGBERG, Suède ; M. Mike HANCOCK, Royaume-Uni, ADLE ; M. Tadeusz IWIŃSKI, Pologne, SOC ; M. Tomáš JIRSA, République tchèque, GDE ; M. Jean-Pierre KUCHEIDA, France, SOC ; M. Morten ØSTERGAARD, Danemark ; M. Giacomo SANTINI, Italie, PPE/DC ; M. Tuğrul TÜRKEŞ, Turquie, GDE ; Mme Özlem TÜRKÖNE, Turquie, PPE/DC ; M. Jiří ZLATUŠKA, République tchèque

Cette proposition n'a pas été examinée par l'Assemblée et n'engage que ses signataires.

Des millions d’Irakiens, hommes, femmes et enfants, sont oubliés dans les débats sur la poursuite des offensives militaires, le rythme de retrait des troupes et les normes politiques. Ils vivent une tragédie humaine d’une ampleur inégalée: nulle part ailleurs dans le monde il n’y a autant de gens qui fuient la violence et la guerre.

Rares sont cependant les grands débats publics sur la guerre d’Irak qui accordent aux questions de déplacement de populations l’attention qu’elles méritent. Cela s’explique en partie par le fait que les victimes irakiennes sont largement invisibles pour les médias occidentaux. En outre, à cause de l’instabilité qui prévaut dans le pays, l'UNHCR et les autres organismes ne sont pas en mesure de superviser les conditions de sécurité des personnes déplacées à l’intérieur de leur pays et des personnes qui retournent chez elles.

Le déplacement de populations en Irak constitue une crise majeure. Selon les estimations, 2 millions d’Irakiens ont quitté leurs foyers depuis l’invasion du pays conduite par les Etats-Unis, en 2003. Beaucoup ont rejoint les pays voisins, tels que la Jordanie (750 000) et la Syrie (1,5 million), où ils vivent dans des camps surpeuplés. En outre, 2,7 millions d’Irakiens sont déplacés à l’intérieur de leur pays. Ils s’ajoutent au million de personnes qui avaient déjà été déplacées en Irak et aux près de 500 000 réfugiés qui avaient fui le régime de Saddam Hussein avant 2003.

Bien que le rythme des déplacements ait probablement diminué un peu, la situation en Irak est encore trop instable pour que les Irakiens puissent retourner chez eux. Or, leurs ressources s’épuisent et l’aide internationale n’est pas adaptée.

Les énormes besoins des réfugiés irakiens dépassent largement les capacités des pays d’accueil de la région. En conséquence, la Jordanie et la Syrie ont pratiquement fermé leurs frontières aux Irakiens qui cherchent à se mettre à l’abri. Dans les deux pays, on est préoccupé par l’impact social et le coût économique de la présence de ces réfugiés. Les gouvernements s’inquiètent aussi de la menace que l’accueil d’un si grand nombre d’Irakiens pourrait faire peser sur la sécurité. Le dénuement de plus en plus grand des réfugiés fait craindre que des hommes désespérés ne rejoignent des groupes insurgés et que de plus en plus de femmes irakiennes ne se livrent à la prostitution.

D’un autre côté, on craint également que, si les réfugiés retournent chez eux trop tôt et en masse, ils ne représentent une force déstabilisatrice pour l’Irak lui-même, notamment compte tenu du risque d’innombrables différends à propos de questions de propriété.

Or, aucun gouvernement occidental ne veut des réfugiés irakiens. Nombre d’Etats européens qui s’étaient opposés à la guerre estiment que ses conséquences humanitaires relèvent de la responsabilité des Etats-Unis. Les gouvernements européens sont réticents à accepter que des réfugiés s’installent chez eux; en 2007, seuls 1 650 Irakiens se sont installés dans des pays de l’Union européenne. Toutefois, vu la proximité géographique de l’Irak, nombreux sont les Irakiens qui cherchent refuge en Europe, et l’Europe ne peut pas les ignorer. En 2007, près de 40 000 Irakiens ont demandé l’asile en Europe, soit deux fois plus qu’en 2006. Presque tous sont arrivés par le biais de trafiquants ou de filières clandestines, puisque les Irakiens qui fuient les persécutions n’ont aucun moyen légal d’entrer en Europe.

Le sort des Irakiens qui cherchent à se mettre à l’abri en Europe est différent selon le pays où ils arrivent. En effet, si la Suède est le pays européen qui accueille le plus de réfugiés irakiens (18 600 l’an dernier), la Slovénie et la Grèce n’ont accepté aucune des plus de 4 000 demandes d’asile qu’elles ont reçues en 2007.

Quant au gouvernement allemand, il a commencé à retirer leur statut de protection aux réfugiés irakiens auxquels il avait accordé l’asile dans les années 90 et qui fuyaient alors le régime de Saddam Hussein. Selon l’Allemagne, ces personnes n’ont plus besoin de protection. Environ 18 000 Irakiens – soit un tiers de la population irakienne présente en Allemagne – ont ainsi perdu leur statut de protection. En mai 2007, ces procédures de révocation ont été suspendues, mais leur statut de protection n’a pas été rendu aux personnes auxquelles il avait été retiré.

Certains pays européens, tels que le Danemark, la Grèce, la Pologne, la Suède et le Royaume-Uni, pratiquent les retours forcés. Même la Suède referme progressivement ses portes, puisqu’en février 2008 elle a conclu avec l’Irak un accord de réadmission qui lui permet de prendre des mesures d’éloignement à l’encontre des demandeurs d’asile dont la demande a été rejetée. De nombreux gouvernements européens proposent une aide financière aux Irakiens qui choisissent de retourner volontairement dans leur pays, mais peu d’Irakiens optent pour cette solution.

Le nouveau pacte sur l’immigration et l’asile de l’Union européenne qui doit être adopté en octobre devrait permettre aux réfugiés de retourner en Irak dans de meilleures conditions et mettre un terme à l’augmentation du nombre d’Irakiens en Europe. Les mesures prévues par le pacte visent à faire en sorte que les Irakiens restent au Moyen-Orient, notamment en augmentant les ressources financières allouées à la Syrie et à la Jordanie pour que ces deux pays puissent venir en aide aux Irakiens.

Les déplacements d’Irakiens, actuels et futurs, risquent d’avoir des effets indésirables, et imprévisibles, sur la situation au Moyen-Orient. Si les gouvernements des pays d’Europe et des Etats-Unis, le système des Nations Unies et les ONG n’élaborent pas une vision stratégique de ces déplacements dès maintenant, les conséquences pour la sécurité, dans la région et au-delà, pourraient être tout aussi considérables. Il est donc impératif de s’intéresser à la question des déplacements, non seulement par compassion, mais aussi parce que c’est un enjeu de sécurité majeur.

Compte tenu de ce qui précède, l’Assemblée invite instamment l’Union européenne:

  • à accorder un degré de priorité élevé aux aspects humanitaires de la question irakienne;
  • à intégrer la dimension humanitaire dans ses projets et stratégies à long terme concernant l’Irak;
  • à insister auprès du gouvernement irakien pour qu’il assume ses responsabilités, c'est-à-dire qu’il protège et assiste les personnes déplacées à l’intérieur du pays et envisage des moyens de venir en aide à ses ressortissants en exil;
  • à accroître son aide humanitaire en faveur de la population civile irakienne touchée par la guerre;
  • à réaffirmer qu’elle s’engage à protéger les réfugiés irakiens, et à convenir d’établir un programme européen de réinstallation; à adopter les conclusions sur l’accueil de réfugiés irakiens dans les pays de l’Union;
  • à travailler en étroite collaboration avec l’Organisation des Nations Unies et ses structures humanitaires;
  • à collaborer avec l’ONU, le gouvernement irakien et d’autres acteurs internationaux pour trouver des solutions durables pour les personnes déplacées, en tenant compte notamment de la nécessité de planifier les retours et de prévoir des procédures de restitution des biens et d’indemnisation.

L’Assemblée rappelle le principe du retour volontaire de tous les réfugiés et déplacés et recommande aux Etats membres du Conseil de l'Europe et aux Etats observateurs:

  • de respecter la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés et de ne pas prendre de mesures d’éloignement à l’encontre d’Irakiens tant que la stabilité et la sécurité n’ont pas été rétablies en Irak;
  • de s’engager à faciliter le retour des réfugiés et des déplacés irakiens dans leurs foyers, dans la sécurité et la dignité;
  • de mobiliser les ressources nécessaires pour répondre aux énormes besoins des réfugiés et déplacés irakiens, y compris en soutenant l'UNHCR de manière appropriée, par des moyens financiers et autres, dans ses actions en faveur des réfugiés irakiens qui vivent à l’étranger;
  • d’envisager de soutenir la création de la fonction de coordonnateur de l’aide humanitaire des Nations Unies pour l’Irak; ce coordonnateur serait chargé de collaborer avec les organismes gouvernementaux pour faire en sorte que l’aide humanitaire soit effectivement fournie, que les politiques soient coordonnées et cohérentes et que le retour des réfugiés irakiens ne soit pas entravé par des obstacles bureaucratiques.